TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
■
PRPC JIVAT
N° RG 22/06237
N° Portalis 352J-W-B7G-CW6C5
N° MINUTE :
Assignation du :
19 Mai 2022
JUGEMENT
rendu le 25 Avril 2024
DEMANDERESSE
Madame [D] [C]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Didier SEBAN, avocat au barreau de PARIS, , vestiaire #P0498
DÉFENDEUR
FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D’AUTRES INFRACTIONS (FGTI)
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Alexandra ROMATIF, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0124
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Sabine BOYER, Vice-Présidente
Emmanuelle GENDRE, Vice-Présidente
Maurice RICHARD, Magistrat à titre temporaire
assistés de Véronique BABUT, Greffier
DEBATS
A l’audience du 29 Février 2024 tenue en audience publique
Après clôture des débats, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 25 Avril 2024.
Décision du 25 Avril 2024
PRPC JIVAT
N° RG 22/06237
N° Portalis 352J-W-B7G-CW6C5
JUGEMENT
- Contradictoire,
- En premier ressort,
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE
Mme [D] [C], née le [Date naissance 1] 1992, a été victime le 13 novembre 2015, de l'attentat survenu à [Localité 6], au stade de France. Elle travaillait en extra au café «l’Events», à proximité de ce stade, quand l’explosion a eu lieu, la projetant violemment au sol et faisant tomber sur son visage et son corps la vitre du restaurant. Elle perdait connaissance quelques instants, puis reprenait ses esprits, le visage et le corps couverts de sang. En état de choc elle s’apercevait qu’elle tenait un bras dans sa main, pensant qu’il s’agissait du sien, alors qu’il appartenait au terroriste qui venait de se faire exploser. Elle était hospitalisée en décembre 2015 et en janvier 2016 pour soigner ses blessures sur sa jambe, puis ne pouvant rester seule, elle se réfugiait chez une amie, également victime des attentats du 13 novembre. Or, il s’avérera qu’il s’agissait d’un appartement mis à la disposition des terroristes en fuite, par deux complices. C’est ainsi que le 18 novembre elle et son amie étaient réveillées en pleine nuit par des bruits d’explosion provenant de l’assaut des forces de l’ordre contre les terroristes.
Le 7 avril 2016 le statut de victime d'acte de terrorisme a été reconnu à Mme [C] par le Fonds de Garantie des victimes d'actes de Terrorisme et d'autres Infractions (ci-après désigné «le FGTI»). Ce dernier lui a versé des provisions pour un montant total de 69.302€.
La cour d'assises de Paris l’a reçue en sa constitution de partie civile.
A la demande du FGTI, la victime a été examinée sur le plan somatique par le docteur [Z] à deux reprises le 2 février 2018 et le 4 février 2020. Celui-ci a conclu ainsi :
Blessures subies : plaies multiples au niveau de la face antérieure de l’abdomen, des bras et des cuisses et au niveau frontalDFTP : à 50% jusqu’au 31décembre 2015, à 25% du 1er janvier 2016 au 1er mars 2018Tierce personne : 4 heures par semaine du 13 novembre 2015 au 1er mars 2018Consolidation des blessures : 1er mars 2018Souffrances endurées : 4/7, préjudice PAMI majeurPréjudice esthétique : 3,5/7Préjudice d’agrément : conduites d’évitement dans les lieux très fréquentésIncidence professionnelle : impossibilité d’effectuer des extras en restauration au stade de France ; gêne à la station debout prolongéeDépenses de santé futures : 5 consultations psychologiques de type EMDR
Un autre examen médical amiable a été pratiqué le 7 mai 2019 par le docteur [N] sur le plan psychiatrique
Le docteur [Z] a été chargé d’établir une synthèse et a conclu comme suit le 19 mars 2020 :
Dépenses de santé futures : 5 consultations psychologiques de type EMDR ;
- Absence de période d’arrêt des activités professionnelles ; exerçait en «extra» au moment des faits et aucun arrêt de travail n’a été ordonné.
- Tierce personne : 4 heures par semaine concernant l’aide aux courses et aux ménages
du 13 novembre 2015 au 15 mars 2016 ;
- Gêne temporaire partielle à 50% du 13 novembre au 31 décembre 2015 ;
- Gêne temporaire partielle à 25% du 1er janvier 2016 au 1er mars 2018,
- Consolidation : 1er mars 2018
- Incidence professionnelle : pertes de gains professionnels futurs : «il est retenu une impossibilité pour la patiente d’effectuer des extras en restauration stade de France compte tenu du traumatisme. Sur le plan orthopédique, il convient de retenir une gêne à la station debout prolongée. Par contre, les arrêts de travail à compter de mars 2018 jusqu’en janvier 2019, date à laquelle un abandon de poste a été effectif ne sont pas en lien avec l’accident qui nous occupe puisqu’ils ont été prescrits dans le cadre d’une chute sans lien avec l’attentat».
- Souffrances endurées : 4/7 ;
- Préjudice d’angoisse de mort imminente : majeur ;
- Préjudice esthétique permanent : 3,5/7 ;
- Déficit fonctionnel permanent : 13% ;
- Préjudice d’agrément : «il est retenu par le Docteur [N] des conduites d’évitement concernant les lieux très fréquentés ainsi que des difficultés à s’installer en terrasse» ;
Le FGTI a présenté une offre globale d’indemnisation le 27 avril 2020 à hauteur de 86.627,25 €, laquelle a été refusée le 9 décembre 2020 par la requérante.
Par acte délivré le 19 mai 2022 Mme [C] a fait assigner le FGTI devant ce tribunal aux fins de voir reconnaître son droit à indemnisation et de voir liquider ses préjudices.
Dans ses conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 8 février 2023, auxquelles il est référé expressément conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, Mme [C] demande au tribunal de :
«Vu l’article L.217-6 du Code de l’organisation judiciaire ;
Vu les articles L.126-1, L.422-1 et suivants, R.422-1 à R.422-9 du Code des assurances ;
Vu les articles 514 et suivants, l’article 700 du Code de procédure civile;
Vu les jurisprudences citées ;
Vu les pièces produites au soutien de la présente assignation ;
Il est demandé à la juridiction de céans de bien vouloir :
- CONSTATER que Madame [D] [C] a été victime d’un acte de terrorisme le 13 novembre 2015 et que son droit à indemnisation est entier en application des articles L.126-1 et L.422-1 et suivants du Code des assurances ;
- DÉCLARER recevable la présente assignation formulée au soutien des intérêts de Madame [D] [C] ;
En conséquence :
- ALLOUER à Madame [D] [C] en réparation de l’intégralité de son préjudice la somme de 289.040,71 euros – DEUX CENT QUATRE-VINGT-NEUF MILLE QUARANTE EUROS ET SOIXANTE ET ONZE CENTIMES, déduction à faire de la provision de 69.302 euros – SOIXANTE-NEUF MILLE TROIS CENT DEUX - déjà perçue, selon le détail suivant :
o 936 euros – NEUF CENT TRENTE-SIX EUROS - au titre des frais divers exposés avant consolidation ;
o 60.500 euros – SOIXANTE MILLE CINQ CENTS EUROS – en réparation de l’incidence professionnelle ;
o 48,46 euros – QUARANTE-HUIT EUROS ET QUARANTE-SIX CENTIMES – au titre des dépenses de santé actuelles ;
o 5.556,25 euros – CINQ MILLE CINQ CENT CINQUANTE-SIX EUROS ET VINGT-CINQ CENTIMES au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
o 45.000 euros – QUARANTE-CINQ MILLE EUROS – en réparation des souffrances endurées ;
o 75.000 euros – SOIXANTE-QUINZE MILLE EUROS – au titre de son préjudice d’angoisse de mort imminente ;
o 39.000 euros – TRENTE-NEUF MILLE EUROS – en réparation de son déficit fonctionnel permanent ;
o 8.000 euros – HUIT MILLE EUROS – au titre de son préjudice d’agrément ;
o 25.000 euros – VINGT-CINQ MILLE EUROS – en réparation de son préjudice esthétique.
o 30.000 euros – TRENTE MILLE EUROS – en réparation du préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme.
Au surplus,
- CONDAMNER le Fonds de Garantie des victimes des actes de Terrorisme et d’autres Infractions (FGTI) à verser à Madame [D] [C] la somme de 3.000 euros – TROIS MILLE EUROS – au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- LAISSER les dépens de la présente instance à la charge du Trésor Public ;
- JUGER n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
Et, en conséquence :
- PRONONCER l’exécution provisoire de la décision à intervenir sans en limiter la portée.
Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 23 mai 2023, auxquelles il est référé expressément conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions demande au tribunal de :
FIXER la réparation du préjudice de Madame [D] [C] ainsi qu’il suit :
- Dépenses de santé actuelles : 48,46€
- Tierce personne temporaire : 936€
- Incidence professionnelle : 10.000€
- Déficit fonctionnel temporaire : 5.556,25€
- Souffrances endurées : 15.000€
- préjudice d’angoisse de mort imminente : 15.000€
- Déficit fonctionnel permanent : 30.160 €
- Préjudice d’agrément : 5.000 €
- Préjudice esthétique : 8.000€
CONSTATER l’offre du Fonds de Garantie de payer à Madame [D] [C] :
- PESVT : 30 000 €
JUGER que viendront en déduction les provisions déjà perçues
DEBOUTER Madame [C] du surplus de ses prétentions plus amples ou contraires et notamment ses demandes au titre des frais irrépétibles et des dépens
LIMITER l’exécution provisoire à hauteur des offres du Fonds de garantie.
La clôture de la présente procédure a été prononcée le 28 septembre 2023.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties quant à l’exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.
L'affaire a été mise en délibéré au 25 avril 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I- SUR LES DEMANDES DE LA VICTIME DIRECTE
A. Sur le droit à indemnisation
Aux termes de l’article L 126-1 du code des assurances, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou tout militaire, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L 422-1 à L 422-3.
Selon l'article 421-1 du code pénal, "constituent des actes de terrorisme, lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, les infractions suivantes et notamment les atteintes volontaires à la vie, les atteintes à l'intégrité de la personne, l'enlèvement et la séquestration".
Il n'est pas contesté et il résulte en tout état de cause de l'analyse de la procédure que Mme [C] a été victime de l'attentat survenu le 13 novembre 2015 au stade de France.
Par conséquent, le FGTI sera condamné à l’indemniser des conséquences dommageables de l’attentat.
B. Sur l'évaluation du préjudice
Au vu de l'ensemble des éléments versés aux débats, le préjudice subi par Mme [C] née le [Date naissance 1] 1992 et âgée par conséquent de 23 ans lors de l'attentat, de 25 ans à la date de consolidation de son état de santé, et exerçant la profession de serveur en extra lors des faits, sera réparé ainsi que suit, étant observé qu'en application de l'article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, d'application immédiate, le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge.
I. Préjudices patrimoniaux
- Dépenses de santé avant consolidation
Les dépenses de santé sont constituées de l’ensemble des frais hospitaliers, de médecins, d’infirmiers, de professionnels de santé, de pharmacie et d’appareillage en lien avec l’accident.
Aux termes du relevé de créance définitive les prestations en nature versées par la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 6] se sont élevées à la somme de 1.316,48€ € au titre de frais hospitaliers et médicaux, de 390,05€ au titre des frais pharmaceutiques et de 644,47€ au titre des indemnités journalières versées.
Mme [C] sollicite l’allocation de la somme de 48,46€ au titre des dépenses de santé restées à sa charge. Elle produit un avis de paiement de l’hôpital de [Localité 7] pour les soins du 14 novembre 2015. Le FGTI indique accepter la demande, soit 48,46€.
- Assistance tierce personne provisoire
Il convient d'indemniser les dépenses destinées à compenser les activités non professionnelles particulières qui ne peuvent être assumées par la victime directe durant sa maladie traumatique, comme l'assistance temporaire d'une tierce personne pour les besoins de la vie courante, étant rappelé que l’indemnisation s'entend en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée. Le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être subordonné à la production de justificatifs des dépenses effectives.
En l'espèce, il ressort du rapport d'expertise que le besoin en tierce personne a été de 4 heures par semaine du 13 novembre 2015 au 15 mars 2016 pour l’aide aux courses et au ménage. Sur la base de 13 € de l’heure Mme [C] réclame la somme de 936 € (18 semaines x 4 heures x 13 €), somme acceptée par le FGTI. Il sera dès lors alloué la somme de 936€.
- Perte de gains professionnels
Il s'agit de compenser les répercussions de l'invalidité sur la sphère professionnelle de la victime jusqu'à la consolidation de son état de santé. L'évaluation de ces pertes de gains doit être effectuée in concreto au regard de la preuve d'une perte de revenus établie par la victime jusqu'au jour de sa consolidation.
Mme [C] qui était en contrat d’apprentissage préparatrice en pharmacie au moment de l’attentat, ne réclame aucune somme à ce titre.
- Dépenses de santé futures
Aucune somme n’est réclamée à ce titre
- Perte de gains professionnels futurs
Aucune somme n’est réclamée à ce titre.
- Incidence professionnelle
Ce poste d'indemnisation a pour objet d'indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle, ou de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu'elle exerçait avant le dommage au profit d'une autre qu'elle a du choisir en raison de la survenance de son handicap. Ce poste indemnise également la perte de retraite que la victime va devoir supporter en raison de son handicap, c'est-à-dire le déficit de revenus futurs, estimé imputable à l'accident, qui va avoir une incidence sur le montant de la pension auquel pourra prétendre la victime au moment de sa prise de retraite.
Mme [C] fait état d’une pénibilité accrue au travail. Elle expose qu’en juillet 2016 elle a entrepris une formation en alternance pour devenir assistante dentaire mais qu’elle a dû stopper un premier emploi car le cabinet dentaire comprenait deux étages et qu’elle avait trop mal aux jambes. Elle indique avoir retrouvé un poste équivalent mais aménagé avec pauses régulières. Elle se réfère par ailleurs à l’emploi de serveur en extra qu’elle exerçait dans le bar l’Events à raison de 4 heures par jour du lundi au vendredi et un week-end sur deux et qui lui étaient rémunérés 1.136,80 € brut par mois. Dès lors, pour justifier sa demande elle multiplie le salaire annuel net par son taux de DFP de 13%, soit 60.387,99 € et elle forme au total une demande à hauteur de 60.500 €.
Le FGTI estime que la requérante ne justifie pas de la nécessité d’une reconversion et d’un lien entre l’attentat et son abandon d’un premier poste en qualité d’assistante dentaire. Il fait observer que si elle a bénéficié de la qualité de travailleur handicapé le 23 septembre 2019 c’est à la suite d’un accident du travail (chute d’un escabeau) qui lui a valu une année d’arrêt de travail.
Par ailleurs, s’agissant de son activité complémentaire comme serveuse il note qu’aucun bulletin de salaire n’est produit et qu’en tout état de cause cette activité n’aurait pas pu perdurer longtemps puisqu’au moment des faits elle était étudiante. Enfin il fait valoir que la méthode de calcul retenue n’est pas recevable puisque l’incidence professionnelle est indépendante des revenus perçus et qu’elle n’est pas corrélée au taux de DFP, mais doit être appréciée in concreto. Il offre la somme de 10.000 € du fait de la pénibilité accrue reconnue lors de l’expertise.
En l'espèce, il convient de rappeler que l’évaluation de l’incidence professionnelle ne peut être corrélée au revenu perçu puisqu’elle n’a pas pour objectif de réparer une seconde fois la perte de gains mais plutôt d’indemniser in concreto une perte d’opportunités dans la sphère professionnelle. En tout état de cause la requérante fonde son calcul sur son salaire en qualité de serveuse, alors d’une part qu’il s’agissait d’un emploi qui n’aurait pas perduré et que d’autre part, mise à part une attestation du gérant du bar EVENTS qui précise avoir embauché la requérante du 1er janvier au 13 novembre 2015, il n’est produit ni contrat de travail, ni bulletins de salaire. En revanche le docteur [Z] a retenu une gêne à la station debout du fait des blessures sur la jambe blessée et particulièrement au niveau de la cuisse gauche, gêne qui rend pénible la station debout prolongée. Mme [C] était âgée de seulement 25 ans à sa consolidation et elle sera donc en activité pendant de longues années. L’incidence professionnelle est donc caractérisée et sera indemnisée à hauteur de la somme de 30.000€.
II. Préjudices extra-patrimoniaux
- Déficit fonctionnel temporaire
Ce poste de préjudice indemnise l'invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique. Le déficit fonctionnel temporaire inclut pour la période antérieure à la date de consolidation, l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d'hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique.
En l'espèce, il ressort du rapport d'expertise que ce déficit peut être fixé à 50% du 13 novembre au 31 décembre 2015 et à 25% du 1er janvier 2016 au 1er mars 2018. Sur la base de 25€ par jour, Mme [C] réclame la somme de 5.556,25€ ( 49 jours x 25€ x 50%) + ( 791 jours x 25€ x 25%). Cette somme est acceptée par le FGTI et sera alloué à la requérante, soit 5.556,25€.
- Souffrances endurées
Il s'agit de toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime durant la maladie traumatique, c'est-à-dire du jour de l'accident à celui de sa consolidation. A compter de la consolidation, les souffrances endurées vont relever du déficit fonctionnel permanent et seront donc indemnisées à ce titre.
En l'espèce, elles sont caractérisées par le traumatisme initial, les traitements subis et le retentissement psychique des faits s’agissant notamment des blessures et plaies multiples causées par l’explosion de la bombe du terroriste, le transport à l’hôpital pour pose de 20 points de suture au niveau du front et d’une suture sur la cuisse droite, puis plus tard l’apparition d’une surinfection sur la cuisse gauche nécessitant des soins infirmiers pendant deux mois, le tout provoquant des douleurs à la marche avec sensation de décharges électriques au niveau de la face antérieure de la cuisse gauche, sans oublier le stress post traumatique sévère engendré par la violence de l’événement, que ce soit la première explosion ou la seconde quelques jours plus tard à [Localité 7]. Elles ont été cotées à 4/7 par l’expert.
Dans ces conditions, il convient d'allouer la somme de 35.000 € à ce titre.
- Préjudice d'angoisse de mort imminente
L'angoisse liée à une situation ou à des circonstances exceptionnelles résultant de la commission d'un acte de terrorisme soudain et brutal provoquant chez la victime, pendant le cours de l'événement, une très grande détresse et une angoisse dues à la conscience d'être confrontée à la mort caractérise une souffrance psychique spécifique. Cette souffrance est, par ailleurs, spécifique du fait du contexte collectif de l'infraction subie qui a amplifié ce sentiment d'angoisse, notamment du fait du nombre de personnes impliquées, de leurs réactions, ainsi qu'en raison de l’importante couverture médiatique en temps réel de cet acte de terrorisme.
En l'espèce, Mme [C] s’est retrouvée dans une véritable scène de guerre. Elle se situait près de la porte du stade de France où les deux explosions ont retenti. Elle a eu son corps recouvert par des morceaux de chair du terroriste et s’est retrouvée avec un bras de ce dernier sur elle. Elle explique qu’elle a ressenti un sentiment intense d’effroi, la peur qu’elle allait mourir de manière imminente. Le docteur [Z] a caractérisé «un état de stress aigu au décours immédiat des faits du 13 novembre 2015, avec un état dissociatif et une exposition traumatique majeure». Ce préjudice sera réparé par la somme de 15.000 €.
- Déficit fonctionnel permanent
Ce préjudice a pour composante les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, les douleurs qui persistent depuis la consolidation, la perte de la qualité de la vie et les troubles définitifs apportés à ces conditions d'existence.
La victime souffrant d’un déficit fonctionnel permanent évalué à 13% par l’expert compte-tenu des séquelles orthopédiques et psychologiques relevées et Mme [C] étant âgée de 25 ans lors de la consolidation de son état, il lui sera alloué une indemnité de 33.800 € (valeur du point fixée à 2.600 €).
- Préjudice esthétique permanent
Ce préjudice est lié à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers, et ce de manière pérenne à compter la date de consolidation.
Le docteur [Z] l’a décrit comme suit :
«Existence d’une très légère boiterie à la marche à gauche.
Une zone érythémateuse à la face antéro interne au tiers inférieur de la cuisse gauche mesurant 10 cm sur 10 cm avec une zone cicatricielle blanchâtre ovalaire mesurant 3 cm sur 2 cm et une seconde zone mesurant 2 cm sur 1 cm. Au sein de cette zone érythémateuse, il existe une perte de substance avec creux de 1 à 2 cm hypoesthésique.
Au tiers inférieur de la jambe gauche une cicatrice ovalaire rougeâtre mesurant 2 cm.
Existence de cicatrice au niveau abdominal au nombre de 2 mesurant 2 à 3 cm de long érythémateuse.
Cicatrice localisée à la face externe de la jambe droite mesurant 2 cm sur 1 cm érythémateuse, une cicatrice localisée à la face externe de la cuisse droite mesurant 2 cm sur 1 cm également rougeâtre.
Existence d’une cicatrice localisée au niveau frontal transversal mesurant 7 cm de long sur 0,5 cm d’épaisseur.
Au total, l’examen clinique retrouve des cicatrices étagées, une perte de substance au niveau du tiers moyen interne de la cuisse gauche avec hypoesthésie en regard ainsi qu’une limitation de 5°
de la flexion active du genou gauche mesuré à 135°
se dit complexée du fait notamment des cicatrices sur ses jambes, particulièrement visibles , outre une très légère boiterie et une perte de substance au niveau de la cuisse gauche.»
Ce préjudice a été côté à 3,5 /7 et il sera réparé à hauteur de 20.000 €.
- Préjudice d'agrément
Ce préjudice vise à réparer le préjudice spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs ainsi que les limitations ou difficultés à poursuivre ces activités. Ce préjudice particulier peut être réparé, en sus du déficit fonctionnel permanent, sous réserve de la production de pièces justifiant de la pratique antérieure de sports ou d’activités de loisirs particuliers.
En l'espèce, il convient de noter que la requérante justifie de la pratique du futsal au sein de l’association LE BARCA DE [Localité 7] pour les saisons 2013 /2014 et 2015/2016. Elle indique que l’attentat a mis fin à sa pratique et qu’elle a arrêté en cours d’année. Le docteur [N] a relevé «des conduites d’évitement concernant les lieux très fréquentés ainsi que des difficultés à s’installer en terrasse». Le préjudice allégué est compatible avec l’examen de l’expert.
Il convient dans ces conditions d'allouer la somme de 5.000 € à ce titre.
- Préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme
Ce poste de préjudice exceptionnel est destiné a prendre en compte la spécificité de la situation des victimes d'un acte de terrorisme et notamment l'état de stress post traumatique et les troubles liés au caractère de cet événement, en raison des circonstances particulières de commission des faits et de leur résonance.
Ce poste de préjudice a été retenu par le Fonds de Garantie à la suite d’une délibération de son conseil d’administration du 19 mai 2014 et est destiné à prendre en compte la spécificité de la situation des victimes directes ou indirectes d’un acte de terrorisme et notamment de l’état de stress post traumatique et des troubles liés au caractère particulier de cet événement.
En l’espèce, l’acte de terrorisme du 13 novembre 2015 a été commis dans des circonstances particulières de volonté affirmée et revendiquée par les terroristes d’intimidation et de terreur d’une Nation entière afin de porter atteinte à l’État français et à ses citoyens dans leur ensemble. Ces faits dramatiques ont, en outre, eu une résonance importante dans l’opinion publique et dans les médias de façon durable.
Ces faits à la dimension nationale et même internationale causent à la victime de manière permanente un préjudice moral exceptionnel lié au caractère collectif de l’acte subi, aux motivations de ses auteurs, à la médiatisation des faits et ont eu une résonance particulière pour elle du fait de sa présence sur les lieux de l’attentat.
Il sera ainsi alloué à une somme de 30.000 € en réparation de ce chef de préjudice, somme sollicitée par la requérante et acceptée par le FGTI.
II- SUR LES AUTRES DEMANDES
Les intérêts des sommes allouées courront à compter du jugement en vertu de l’article 1231-7 du code civil.
Le FGTI prendra à sa charge les dépens de l’instance.
En outre, il sera condamné à payer à la requérante une somme de 2.500€ en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Rien ne justifie d'écarter l'exécution provisoire dont la présente décision bénéficie de droit, conformément aux dispositions des articles 514 et 514-1 du code de procédure civile, s'agissant en effet d'une instance introduite après le 1er janvier 2020.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,
Dit que Mme [D] [C] a été victime d'un acte de terrorisme le 13 novembre 2015 à [Localité 6] et qu'elle relève des dispositions des articles L126-1 et L422-1 et suivants du code des assurances ;
Condamne le Fonds de Garantie des victimes d'actes de Terrorismes et d'autres Infractions à payer à Mme [D] [C] les sommes suivantes en réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittances, provisions non-déduites :
- dépenses de santé actuelles : 48,46 €
- assistance par tierce personne temporaire : 936 €
- incidence professionnelle : 30.000 €
- déficit fonctionnel temporaire : 5.556,25 €
- souffrances endurées : 35.000 €
- préjudice d’angoisse de mort imminente : 15.000 €
- déficit fonctionnel permanent : 33.800 €
- préjudice esthétique permanent : 20.000 €
- préjudice d’agrément : 5.000 €
- PESVT : 30.000 €
Ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ;
Déclare le présent jugement commun à la Caisse Primaire d'Assurance-Maladie de [Localité 6] ;
Condamne le FGTI aux dépens de l’instance ;
Condamne le FGTI à payer à Mme [D] [C] la somme de 2.500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rappelle que la présente décision bénéficie de l'exécution provisoire de droit ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Fait et jugé à Paris le 25 Avril 2024
Le GreffierLa Présidente