TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Copie conforme délivrée
le :
à :
Monsieur [F] [E]
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Maître Sébastien MENDES GIL
Pôle civil de proximité
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PCP JCP fond
N° RG 24/00488 - N° Portalis 352J-W-B7H-C3XZC
N° MINUTE :
15 JCP
JUGEMENT
rendu le lundi 29 avril 2024
DEMANDERESSE
S.A. LA BANQUE POSTALE CONSUMER FINANCE, dont le siège social est sis [Adresse 1]
représentée par Maître Sébastien MENDES GIL de la SELARL CLOIX & MENDES-GIL, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : #P0173
DÉFENDEUR
Monsieur [F] [E], demeurant [Adresse 2]
non comparant, ni représenté
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Mathilde CLERC, Juge, juge des contentieux de la protection
assistée de Inès CELMA-BERNUZ, Greffier,
DATE DES DÉBATS
Audience publique du 26 février 2024
JUGEMENT
réputé contradictoire, en premier ressort, prononcé par mise à disposition le 29 avril 2024 par Mathilde CLERC, Juge assistée de Inès CELMA-BERNUZ, Greffier
Décision du 29 avril 2024
PCP JCP fond - N° RG 24/00488 - N° Portalis 352J-W-B7H-C3XZC
EXPOSE DU LITIGE
Selon offre préalable acceptée le 1 octobre 2019, la Banque Postale Consumer Finance a consenti à Monsieur [F] [E] un crédit personnel d'un montant en capital de 36.000 euros remboursable au taux nominal de 4,40 % (soit un TAEG de 4,49%) en 84 mensualités de 530,53 euros hors assurance.
Des échéances étant demeurées impayées, la Banque Postale Consumer Finance a fait assigner Monsieur [F] [E] devant le tribunal judiciaire de Paris, par acte de commissaire de justice en date du 20 novembre 2023, en paiement des sommes suivantes, sous le bénéfice de l'exécution provisoire:
- 27.591,11 euros au titre du crédit et de l’indemnité légale, avec intérêts contractuels au taux de 4,40% à compter du 28 juillet 2023, avec capitalisation de ces intérêts à compter de l’assignation,
- 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance.
A titre subsidiaire, la Banque Postale Consumer Finance sollicite que soit prononcée la résolution judiciaire du contrat, et la condamnation du défendeur à lui régler les mêmes sommes.
Au soutien de sa demande, la Banque Postale Consumer Finance fait valoir que les mensualités d'emprunt n'ont pas été régulièrement payées, ce qui l'a contraint à prononcer la déchéance du terme le 28 juillet 2023, rendant la totalité de la dette exigible. Elle situe le premier incident de paiement non régularisé se situe au 10 février 2022.
L’affaire a été appelée et retenue à l'audience du 26 février 2024.
A l'audience, la Banque Postale Consumer Finance, représentée par son conseil, a sollicité le bénéfice de son acte introductif d'instance.
La forclusion, la nullité, la déchéance du droit aux intérêts contractuels (FIPEN, notice d'assurance, FICP, vérification solvabilité, etc) et légaux ont été mis dans le débat d'office.
La société demanderesse considère, s’agissant de la nullité tirée du déblocage anticipé des fonds, que cette dernière ne peut être soulevée d’office par le juge en l’absence formée en ce sens par l’emprunteur.
Bien que régulièrement assigné à étude, Monsieur [F] [E] n'a pas comparu et ne s'est pas fait représenter.
Conformément à l'article 473 du code de procédure civile, il sera statué par jugement réputé contradictoire.
La décision a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 29 avril 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Selon l'article 472 du code de procédure civile, lorsque le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond ; le juge ne fait droit à la demande que s'il l'estime régulière, recevable et bien fondée.
En l’espèce, le défendeur n’a pas comparu, de sorte qu’il sera fait application des dispositions précitées.
Sur la demande en paiement
Le présent litige est relatif à un crédit soumis aux dispositions de la loi n°2010-737 du 1er juillet 2010 de sorte qu'il sera fait application des articles du code de la consommation dans leur rédaction en vigueur après le 1er mai 2011 et leur numérotation issue de l'ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016 et du décret n°2016-884 du 29 juin 2016.
L’article R.632-1 du code de la consommation permet au juge de relever d’office tous les moyens tirés de l’application des dispositions du code de la consommation, sous réserve de respecter le principe du contradictoire. Il a été fait application de cette disposition par le juge à l'audience du 26 février 2024.
L'article L.312-39 du code de la consommation prévoit qu'en cas de défaillance de l'emprunteur, le prêteur peut exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés. Jusqu'à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent les intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt. En outre, le prêteur peut demander à l'emprunteur défaillant une indemnité qui, dépendant de la durée restant à courir du contrat et sans préjudice de l'application de l'article 1231-5 du code civil, est fixée suivant un barème déterminé par décret. L'article D.312-16 du même code précise que lorsque le prêteur exige le remboursement immédiat du capital restant dû en application de l'article L.312-39, il peut demander une indemnité égale à 8% du capital restant dû à la date de la défaillance.
Ce texte n'a toutefois vocation à être appliqué au titre du calcul des sommes dues qu'après vérification de l'absence de cause de nullité du contrat, de l'absence de forclusion de la créance, de ce que le terme du contrat est bien échu et de l'absence de déchéance du droit aux intérêts conventionnels.
Sur la forclusion
L’article R. 312-35 du code de la consommation dispose que les actions en paiement à l’occasion de la défaillance de l’emprunteur dans le cadre d’un crédit à la consommation, doivent être engagées devant le tribunal d’instance dans les deux ans de l’événement qui leur a donné naissance à peine de forclusion.
En l’espèce, au regard des pièces produites, il apparaît que le premier incident de paiement non régularisé est intervenu pour l'échéance de novembre 2022 de sorte que la demande effectuée le 20 novembre 2023 n’est pas atteinte par la forclusion.
Sur la nullité de l'offre de contrat de crédit
Sur les délais applicables
En droit européen
L’article 14 de la Directive n° 2008/48 entrée en vigueur dans les États membres le 11 juin 2010, prévoit que le consommateur dispose d’un délai de quatorze jours calendaires pour se rétracter dans le cadre du contrat de crédit sans donner de motif (§1) et indique qu’il est sans préjudice des dispositions nationales fixant un délai pendant lequel l’exécution du contrat ne peut commencer (§7).
En droit national
L’article L.312-19 du code de la consommation prévoit que l’emprunteur dispose d’un délai de quatorze jours calendaires, à compter de son acceptation de l’offre de contrat de crédit, pour se rétracter.
L’article L.312-25 du code de la consommation prévoit que, pendant un délai de sept jours, à compter de l'acceptation du contrat par l'emprunteur, aucun paiement, sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, ne peut être fait par le prêteur à l'emprunteur ou pour le compte de celui-ci, ni par l'emprunteur au prêteur.
La règle nationale de l’interdiction de tout paiement pendant un délai de sept jours prévue par l’article L. 312-25 du code de la consommation est permise par l’article 14, § 7 de la Directive n° 2008/48/CE.
Sur le relevé d’office
En droit européen
Selon la Cour de Justice de l’Union Européenne, dans un arrêt en date du 21 avril 2016, C-377/14, [G], point 67 « afin d’assurer la protection voulue par cette directive [2008/48], la situation d’inégalité du consommateur par rapport au professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux parties au contrat, du juge national saisi de tels litiges ».
Toutefois, dans un arrêt de la même Cour rendu le 9 mars 2023, C-50/22, le juge européen invite à distinguer entre la rétractation après avoir conclu le contrat de crédit (article 14 de la directive, intégrée au droit français à l’article L. 312-19 du code de la consommation) et le délai pendant lequel l’exécution du contrat ne peut pas commencer (article L.312-25 nouveau du même code). L’harmonisation complète et impérative qu’opère la directive 2008/48/CE ne concerne que la première disposition.
Dès lors, le juge européen, qui admet l’existence d’un délai au cours duquel ne saurait intervenir le déblocage des fonds, indique que le non-respect de ce dernier ne saurait être relevé d’office sur le fondement de la directive 2008/48/CE. Il résulte toutefois de cette dernière décision qu’aucune considération ne saurait faire obstacle au juge de relever d’office le non-respect de cette dernière disposition sur le fondement du droit national, la CJUE ayant précisé que « les règles procédurales nationales régissent le relevé d’office et la sanction, par le juge national, de la violation, par le prêteur, d’une disposition nationale qui prévoit un délai pendant lequel l’exécution du contrat de crédit ne peut commencer ».
En droit national
L’article R. 632-1 du code de la consommation prévoit notamment que « le juge peut relever d'office toutes les dispositions du présent code dans les litiges nés de son application. »
Cette disposition prévoit que le juge peut soulever d'office les dispositions du code de la consommation, sans égard à la sanction encourue.
De même, il résulte d’une jurisprudence constante que l’irrégularité d’une offre de crédit à la consommation en violation des dispositions d’ordre public du code de la consommation peut être relevée d’office par le juge (Cour de cassation - Première chambre civile 22 janvier 2009 / n° 05-20.176).
Or, il est constant que lorsque le déblocage des fonds intervient avant le délai de sept jours précité, l’établissement de crédit déroge à une loi qui intéresse l’ordre public (TI Dijon, 21 avril 2010).
La méconnaissance des dispositions de l’article L. 311-14 devenu l'article L.312-25 du code de la consommation est notamment sanctionnée par la nullité du contrat de crédit en vertu de l’article 6 du code civil (Cour de cassation - Première chambre civile 22 janvier 2009 / n° 03-11.775).
En tout état de cause, la question du pouvoir du juge de relever d’office un moyen d’ordre public doit être résolue conformément à l’objectif poursuivi par les dispositions en cause. Empêcher le juge de sanctionner d’office la violation de dispositions protectrices par le professionnel revient indubitablement à nier la protection légale reconnue au consommateur. Dès lors, permettre au juge de relever d’office la nullité du contrat de prêt concourt à l’efficacité des règles d’ordre public de protection.
Le principe d’immutabilité du litige, principal obstacle au pouvoir du juge de relever d’office une nullité d’ordre public de protection, impose au relevé d’office des moyens de droit une double limite : celle de s’en tenir aux faits du dossier et celle de ne pas introduire de nouvelles prétentions dans le litige. Or le contrat dont l’irrégularité est relevée d’office est produit par la partie demanderesse ce dont il résulte que l’élément de fait sur lequel prend appui le moyen de droit relevé d’office est bel et bien dans le débat, de même que la question de la validité d’un contrat semble toujours être implicitement contenue dans la demande d’exécution de celui-ci.
Enfin, la non-comparution du demandeur ne saurait constituer un obstacle dans la mesure ou l’article 472 du code de procédure civile n’empêche aucunement le juge de statuer sur le fond mais plus encore impose à ce dernier de ne faire droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée.
En conclusion, dès lors que le juge peut relever d’office toutes les dispositions du code de la consommation dans les litiges nés de son application et qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que le non-respect de l’article 312-25 dudit code est sanctionné par la nullité du contrat de prêt, le juge peut soulever d’office la nullité du contrat en raison du déblocage des fonds prématuré sous réserve du respect des dispositions de l’article 16 du code civil.
En l’espèce, d’après les documents soumis aux débats, le défendeur a accepté l’offre de prêt le 1 octobre 2019, de sorte qu’aucun paiement, sous quelque forme que ce soit, ne pouvait intervenir avant le 8 octobre 2019 à vingt-quatre heures, soit en pratique le 9 octobre 2019, conformément aux dispositions précitées telles qu’interprétées selon les modalités de computation des délais prévues à l’article 642 du code de procédure civile.
Or, d'après l'historique du dossier versé aux débats, le versement du montant du crédit à l'emprunteur est intervenu le 8 octobre 2019, soit avant l'expiration du délai légal précité, de sorte que le contrat de prêt est nul.
Il convient donc de constater la nullité du contrat de prêt, et de replacer les parties dans l'état où elles se trouvaient avant sa conclusion.
Sur le montant de la créance
Au regard de l’historique du prêt versé aux débats, après imputation sur le capital prêté (36.000 euros) de tous les versements effectués à quelque titre que ce soit par M. [F] [E] (16660,64 euros), il y a lieu de condamner ce dernier à restituer à la banque la somme de 19339,36 euros.
En conséquence, M. [F] [E] est ainsi tenu au paiement de la somme de 19339,36 euros correspondant au capital restant dû.
Le prêteur demeure fondé à solliciter le paiement des intérêts au taux légal, en vertu de l’article 1231-6 du code civil, sur le capital restant dû, majoré de plein-droit deux mois après le caractère exécutoire de la décision de justice en application de l'article L.313-3 du code monétaire et financier.
Néanmoins, il convient de rappeler que la nullité du contrat est une sanction. Il s'agit, en effet, d'une disposition destinée à protéger la validité du consentement du consommateur et la réalité d’une faculté de rétractation qui ne soit pas altérée par la jouissance immédiate du capital qu'il souhaite emprunter.
En l’espèce, il y a lieu de constater que la Banque ne justifie pas avoir accompli son devoir d’explication (article L.312-14), permettant à l’emprunteur de déterminer si le contrat de crédit proposé était adapté à ses besoins et à sa situation financière et attirant son attention sur les caractéristiques essentielles du ou des crédits proposés et sur les conséquences que ces crédits pouvaient avoir sur sa situation financière, y compris en cas de défaut de paiement. L’offre de contrat de crédit produite ne contient en outre aucun bordereau de rétractation, sorte que la banque aurait, même en cas de régularité du contrat, été déchue de son droit aux intérêts.
La nullité étant imputable au prêteur, et la banque n’ayant en tout état de cause pas respecté ses obligations, nécessaires au consentement éclairé de l’emprunteur, il convient d'écarter toute application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil et L 313-3 du code monétaire et financier et de dire que cette somme ne produira aucun intérêt, même au taux légal.
Sur les demandes accessoires
Chaque partie conservera la charge de ses dépens, ce qui n’est pas contraire à l'article 696 du code de procédure civile.
L’équité commande de ne pas faire droit à la demande de la Banque Postale Consumer Finance au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La présente décision est exécutoire à titre provisoire, conformément à l'article 514 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Le juge des contentieux de la protection, statuant publiquement, après débats en audience publique, par jugement mis à disposition au greffe réputé contradictoire et en premier ressort,
CONSTATE que le contrat du 1 octobre 2019 est nul pour avoir été conclu en violation des dispositions de l'article L.312-25 du code de la consommation ;
ÉCARTE l'application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil et L.313-3 du code monétaire et financier ;
CONDAMNE en conséquence Monsieur [F] [E] à verser à la BANQUE POSTALE CONSUMER FINANCE la somme de 19339,36 euros au titre du capital restant dû ;
DIT que cette somme ne produira pas d'intérêt, même au taux légal ;
CONDAMNE Monsieur [F] [E] aux dépens ;
REJETTE le surplus des demandes ;
RAPPELLE que le présent jugement est exécutoire de plein droit à titre provisoire.
Le greffier Le juge