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30/04/2024 | FRANCE | N°22/02208

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 19ème chambre civile, 30 avril 2024, 22/02208


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

19ème chambre civile

N° RG 22/02208

N° MINUTE :

Assignation du :
14 et 15 Février 2022

CONDAMNE

MR




JUGEMENT
rendu le 30 Avril 2024
DEMANDEUR

Monsieur [E] [P]
[Adresse 1]
[Localité 6]

Représenté par la SELARL Cabinet Rémy LE BONNOIS prise en la personne de Maître Frédéric LE BONNOIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0299

DÉFENDERESSES

La BPCE ASSURANCES
[Adresse 8]
[Localité 5]

Représentée par la SARL CABINET LAURENT P

ETRESCHI représentée par Maître Laurent PETRESCHI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0283

La CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE SEINE ET MARNE
[Adresse 2]
[Loc...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

19ème chambre civile

N° RG 22/02208

N° MINUTE :

Assignation du :
14 et 15 Février 2022

CONDAMNE

MR

JUGEMENT
rendu le 30 Avril 2024
DEMANDEUR

Monsieur [E] [P]
[Adresse 1]
[Localité 6]

Représenté par la SELARL Cabinet Rémy LE BONNOIS prise en la personne de Maître Frédéric LE BONNOIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0299

DÉFENDERESSES

La BPCE ASSURANCES
[Adresse 8]
[Localité 5]

Représentée par la SARL CABINET LAURENT PETRESCHI représentée par Maître Laurent PETRESCHI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0283

La CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE SEINE ET MARNE
[Adresse 2]
[Localité 7]

Non représentée

UMEN MEDICAL
[Adresse 3]
[Localité 4]

Non représentée

Expéditions
exécutoires
délivrées le :

Décision du 30 Avril 2024
19ème chambre civile
RG 22/02208

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Sarah CASSIUS, Vice-Présidente
Madame Emmanuelle GENDRE, Vice-Présidente
Monsieur Maurice RICHARD, Magistrat honoraire

Assistés de Madame Erell GUILLOUËT, Greffière, lors des débats et au jour de la mise à disposition au greffe.

DEBATS

A l’audience du 27 Février 2024 présidée par Madame Sarah CASSIUS tenue en audience publique, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 30 Avril 2024.

JUGEMENT

- Réputé contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE

Le 3 octobre 2018 à [Localité 9] (77), M. [E] [P], qui circulait en vélo, a été victime d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule assuré auprès de BPCE ASSURANCES, laquelle ne conteste pas son droit à indemnisation.

M. [P] a fait l’objet de deux examens médicaux amiables effectués par les docteurs [Y], représentant BPCE ASSURANCES et le docteur [K], représentant la victime dont les conclusions en date du 20 janvier 2021, sont les suivantes :

“ - Blessures :
o traumatisme crânien avec perte de connaissance initiale,
o plaies multiples de la face,
o fracture équivalente bi-malléolaire cheville gauche,
o fracture du coin antéro-inférieur de C3 du rachis cervical, sans
trouble neurologique,
o fractures des 1ères et 2e côtes droites.

- Un arrêt de travail du 03/10/2018 au 30/06/2020.

- Gêne temporaire totale :

o Du 03.10.2018 au 10.10.2018
o Et du 13.12.2019 au 15.12.2019

- Gêne temporaire partielle :
o à 50% du 11.10.2018 au 21.11.2018
o à 33% du 22.11.2018 au 16.07.2019
o à 25% du 17.07.2019 au 12.12.2019
o à 50% du 16.12.2019 au 16.01.2020
o à 25% du 17.01.2020 au 30.06.2020

- Date de consolidation : 30/06/2020

- Souffrances endurées : 4,5/7

- Déficit Fonctionnel Permanent : 17%

- Préjudice esthétique temporaire : 2,5/7

- Préjudice esthétique permanent : 2,5/7

- Inaptitude au poste antérieur

- Existence d’un préjudice d’agrément

- Tierce personne :
o 2h/jour du 11/10/2018 au 21/11/2018
o 1h/jour du 22/11/2018 au 16/07/2019
o 3h/semaine du 17/07/2019 au 12/12/2019
o 1h/jour du 16/12/2019 au 16/01/2020
o 3h/semaine du 17/01/2020 au 30/06/2020
o 3h/semaine à titre viager à compter du 01/07/2020

- Nécessité d’un logement de plain-pied en rez-de-chaussée.”

Au vu de ce rapport, par actes en date des 14 et 15 février 2022 suivis de conclusions récapitulatives signifiées le 19 septembre 2023, auxquelles il est expressément référé conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, M. [E] [P] demande sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985, des articles L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances et des articles 1343-2 et 1344 du code civil au tribunal de :
“- Dire et juger Monsieur [E] [P] recevable et bien fondé à solliciter la réparation intégrale des conséquences dommageables de l’accident du 3 octobre 2018, par application de la Loi du 5 juillet 1985.

- Condamner BPCE Assurances à payer à Monsieur [E] [P] les sommes suivantes :
$gt; 593.647,37 € au titre des préjudices patrimoniaux :
- 2.760,00 € au titre des frais divers
- 13.664,00 € au titre de l’assistance par tierce personne temporaire
- 7.854,75 € au titre de la perte de gains professionnels actuels
- 159.404,28 € au titre de l’assistance par une tierce personne définitive
- 263.020,84 € au titre de la perte de gains professionnels futurs
- 146.943,50 € au titre de l’incidence professionnelle :

A titre subsidiaire dans le cas où Monsieur [P] serait débouté de sa demande au titre des pertes de gains professionnels futurs :
- 409.964,34 € au titre de l’incidence professionnelle

$gt; 91.182,35 € au titre des préjudices extra patrimoniaux, se décomposant de la façon suivante:

- 7.182,35 € au titre du déficit fonctionnel temporaire
- 25.000,00 € au titre des souffrances endurées
- 3.000,00 € au titre du préjudice esthétique temporaire
- 6.000,00 € au titre du préjudice esthétique permanent
- 45.000,00 € au titre du déficit fonctionnel permanent
- 5.000,00 € au titre du préjudice d’agrément

$gt; 5 000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

- Condamner BPCE Assurances aux entiers dépens avec distraction au profit de la SELARL Cabinet Rémy LE BONNOIS représentée par Me Frédéric LE BONNOIS, avocat, par application des articles 699 et suivants du code de procédure civile.

- Condamner BPCE Assurances aux intérêts légaux sur les indemnités allouées à [E] [P] à compter de la signification de l’assignation à BPCE Assurances par application des dispositions de l’article 1344 du Code civil avec anatocisme à compter de la première année échue par application des dispositions de l’article 1343-2 du Code civil.

- Condamner BPCE Assurances au doublement des intérêts légaux sur la totalité des indemnités que fixera le Tribunal, en ce comprises les créances des organismes sociaux et avant déduction des provisions, à compter du 04/06/2019 et jusqu’à ce que le jugement à intervenir devienne définitif, par application des articles L. 211-9 et L. 211-13 du Code des assurances avec anatocisme à compter de la première année échue, par application des dispositions de l’article 1343-2 du Code civil.

- Rendre le jugement à intervenir commun à la CPAM de Seine et Marne et à UMEN MEDICAL.

- Ne pas écarter l’exécution provisoire de droit.

- Mentionner dans le jugement que, dans l’hypothèse où, à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par le présent jugement, l’exécution forcée devra être réalisée par l’intermédiaire d’un huissier, le montant des sommes retenues par l’huissier en application du tarif des huissiers devra être supporté par BPCE Assurances en sus de l’article 700 du code de procédure civile”.

Par conclusions récapitulatives n°3 signifiées le 3 novembre 2023, auxquelles il est expressément référé conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la société BPCE ASSURANCES demande au tribunal sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985 de :

“JUGER que la BPCE ne conteste pas le droit à indemnisation de Monsieur [P] ;
JUGER que les sommes suivantes seront allouées à Monsieur [P] :
- Les notes d’honoraires 2.760 €
- La tierce personne temporaire 8.616.74 €
- Pertes de gains professionnels actuels : 7.854.75 € (après imputation de la créance de la CPAM)
- Perte de gains professionnels futurs : 123.838.16 €
- L’incidence professionnelle : 30.000 €
- La tierce personne à titre viager : 75.372.48 €
- Le déficit fonctionnel temporaire : 5.124 €
- Les souffrances endurées : 16.000 €
- Le préjudice esthétique temporaire : 800 €
- Le déficit fonctionnel permanent : 27.200 €
- Le préjudice esthétique permanent : 3.500 €
- Le préjudice d’agrément : 3.000 €
DEDUIRE de ces sommes les provisions versées à hauteur de 33.000 € ;
Sur la demande du doublement des intérêts
- A titre principal débouter Monsieur [P] de sa demande la BPCE ayant sollicité des pièces complémentaires afin de pouvoir procéder à une évaluation de ces dernières et formuler une offre complète, lesquelles n’ont pas été adressées ;
- A titre subsidiaire juger que la BPCE a formulé une offre dans les premières conclusions signifiées le cadre de la présente procédure limitant le doublement des intérêts à la date de signification des présentes conclusions ;
DEBOUTER Monsieur [P] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
LIMITER l’exécution provisoire à 50 % des sommes qui seront allouées ;
REDUIRE sensiblement la demande relative à l’article 700 du Code de Procédure Civile dans la mesure ou l’assureur de Monsieur [P] doit prendre en charge ces frais.”

DEMANDES
OFFRES
perte de gains actuels
7854,75€
7854,75€
frais divers
2760€
2760€
tierce personne avant consolidation
13 664€
8616,74€
tierce personne après consolidation
159 404,28€
75 372,48€
perte de gains futurs
263 020,84€
123 838,16€
incidence professionnelle
146 943,50€ ou 409 964,34€
30 000€
déficit fonctionnel temporaire
7182,35€
5124€
souffrances endurées
25 000€
16 000€
préjudice esthétique temporaire
3000€
800€
déficit fonctionnel permanent
45 000€
27 200€
préjudice esthétique définitif
6000€
3500€
préjudice d’agrément
5000€
3000€

ces sommes avec intérêts au double du taux légal à compter du 4 juin 2019 jusqu’au jugement devenu définitif
rejet ou à compter de ses conclusions
article 700 du code de procédure civile
5000€
réduction

dire qu’en cas d’exécution forcée les sommes retenues par l’huissier seront supportées par le débiteur
rejet

La CPAM de Seine et Marne précise que l’état définitif de ses débours s’élève à la somme de 162 674,60€, soit :
- prestations en nature : 13 884,86€
- indemnités journalières versées du 4 octobre 2018 au 30 juin 2020 : 37 939,18€
- rente AT :
* arrérages échus au 5 juillet 2021: 2070,63€
* capital rente: 108 779,93€.

La mutuelle UMEN MEDICAL, par courrier en date du 28 févrien 2022, indique que sa créance s’élève à la somme de 2072,37€ au titre des frais médicaux et pharmaceutiques.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2024.

La CPAM de Seine et Marne et la mutuelle UMEN MEDICAL, régulièrement assignées, n’ayant pas constitué avocat, le présent jugement susceptible d’appel, sera réputé contradictoire à l’égard de toutes les parties.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le droit à indemnisation

La loi du 5 juillet 1985 dispose notamment, que lorsque plusieurs véhicules terrestres à moteur sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l’indemnisation des dommages qu’il a subis, directement ou par ricochet, sauf s’il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice, une telle faute ayant pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages.

En l’espèce, il est constant que le 3 octobre 2018, M. [P], qui circulait en vélo, a été percuté par un véhicule assuré auprès de la compagnie BPCE ASSURANCES. Cette dernière, qui ne conteste pas le droit à indemnisation de la victime, sera tenue de réparer son entier préjudice.

Sur le préjudice

Au vu de l’ensemble des éléments produits aux débats, le préjudice subi par M. [P], âgé de 52 ans et exerçant la profession de régleur sur machine d’imprimerie lors des faits, sera réparé ainsi que suit, étant observé qu’en application de l’article 25 de la loi n°2006-1640 du 21 décembre 2006, d’application immédiate, le recours subrogatoire des tiers payeurs s’exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’ils ont pris en charge.

Il sera utilisé le barème de capitalisation sollicité, publié dans le Gazette du Palais du 31 octobre 2022, le mieux adapté aux données sociologiques actuelles, à savoir celui fondé sur les tables d’espérance de vie de 2017-2019 publiées par l’INSEE et sur un taux d’actualisation de référence de 0%.

Dépenses de santé

Prises en charge par la CPAM de Seine et Marne : 13 884,86€
Prises en charge par la Mutuelle UMEN : 2072,37€

Ce poste de préjudice n’étant constitué que des débours de la CPAM de Seine et Marne et de la mutuelle UMEN, il ne revient à la victime aucune indemnité complémentaire.

Dépenses de santé futures

Prises en charge par la CPAM de Seine et Marne : néant
Prises en charge par la mutuelle UMEN: néant

Restées à charge : M. [P] ne forme aucune demande au titre de ces dépenses.

Tierce personne avant et après consolidation

Il convient d'indemniser les dépenses destinées à compenser les activités non professionnelles particulières qui ne peuvent être assumées par la victime directe durant sa maladie traumatique, comme l'assistance temporaire d'une tierce personne pour les besoins de la vie courante, étant rappelé que l’indemnisation s'entend en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée. Le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être subordonné à la production de justificatifs des dépenses effectives.

Les docteurs [Y] et [K] ont retenu les besoins suivants :

o 2h/jour du 11/10/2018 au 21/11/2018
o 1h/jour du 22/11/2018 au 16/07/2019
o 3h/semaine du 17/07/2019 au 12/12/2019
o 1h/jour du 16/12/2019 au 16/01/2020
o 3h/semaine du 17/01/2020 au 30/06/2020
o 3h/semaine à titre viager à compter du 01/07/2020

Avant consolidation, s’agissant de l’année 2018 et d’une aide humaine non spécialisée, elle sera rémunérée à hauteur de 18€ l’heure, adaptée à la situation de la victime.

Dès lors, il sera alloué :
2 heures x 42 jours x 18€= 1512€
1 heure x 237 jours x 18€ = 4266€
3 heures x 21,1 semaines x 18€ = 1139,40€
1 heure x 32 jours x 18€ = 576€
3 heures x 23,4 semaines x 18€ = 1263,60€
soit 8757€.

Après consolidation une aide hebdomadaire de trois heures a été retenue. Sur la base de 22€ de l’heure, s’agissant d’une aide non spécialisée, il sera dès lors alloué :
- du 1er juillet 2020 au 1er mars 2023 :
139 semaines x 3 heures x 22€ = 9174€
- à compter du 2 mars 2023 (M. [P] est alors âgé de 56 ans) :
57 semaines x 3 heures x 22€ x 26,031 = 97 928,62€
soit 107 102,62€.

Perte de gains professionnels avant consolidation

Elles concernent le préjudice économique subi par la victime pendant la durée de son incapacité temporaire totale ou partielle de travail fixée par l'expertise.

Les parties s’accordent sur un revenu net de 2156,63€ et M. [P] calcule sa perte comme suit:
2156,63€ x 20 mois + (2156,63€ x 29 jours / 30 jours) = 45 217,34€
45 217,34€ - 37 939,18€ d’indemnités journalières versées par la CPAM = 7278,16€.

BPCE ASSURANCES offre une somme légèrement supérieure, soit 7854,75€, que le requérant demande de retenir (637 jours x 71,89€) = 45 793,93€ - 37 939,18€.

La somme de 45 793, 93€ offerte par BPCE ASSURANCES sera retenue, la période d’arrêt de travail correspondant à 637 jours et il sera donc alloué la somme de 7.854,75 euros (45 793,93€ - 37 939,18€).

Perte de gains professionnels future

Elles correspondent à la perte ou à la diminution des revenus consécutive à l'incapacité permanente à compter de la date de consolidation.

M. [P] exerçait la profession de conducteur régleur sur machine d’imprimerie au sein de l’entreprise France Routage depuis l’année 2004. Après l’accident il a été déclaré inapte par la médecine du travail, puis licencié pour inaptitude le 9 avril 2021. Il indique qu’il est inscrit à Pôle emploi depuis le 21 avril 2021 et qu’il perçoit l’ARE. Il fait valoir qu’il a entrepris plusieurs démarches pour retrouver un emploi, mais en vain. Il rappelle qu’il se déplace à l’aide d’une canne béquille et qu’il ne peut pratiquer les escaliers, que la station debout prolongée et le port de charges lui sont impossibles, outre ses difficultés avec la langue Française. Il estime donc que sa perte de gains est totale et il calcule ses pertes en prenant comme référence son salaire antérieur de 2017 actualisé en 2023, soit:
- du 9 avril 2021 au 30 septembre 2023 :
2485,90€ x 30 mois = 74 577€
- à compter du 30 septembre 2023, jusqu’à l’âge de 67 ans:
29 831€ par an x 10,033 = 299 294,40€
Total: 373 871,40€
373 871,40€ - 110 850,56€ de rente AT: 263 020,84€.

BPCE ASSURANCES estime que le requérant n’est pas inapte à tout emploi et note au demeurant qu’il a adressé plusieurs lettres de candidatures pour des postes relatifs à des tâches ménagères et de nettoyage. Elle conclut donc à une perte de chance et elle offre de l’indemniser sur la différence entre un demi SMIC et son salaire initial à hauteur seulement de 80% car il n’est pas certain qu’il aurait pu conserver son emploi jusqu’à l’âge de 67 ans. Au terme de ses calculs auxquels le tribunal renvoie elle offre, se basant sur le barème 2020 de la gazette du palais au taux de 0,3%, la somme de 123 838,16€.

Ceci exposé le docteurs [Y] et [K] ont précisément conclu comme suit : “ inaptitude au poste antérieur du fait des difficultés à la pratique des escaliers et à l’orthostatisme prolongé et au porte de charges a fortiori de façon répétée”. Ils ont mentionné que M. [P] rapportait une raideur douloureuse de la cheville gauche pouvant être insomniante et que la pratique des escaliers nécessitait l’usage d’une canne béquille. Il est rappelé que l’intéressé était âgé de 52 ans lors de l’accident et de presque 54 ans à sa consolidation. Il a toujours exercé des travaux nécessitant une parfaite intégrité physique, notamment la station debout puisqu’il était régleur sur des machines d’imprimerie. Il bénéficie d’une rente accident du travail et selon le relevé pôle emploi en date du 4 février 2022 il bénéficiait de l’allocation pré-retraite chômage.

Ainsi, compte tenu de l’âge du requérant à sa consolidation et du marché de l’emploi correspondant en France, de sa qualité de travailleur manuel, il est illusoire de considérer qu’il est apte à retrouver un emploi, même à temps partiel. Il convient donc de l’indemniser de la totalité de son préjudice jusqu’à l’âge de 67 ans, âge accepté par les parties.

Le préjudice de M. [P] s’établit donc comme suit:
- du 9 avril 2021 au 9 octobre 2023:
2485,90€ ( salaire actualisé) x 30 mois = 74 577€
- à compter du 30 septembre 2023 ( M. [P] est alors âgé de 57 ans), jusqu’à l’âge de 67 ans :
29 831€ par an x 9,040 = 269 672,24€
Total: 344 249,24€
344 249,24€ - 110 850,56€ de rente AT: 233 398,68€.

Il sera donc alloué à M. [P] la somme de 233 398, 68 € au titre de la perte de gains professionnels future.

Incidence professionnelle

Ce poste de préjudice a pour objet d'indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi en raison de la dévalorisation sur le marché du travail, de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi occupé imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à l' obligation de devoir abandonner la profession exercée avant le dommage au profit d'une autre choisie en raison de la survenance du handicap ; que ce poste de préjudice permet également d'indemniser le risque de perte d'emploi qui pèse sur une personne atteinte d'un handicap, la perte de chance de bénéficier d'une promotion, la perte de gains espérés à l'issue d'une formation scolaire ou professionnelle, les frais nécessaires à un retour à la vie professionnelle. Il indemnise enfin la perte de retraite que la victime va devoir supporter en raison de son handicap.

M. [P] réclame une première somme de 30 000€ en raison de la perte de tout lien social du fait de l’absence de reprise du travail et une seconde somme de 116 943,50€ au titre de la perte des droits à la retraite, calculée sur la base de 20% de ses revenus professionnels annuels (20% x 29 831€ x 19,601). BPCE ASSURANCES offre la somme de 15 000€ au titre de l’abandon du travail antérieur ; pour la perte des droits à la retraite elle relève que le requérant devait encore cotiser 68 trimestres au 1er janvier 2022 pour percevoir une retraite au taux plein, soit jusqu’à 77 ans, ce qui n’aurait pas eu lieu. Elle offre donc également la somme de 15 000€.

Le relevé de carrière produit par M. [P] confirme qu’il aura cotisé seulement 113 trimestres à l’âge de 67 ans et qu’il percevra alors une pension de 941€ brut par mois. Le tribunal estime donc proche de la réalité de calculer son préjudice en ramenant le pourcentage de 113 trimestres aux 166 nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein, soit (100% - 113 / 166 x 100%) =32%.

Le calcul est donc le suivant :
- retraite effectivement perçue : 941€
- retraite qui aurait été perçue sans l’accident : 941€ + (941 x 32%) = 1242,12€
Soit une perte mensuelle de 301,12€
301,12€ x 12 mois x 17,472 = 63 134€.

Il sera par ailleurs alloué la somme de 20 000€ au titre de l’abandon de sa profession par M. [P], soit un total de 83 134€ au titre de l’incidence professionnelle.

Frais divers

L’assistance de la victime lors des opérations d’expertise par un, ou des, médecin conseil en fonction de la complexité du dossier, en ce qu’elle permet l’égalité des armes entre les parties à un moment crucial du processus d’indemnisation, doit être prise en charge dans sa totalité.

* honoraires du docteur [G] : 1560€
* honoraires du docteur [K] : 1200€

Soit 2760€, somme acceptée en défense.

Déficit fonctionnel temporaire

Ce préjudice a pour composante les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, les douleurs qui persistent jusqu’à la consolidation, la perte de la qualité de la vie et les troubles apportés à ces conditions d'existence pendant cette période, tels que le préjudice d’agrément et le préjudice sexuel temporaires.

L’expertise amiable a retenu les déficits suivants :
° total du 3 au 10 octobre 2018 et du 13 au 15 décembre 2019
° à 50% du 11.10.2018 au 21.11.2018
° à 33% du 22.11.2018 au 16.07.2019
° à 25% du 17.07.2019 au 12.12.2019
° à 50% du 16.12.2019 au 16.01.2020
° à 25% du 17.01.2020 au 30.06.2020

Sur la base de 28€ par jour les troubles dans les conditions d’existence subis jusqu’à la consolidation, justifient l’octroi d’une somme de :
11 jours x 28€ = 308€
74 jours x 28€ x 50% = 1036€
237 jours x 28€ x 33% = 2189,88€
315 jours x 28€ x 25% = 2205€
Soit 5738,88€.

Souffrances endurées

Il s'agit d'indemniser ici les souffrances tant physiques que morales endurées du fait des atteintes à l'intégrité, à la dignité et à l’intimité, des traitements, interventions, hospitalisations subies depuis l'accident jusqu'à la consolidation.

Elle sont caractérisées par le traumatisme initial et les traitements subis, notamment la violence du choc initial, la victime circulant à vélo, deux opérations chirurgicales et une longue rééducation orthopédique ; cotées à 4,5/7, elle seront réparées par l’allocation de la somme de 20 000€.

Préjudice esthétique temporaire

Ce préjudice est lié à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers.

Caractérisé notamment par le port d’un collier cervical pendant 45 jours et par un déplacement à l’aide de béquilles jusqu’à la consolidation, côté à 2,5/7 il sera indemnisé à hauteur de 1500€.

Déficit fonctionnel permanent

Ce préjudice a pour composante les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, les douleurs qui persistent depuis la consolidation, la perte de la qualité de la vie et les troubles définitifs apportés à ces conditions d’existence.

La victime étant âgée de 54 ans lors de la consolidation de son état, il lui sera alloué une indemnité de 32 300€ (valeur du point fixée à 1900€).

Préjudice esthétique permanent

Ce poste indemnise les éléments de nature à altérer définitivement l'apparence ou l'expression de la victime.

Fixé à 2,5/7 en raison de la boiterie à la marche à gauche avec utilisation d’une canne béquille, une cicatrice de 15 cm sur le membre inférieur gauche, de 1 cm sur 0,5 cm, sur le pavillon de l’oreille droite, et de 7 cm sur 4 cm crânio frontale droite, il justifie l’octroi de la somme de 3500€.

Préjudice d’agrément

La jurisprudence des cours d'appel ne limite pas l’indemnisation du préjudice d’agrément à l’impossibilité de pratiquer une activité sportive ou de loisirs exercée antérieurement à l’accident. Elle indemnise également les limitations ou les difficultés à poursuivre ces activités. Toutefois cette indemnisation est subordonnée à la preuve par le requérant de la pratique régulière d’une activité spécifique.

M. [P] est inapte pour les activités nécessitant l’usage des membres inférieurs. Il indique qu’il utilisait son vélo tous les jours et qu’il ne peut plus pratiquer le football entre amis. La somme de 3000€ offerte en défense indemnisera équitablement ce préjudice.

Sur le doublement des intérêts au taux légal

Aux termes de l’article L 211-9 du code des assurances, “ quelle que soit la nature du dommage, dans le cas où la responsabilité n’est pas contestée et où le dommage a été entièrement quantifié, l’assureur qui garantit la responsabilité civile du fait d’un véhicule terrestre à moteur est tenu de présenter à la victime une offre d’indemnité dans le délai de trois mois à compter de la demande d’indemnisation qui lui est présentée. Lorsque la responsabilité est rejetée ou n’est pas clairement établie, ou lorsque le dommage n’a pas été entièrement quantifié, l’assureur doit, dans le même délai, donner une réponse motivée aux éléments invoqués dans la demande.
Une offre d’indemnité, comprenant tous les éléments indemnisables du préjudice, doit être faite à la victime qui a subi une atteinte à sa personne dans le délai maximal de 8 mois à compter de l’accident. En cas de décès de la victime, l’offre est faite à ses héritiers et, s’il ya lieu, à son conjoint. L’offre comprend alors tous les éléments indemnisables du préjudice y compris les éléments relatifs aux dommages aux biens lorsqu’ils n’ont pas fait l’objet d’un règlement préalable.
Cette offre peut avoir un caractère provisionnel lorsque l’assureur n’a pas, dans les trois mois de l’accident, été informé de la consolidation de l’état de la victime. L’offre définitive doit alors être faite dans un délai de 5 mois suivant la date à laquelle l’assureur a été informé de cette consolidation. En tout état de cause, le délai le plus favorable à la victime s’applique.”

Lorsque l’assureur n’est pas informé de la consolidation de l’état de la victime dans les trois mois suivant l’accident, il doit faire une offre d’indemnisation provisionnelle dans un délai de huit mois à compter de l’accident. L’offre définitive doit être faite dans un délai de 5 mois suivant la date à laquelle l’assureur a été informé de la consolidation.

Aux termes de l’article R211-40 du code des assurances (décret du 18 mars 1988) “l’offre d’indemnité doit indiquer , outre les mentions exigées par l’article L 211-16 , l’évaluation de chaque préjudice , les créances de chaque tiers payeur et les sommes qui reviennent au bénéficiaire.”

A défaut d’offre dans les délais impartis par l’article L 211-9 du code des assurances, le montant de l’indemnité offerte par l’assureur ou allouée par le juge, produit, en vertu de l’article L 211-13 du même code, des intérêts de plein droit au double du taux de l’intérêt légal à compter de l’expiration du délai et jusqu’au jour de l’offre ou du jugement devenu définitif.

En l’espèce M. [P] fait valoir que l’offre provisionnelle qui lui a été adressée le 26 juin 2019 est tardive et ne comporte pas tous les éléments indemnisables du préjudice. Par ailleurs il estime que l’offre définitive en date du 31 août 2021 est incomplète et insuffisante, aucune offre n’ayant été présentée au titre de la tierce personne définitive et de l’incidence professionnelle. Il est donc demandé la condamnation de BPCE ASSURANCES au doublement des intérêts à compter du 4 juin 2019 jusqu’au jugement devenu définitif. BPCE ASSURANCES rétorque que son offre définitive n’est pas insuffisante puisqu’il a été sollicité la communication de pièces relatives aux pertes de gains, aux frais divers et au véhicule adapté et que ces documents ne lui ont jamais été adressés. Elle s’oppose donc à la demande et, à titre subsidiaire, elle demande au tribunal de dire qu’elle a formulé une offre conforme dans ses premières conclusions.

Ceci exposé une indemnité provisionnelle de 15 000€ a été versée le 28 juin 2019 et acceptée par M. [P] le 8 juillet 2019. Cette offre provisionnelle ne pouvait être complète dans la mesure où le rapport d’expertise n’a été déposé que le 20 janvier 2021. Quant à l’offre présentée le 31 août 2021 elle est accompagnée d’un courrier de BPCE ASSURANCES demandant des précisions sur la situation professionnelle de la victime et sur sa perte de salaires, sur le décompte de la mutuelle et sur les frais divers, éléments dont M. [P] ne démontre pas qu’ils ont été fournis. Cette offre ne comprend en revanche aucune proposition sur la tierce personne définitive, ni sur l’incidence professionnelle, alors qu’au vu du rapport d’expertise du 20 janvier 2021 l’assureur possédait les éléments pour présenter une offre. En revanche la première offre par voie de conclusions en date du 29 septembre 2022 est complète et elle ne peut être qualifiée d’insuffisante, le seul fait qu’elle soit inférieure aux demandes présentées n’étant pas suffisant pour la caractériser ainsi.

En conséquence, il y a lieu de dire que le montant de l’offre du 29 septembre 2022, avant imputation de la créance des tiers payeurs et déduction des provisions versées, produira intérêts au double du taux de l’intérêt légal du 20 juin 2021, soit dans le délai de 5 mois après dépôt du rapport, au 29 septembre 2022.

Sur la capitalisation des intérêts

Il sera fait droit à cette demande, dans les conditions prévues par l’article 1343-2 du code civil.

Sur les autres demandes

BPCE ASSURANCES, qui succombe en la présente instance, sera condamnée aux dépens. En outre, elle devra supporter les frais irrépétibles engagés par M. [P] dans la présente instance et que l’équité commande de fixer à la somme de 2500€.

S’agissant de la demande d’exécution forcée, il n’appartient pas au tribunal de trancher un litige hypothétique.

Rien ne justifie d'écarter l'exécution provisoire dont la présente décision bénéficie de droit, conformément aux dispositions des articles 514 et 514-1 du code de procédure civile, s'agissant en effet d'une instance introduite après le 1er janvier 2020.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire mis à disposition au greffe et rendu en premier ressort,

DIT que le droit à indemnisation de M. [E] [P] des conséquences dommageables de l’accident du 3 octobre 2018 est entier ;

CONDAMNE la société BPCE ASSURANCES à payer à M. [E] [P] les sommes suivantes à titre de réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittances, provisions non déduites, ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de ce jour, soit :
- la somme de 8757 € au titre de la tierce personne avant consolidation
- la somme de 107 102,62 € au titre de la tierce personne après consolidation
- la somme de 7.854,75 € au titre des pertes de gains actuels
- la somme de 233 398,68 € au titre des pertes de gains futurs
- la somme de 83 134 € au titre de l’incidence professionnelle
- la somme de 2760 € au titre des frais divers
- la somme de 5738,88€ au titre du déficit fonctionnel temporaire
- la somme de 1500 € au titre du préjudice esthétique temporaire
- la somme de 3500 € au titre du préjudice esthétique définitif
- la somme de 32 300 € au titre du déficit fonctionnel permanent
- la somme de 20 000 € au titre des souffrances endurées
- la somme de 3000 € au titre du préjudice d’agrément
Ces sommes, provisions non déduites, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;

CONDAMNE la société BPCE ASSURANCES à payer à M. [E] [P] les intérêts au double du taux de l’intérêt légal sur le montant de l’offre effectuée le 29 septembre 2022, avant imputation de la créance des tiers payeurs et déduction des provisions versées, à compter du 20 juin 2021 et jusqu’au 29 septembre 2022 ;

DIT que les intérêts échus des capitaux produiront intérêts dans les conditions fixées par l’article 1343-2 du code civil ;

DÉCLARE le présent jugement commun à la CPAM de Seine et Marne et à la mutuelle UMEN MEDICAL ;

CONDAMNE la société BPCE ASSURANCES aux dépens et à payer à M. [E] [P] la somme de 2500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, cette somme avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ;

REJETTE la demande relative à l’exécution forcée ;

DIT que les avocats en la cause en ayant fait la demande, pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l’avance sans avoir reçu provision en application de l’article 699 du code de procédure civile ;

DIT n’y avoir lieu d’écarter l'exécution provisoire dont la présente décision bénéficie de droit.

Fait et jugé à Paris le 30 Avril 2024.

La GreffièreLa Présidente

Erell GUILLOUËTSarah CASSIUS


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 19ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/02208
Date de la décision : 30/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-30;22.02208 ?
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