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16/05/2024 | FRANCE | N°16/07612

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 18° chambre 1ère section, 16 mai 2024, 16/07612


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :




18° chambre
1ère section

N° RG 16/07612
N° Portalis 352J-W-B7A-CH4AE

N° MINUTE : 3

Assignation du :
11 Mai 2016

contradictoire













JUGEMENT
rendu le 16 Mai 2024


DEMANDERESSE

S.A. CRÉDIT LYONNAIS
dont le siège social est situé [Adresse 3] et le siège central [Adresse 4], représentée par son Président du Conseil d’Administration domicilié en cet

te qualité audit siège, élisant domicile en son siège central [Adresse 4],

représentée par Maître Nicole-Marie POIRIER GALIBERT de l’ASSOCIATION POIRIER SCHRIMPF, avocats au barreau de PARIS, ves...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

18° chambre
1ère section

N° RG 16/07612
N° Portalis 352J-W-B7A-CH4AE

N° MINUTE : 3

Assignation du :
11 Mai 2016

contradictoire

JUGEMENT
rendu le 16 Mai 2024

DEMANDERESSE

S.A. CRÉDIT LYONNAIS
dont le siège social est situé [Adresse 3] et le siège central [Adresse 4], représentée par son Président du Conseil d’Administration domicilié en cette qualité audit siège, élisant domicile en son siège central [Adresse 4],

représentée par Maître Nicole-Marie POIRIER GALIBERT de l’ASSOCIATION POIRIER SCHRIMPF, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0228

DÉFENDERESSE

S.C.I. DU [Adresse 5]
[Adresse 7]
[Localité 6]

représentée par Maître Thierry DOUËB, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1272

Décision du 16 Mai 2024
18° chambre 1ère section
N° RG 16/07612

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Sophie GUILLARME, 1ère Vice-présidente adjointe,
Madame Maïa ESCRIVE, Vice-présidente,
Monsieur Cédric KOSSO-VANLATHEM, Juge,

assistés de Madame Henriette DURO, Greffière, lors des débats et de Monsieur Christian GUINAND, Greffier principal, lors de la mise à disposition au greffe.

DÉBATS

À l'audience du 12 Février 2024, tenue en audience publique, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 16 Mai 2024.

JUGEMENT

Rendu par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

Sous la rédaction de Cédric KOSSO-VANLATHEM

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous signature privée en date du 25 mai 1989, Monsieur [K] [J] et sa conjointe Madame [U] [W] épouse [J] ont donné à bail commercial renouvelé à la S.A. CRÉDIT LYONNAIS des locaux situés au rez-de-chaussée, aux deux premiers étages et au sous-sol d'un immeuble soumis au statut de la copropriété sis [Adresse 1] et [Adresse 5] à [Localité 9] cadastré section BZ numéro [Cadastre 2] d'une contenance totale de 6 ares et 5 centiares pour une durée de quinze années à effet rétroactif au 1er juillet 1987, afin qu'y soient exercées une activité de banque et toutes activités annexes, moyennant le versement d'un loyer annuel initial d'un montant de 150.000 francs hors taxes et hors charges payable trimestriellement à terme échu et d'une provision mensuelle sur charges locatives d'un montant de 533,33 francs.

Madame [U] [W] épouse [J] est décédée le 13 octobre 2001, laissant pour lui succéder notamment son conjoint survivant Monsieur [K] [J] et leur fils Monsieur [N] [J].

Le contrat de bail s'est prolongé tacitement à compter du 1er juillet 2002.

Par acte d'huissier en date du 27 mars 2007, Monsieur [K] [J] et Monsieur [N] [J], en leur qualité respective d'usufruitier et de nu-propriétaire du bien immobilier susvisé, ont fait signifier à la S.A. CRÉDIT LYONNAIS un congé pour le 30 septembre 2007 portant refus de renouvellement du contrat de bail commercial avec offre de paiement d'une indemnité d'éviction.

Par deux actes notariés en date du 9 juillet et du 10 septembre 2007, Monsieur [N] [J] et Monsieur [K] [J] ont vendu respectivement la nue-propriété et l'usufruit du bien immobilier susvisé à la S.C.I. DU [Adresse 5].

Sur saisine de la S.A. CRÉDIT LYONNAIS, le tribunal de grande instance de Paris a, par jugement contradictoire en date du 17 décembre 2009, notamment : dit que le congé délivré par Monsieur [K] [J] et par Monsieur [N] [J] avait mis fin au contrat de bail commercial à compter du 30 septembre 2007 ; et ordonné une expertise immobilière judiciaire confiée à Monsieur [E] [V] aux fins d'estimation du montant de l'indemnité d'éviction due à la S.A. CRÉDIT LYONNAIS et du montant de l'indemnité d'occupation statutaire due à la S.C.I. DU [Adresse 5].

En cours d'instance, la S.C.I. DU [Adresse 5] a, par acte d'huissier signifié à la S.A. CRÉDIT LYONNAIS en date du 3 décembre 2010, exercé son droit de repentir sur le fondement de l'article L. 145-58 du code de commerce, et consenti au renouvellement du contrat de bail commercial, en proposant que le prix du bail renouvelé soit fixé à la somme annuelle de 114.000 euros hors taxes et hors charges.

Se plaignant de l'état de vétusté avancé de l'immeuble l'empêchant de jouir d'une partie des locaux donnés à bail, la S.A. CRÉDIT LYONNAIS a fait dresser un procès-verbal de constat par huissier de justice en date du 26 août 2011 puis a, par exploits d'huissier en date du 29 novembre 2011, d'une part mis en demeure Monsieur [K] [J], Monsieur [N] [J] et la S.C.I. DU [Adresse 5] de remédier aux désordres dans un délai de quinze jours, et d'autre part fait assigner ces derniers devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris aux fins d'organisation d'une mesure d'expertise judiciaire.

Par ordonnance réputée contradictoire en date du 2 février 2012, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a fait droit à cette demande et a ordonné une expertise judiciaire confiée à Monsieur [R] [I].

L'expert judiciaire a organisé deux réunions contradictoires les 4 mai 2012 et 1er mars 2013, a adressé un pré-rapport aux parties le 1er avril 2014, et a déposé son rapport définitif le 14 février 2015.

À la suite de l'exercice par la S.C.I. DU [Adresse 5] de son droit de repentir, et à défaut d'accord sur le prix du bail renouvelé, le juge des loyers commerciaux a, par jugement contradictoire en date du 21 septembre 2015, notamment: fixé le montant du loyer du contrat de bail commercial renouvelé à la somme annuelle de 79.325 euros hors taxes et hors charges à compter du 3 décembre 2010 ; condamné la S.A. CRÉDIT LYONNAIS à payer à la S.C.I. DU [Adresse 5] le montant des intérêts au taux légal sur les loyers arriérés à compter de la date de délivrance de l'assignation pour les loyers échus avant cette date, et à compter de chaque échéance contractuelle pour les loyers postérieurs ; et ordonné la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière.

Par exploit d'huissier en date du 11 mai 2016, la S.A. CRÉDIT LYONNAIS a fait assigner la S.C.I. DU [Adresse 5] devant le tribunal de grande instance de Paris, devenu depuis tribunal judiciaire de Paris, en indemnisation de ses préjudices.

Décision du 16 Mai 2024
18° chambre 1ère section
N° RG 16/07612

Postérieurement à l'introduction de la présente instance, la S.A. CRÉDIT LYONNAIS a, par acte d'huissier signifié à la S.C.I. DU [Adresse 5] en date du 18 juillet 2017, exercé son droit d'option sur le fondement du second alinéa de l'article L. 145-57 du code de commerce, et renoncé au renouvellement du contrat de bail commercial.

La S.A. CRÉDIT LYONNAIS a restitué à la S.C.I. DU [Adresse 5] les clefs des locaux donnés à bail suivant procès-verbal d'état des lieux de sortie dressé par acte d'huissier de justice en date du 27 juillet 2017.

Par ordonnance contradictoire en date du 18 janvier 2018, le juge de la mise en état a ordonné une médiation judiciaire d'une durée initiale de trois mois confiée à Monsieur [D] [O] [Z], laquelle n'a pas permis d'aboutir à un accord amiable mettant fin au litige.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 3 mars 2021, la S.A. CRÉDIT LYONNAIS demande au tribunal, sur le fondement des articles 606, 1146 ancien, 1162 ancien, 1343-2, 1719, 1720 et 1755 du code civil, de :

constater qu'elle justifie que le bureau litigieux était condamné en avril 2007 ;constater qu'elle est à jour du paiement de ses loyers et charges au 27 juillet 2017 ;en conséquence, condamner la S.C.I. DU [Adresse 5] à lui payer les sommes suivantes :la somme de 76.092,08 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'impossibilité de jouir d'une partie des surfaces louées (perte de surface commerciale), assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de délivrance de l'assignation sur la somme de 27.732,69 euros et à compter de la date de notification de ses conclusions n°3 pour le surplus ;la somme de 62.524,31 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de délivrance de l'assignation sur la somme de 22.787,75 euros et à compter de la date de notification de ses conclusions n°3 pour le surplus ;la somme de 39.662,50 euros en restitution du dépôt de garantie ;ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;débouter la S.C.I. DU [Adresse 5] de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles au titre des réparations locatives, de la prétendue perte de loyers et de l'arriéré locatif et de charges dû au 27 juillet 2017 ;à défaut, dire et juger que le coût des réparations locatives et/ou des remises en état qui lui sont imputables ne peut excéder la somme de 10.950 euros, et débouter la S.C.I. DU [Adresse 5] de ses autres demandes ;ordonner la compensation, à due concurrence, entre toutes créances réciproques des parties à la présente instance ;en tout état de cause, condamner la S.C.I. DU [Adresse 5] à lui payer la somme de 20.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;condamner la S.C.I. DU [Adresse 5] aux dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire ;ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir en ce qu'il fera droit à ses demandes.
À l'appui de ses prétentions, la S.A. CRÉDIT LYONNAIS fait valoir que l'existence des désordres qu'elle invoque est établie tant par les procès-verbaux de constats d'huissier produits aux débats que par le rapport d'expertise judiciaire, lesquels désordres découlent de l'état de vétusté du bien immobilier, si bien qu'ils sont imputables à la bailleresse. Elle indique que celle-ci a manqué à son obligation d'entretien, et souligne que cette dernière était parfaitement informée de l'état de délabrement du bien immobilier lors de son acquisition. Elle ajoute apporter la preuve de la condamnation de l'un des bureaux occupés à compter du mois de janvier 2007 en raison de problèmes de sécurité.

Elle précise que son préjudice a consisté, d'une part en une impossibilité totale de jouir d'une partie des locaux, correspondant à une surface pondérée de 22,81 m2 représentant 12,17% de la superficie totale, si bien qu'elle est fondée à réclamer le remboursement de 12,17% des loyers versés depuis le mois d'avril 2007 à titre de dommages et intérêts, et d'autre part en un trouble de jouissance devant être réparé par la restitution de 10% des loyers réglés.

Elle s'oppose aux demandes reconventionnelles formées par la S.C.I. DU [Adresse 5], faisant remarquer qu'elle était à jour du règlement de l'intégralité de ses loyers et charges locatives lors de son départ des lieux, qu'elle n'est redevable d'aucune somme au titre de quelconques travaux de remise en état, et que la défenderesse ne justifie aucunement, en tout état de cause, avoir subi une perte équivalant à deux mois de loyers pendant la durée de ces prétendus travaux, ce qui justifie le rejet de l'intégralité des prétentions adverses ainsi que la restitution du montant du dépôt de garantie.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 4 mai 2021, la S.C.I. DU [Adresse 5] sollicite du tribunal, sur le fondement des articles 606, 1146 ancien, 1353 et 1724 du code civil, de :

à titre principal, constater que la S.A. CRÉDIT LYONNAIS lui a fait signifier le procès-verbal de constat d'huissier et la mise en demeure le 29 novembre 2011, date de l'exploit introductif ;constater que la S.A. CRÉDIT LYONNAIS n'a pas justifié avoir réalisé les travaux de gros œuvre figurant au descriptif sommaire des travaux annexé au contrat de bail commercial du 25 mai 1989 ;dire et juger qu'en l'absence de réception, la S.A. CRÉDIT LYONNAIS doit supporter les travaux visés à l'article 606 du code civil ;en conséquence, débouter la S.A. CRÉDIT LYONNAIS de l'intégralité de ses demandes ;constater que la S.A. CRÉDIT LYONNAIS ne rapporte pas la preuve d'une date certaine de la condamnation d'un bureau ;en conséquence, débouter la S.A. CRÉDIT LYONNAIS de l'intégralité de ses demandes ;à titre subsidiaire, sur le quantum du préjudice réclamé, constater que la S.A. CRÉDIT LYONNAIS ne justifie d'aucun trouble d'exploitation et qu'en toute hypothèse, celui-ci fait double emploi avec le préjudice lié à la perte de surface commerciale ;en conséquence, débouter la S.A. CRÉDIT LYONNAIS de ce chef de demande ;constater l'absence de mise en demeure préalable à l'exploit introductif délivré le 29 novembre 2011 ;en conséquence, dire et juger que le préjudice ne saurait excéder quatre mois et demi, et subsidiairement soixante-huit mois (du mois de décembre 2011 au mois de juillet 2017) ;constater que la S.A. CRÉDIT LYONNAIS a condamné un bureau d'une surface de 44 m2 qui a été pondérée à 0,20 avec un loyer de 475 euros par mètre carré pondéré par jugement du juge des loyers commerciaux en date du 21 septembre 2015 ;constater que cette décision est définitive et a force de chose jugée ;
en conséquence, dire et juger que le préjudice lié à la perte de surface commerciale ne saurait excéder la somme de 1.567,50 euros (soit : 475 x 44 x 0,20 x [4,5 ÷ 12]) à titre principal, la somme de 23.686,67 euros (soit : 475 x 44 x 0,20 x [68 ÷ 12]) à titre subsidiaire, et la somme de 32.947,46 euros à titre infiniment subsidiaire ;à titre reconventionnel, constater que la S.A. CRÉDIT LYONNAIS n'a pas satisfait à son obligation d'entretien ;en conséquence, condamner la S.A. CRÉDIT LYONNAIS à lui payer les sommes suivantes :la somme de 84.816 euros au titre des réparations locatives ;la somme de 15.303,26 euros au titre de la perte de loyers pendant la remise en état des locaux correspondant à deux mois de loyers ;en tout état de cause, condamner la S.A. CRÉDIT LYONNAIS à lui payer la somme de 8.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;condamner la S.A. CRÉDIT LYONNAIS aux dépens, avec distraction au profit de Maître Thierry DOUËB ;rappeler l'exécution provisoire de droit du jugement à intervenir.
Au soutien de ses demandes, la S.C.I. DU [Adresse 5] conteste, à titre principal, les conclusions de l'expert judiciaire, faisant observer que celui-ci n'a pas constaté personnellement les désordres allégués, mais s'est fondé sur le procès-verbal de constat d'huissier en date du 26 août 2011. Elle ajoute qu'en tout état de cause, la locataire conservait contractuellement à sa charge le remplacement du système de collecte des eaux pluviales, lequel est à l'origine des désordres, ainsi que l'intégralité des grosses réparations, ce qui justifie le rejet des prétentions adverses.

À titre subsidiaire, elle avance que les préjudices invoqués ne sont nullement démontrés dès lors que d'une part, elle n'a jamais été informée, préalablement à l'introduction de la présente instance, qu'une partie des locaux était inutilisable, que d'autre part, les surfaces, pondérations et prétendues durées d'inutilisation retenues par l'expert sont erronées, et qu'en tout état de cause, le trouble de jouissance dont se prévaut la preneuse se confond avec la perte de surface commerciale correspondant au murage d'une partie des locaux, si bien que la demanderesse n'est pas fondée à réclamer deux fois la réparation du même préjudice.

À titre reconventionnel, elle expose que la S.A. CRÉDIT LYONNAIS lui a restitué les locaux dans un état lamentable, ce qui justifie que celle-ci soit condamnée à lui rembourser le coût des travaux de remise en état ainsi qu'à l'indemniser de l'absence de perception de tout loyer pendant la durée desdits travaux.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du juge de la mise en état en date du 14 octobre 2021.

L'affaire a été retenue une première fois à l'audience collégiale de plaidoirie du 10 mai 2022, et la décision a été mise en délibéré au 12 juillet 2022, puis prorogée successivement au 25 août 2022, au 7 février 2023, au 14 mars 2023, au 30 mai 2023, au 29 juin 2023 et au 19 septembre 2023.

En raison du temps écoulé depuis la fixation du délibéré initial, de l'empêchement durable du magistrat rapporteur du dossier et du changement survenu dans la composition de la juridiction, le juge de la mise en état a, par ordonnance contradictoire en date du 21 décembre 2023, ordonné la réouverture des débats et renvoyé l'affaire à l'audience du 12 février 2024 pour plaidoirie.

L'affaire a été retenue à l'audience collégiale de plaidoirie du 12 février 2024, et la décision mise en délibéré au 16 mai 2024, les parties en ayant été avisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

À titre liminaire, il convient de relever que les nombreuses demandes figurant au dispositif des conclusions des parties aux fins de voir « constater » et « dire et juger » ne constituent pas des prétentions au sens des dispositions des articles 4 et 768 du code de procédure civile, mais des moyens (Civ. 2, 9 janvier 2020 : pourvoi n°18-18778), si bien qu'il n'y a pas lieu de statuer de ces chefs dans le dispositif de la présente décision.

Sur l'action en responsabilité contractuelle

Sur le manquement de la bailleresse à son obligation d'entretien

Aux termes des dispositions des premier et troisième alinéas de l'article 1719 du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, notamment : 2°) d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée.

En outre, en application des dispositions de l'article 1720 du même code, le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce. Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives.

En vertu des dispositions de l'article 1755 dudit code, aucune des réparations réputées locatives n'est à la charge des locataires quand elles ne sont occasionnées que par vétusté ou force majeure.

Enfin, selon les dispositions du premier alinéa de l'article 1134 de ce code dans sa rédaction applicable à la date du dernier renouvellement du contrat de bail commercial litigieux, c'est-à-dire dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'article 2 de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations entrée en vigueur le 1er octobre 2016, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Il résulte de la combinaison de ces dispositions que sauf disposition expresse du bail, aucune des réparations locatives occasionnées par la vétusté n'est à la charge du locataire (Civ. 3, 3 avril 2001 : pourvoi n°99-15740 ; Civ. 3, 17 novembre 2016 : pourvoi n°15-18345 ; Civ. 3, 9 mai 2019 : pourvoi n°18-14123 ; Civ. 3, 26 mars 2020 : pourvoi n°19-10415).

En l'espèce, les conditions générales du contrat de bail commercial conclu entre les parties en date du 25 mai 1989 stipulent que le preneur est tenu : « ARTICLE 2 – De prendre les lieux loués tels qu'ils se trouvent à l'entrée en jouissance, sans pouvoir demander au bailleur aucune réparation locative, mais au contraire les entretenir en bon état pendant la durée du bail et les rendre tels à leur expiration, de supporter toutes les réparations grosses ou menues même celles prévues par l'article 606 du Code Civil et incombant au Bailleur [...]. Étant précisé que cet article se trouvera automatiquement modifié après exécution des travaux décrits en annexe, comme indiqué aux stipulations particulières » (pièce n°1 en demande et en défense).

De plus, les conditions particulières de ce même contrat prévoient quant à elles qu' : «à compter du PREMIER AVRIL 1989, un abattement de loyer de 45.000,00 F (QUARANTE-CINQ MILLE FRANCS) par an, non indexé, sera effectué et ce jusqu'à la fin du bail en remboursement des travaux effectués par le CRÉDIT LYONNAIS et décrits en annexe au bail. Les travaux seront effectués par les Entreprises du CRÉDIT LYONNAIS mais sous la surveillance de l'Architecte du Bailleur dont les honoraires, à déterminer à l'avance avec le CRÉDIT LYONNAIS, seront à sa charge. À la fin du présent bail, tous les travaux décrits dans l'annexe deviendront la propriété du Bailleur. À compter de la réception des travaux décrits dans l'annexe, l'article 2 des conditions générales du présent bail sera modifié pour devenir : ARTICLE 2 – De prendre les lieux loués tels qu'ils se trouvent à l'entrée en jouissance, sans pouvoir demander au bailleur aucune réparation locative, mais au contraire les entretenir en bon état pendant la durée du bail et les rendre tels à leur expiration. [...] Le bailleur ne sera, par suite, tenu que des grosses réparations telles qu'elles sont définies à l'article 606 du Code Civil, à l'exclusion de toutes les autres » (pièce n°1 en demande et en défense).

Il importe peu de savoir si la S.A. CRÉDIT LYONNAIS a effectivement fait réaliser les travaux énumérés dans le document de deux pages intitulé « DESCRIPTIF SOMMAIRE DES TRAVAUX » annexé au contrat de bail litigieux, les parties s'opposant sur ce point en l'absence de production aux débats d'un procès-verbal de réception expresse des travaux, dès lors qu'il ressort des stipulations contractuelles susvisées, et ce quelle que soit la version de l'article 2 prise en compte, que les réparations dues à la vétusté sont à la charge de la bailleresse, à défaut d'exclusion explicite.

Or, dans son procès-verbal de constat en date du 26 août 2011, l'huissier instrumentaire relève : au deuxième étage, que « l'état de dégradation avancée des descentes d'eaux pluviales a provoqué de graves désordres sur l'ensemble des façades. Ainsi, le mur de façade du bâtiment latéral droit de la cour est couvert de mousse verdâtre le long de ces canalisations fuyardes ; l'humidité, qui règne dans cette partie du mur, dégrade profondément la structure du mur de façade. Les canalisations de descente d'eaux pluviales de l'immeuble sont rongées par la rouille et visiblement fuyardes, de sorte que des cavités se sont formées dans le sol au niveau des fondations au pied de ces canalisations. [...] Pour ces raisons, la partie basse des murs de façade est gorgée d'eau et de la mousse verdâtre la recouvre partiellement. La façade du bâtiment cour est également constituée de pans de bois : ce bois est en partie pourri et s'effrite comme de l'amadou. Les chéneaux présentent le même état de décrépitude ; ils sont en partie détruits ou fortement déformés, de sorte que l'eau de pluie ruisselle le long de la façade» ; dans les locaux du rez-de-chaussée, que « le CRÉDIT LYONNAIS a dû renoncer à occuper toute la partie gauche du rez-de-chaussée du bâtiment cour. Une surface d'environ quarante mètres carrés a ainsi été murée et se trouve actuellement vide et inoccupée. Le reste de la surface du rez-de-chaussée, soit environ vingt mètres carrés, est occupé par les services de caisse de l'agence bancaire. De graves désordres apparaissent à l'intérieur de cette partie des locaux. [...] Les ruissellements d'eau endommagent le faux plafond ainsi que le mur de façade tant en partie haute qu'en partie basse. Ces murs sont humides, le revêtement mural présente des boursouflures ou se décolle, des taches brunâtres avec cernes se forment sur le mur lui-même. La porte d'issue de secours de l'agence bancaire [...] est rongée par la rouille. Cela est visiblement dû à l'humidité régnant sur la façade » ; et au premier étage, que «l'humidité décrite à l'extérieur du bâtiment se retrouve dans cette pièce » (pièce n°9 en demande et en défense, pages 6, 7, 8, 9, 10, 11 et 12).

De même, si l'expert judiciaire, dans son rapport définitif en date du 14 février 2015, note que « ma saisine ayant eu lieu le 20 mars 2012, les travaux de remise en état et de rénovation du Bâtiment D2 qui abrite la partie des locaux loués par la S.A. CRÉDIT LYONNAIS objets du présent litige étaient achevés puisque le 13 mars 2012, [Localité 8] Ouest Promotion adressait une LR-AR à sa locataire, la S.A. CRÉDIT LYONNAIS, pour l'informer de l'achèvement des travaux concernant les locaux de l'agence bancaire [...]. Je n'ai donc pas eu la possibilité d'examiner les désordres allégués dans l'assignation du 29 novembre 2011, laquelle fait référence au constat de Maître [F] [X], Huissier de Justice [...] dressé suite à la visite des lieux objets du présent litige effectuée le 26 août 2011 », il souligne cependant que « B/ pour ma part, lors de ma visite du 04 mai 2012 : Locaux du rez-de-chaussée, dans la zone guichets qui abrite les services de caisse de l'agence bancaire sur une surface d'environ 35m2, j'ai constaté la présence de la cloison murant la partie évacuée par le CRÉDIT LYONNAIS et les traces des désordres relatés par Maître [F] [X] dans son constat du 26/08/2011 étaient toujours visibles. [...] Au deuxième étage, la petite pièce non aménagée située au-dessus de la tisanerie porte bien les traces des infiltrations d'eau [...]. C/ Et lors de ma visite du 01 mars 2013 : Locaux du rez-de-chaussée : [...] la baie qui a conservé sa menuiserie vitrée en aluminium était encore marquée par les infiltrations d'eau provenant du ruissellement des eaux de toiture sur la façade décrépite. Les traces étaient visibles en sous-face du linteau et sur la menuiserie aluminium » (pièces n°12 en demande et n°14 en défense, pages 25, 28 et 29), de sorte que contrairement à ce que soutient à tort la défenderesse, le rapport d'expertise judiciaire repose bien sur les constatations personnelles de l'expert.

S'agissant de l'origine et de la cause des désordres, l'expert judiciaire explique qu' « elles relèvent manifestement d'un grave défaut d'entretien [...], la dégradation de cette façade a été causée non seulement par son vieillissement sans entretien mais aussi et surtout par la dégradation du système de collecte des eaux pluviales de la toiture. [...] C'est tout le système de collecte des eaux pluviales de la toiture qui est concerné par cette ruine due à la vétusté et au défaut manifeste d'entretien », et conclut que « tout le système de collecte des eaux pluviales de la toiture de ce bâtiment est concerné par cette quasi-ruine de l'ouvrage due, tout comme celle de l'enduit extérieur, à la vétusté et au défaut manifeste d'entretien, ce dernier incombant, au vu des faits constatés et documents produits, au propriétaire de l'immeuble » (pièces n°12 en demande et n°14 en défense, pages 26, 27 et 54).

Ces conclusions sont d'ailleurs corroborées par les documents que la bailleresse verse elle-même aux débats, les travaux entrepris ultérieurement par cette dernière ayant notamment porté sur le « remplacement de descente EP en zinc », et sur les « collecteurs horizontaux réalisation en fonte SMU : remplacement complet des collecteurs existants en apparent » (pièce n°6 en défense).

Il s’évince de l’ensemble de ces éléments que les désordres subis par la S.A. CRÉDIT LYONNAIS ont été occasionnés par la vétusté du système de collecte des eaux pluviales, de sorte qu'ils sont imputables à la S.C.I. DU [Adresse 5].

En conséquence, il convient de retenir que la S.C.I. DU [Adresse 5] a manqué à son obligation d'entretien des locaux donnés à bail commercial à la S.A. CRÉDIT LYONNAIS.

Sur les préjudices

Aux termes des dispositions de l'article 1146 ancien du code civil, les dommages et intérêts ne sont dus que lorsque le débiteur est en demeure de remplir son obligation, excepté néanmoins lorsque la chose que le débiteur s'était obligé de donner ou de faire ne pouvait être donnée ou faite que dans un certain temps qu'il a laissé passer. La mise en demeure peut résulter d'une lettre missive, s'il en ressort une interpellation suffisante.

En outre, en application des dispositions de l'article 1147 ancien du même code, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

En vertu des dispositions de l'article 1149 ancien dudit code, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après.

Enfin, selon les dispositions de l'article 1151 ancien de ce code, dans le cas même où l'inexécution de la convention résulte du dol du débiteur, les dommages et intérêts ne doivent comprendre à l'égard de la perte éprouvée par le créancier et du gain dont il a été privé, que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution de la convention.

Il y a lieu de rappeler que sans préjudice de l'obligation continue d'entretien de la chose louée, les vices apparus en cours de bail et que le preneur est seul à même de constater ne sauraient engager la responsabilité du bailleur que si, informé de leur survenance, celui-ci n'a pris aucune disposition pour y remédier (Soc., 14 décembre 1961 ; Civ. 3, 13 octobre 2021 : pourvoi n°20-19278).

En l'espèce, si les procès-verbaux de constats d'huissier en date du 19 janvier 2007 et du 26 août 2011 indiquent respectivement qu' « à l'intérieur de l'agence, les locaux du rez-de-chaussée situés dans le bâtiment vétuste ont été condamnés » (pièce n°13 en demande, page 2), et que « le CRÉDIT LYONNAIS a dû renoncer à occuper toute la partie gauche du rez-de-chaussée du bâtiment cour. Une surface d'environ quarante mètres carrés a ainsi été murée et se trouve actuellement vide et inoccupée » (pièce n°9 en demande et en défense, page 10), force est toutefois de constater, comme le relève à juste titre la défenderesse, que cette dernière n'a été informée des désordres que le 29 novembre 2011, date à laquelle le second procès-verbal de constat lui a été signifié simultanément à l'assignation en référé-expertise (pièce n°8 en défense), la preneuse ne justifiant aucunement avoir adressé à la bailleresse une quelconque lettre de mise en demeure ni s'être plainte de l'état de vétusté invoqué avant cette dernière date.

Si l'expert judiciaire retient que la surface commerciale pondérée inutilisée, du fait de son murage, est de 22,81 m2 (pièces n°12 en demande et n°14 en défense, page 33), il y a toutefois lieu de relever que d'une part, Monsieur [P] [A], expert judiciaire désigné par le juge des loyers commerciaux dans le cadre de l'instance en fixation du loyer du bail renouvelé, mentionne dans son rapport d'expertise judiciaire en date du 3 février 2014, que le « bureau inutilisé sur cour » présente une surface réelle de 44 m2 (pièce n°12 en défense, page 35), et que d'autre part, dans son jugement en date du 21 septembre 2015, ce dernier étant irrévocable pour avoir fait l'objet d'un appel dont le désistement a été constaté par arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 15 novembre 2017, le juge des loyers commerciaux a appliqué un coefficient de pondération de 0,20 (pièces n°14 en demande et n°13 en défense, page 5), si bien que la surface pondérée du bureau inutilisé s'élève en réalité à : 44 x 0,20 = 8,80 m2.

Il est constant que dans son jugement en date du 21 septembre 2015, le juge des loyers commerciaux a fixé le montant du loyer du bail renouvelé à compter du 3 décembre 2010 à la somme annuelle de 79.325 euros hors taxes et hors charges correspondant à une valeur locative statutaire unitaire de 475 euros par mètre carré pondéré (pièces n°14 en demande et n°13 en défense, pages 9 et 10).

De plus, il est établi qu'à la suite des travaux réalisés par la bailleresse en cours d'expertise, la S.A.S. [Localité 8]-OUEST PROMOTION, en sa qualité d'entreprise de construction, a déclaré à la S.A. CRÉDIT LYONNAIS, par lettre recommandée en date du 13 mars 2012 réceptionnée le lendemain : « pour votre parfaite information, nous vous indiquons que l'ensemble des travaux nécessitant une intervention dans votre agence est achevé à ce jour. Nous vous laissons donc notamment la liberté d'ouvrir si vous le souhaitez la partie des locaux côté cour qui a été provisoirement condamnée par vos soins » (pièce n°11 en défense), de sorte que contrairement à ce que soutient à tort la locataire, le préjudice lié à l'impossibilité d'utilisation du bureau litigieux a pris fin le 14 mars 2012, peu importe qu'elle ait fait le choix de ne plus exploiter ce bureau jusqu'à son départ définitif des locaux le 27 juillet 2017.

La demanderesse a donc payé, en pure perte, un loyer afférent à ce bureau inutilisé en raison des désordres, à compter du 29 novembre 2011, date à laquelle elle en a informé sa bailleresse, jusqu'au 14 mars 2012, soit pendant une durée de trois mois et demi, de sorte que le préjudice imputable à la S.C.I. DU [Adresse 5] résultant de l'impossibilité d'utiliser une partie des locaux donnés à bail s'élève à la somme de : 475 x 8,80 x (3,5 ÷ 12) = 1.219,17 euros.

L'expert judiciaire souligne également qu' « en dehors de la surface commerciale perdue en raison du mauvais état de l'ouvrage dont l'indemnisation a été vue au paragraphe précédent, l'activité de l'agence a pu s'exercer normalement dans la mesure où, pour compenser la perte de surface du rez-de-chaussée, la S.A. CRÉDIT LYONNAIS a aménagé le 1er étage du bâtiment E, aménagement qu'elle n'avait pas effectué après les travaux de 1989 si l'on se réfère aux plans du 15/10/2001 [...]. Si l'on tient compte : du fait que la surface aménagée est inférieure de 20% à celle condamnée ; du fait que, se trouvant à l'étage, la nouvelle surface était moins accessible à la clientèle, il est possible de considérer que la situation a généré un trouble de jouissance qu'il appartiendra à la juridiction saisie d'apprécier » (pièces n°12 en demande et n°14 en défense, pages 34 et 35).

De fait, il y a lieu de retenir que cette réorganisation de l'affectation interne des locaux, qui découle directement des désordres et non d'un choix de la locataire, constitue un préjudice de jouissance distinct de celui résultant de l'inutilisation du bureau, lequel sera justement réparé, eu égard à sa durée relativement brève de trois mois et demi, par l'allocation de la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts.

En conséquence, il convient de condamner la S.C.I. DU [Adresse 5] à payer à la S.A. CRÉDIT LYONNAIS la somme de 1.219, 17 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à l'impossibilité temporaire d'exploiter une partie des locaux, ainsi que la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance.

Sur les intérêts moratoires

D'après les dispositions des premier et troisième alinéas de l'article 1153 ancien du code civil, dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages et intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement. Ils ne sont dus que du jour de la sommation de payer, ou d'un autre acte équivalent telle une lettre missive s'il en ressort une interpellation suffisante, excepté dans le cas où la loi les fait courir de plein droit.

En outre, conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article 1153-1 ancien du même code, en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement.

En l'espèce, s'agissant de créances indemnitaires, les intérêts au taux légal courront à compter de la date de la présente décision, et non à la date de l'assignation introductive d'instance comme sollicité par la demanderesse.

En conséquence, il convient de dire que les condamnations prononcées à l'encontre de la S.C.I. DU [Adresse 5] emporteront intérêts au taux légal à compter de la date de la présente décision.

Sur l'anatocisme

L'article1154 ancien du code civil dispose que les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière.

En l'espèce, il y a lieu de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts formée par la S.A. CRÉDIT LYONNAIS.

En conséquence, il convient d'ordonner que les intérêts échus dus au moins pour une année entière produiront eux-mêmes intérêts au taux légal.

Sur les demandes reconventionnelles

Aux termes des dispositions des articles 1730 et 1731 du code civil, s'il a été fait un état des lieux entre le bailleur et le preneur, celui-ci doit rendre la chose telle qu'il l'a reçue, suivant cet état, excepté ce qui a péri ou a été dégradé par vétusté ou force majeure. S'il n'a pas été fait d'état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives, et doit les rendre tels, sauf la preuve contraire.

En outre, en application des dispositions de l'article 1755 du même code, aucune des réparations réputées locatives n'est à la charge des locataires quand elles ne sont occasionnées que par vétusté ou force majeure.

En vertu des dispositions du premier alinéa de l'article 1134 ancien dudit code, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Enfin, selon les dispositions de l'article 1147 ancien de ce code, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'obligation du preneur de restituer les locaux dans leur état primitif n'inclut pas la réparation des dommages dus à la vétusté, sauf convention contraire expresse (Com., 8 mars 2023 : pourvoi n°20-20141; Civ. 3, 30 novembre 2023 : pourvoi n°21-23173).

En l'espèce, les parties admettent qu'aucun état des lieux d'entrée n'a été établi.

De plus, comme précédemment indiqué, les conditions générales du contrat de bail commercial conclu entre les parties en date du 25 mai 1989 stipulent que le preneur est tenu : « ARTICLE 2 – De prendre les lieux loués tels qu'ils se trouvent à l'entrée en jouissance, sans pouvoir demander au bailleur aucune réparation locative, mais au contraire les entretenir en bon état pendant la durée du bail et les rendre tels à leur expiration » (pièce n°1 en demande et en défense).

Il ressort de ces stipulations contractuelles que la locataire s'est engagée à restituer les locaux donnés à bail en bon état, sans pour autant être tenue de réparer les dommages dus à la vétusté, à défaut de clause explicite en ce sens.

En l'occurrence, dans son procès-verbal de constat d'état des lieux de sortie en date du 27 juillet 2017, l'huissier instrumentaire relève : dans la première pièce, que « le sol est recouvert de dalles de moquettes usées et tachées sur le passage. Elles sont très usées. Les murs et menuiseries sont recouverts d'une peinture très poussiéreuse » ; dans la deuxième pièce, que « le sol est recouvert d'un carrelage présentant des marques sur le passage, il est poussiéreux. Les murs et menuiseries sont recouverts d'une peinture qui est poussiéreuse » ; dans l'entrée, que « le carrelage présente des salissures et il est poussiéreux. Les murs et menuiseries sont recouverts d'une peinture très poussiéreuse. [...] Le paillasson devant est usé jusqu'à la trame et marqué » ; dans l'ancien local du distributeur automatique, que « le sol est cimenté et poussiéreux. Il présente des fissures par endroits » ; et pour la quasi-totalité des autres pièces, que « le sol est recouvert d'un carrelage qui est marqué et qui est poussiéreux par endroits. Les murs et menuiseries sont recouverts d'une peinture qui est très poussiéreuse » (pièce n°16 en défense, pages 3, 4, 7, 9, 13, 15, 17, 22, 23, 24, 28, 29 et 31).

Force est de constater que les murs, sols et plafonds sont atteints d'un état de vétusté avancé, si bien que leur remise en état incombe à la bailleresse, étant observé que d'une part, si le procès-verbal susvisé fait état de « traces d'infiltrations d'eau avec le plâtre gonflé qui s'est décollé » ou de « traces d'un ancien dégât des eaux, la peinture s'est fissurée et craquelée » (pièce n°16 en défense, pages 5, 13, 17, 19 et 22), il ressort de la teneur de la présente décision que ces infiltrations ont pour origine la vétusté du système de collecte des eaux pluviales, et sont donc également imputables à la propriétaire comme précédemment indiqué, et que d'autre part, celle-ci ne démontre pas l'état d'origine des locaux, alors même qu'il est établi que ces derniers ont été donnés à bail commercial renouvelé à la S.A. CRÉDIT LYONNAIS par acte sous signature privée en date du 25 mai 1989 à effet au 1er juillet 1987, soit depuis plus de trente ans à la date de la restitution des locaux.

À titre superfétatoire, il y a lieu de souligner que si la défenderesse produit aux débats un devis n°218-17 émis par la S.A.R.L. IMMOTECH en date du 13 février 2018 d'un montant de 84.816 euros T.T.C., lequel porte sur une remise à neuf des locaux en vue d'une adaptation à une autre destination dès lors qu'il concerne notamment la « dépose du sas de sécurité vitré ; [...] démolition des cloisons et des tôles du petit local derrière les DAB ; démolition du mur extérieur et de la porte sur DAB ; dépose des cloisons et banque d'accueil guichet » (pièce n°18 en défense), elle ne justifie cependant pas avoir fait réaliser ces travaux, alors même que la clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du juge de la mise en état en date du 14 décembre 2021, soit près de quatre ans et demi après la restitution des locaux et plus de trois ans et dix mois après l'établissement du devis susvisé.

Il s'évince de l'ensemble de ces éléments que la S.C.I. DU [Adresse 5] échoue à apporter la preuve de l'existence de travaux de remise en état qui seraient à la charge de la locataire, ce qui justifie le rejet de ses prétentions formées à ce titre, ainsi que sa condamnation à restituer le dépôt de garantie dont elle ne conteste pas le montant de 39.662,50 euros.

En conséquence, il convient de débouter la S.C.I. DU [Adresse 5] de ses demandes reconventionnelles de dommages et intérêts formées à l'encontre de la S.A. CRÉDIT LYONNAIS au titre des travaux de remise en état en fin de bail, et de la condamner à payer à cette dernière la somme de 39.662,50 euros en restitution du dépôt de garantie.

Sur les mesures accessoires

En application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la S.C.I. DU [Adresse 5], partie perdante, sera condamnée aux dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, et il ne sera pas fait droit à sa demande formée au titre des frais irrépétibles.

Elle sera également condamnée à payer à la S.A. CRÉDIT LYONNAIS une indemnité au titre des frais non compris dans les dépens que cette dernière a été contrainte d'exposer pour faire valoir ses droits tant durant la procédure de référé que dans le cadre de l'expertise judiciaire et de la présente instance au fond, que l'équité et la situation économique des parties commandent de fixer à la somme de 5.000 euros, conformément aux dispositions de l'article 700 du même code.

En raison de l'ancienneté du litige, et afin de dénuer la voie de recours ouverte de tout caractère dilatoire, l'exécution provisoire, compatible avec la nature de l'affaire et d'ailleurs sollicitée par l'ensemble des parties, apparaît nécessaire et sera ordonnée, selon les dispositions de l'article 515 de ce code dans sa rédaction applicable à la date de l'introduction de la présente instance.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,

CONDAMNE la S.C.I. DU [Adresse 5] à payer à la S.A. CRÉDIT LYONNAIS la somme de 1.219,17 euros (MILLE DEUX CENT DIX-NEUF euros et DIX-SEPT centimes) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à l'impossibilité temporaire d'exploiter une partie des locaux donnés à bail, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de la présente décision,

CONDAMNE la S.C.I. DU [Adresse 5] à payer à la S.A. CRÉDIT LYONNAIS la somme de 1.000 (MILLE) euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de la présente décision,

CONDAMNE la S.C.I. DU [Adresse 5] à payer à la S.A. CRÉDIT LYONNAIS la somme de 39.662,50 euros (TRENTE-NEUF MILLE SIX CENT SOIXANTE-DEUX euros et CINQUANTE centimes) en restitution du dépôt de garantie,

ORDONNE que les intérêts échus dus au moins pour une année entière produiront eux-mêmes intérêts au taux légal,

DÉBOUTE la S.C.I. DU [Adresse 5] de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles de dommages et intérêts formées à l'encontre de la S.A. CRÉDIT LYONNAIS au titre des travaux de remise en état en fin de bail,

DÉBOUTE la S.C.I. DU [Adresse 5] de sa demande présentée sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la S.C.I. DU [Adresse 5] à payer à la S.A. CRÉDIT LYONNAIS la somme de 5.000 (CINQ MILLE) euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la S.C.I. DU [Adresse 5] aux dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire,

ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision.

Fait et jugé à Paris le 16 Mai 2024.

Le GreffierLe Président

Christian GUINANDSophie GUILLARME


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 18° chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 16/07612
Date de la décision : 16/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 22/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-16;16.07612 ?
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