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29/04/2024 | FRANCE | N°17/17203

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 19eme contentieux médical, 29 avril 2024, 17/17203


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

19ème contentieux médical

N° RG 17/17203

N° MINUTE :

Assignations des :
07 et 08 Décembre 2017

DEBOUTE

SB





JUGEMENT
rendu le 29 Avril 2024
DEMANDEUR

Monsieur [N] [J]
[Adresse 1]
[Localité 4]

Représenté par Maître Nicolas UZAN de la SELARL Cabinet d’Avocat JACQUIN UZAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0153

DÉFENDEURS

Monsieur [F] [X]
[Adresse 3]
[Localité 4]

ET

L’INSTITUT MUTUALISTE [5]
[Adresse 3]
[Lo

calité 4]

Représentés par Maître Jean-Baptiste SCHROEDER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0009

Expéditions
exécutoires
délivrées le :

Décision du 29 Avril 2024
19ème contenti...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

19ème contentieux médical

N° RG 17/17203

N° MINUTE :

Assignations des :
07 et 08 Décembre 2017

DEBOUTE

SB

JUGEMENT
rendu le 29 Avril 2024
DEMANDEUR

Monsieur [N] [J]
[Adresse 1]
[Localité 4]

Représenté par Maître Nicolas UZAN de la SELARL Cabinet d’Avocat JACQUIN UZAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0153

DÉFENDEURS

Monsieur [F] [X]
[Adresse 3]
[Localité 4]

ET

L’INSTITUT MUTUALISTE [5]
[Adresse 3]
[Localité 4]

Représentés par Maître Jean-Baptiste SCHROEDER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0009

Expéditions
exécutoires
délivrées le :

Décision du 29 Avril 2024
19ème contentieux médical
RG 17/17203

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Sabine BOYER, Vice-Présidente
Monsieur Olivier NOËL, Vice-Président
Madame Laurence GIROUX, Vice-Présidente

Assistés de Madame Erell GUILLOUËT, Greffière, lors des débats et au jour de la mise à disposition au greffe.

DEBATS

A l’audience du 26 Février 2024 présidée par Madame Sabine BOYER tenue en audience publique, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 29 Avril 2024.

JUGEMENT

- Contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [N] [J], né le [Date naissance 2] 1950, médecin, qui souffre d’une défaillance sur une valve cardiaque à la suite d’une infection survenue pendant sa jeunesse et à qui a été posée une première fois à l’âge de 29 ans, le 5 mars 1979 une bioprothèse aortique HANCOCK n° 25, puis une deuxième fois le 4 juillet 1989, une valve Edwards Carpentier, s’est adressé au service cardiologique de l’Institut Mutualiste [5] et a été pris en charge par le Professeur [X] pour un changement de valve aortique le 16 juillet 2002. La valve posée est de type Sorin Pericarbon 25.
Cette valve s’est dégradée et le Docteur [J] a dû être opéré une quatrième fois le 11 décembre 2007 (pose d’une valve de type Sorin Mitroflow 25).
Au mois de septembre 2014, il lui a été posé, toujours à l’Institut Mutualiste [5], une valve Edwards Carpentier, qui était toujours en place en 2021.

Mécontent du choix de valve opéré par le professeur [X] en 2002 et 2007 alors qu’il indique avoir exprimé le désir de recevoir une valve de marque Edwards Carpentier comme celle implantée en 1989, Monsieur [N] [J] a fait assigner l’Institut Mutualiste [5] et le Professeur [F] [X] exerçant au sein de l’Institut Mutualiste [5], par actes délivrés les 7 et 8 décembre 2017.

Par jugement en date du 3 mai 2021, le Tribunal de Céans a notamment :
AVANT DIRE DROIT
- ordonné une mesure d’expertise de Monsieur [N] [J] ;
- commis pour y procéder : le docteur [S] [Z] ;
- débouté M. [N] [J] de sa demande de provision ;
- sursis à statuer sur les demandes de reconnaissance de responsabilité du professeur [F] [X] et de l’Institut Mutualiste [5] ;
- réservé les dépens et les demandes formées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L'expert a procédé à sa mission et, aux termes d'un rapport dressé le 27 juillet 2022, a conclu ainsi que suit :
« Porteur d’une insuffisance aortique rhumatismale, le Docteur [J] a, au début des faits, déjà subi deux chirurgies cardiaques sous circulation extra corporelle (CEC) pour remplacement de la valve aortique pathologique avec implantation de valve biologique, Hancock 25 (1979) puis Edwards Carpentier 25 (1989). En 2002, la dégradation progressive de la prothèse valvulaire aortique chez le patient de 50 ans, conduisait au troisième remplacement valvulaire aortique de type biologique avec implantation par le Professeur [X] d’une prothèse Sorin Pericarbon 25.
En 2007, la dégradation progressive de la prothèse valvulaire aortique conduisait au quatrième remplacement valvulaire aortique de type biologique avec implantation par le Professeur [X] d’une prothèse Sorin Mitroflow 25.
En 2014, la dégradation progressive de la prothèse valvulaire aortique, chez le patient de 63 ans, conduisait au cinquième remplacement valvulaire aortique de type biologique avec implantation par le Dr [H] d’une prothèse Edwards Carpentier Perimount 23.
La dégradation itérative de la valve aortique déjà, deux fois remplacée par une valve biologique justifie sans conteste la discussion d’un remplacement itératif chez un patient de 50 ans.
Comme les deux interventions au préalable, l’indication d’un remplacement aortique par une valve mécanique, conforme aux recommandations des différentes sociétés savantes, était écartée par le patient malgré son jeune âge et l’information apportée quant à la longévité espérée du matériel biologique, inférieure au matériel mécanique.
Les arguments de M. [J] portaient sur les contraintes du risque du traitement anticoagulant chez un patient sportif. Le choix acquis, après information, de l’implantation d’une valve biologique était validé, le modèle de la valve implantée ne correspondait pas aux desiderata du patient.
Lors de la deuxième réintervention du professeur [X], en 2007, (quatrième pour le patient), la marque de la valve biologique choisie par le chirurgien ne correspondait pas aux desiderata du patient qui aurait préféré une valve « Carpentier » dont la détérioration avait été moins rapide. Il n’est relevé aucun manquement dans les différents services d’hospitalisation de l’IMM et dans la réalisation du geste chirurgical par le Professeur [X], durant les interventions et leurs surveillances rapportées en 2002 et 2007.
Il est noté malgré ces différentes chirurgies « redux » des suites opératoires simples avec une reprise des activités. Malgré tout, la survenue de troubles du rythme après la quatrième intervention, et la surveillance plus rapprochée ont conduit le Docteur [J] à une nette diminution de son activité professionnelle et la cession de son cabinet.

M. [J] dit avoir été informé des risques d’une chirurgie cardiaque itérative (3ème et 4ème) et des risques de réintervention en choisissant l’implantation d’une bioprothèse et avoir accepté les risques inhérents à cette chirurgie. S’il n’est pas retrouvé de trace d’échange écrit ou oral dans le choix formel de M. [J] pour une prothèse Edwards Carpentier, le docteur [L] (Cardiologue) signale dans son courrier du 10 mai 2007, le souhait du patient pour ce type de prothèse, bien que ce dernier n’en ait pas fait état directement à son chirurgien en 2002 et surtout en 2007.

Les réinterventions de 2002 et 2007 réalisées par le Professeur [X] étaient justifiées par le tableau clinique d’insuffisance cardiaque secondaire à la dégradation des valves précédemment implantées.
Plutôt qu’un remplacement valvulaire mécanique d’indication conforme avec les recommandations des Sociétés savantes nationales et internationales, le Docteur [J] optait pour la mise en place d’une nouvelle bioprothèse en connaissance du risque de réintervention.
Si le choix du modèle de valve biologique n’était pas celui de M. [J], les prothèses mises en place en 2002 et 2007 répondaient au cahier des charges des valves biologiques, bénéficiaient de l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’HAS et étaient implantées par un chirurgien rompu à la technique et à l’utilisation de valve biologique.

En pratique si M. [J] n’avait pas exprimé sa demande formelle de valve biologique, il aurait pu (sans aucune erreur de choix, ni contestation) avoir une prothèse mécanique de la 1° à la 5° intervention.
Et si ce patient avait eu dès sa 1° chirurgie une valve mécanique, celle-ci n’aurait jamais été changée (dans la mesure de son traitement anticoagulant).
En pratique c’est le choix initial et répété de Mr [J] qui a conduit aux changements de valves, pas les marques des valves biologiques disponibles et équivalentes à l’époque. »

En conclusion, il n’est retrouvé aucun manquement, aucune faute du docteur [X] lors des différents remplacements valvulaires.
Il n’est noté de même aucun manquement lors des différentes hospitalisations à l’institut [5].

Par conclusions récapitulatives signifiées le 3 mars 2023, auxquelles il est référé expressément conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, Monsieur [N] [J] demande au tribunal de :

- DIRE ET JUGER le Docteur [N] [J] recevable et bien fondé en toutes ses demandes, fins et conclusions d’incident ;
Y faisant droit,
- DIRE ET JUGER, l’Institut Mutualiste [5] prise en la personne de ses représentants légaux et le Professeur [X] irrecevables et mal fondés en toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
- ORDONNER une contre-expertise médicale judiciaire contradictoire et impartiale, et nommer tout expert qu’il lui plaira aux frais supportés par les défendeurs afin d’évaluer les dommages subis par le requérant, avec mission habituelle en pareil cas et notamment de :
• procéder à l’examen du Docteur [J]
• remettre au tribunal tout élément d’information sur le choix et les conséquences des poses successives des valves biologiques PERICARBON n° 25 et bioprothèse type MITROFLOW n° 25 au lieu et place d’une valve CARPENTIER EDWARDS PERICARDIQUE ou de la même conception ;
• répondre notamment aux questions suivantes :
* Pouvait-on considérer que les valves Sorin Pericarbon en 2002 et Sorin Mitroflow en 2007, étaient équivalentes aux valves Carpentier-Edwards qui avaient plus de recul ?
* Le fait de ne pas implanter la même valve à un patient, lui-même médecin, qui en avait exprimé expressément le désir, ainsi que son cardiologue traitant, alors que cette valve avait parfaitement et durablement fonctionné précédemment, en particulier une 2ème fois après un premier échec sur la durée de vie, plus courte, de la nouvelle valve, ne constitue-t-il pas une faute médicale du Professeur [X] ?
* Le fait que le Docteur [J] n’a pas été clairement informé de l’intention du Professeur [X] de poser une autre valve, alors que le patient l’aurait refusé et se serait adressé à un autre chirurgien, ce qu’il a dû finalement faire en 2014, ne constitue-t-il pas une faute médicale et un défaut d’information du Professeur [X] ?
En tout état de cause, même en cas d’absence de faute ou de responsabilité retenue, déterminer et évaluer les préjudices du Docteur [J] et notamment :
• Pertes de gains professionnels actuels
* Indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l’incapacité d’exercer totalement ou partiellement son activité professionnelle ;
En cas d’incapacité partielle, préciser le taux et la durée ;
* Préciser la durée des arrêts de travail retenus par l’organisme social au vu des justificatifs produits (ex : décomptes de l’organisme de sécurité sociale), et dire si ces arrêts de travail sont liés au fait dommageable ;
• Déficit fonctionnel temporaire
* Indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l’incapacité totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles ;
* En cas d’incapacité partielle, préciser le taux et la durée ;
• Déficit fonctionnel permanent
* Indiquer si, après la consolidation, la victime subit un déficit fonctionnel permanent défini comme une altération permanente d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles ou mentales, ainsi que des douleurs permanentes ou tout autre trouble de sante, entraînant une limitation d’activité ou une restriction de participation a la vie en société subie au quotidien par la victime dans son environnement ;
* En évaluer l’importance et en chiffrer le taux ; dans l’hypothèse d’un état antérieur, préciser en quoi l’accident a eu une incidence sur cet état antérieur et décrire les conséquences ;
• Dépenses de sante futures
* Décrire les soins futurs et les aides techniques compensatoires au handicap de la victime (prothèses, appareillages spécifiques, véhicule) en précisant la fréquence du renouvellement
• Frais de logement et/ou de véhicule adaptés
* Donner son avis sur d’éventuels aménagements nécessaires pour permettre, le cas échéant, a la victime d’adapter son logement et/ou son véhicule a son handicap ;
• Pertes de gains professionnels futurs
* Indiquer, notamment au vu des justificatifs produits, si le déficit fonctionnel permanent entraîne l’obligation pour la victime de cesser totalement ou partiellement son activité professionnelle ou de changer d’activité professionnelle ;
• Incidence professionnelle
* Indiquer, notamment au vu des justificatifs produits, si le déficit fonctionnel permanent entraîne d’autres répercussions sur son activité professionnelle actuelle ou future (obligation de formation pour un reclassement professionnel, pénibilité accrue dans son activité, « dévalorisation » sur le marché du travail, etc.) ;
• Souffrances endurées
* Décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales découlant des blessures subies pendant la maladie traumatique (avant consolidation) ; les évaluer distinctement dans une échelle de 1 a 7 ;
• Préjudice esthétique temporaire et/ou définitif
* Donner un avis sur l’existence, la nature et l’importance du préjudice esthétique, en distinguant éventuellement le préjudice temporaire et le préjudice définitif.
Evaluer distinctement les préjudices temporaire et définitif dans une échelle de 1 a 7 ;
• Préjudice sexuel
* Indiquer s’il existe ou s’il existera un préjudice sexuel (perte ou diminution de la libido, impuissance ou frigidité, perte de fertilité) ;
• Préjudice d’établissement
* Dire si la victime subit une perte d’espoir ou de chance de normalement réaliser un projet de vie familiale ;
• Préjudice d’agrément
Indiquer, notamment au vu des justificatifs produits, si la victime est empêchée en tout ou partie de se livrer à des activités spécifiques de sport ou de loisir ;
• Préjudices permanents exceptionnels
* Dire si la victime subit des préjudices permanents exceptionnels correspondant à des préjudices atypiques directement liés aux handicaps permanents ;
* Dire si l’état de la victime est susceptible de modifications en aggravation ;
• Préjudices nés de la perte de chance d’une nouvelle opération et de la perte d’espérance de vie
* Donner un avis sur l’existence, la nature et l’importance des conséquences plus générales au titre de la perte de chance d’une opération à venir et de l’espérance de vie qui en est la conséquence, ce aux fins de permettre au tribunal d’évaluer l’intégralité du préjudice subi par le Docteur [J], en raison des faits dont il s’agit.
* Etablir un état récapitulatif de l’ensemble des postes énumérés dans la mission ;
* Dire que l’expert pourra s’adjoindre tout spécialiste de son choix, a charge pour lui d’en informer préalablement le magistrat charge du contrôle des expertises et de joindre l’avis du sapiteur a son rapport ; dit que si le sapiteur n’a pas pu réaliser ses opérations de manière contradictoire, son avis devra être immédiatement communique aux parties par l’expert ;
* Dire que l’expert devra communiquer un pré-rapport aux parties en leur impartissant un délai raisonnable pour la production des dires écrits auxquels il devra répondre dans son rapport définitif ;
* Donner son avis sur les comptes présentés par les parties ;
* Dire que l’expert sera mis en oeuvre et accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du Code de Procédure civile et que, sauf conciliation des parties, il déposera son rapport au Secrétariat Greffe de ce Tribunal dans les 6 mois de sa saisine ;
* Dire qu’il en sera référé au magistrat en charge du contrôle des mesures d’instruction en cas de difficulté.
- CONDAMNER solidairement in solidum l’Institut Mutualiste [5] et le Professeur [X] au versement d’une indemnité provisionnelle de 10 000 €.

A titre subsidiaire, si par extraordinaire, le Tribunal n’ordonnait pas de contre-expertise médicale,
- RETENIR la responsabilité patente de l’Institut Mutualiste [5] et le Professeur [X]
- CONDAMNER solidairement in solidum l’Institut Mutualiste [5] et le Professeur [X] à verser au Docteur [J] la somme de 200 000 € de dommages-intérêts forfaitaires en réparation de l’ensemble de ses préjudices et notamment le préjudice au titre de la perte de chance d’une opération à venir et de l’espérance de vie qui en est la conséquence et du préjudice distinct d'impréparation causé par la violation du droit à l'information, alors que le patient en fait la demande ;
En tout état de cause,
- CONDAMNER solidairement in solidum l’Institut Mutualiste [5] et le Professeur [X] au versement d’une somme de 5 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure Civile
- CONDAMNER solidairement in solidum l’Institut Mutualiste [5] et le Professeur [X] en tous les dépens, dont distraction au profit de Maître Nicolas UZAN, avocat aux offres de droit ;
- PRONONCER l’exécution provisoire de l’entier jugement.

***

Aux termes de leurs conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 16 janvier 2023, auxquelles il est référé expressément conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, l’Institut Mutualiste [5] et le Professeur [F] [X] demandent au tribunal de :

Se déclarer incompétent pour statuer sur la demande de contre-expertise présentée par Monsieur [J],
Renvoyer Monsieur [J] à mieux se pourvoir devant le tribunal saisi au fond,

Subsidiairement,

Constater l’inutilité de la demande de contre-expertise présentée par Monsieur [J],
Débouter en conséquence Monsieur [J] de sa demande tendant à ordonner une contre-expertise,
Constater que la demande de condamnation provisionnelle présentée par Monsieur [J] est sérieusement contestable,

Débouter en conséquence Monsieur [J] de sa demande tendant à se voir allouer une somme provisionnelle de 10 000€
Débouter Monsieur [J] de sa demande présentée en application de l’article 700 du Code de procédure civile,

Condamner Monsieur [N] [J] à verser au Professeur [X] et à l’Institut Mutualiste [5] une somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamner Monsieur [N] [J] aux entiers dépens.

La clôture de la présente procédure a été prononcée le 2 octobre 2023.

L'affaire a été mise en délibéré au 29 avril 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La demande principale porte sur une contre-expertise, et, à titre subsidiaire, il est demandé au tribunal de retenir la responsabilité des défendeurs et de les condamner au paiement d’une somme forfaitaire de 200 000€ en réparation de l’ensemble des préjudices, notamment le préjudice au titre de la perte de chance d’une opération à venir et de l’espérance de vie qui en est la conséquence.

Sur la demande de contre-expertise

Il est demandé au tribunal d’ordonner une nouvelle expertise médicale, notamment pour répondre aux questions suivantes :
1- Pouvait-on considérer que les valves Sorin Pericarbon en 2002 et Sorin Mitroflow en 2007, étaient équivalentes aux valves Carpentier-Edwards qui avaient plus de recul ?
2- Le fait de ne pas implanter la même valve à un patient, lui-même médecin, qui en avait exprimé expressément le désir, ainsi que son cardiologue traitant, alors que cette valve avait parfaitement et durablement fonctionné précédemment, en particulier une 2ème fois après un premier échec sur la durée de vie, plus courte, de la nouvelle valve, ne constitue-t-il pas une faute médicale du Professeur [X] ?
3- Le fait que le Docteur [J] n’a pas été clairement informé de l’intention du Professeur [X] de poser une autre valve, alors que le patient l’aurait refusé et se serait adressé à un autre chirurgien, ce qu’il a dû finalement faire en 2014, ne constitue-t-il pas une faute médicale et un défaut d’information du Professeur [X] ?
4-En tout état de cause, même en cas d’absence de faute ou de responsabilité retenue, déterminer et évaluer les préjudices du Docteur [J].

Monsieur [J] reproche à l’expert de s’être contenté de chercher l’existence d’une erreur de choix initial et répété de sa part, d’une valve biologique au lieu d’une valve mécanique, pour exclure tout manquement du professeur [X]. Il assume son choix de valve biologique.
Il insiste sur le fait qu’il avait demandé une bioprothèse Carpentier et considère que l’expert a inversé la charge de la preuve du devoir d’information. Il considère que l’IMM a mené une expérimentation en utilisant exclusivement les valves critiquées entre 2007 et 2011 et que ces bioprothèses étaient au moins suspectes, sinon défectueuses en l’absence ou insuffisance des traitements anti-minéralisation.

A l’inverse, les défendeurs considèrent qu’une nouvelle expertise est inutile alors que les conclusions du rapport des docteurs [Z] et [D] sont claires, précises et motivées et que les experts ont pris soin de répondre aux dires des parties.

En effet, le rapport d’expertise est complet et répond précisément aux questions de la mission en écartant toute notion de faute au regard des données acquises de la science à l’époque des interventions critiquées en 2002 et 2007. Ainsi les experts se sont exprimés longuement sur les études scientifiques menées sur les bioprothèses, y compris celles citées par le demandeur.

Dans ces conditions, le tribunal est en mesure de se prononcer sur les demandes, en conséquence il n’y a pas lieu d’ordonner une nouvelle expertise médicale, ni d’allouer une provision.

Sur la responsabilité de l’IMM et du Professeur [X]

Il résulte des dispositions des articles L.1142-1-I et R.4127-32 du code de la santé publique que, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.
Tout manquement à cette obligation qui n'est que de moyens, n'engage la responsabilité du praticien que s'il en résulte pour le patient un préjudice en relation de causalité directe et certaine.

Conformément à l'article L.1110-5 du code de la santé publique, « toute personne a, compte tenu, de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. »
En application des dispositions de l'article R.4127-32 du code de la santé publique, le médecin, dès lors qu'il a accepté de répondre à une demande de son patient, s'engage à lui assurer personnellement des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s'il y a lieu, à l'aide de tiers compétents.

En l’espèce, il résulte du rapport d’expertise que les interventions critiquées sont considérées conformes aux données acquises de la science. Tous les articles produits en demande ont été étudiés. Rien ne permet en l’état de retenir un manquement dans le choix de la prothèse par le professeur [X] pour les interventions de 2002 et 2007.

Sur le défaut d’information

Tout professionnel de santé est tenu en application des articles L.1111-2 et R.4127-35 du code de la santé publique d'un devoir de conseil et d'information ; l'information du patient doit porter de manière claire, loyale et adaptée, sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus, le texte prévoyant qu'en cas de litige c'est au professionnel d'apporter, par tous moyens en l'absence d'écrit, la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé.

Il convient de rappeler que le droit à l'information est un droit personnel, détaché des atteintes corporelles, et accessoire au droit à l'intégrité corporelle ; que le non-respect du devoir d'information cause nécessairement à celui auquel l'information était légalement due un préjudice moral qui se caractérise par le ressentiment éprouvé à l'idée de ne pas avoir consenti à une atteinte à son intégrité corporelle et le défaut de préparation aux risques encourus, voire simplement aux inconvénients de l'opération.

En l’espèce, Monsieur [J] considère que le professeur [X] n’a pas respecté son choix de prothèse malgré sa demande en 2002 et 2007 et qu’il a manqué à son devoir d’information.

En défense, il est soutenu que le professeur [X] a tenté lors de chacune des interventions qu’il a pratiquées, de convaincre Monsieur [J] d’opter, compte tenu de son histoire clinique, pour une valve mécanique qui serait inusable et que celui-ci a refusé, de sorte qu’il a décidé de recourir au dernier modèle de prothèse commercialisée comportant les derniers progrès faits en matière de préservation des tissus et qui avait la meilleure hémodynamique liée au dessin de la valve en comparaison des autres valves qui existaient sur le marché à l’époque. Il est soutenu qu’en l’absence d’étude prospective comparative statistiquement correcte, rien ne permet d’affirmer avec certitude la supériorité d’une valve biologique chirurgicale par rapport à une autre.

Monsieur [J], qui est médecin, explique qu’il a fait le choix de l’implantation d’une valve biologique plutôt que d’une valve mécanique car cette dernière présente l’inconvénient et le risque de devoir prendre des anticoagulants en continue. Ce choix réitéré à chaque changement de valve a été pris en compte par les chirurgiens. Il implique des changements de valve avec une lourde opération comprenant une circulation extra corporelle et des risques. Il repose donc sur une durée de vie la plus longue possible de la valve biologique.
La valve Edwards Carpenter qui lui a été posée en juillet 1989 a duré 13 ans, celle posée en 2014 était encore en place en 2021 et semble-t-il en 2023, tandis que les valves Sorin posées par le professeur [X] en 2002 et 2007 ont duré 5 ans et 7 ans.

Le rapport d’expertise conclut à l’absence de discussion sur le choix de la valve entre M. [J] et le professeur [X], pourtant il fait référence à un courrier du cardiologue de M. [J] en 2007 qui mentionne le souhait d’implantation d’une valve Edwards Carpentier.
En effet, dans sa lettre du 10 mai 2007, le docteur [L] du département de pathologie cardiaque de l’Institut Mutualiste [5], adressée au professeur [X] du département de pathologie cardiaque, mentionne le souhait de M. [J] de se voir poser à nouveau une bioprothèse Carpentier Edwards.
Si ce courrier exprime clairement le choix en 2007 de M. [J] de se voir implanter une bioprothèse Carpentier Edwards, il ne permet pas d’établir, contrairement à ce qui est soutenu, que la même demande a été exprimée pour l’intervention de 2002. En effet, le terme « à nouveau » implique que M. [J] a déjà reçu une prothèse Carpentier, ce qui est le cas (en 1989). Il ne signifie nullement que la demande a déjà été faite 5 ans auparavant.

Le compte rendu d’hospitalisation du 24 juillet 2007 indique : « le patient désire toujours une bioprothèse. En accord avec le professeur [X], l’intervention est prévue en juillet 2002. »
Rien ne permet de conclure que la discussion entre le patient et le chirurgien a porté sur le choix de la prothèse biologique, choix qui relève du chirurgien.
Dès lors, il n’est pas établi qu’en 2002, M. [J] a exprimé le choix de prothèse Carpentier.

En revanche, il est bien établi que le désir de M. [J] de recevoir une bioprothèse de type Carpentier Edwards a été porté à la connaissance du professeur [X] en mai 2007 et ce dernier n’a pas expliqué au cours des opérations d’expertise son choix de recourir à une autre marque de bioprothèse. Il était absent aux opérations d’expertise, mais le représentant de l’IMM aurait pu apporter des précisions sur ce point, ce qui n’a pas été le cas.
Le compte rendu d’hospitalisation du 19 décembre 2007 mentionne : « après discussion médico-chirurgicale et en accord avec le patient, l’indication est retenue et une nouvelle mise en place d’une bioprothèse est proposée». Le compte rendu opératoire du lendemain de l’intervention du 11 décembre 2007, soit plusieurs mois après la lettre du docteur [L], fait état de la pose d’une valve de type Mitroflow n°25.

Ainsi, là encore, les pièces produites ne permettent pas d’établir que la discussion dont il est question entre le chirurgien et son patient a porté sur le type de prothèse biologique alors qu’il a été manifestement discuté de l’intérêt entre une prothèse biologique et une prothèse mécanique.
A cet égard, il convient de relever qu’il s’est passé plusieurs mois entre la lettre du docteur [L] mentionnant le souhait du patient et l’intervention, délai au cours duquel le patient a eu l’occasion de discuter de la marque de la valve et éventuellement de s’adresser à un autre service s’il souhaitait impérativement la pose d’une valve de type Carpentier Edwards.
Alors que le chirurgien a discuté du choix de la valve biologique plutôt que de la valve mécanique, ce dont M. [J] ne disconvient pas, il est peu probable que la discussion entre eux n’ait pas abordé le type de matériel et les intérêts d’une valve par rapport à l’autre, d’autant que M. [J] est médecin et qu’il avait déjà reçu plusieurs valves biologiques et souhaitait se voir implanter la valve Carpentier qui avait duré 13 ans. M. [J] ne dit rien de cet échange qu’il n’a pas manqué d’avoir avec son chirurgien. Or l’information est délivrée oralement et les comptes-rendus d’opération font état d’une discussion entre le chirurgien et son patient sur le choix d’une bioprothèse.
Dans ce contexte, et sans inverser la charge de la preuve, il n’est pas établi que M. [X] ait manqué à son devoir d’information.

En conséquence, M. [J] sera débouté de ses demandes.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

Monsieur [N] [J], qui succombe en la présente instance, sera condamné aux dépens.

Toutefois, l’équité commande en l’espèce de ne pas faire application de l’article 700 du code de procédure civile.
L'ancienneté de l’introduction de la procédure justifie que soit ordonnée l'exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire mis à disposition au greffe et rendu en premier ressort,

REJETTE les demandes d’expertise et de provision ;

DIT qu’aucune faute des professionnels de santé n’est démontrée dans la chirurgie valvulaire des 16 juillet 2002 et 11 décembre 2007 à l’Institut Mutualiste [5] ;

REJETTE les demandes de Monsieur [N] [J] ;

CONDAMNE Monsieur [N] [J]  aux dépens comprenant les frais d’expertise ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;

ORDONNE l'exécution provisoire du présent jugement ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Fait et jugé à Paris le 29 Avril 2024.

La GreffièreLa Présidente

Erell GUILLOUËTSabine BOYER


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 19eme contentieux médical
Numéro d'arrêt : 17/17203
Date de la décision : 29/04/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-29;17.17203 ?
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