La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/05/2024 | FRANCE | N°21/13165

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 1/1/1 resp profess du drt, 15 mai 2024, 21/13165


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :




1/1/1 resp profess du drt


N° RG 21/13165 -
N° Portalis 352J-W-B7F-CVJNK

N° MINUTE :


Assignation du :
08 Octobre 2021















JUGEMENT
rendu le 15 Mai 2024
DEMANDERESSE

S.C.I. ELMBA
[Adresse 1]
[Localité 5]

représentée par Maître Yann VERNON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0015


DÉFENDEUR

AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT
[

Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]

représenté par Maître Benoît CHABERT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0039


MINISTERE PUBLIC

Monsieur Etienne LAGUARIGUE de SURVILLIERS,
Premier Vice-Procureur





D...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

1/1/1 resp profess du drt


N° RG 21/13165 -
N° Portalis 352J-W-B7F-CVJNK

N° MINUTE :

Assignation du :
08 Octobre 2021

JUGEMENT
rendu le 15 Mai 2024
DEMANDERESSE

S.C.I. ELMBA
[Adresse 1]
[Localité 5]

représentée par Maître Yann VERNON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0015

DÉFENDEUR

AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]

représenté par Maître Benoît CHABERT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0039

MINISTERE PUBLIC

Monsieur Etienne LAGUARIGUE de SURVILLIERS,
Premier Vice-Procureur

Décision du 15 Mai 2024
1/1/1 resp profess du drt
N° RG 21/13165 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVJNK

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Benoît CHAMOUARD, Premier Vice-Président adjoint,
Président de formation,

Monsieur Eric MADRE, Juge
Madame Lucie LETOMBE, Juge
Assesseurs,

assistés de Catherine BOURGEOIS, Greffière lors des débats,et de Samir NESRI, Greffier lors du prononcé

DEBATS

A l’audience du 27 Mars 2024
tenue en audience publique

JUGEMENT

- Contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
- Signé par Monsieur Benoît CHAMOUARD, Président, et par Monsieur Samir NESRI, greffier lors du prononcé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

La société civile immobilière ELMBA est propriétaire d’un immeuble au [Adresse 1], à [Localité 5] (Yvelines).

Elle expose qu'à la suite d'une intervention dans l’immeuble voisin le 28 août 2015 par la brigade de recherche et d’intervention afin d’appréhender un malfaiteur qui aurait pris la fuite par le velux de l’immeuble mitoyen, des infiltrations de la toiture sont apparues en novembre 2015.

Saisi par la commune de [Localité 5], le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a désigné, le 6 novembre 2015, un expert judiciaire. Ce dernier a conclu le 12 novembre 2015 à l’existence d’un état de péril imminent en raison de « l’affaissement de la poutre faîtière et de la charpente sous la charge de la construction réalisée en surélévation du 3e étage ».

La mairie de [Localité 5] a pris, le 3 décembre 2015, deux arrêtés de péril ordinaire et imminent.

Le 2 mai 2016, un arrêté préfectoral d’insalubrité a été pris.

Après rapport de visite du service communal d’hygiène et de la santé réalisé le 18 mai 2017, le préfet des Yvelines a ordonné la mainlevée de l’arrêté préfectoral d’insalubrité en date du 2 mai 2016.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 24 décembre 2018, la société civile immobilière ELMBA a saisi le ministre de l’Intérieur d’une demande préalable en indemnisation de son préjudice.

Par requête du 26 avril 2019, la société civile immobilière ELMBA a saisi le tribunal administratif de Versailles d’un recours indemnitaire.
Par jugement en date du 31 mai 2021, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la requête, se déclarant incompétent.

Par acte en date du 8 octobre 2021, la société civile immobilière ELMBA a fait assigner l’agent judiciaire de l’Etat devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de faire constater la responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux des services judiciaires.

Par ordonnance du 13 juin 2022, le juge de la mise en état a notamment rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par l’agent judiciaire de l’Etat et la demande tendant à prononcer la clôture partielle de l'instruction et a renvoyé l'affaire à la mise en état.

Une ordonnance de clôture a été rendue le 6 mars 2023, puis révoquée par ordonnance du 20 mars 2023.

Aux termes de ses conclusions signifiées le 11 avril 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la société civile immobilière ELMBA demande au tribunal, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, de :
- déclarer l’Etat, représenté par l’agent judiciaire de l’Etat, entièrement responsable des conséquences dommageables résultant de l’intervention des forces de l’ordre le 28 août 2015 ayant causé des dommages importants à l’immeuble au [Adresse 1], à [Localité 5] (Yvelines) ;
- condamner l’Etat, représenté par l’agent judiciaire de l’Etat, à lui verser la somme de 55 947,07 € à titre d’indemnisation du préjudice matériel, financier et moral subi, avec intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2018 et capitalisation des intérêts ;
- condamner l’Etat, représenté par l’agent judiciaire de l’Etat, à lui verser la somme de 2 000,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre la somme de 13,00 € au titre des droits de plaidoirie non compris dans les dépens et à supporter les dépens.

La société civile immobilière ELMBA invoque la responsabilité sans faute de l’Etat en sa qualité de tiers à la procédure judiciaire, en tant que propriétaire de l'immeuble dégradé, et fait valoir qu’elle a subi un préjudice anormal et spécial excédant par sa gravité les charges qui doivent normalement être supportées par les particuliers en contrepartie des avantages résultant du service, alors que son préjudice, constitué par les frais de remise en état à l'identique de la toiture de l’immeuble est à la fois « spécial », dans la mesure où elle seule a subi des dommages en tant que propriétaire, et « anormal » dans la mesure où il excède par sa gravité les charges qui doivent être normalement supportées par les particuliers en contrepartie des avantages résultant du service public de la justice.

Elle soutient, que si elle d'abord été orienté vers une information judiciaire enrôlée sous le numéro 2202/15/20, celle-ci s'est avérée sans aucun rapport avec les événements du 28 août 2015 objet de la présente instance, et que malgré ses multiples démarches depuis 2015, que ce soit auprès de la direction départementale de la sécurité publique de Viroflay, du ministère de l’intérieur, de la direction départementale de la sécurité publique et du tribunal judiciaire de Paris, elle n’a jamais été orientée vers le service compétent et n’a jamais pu recevoir une information définitive quant à l’intervention en cause, alors qu'il ressort d’une attestation d'un voisin que ce dernier a bien assisté le 28 août 2015 à l’intervention de la police fortement armée pour appréhender un suspect qui s’est enfui par le velux du [Adresse 2] pour sauter sur le toit du [Adresse 1] poursuivi par la police sur ce même toit, tandis que l'agent judiciaire de l'Etat ne justifie d’aucun document démontrant qu’il aurait interrogé les services du ministère de la justice ou du procureur de la République des Yvelines et qui lui auraient répondu, avec certitude, qu’aucune intervention de police n'aurait eu lieu le 28 août 2015.

Elle estime que le rapport d'expertise, réalisé sans que l'expert ne soit informé d'une intervention de police, n'exclut pas que celle-ci soit à l'origine des désordres constatées sur la toiture, quand bien même ils n'ont été révélés qu'à l'occasion d'intempéries.

Suivant conclusions signifiées le 30 janvier 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, l’Etat, représenté par l’agent judiciaire de l’Etat, demande au tribunal de débouter la société civile immobilière ELMBA de toutes ses demandes et de la condamner aux dépens.

Il admet que le régime de la responsabilité sans faute de l’Etat est applicable au litige, la société civile immobilière ELMBA étant tiers à la procédure pénale et non usager du service public de la justice.

Il estime cependant que la société civile immobilière ELMBA ne justifie pas que les dégradations constatées ont pour origine l’intervention sur les toits des immeubles d’une brigade de recherche et d'intervention, alors qu’elles sont, plus probablement, la conséquence d’une météo peu clémente, de sorte qu'elle ne démontre aucun lien de causalité.

Il ajoute que, malgré ses multiples recherches, la requérante ne verse aux débats aucune pièce permettant d’attester d’une quelconque intervention d’une brigade de recherche et d'intervention – non identifiée - le 28 août 2015 sur le toit de l’immeuble du [Adresse 2] à [Localité 5], et tente de renverser la charge de la preuve à cet égard. Il précise que le numéro d’instruction 2202/15/20 qui lui a été communiqué comme correspondant à l’intervention litigieuse concerne en réalité les attentats du Bataclan de novembre 2015 donc sans lien avec les faits du 28 août 2015 et que la seule attestation d’un voisin se trouvant sur place, ne permet pas d’attester de la véracité des faits.
Il en déduit que la demanderesse échoue à démontrer un lien de causalité et donc un préjudice anormal et spécial.

Par avis en date du 2 mars 2023, le ministère public conclut au rejet des demandes, estimant que, la demanderesse étant tiers à la procédure, doit s'appliquer le régime de la responsabilité sans faute de l'Etat à base de risque anormal et de préjudice excédant les charges qui doivent être normalement supportées par les particuliers ; que, si elle est dispensée de la démonstration d'une faute lourde, la demanderesse n'en demeure pas moins responsable de la démonstration du fait générateur et du lien de causalité entre le fait générateur et le dommage ; qu'en l'espèce, la société ELMBA justifie de l'existence d'un dégât des eaux en provenance de la toiture du bâtiment, mais ne rapporte pas la preuve du fait générateur, alléguant de manière imprécise une intervention de forces de police, qui n'est justifiée par aucun rapport, ni confirmée par aucune autorité de la sécurité intérieure et qui est au contraire démentie par le magistrat instructeur sous couvert duquel ladite intervention aurait eu lieu. Il ajoute que le courrier du ministère de la Justice du 19 janvier 2018 concerne un bâtiment voisin et ne peut pas être rattaché avec certitude au sinistre de la présente instance, la simple attestation d'un riverain, peu étayée, paraissant insuffisante à démontrer l'intervention policière à l'origine du sinistre, alors que les pièces produites font apparaître des problèmes de toiture et de charpente sérieux, structurels et anciens, au point de justifier un arrêté de péril imminent, qui ne peuvent résulter d'une intervention policière quelques jours auparavant.

La clôture de la mise en état a été prononcée le 19 juin 2023 par ordonnance rendue le même jour par le juge de la mise en état.

A l'audience du 27 mars 2024, l'affaire a été mise en délibéré au 15 mai 2024, date du présent jugement.

MOTIFS :

Sur la demande principale :

Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Si la responsabilité de l'Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice ne peut être engagée à l'égard des usagers que par une faute lourde ou par un déni de justice, elle est engagée sans faute à l'égard des tiers, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, en cas de dommages directement par une intervention de police.

Par ailleurs, il résulte du principe de la réparation intégrale du préjudice que les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu'il en résulte pour elle ni perte, ni profit.

Enfin, aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

En l’espèce, il ressort d'une attestation de Monsieur [W] [M], en date du 6 octobre 2022, corroborée par un courrier en date du 19 janvier 2018 adressé par la direction des services judiciaires à la société civile immobilière Thierry, qu'un service de police est intervenu le 28 août 2015 au [Adresse 2] à [Localité 5] pour interpeller un suspect et que ce dernier a pris la fuite par un velux en sautant sur le toit de l'immeuble voisin du [Adresse 1].

Il est constant que la société civile immobilière ELMBA, qui n'était pas visé par cette opération de police, doit être regardée comme un tiers par rapport à cette intervention, de sorte que le régime de responsabilité sans faute de l'Etat, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, est applicable.
Toutefois, les seules pièces versées aux débats ne permettent pas d'établir un lien de causalité entre cette intervention et les préjudices invoqués par la société demanderesse, alors qu'il ressort au contraire du rapport d'expertise en date du 12 novembre 2015 que les désordres constatés par l'expert résultent d'un défaut de la structure même de l'immeuble, ayant été « causés par l'affaissement de la poutre faîtière et de la charpente sous la charge de la construction réalisée en surélévation du 3° étage ».

Eu égard à ces éléments, les conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat n'étant pas réunies, il convient de rejeter les demandes de dommages et intérêts de la société civile immobilière ELMBA à l'encontre de l’Etat, représenté par l’agent judiciaire de l’Etat.

Sur les demandes accessoires :

Aux termes de l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

La société civile immobilière ELMBA, partie perdante, est condamnée aux dépens, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, et déboutée de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du même code.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe à la date indiquée à l’issue des débats en audience publique en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,

Rejette les demandes de dommages et intérêts de la société civile immobilière ELMBA à l'encontre de l’Etat, représenté par l’agent judiciaire de l’Etat ;

Condamne la société civile immobilière ELMBA aux dépens ;

Rappelle que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes, dont la demande formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 15 Mai 2024

Le GreffierLe Président

S. NESRIB. CHAMOUARD


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 1/1/1 resp profess du drt
Numéro d'arrêt : 21/13165
Date de la décision : 15/05/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 22/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-15;21.13165 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award