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25/04/2024 | FRANCE | N°21/14571

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre 1ère section, 25 avril 2024, 21/14571


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Expéditions exécutoires délivrées à : Me BERNARDINI #E399, Me BATS #B0134
Copie certifiée conforme délivrée à : Me BOUCHENARD #P117




3ème chambre
1ère section

N° RG 21/14571 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVRWM

N° MINUTE :

Assignation du :
24 novembre 2021











JUGEMENT
rendu le 25 avril 2024



DEMANDERESSE

S.A.S. [B]
[Adresse 2]
[Localité 1]

représentée par Me Carole BERNARDINI, avocat au b

arreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E0399 & Me Jean-Pierre STOULS du Cabinet STOULS & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant

DÉFENDERESSES

S.A.S. DESIGN MARKET
[Adre...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Expéditions exécutoires délivrées à : Me BERNARDINI #E399, Me BATS #B0134
Copie certifiée conforme délivrée à : Me BOUCHENARD #P117

3ème chambre
1ère section

N° RG 21/14571 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVRWM

N° MINUTE :

Assignation du :
24 novembre 2021

JUGEMENT
rendu le 25 avril 2024

DEMANDERESSE

S.A.S. [B]
[Adresse 2]
[Localité 1]

représentée par Me Carole BERNARDINI, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E0399 & Me Jean-Pierre STOULS du Cabinet STOULS & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant

DÉFENDERESSES

S.A.S. DESIGN MARKET
[Adresse 3]
[Localité 5]

représentée par Me Hugo BATS du Cabinet BATS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0134

Société THIS.SIGN
[Adresse 4]
[Localité 10] (ROYAUME-UNI)

représentée par Me Claire BOUCHENARD de la SELAS OSBORNE CLARKE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0117

Décision du 25 avril 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 21/14571
N° Portalis 352J-W-B7F-CVRWM

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Anne-Claire LE BRAS, 1ère Vice-Présidente Adjointe
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUIS, Juge,

assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière

DEBATS

A l’audience du 20 novembre 2023 tenue en audience publique avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 14 mars 2024.
Le délibéré a été prorogé en dernier lieu au 25 avril 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

Fondée en 1959, la société [B] a pour activité la commercialisation d’articles d’ameublement contemporains.
A ce titre, elle est titulaire des marques suivantes:- La marque verbale française « [B] » n°1571757 du 18 janvier 1990, régulièrement renouvelée, désignant « des meubles et leurs éléments constitutifs et notamment des sièges et des tables » en classe 20 ;
- La marque verbale de l’Union Européenne « Ligne [B] » n°516666 du 9 avril 1997, régulièrement renouvelée, désignant les classes 11 et 20 et en particulier les « meubles, sièges, fauteuils, canapés, sofas (…) » en classe 20 ;
- La marque verbale française « Ligne [B] » n°98757593 du 29 octobre 1998, régulièrement renouvelée, désignant les classes 11, 20, 21 et 27 et en particulier les « meubles, chaises, tabourets, bancs, fauteuils, canapés, divans, sofas (…) » en classe 20 ;
- La marque semi-figurative française « ligne [09] » n°3590210 du 23 juillet 2008, régulièrement renouvelée, désignant les classes 11, 20, 21 et 27 et en particulier les « meubles, sièges, fauteuils, chaises, tabourets, canapés, canapés convertibles (…) » en classe 20, telle que représentée ci-après :

La société [B] se prévaut également de droits d’auteur sur le modèle de canapé-coussin “TOGO”, créé par [L] [W], ancien salarié membre du bureau d’études de la société [B], ci-dessous représenté:

La société [B] est également titulaire :- D’un modèle français n°112398 déposé le 5 février 1974, en vigueur jusqu’au 5 février 2024:

- D’une marque tridimensionnelle de l’Union Européenne n°16691537 du 9 septembre 2017, désignant les « meubles et ameublement, sièges » en classe 20:

La société Design Market exploite une plateforme de vente de mobilier vintage entre vendeurs professionnels et particuliers, via le site internet www.design-market.fr.
La société [B] affirme avoir constaté que la société Design Market offrait à la vente sur son site internet des modèles qu’elle identifie comme étant des modèles de canapés “TOGO”, certains d’entre eux ayant subi des transformations qu’elle qualifie de substantielles.
Par un courrier du 4 juin 2021, la société [B] a mis en demeure la société Design Market de cesser ses agissements, dénonçant des actes de contrefaçon et des pratiques commerciales trompeuses et de lui communiquer les coordonnées du prestataire ou sous-traitant exécutant le retapissage des produits ainsi qu’un état des ventes et des stocks. Aucun accord entre les parties n’a été trouvé. Décision du 25 avril 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 21/14571
N° Portalis 352J-W-B7F-CVRWM

La société [B] a fait dresser quatre procès-verbaux par un commissaire de justice les 27 mai, 16 juillet, 9 août et 13 septembre 2021, afin de faire constater la mise en vente des produits litigieux et l’achat d’un exemplaire par un tiers acheteur.
C’est dans ce contexte que par un acte de commissaire de justice du 24 novembre 2021, la société [B] a fait assigner la société Design Market devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de modèle, de droit d’auteur, de marques et en concurrence déloyale et parasitaire.
Parallèlement à la présente procédure, la société Design Market a fait assigner la société [B] en référé, par acte de commissaire de justice du 5 novembre 2021, devant le Président du Tribunal de commerce de Paris, pour dénoncer des actes de dénigrement. Le 3 décembre 2021, le juge des référés a renvoyé la société Design Market à saisir le tribunal pour la réparation de son préjudice.
Par acte de commissaire de justice du 21 mars 2022, la société Design Market a fait assigner en intervention forcée devant le tribunal judiciaire de Paris la société This.Sign en qualité de vendeur du fauteuil “TOGO” ayant fait l’objet du procès-verbal de constat d’achat par la société [B]. Cette affaire, enrôlée sous le numéro RG 22/04010, a été jointe à la présente instance sous le numéro RG 21/14571.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 février 2023, la société SAS [B] demande au tribunal, au visa des articles L. 111-1 et suivants, L. 331-1 et suivants, L. 511-1 et suivants et L. 713-2, L. 713-4, L. 713-5, L. 716-1, 716-7-1, L. 716-14 du code de propriété intellectuelle, ainsi que des articles 9 et 126 du Règlement sur la marque de l’Union Européenne et l’article 1240 du code civil, de : Déclarer recevables et bien fondées ses demandes incidentes contre la société Design Market et la société de droit anglais This.Sign LTD ; Débouter les défenderesses de l’ensemble de leurs demandes ; Les condamner au titre des actes de contrefaçon de son modèle français n°112398; Les condamner au titre des actes de contrefaçon de son droit d’auteur sur le modèle de canapé « TOGO»; Les condamner au titre des actes de contrefaçon des marques françaises et de l’Union Européenne « [B] » et « Ligne [B] » n°1571757, 516666, 98757593, 3590210 et de sa marque tridimensionnelle de l’Union Européenne n°16691537; Les condamner au titre des actes de concurrence déloyale ; Leur faire défense de reproduire et/ou faire reproduire, commercialiser et/ou faire commercialiser, et plus généralement exploiter, sous quelque forme que ce soit, à quelque titre que ce soit et sur quelque support que ce soit, les marques litigieuses dans un délai de huit jours suivant signification du jugement à intervenir et sous astreinte ; Ordonner la saisie ou la remise entre les mains d’un tiers aux fins de destruction à leurs frais de l’ensemble des modèles portant atteinte à ses droits sur ses marques, à son droit d’auteur et à ses modèles ; Leur ordonner de lui communiquer les documents, notamment bancaires, comptables, administratifs et commerciaux relatifs au nombre de produits “TOGO” vendus et encore disponibles, la liste des distributeurs des fournisseurs de ces produits, les chiffres d’affaires sur ces produits, certifiés conformes par le régisseur ou un commissaire aux comptes, et ce depuis la date de son immatriculation, le 27 septembre 2018 ; Condamner solidairement les sociétés défenderesses à lui payer la somme provisionnelle de 300.000 euros à titre de dommages-intérêts à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice matériel et moral imputable à la contrefaçon, sauf à parfaire ; Condamner solidairement les sociétés défenderesses à lui payer la somme provisionnelle de 100.000 euros à titre de dommages-intérêts à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice imputable à des actes de concurrence déloyale, sauf à parfaire; Renvoyer les parties à la détermination amiable du préjudice subi par la société demanderesse sur la base des éléments comptables communiqués et à défaut par voie judiciaire ; Ordonner la publication du jugement à intervenir, aux frais des défenderesses, dans trois journaux ou sites Internet de son choix, dans la limite de 5.000 euros H.T par insertion. Les condamner aux entiers dépens comprenant les frais de constat et à la somme de 30 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 mars 2023, la société Design Market demande au tribunal, au visa des articles L. 111-1 et suivants, L. 511-1 et suivants, L. 711-1 et suivants, L. 713-4, L. 716-4-9, L. 716-4-10 du code de propriété intellectuelle, des articles 1101 et suivants, 1240, 1626 et 1627 du code civil et des articles 6 et 9 du code de procédure civile, de : Débouter la société [B] de l’ensemble de ses demandes ; Juger que la société [B] est déchue de ses droits sur la marque de l’Union Européenne n°516666 ; Juger nul le constat d’huissier réalisé le 13 septembre 2021 produit en pièce n°10 par la société [B], et l’écarter des débats ;
A titre subsidiaire, débouter la société [B] de toutes ses demandes du fait de l’absence de preuve du préjudice subi ; A titre très subsidiaire, condamner la société This.Sign LTD à prendre en charge l’intégralité des condamnations ; A titre reconventionnel, condamner la société [B] à lui payer, au titre des actes de dénigrement commis à son encontre, les sommes de:- 10.328 euros au titre du préjudice matériel;
- 10.000 euros au titre du préjudice moral;
La condamner à publier le dispositif du jugement à intervenir sur son site internet accessible à l’adresse www.ligne-[09].com pendant deux mois, au plus tard dans les 7 jours de sa signification, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard ; Condamner in solidum la société [B] et la sociét This.Sign LTD à lui payer la somme de 25 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; Condamner la société [B] aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Hugo BATS.
La société This.Sign, régulièrement constituée, n’a pas conclu. Après délivrance d’une injonction de conclure pour l’audience de mise en état du 11 octobre 2022, une ordonnance de clôture partielle a été prononcée à son égard le 22 novembre 2022.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 28 mars 2023.
Les notes en délibéré échangées les 21 et 23 février 2024 n’ayant pas été autorisées par le tribunal, il y a lieu de les écarter.

MOTIFS

Sur la recevabilité de la demande reconventionnelle de la société Design Market en dénigrement

Moyens des parties

La société [B] estime que la société Design Market est irrecevable en sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts et mesure de publication sur le fondement du dénigrement, dans la mesure où cette demande a déjà été formée devant le juge des référés du tribunal de commerce qui l’a rejetée.
Rappelant que cette irrecevabilité ne peut être soumise au tribunal sans avoir été soulevée devant le juge de la mise en état, la société Design Market expose, en tout état de cause, qu’une ordonnance de référé n’a pas autorité de chose jugée au principal et conclut à la recevabilité de sa demande.
Appréciation du tribunal

Aux termes des dispositions de l’article 789 du code de procédure civile dans sa rédaction issue de l’article 4 du décret n°2019-1333 réformant la procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour : [...]6° Statuer sur les fins de non-recevoir.
Lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Toutefois, dans les affaires qui ne relèvent pas du juge unique ou qui ne lui sont pas attribuées, une partie peut s'y opposer. Dans ce cas, et par exception aux dispositions du premier alinéa, le juge de la mise en état renvoie l'affaire devant la formation de jugement, le cas échéant sans clore l'instruction, pour qu'elle statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Il peut également ordonner ce renvoi s'il l'estime nécessaire. La décision de renvoi est une mesure d'administration judiciaire.
Le juge de la mise en état ou la formation de jugement statuent sur la question de fond et sur la fin de non-recevoir par des dispositions distinctes dans le dispositif de l'ordonnance ou du jugement. La formation de jugement statue sur la fin de non-recevoir même si elle n'estime pas nécessaire de statuer au préalable sur la question de fond. Le cas échéant, elle renvoie l'affaire devant le juge de la mise en état.
Les parties ne sont plus recevables à soulever ces fins de non-recevoir au cours de la même instance à moins qu'elles ne surviennent ou soient révélées postérieurement au dessaisissement du juge de la mise en état.

En application de l’article 55 II du décret précité, le 6° de l’article 789 est applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020.
L’instance ayant été introduite par une assignation signifiée le 24 novembre 2021, l’article 789 6° du code de procédure civile, dans sa rédaction précitée, lui est applicable.
Par conséquent, la société [B], qui n’en a pas saisi le juge de la mise en état, n’est plus recevable à soulever cette fin de non-recevoir devant le tribunal.
Au surplus, il sera rappelé qu’en application de l’article 488 du code de procédure civile, une ordonnance de référé n’a pas, au principal, autorité de la chose jugée. Ce moyen ne peut davantage prospérer.
Sur la contrefaçon

Sur la contrefaçon de marque

Sur la demande reconventionnelle en déchéance de la marque verbale de l’Union Européenne n°516666

Moyens des parties

La société Design Market soutient que la société [B] ne rapporte aucune preuve de l’exploitation sérieuse de sa marque verbale de l’Union européenne “Ligne [B]” n°51666 dans les cinq ans précédant l’introduction de l’instance. Elle estime que les catalogues produits n’ont pas de force probante, que l’attestation du commissaire aux comptes n’est pas suffisamment précise et que plusieurs documents concernent des périodes antérieures à l’année 2016.
Rappelant que la marque tridimensionnelle dont elle est titulaire protège tout à la fois la forme caractéristique du fauteuil en litige et l’étiquette portant les éléments verbaux de la marque cousue au dos du canapé dans sa partie inférieure droite, la société [B] renvoie le tribunal aux catalogues et études de perception des marques produits, datés de 2016 à 2021, pour conclure qu’elle fait un usage mondial du signe, dans les conditions d’une marque notoire. En tout état de cause, elle affirme que la déchéance n’est encourue que pour l’avenir et ne fait pas obstacle à la caractérisation de la contrefaçon.
Appréciation du tribunal

L’article 58 du Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement Européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne, applicable à la date de la demande de déchéance, dispose que le titulaire de la marque de l'Union européenne est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l'Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon:a) si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n'a pas fait l'objet d'un usage sérieux dans l'Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, et qu'il n'existe pas de justes motifs pour le non-usage; toutefois, nul ne peut faire valoir que le titulaire est déchu de ses droits si, entre l'expiration de cette période et la présentation de la demande ou de la demande reconventionnelle, la marque a fait l'objet d'un commencement ou d'une reprise d'usage sérieux; cependant, le commencement ou la reprise d'usage fait dans un délai de trois mois avant la présentation de la demande ou de la demande reconventionnelle, ce délai commençant à courir au plus tôt à l'expiration de la période ininterrompue de cinq ans de non-usage, n'est pas pris en considération lorsque des préparatifs pour le commencement ou la reprise de l'usage interviennent seulement après que le titulaire a appris que la demande ou la demande reconventionnelle pourrait être présentée; [...]
2. Si la cause de déchéance n'existe que pour une partie des produits ou des services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, le titulaire n'est déclaré déchu de ses droits que pour les produits ou les services concernés”.

L’article 62 du même Règlement UE 2017/1001 dispose que : 1. La marque de l'Union européenne est réputée n'avoir pas eu, à compter de la date de la demande en déchéance ou de la demande reconventionnelle, les effets prévus au présent règlement, selon que le titulaire est déclaré déchu de ses droits en tout ou en partie. Une date antérieure, à laquelle est survenue l'une des causes de la déchéance, peut être fixée dans la décision, sur demande d'une partie. [...]
Une marque fait l'objet d'un usage sérieux lorsqu'elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l'identité d'origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l'exclusion d'usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque. L’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque doit reposer sur l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l’étendue et la fréquence de l’usage de la marque (CJUE, 22 octobre 2020, Ferrari, C-720/18, point 32 et 33 - CJUE, 11 mars 2003, Ansul, C-40/01).
A titre liminaire, il importe de souligner que, contrairement à ce qu’indique la société [B], la demande de déchéance formée par la société Design Market porte sur la marque verbale de l’Union Européenne “Ligne [B]” n°516666 du 9 avril 1997, régulièrement renouvelée, enregistrée dans les classes 11 et 20, en particulier pour les « meubles, sièges, fauteuils, canapés, sofas (…) » et non sur la marque tridimentionnelle de l’Union Européenne.
Décision du 25 avril 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 21/14571
N° Portalis 352J-W-B7F-CVRWM

La charge de la preuve de l’exploitation du signe repose sur le titulaire de la marque. Dès lors, il appartient à la société [B] de démontrer qu’elle a fait un usage sérieux de la marque “Ligne [B]” pour les produits désignés dans les classes 11 et 20 qui font l’objet de la présente contestation, dans les cinq années précédant la demande de déchéance formulée pour la première fois dans les conclusions n°1 de la société Design Market notifiées par voie électronique le 14 mars 2022, soit entre 14 mars 2017 et le 14 mars 2022.
Ainsi que le rappelle la jurisprudence du Tribunal de l’Union européenne, la condition relative à l'usage sérieux de la marque exige que celle-ci, telle qu'elle est protégée dans le territoire pertinent, soit utilisée publiquement et vers l'extérieur. Si elle s'oppose à tout usage minimal et insuffisant pour considérer qu'une marque est réellement et effectivement utilisée sur un marché déterminé, il n'en reste pas moins que l'exigence d'un usage sérieux ne vise ni à évaluer la réussite commerciale, ni à contrôler la stratégie économique d'une entreprise ou encore à réserver la protection des marques à leurs seules exploitations commerciales quantitativement importantes. L'usage sérieux d'une marque doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une utilisation effective et suffisante de la marque sur le marché concerné.
Au soutien de sa démonstration, la société [B] renvoie, sans davantage de développements, aux catalogues et études de perception de ses marques qu’elle verse aux débats et se prévaut également de décisions de justice allemande et belge précédemment rendues au sujet de cette même marque.
Il ressort toutefois de manière suffisante des éléments produits, en particulier des extraits de catalogues qui, s’ils ne sont pas tous datés, couvrent une période qui dépasse celle concernée par la demande de déchéance et comportent des photographies des fauteuils et canapés vendus sous la marque “Ligne [B]”, que la marque a été utilisée pour garantir l'identité d'origine des produits pour lesquels elle a été enregistrée, pendant la période de référence. La société demanderesse justifie par ailleurs que lesdits catalogues ont été tirés à hauteur de 285.080 exemplaires pour les exercices 2020-2021 et 2021-2022.
Elle produit également deux attestations du commissaire aux comptes, la société Inkipio Audit, datées des 2 septembre et 4 décembre 2020 faisant état, respectivement, d’un montant de 75.149.922 euros de cumul de commandes du fauteuil “TOGO” dans le monde, dans ses différentes déclinaisons disponibles au cours des huit dernières années et d’un montant de 90.986.722 euros de cumul de commandes dans le monde du modèle “TOGO” au cours des 9 dernières années (2012-2020), incluant donc l’Union Européenne. Ces éléments quantitatifs et financiers, s’ils ne font pas expressément référence à la marque “Ligne [B]”, permettent néanmoins d’établir le très grand nombre d’exemplaires vendus des fauteuils et canapés “TOGO” pendant la période de référence, étant souligné que les extraits de catalogues permettent d’établir que ces produits sont vendus sous la marque “Ligne [B]”. L’usage sérieux de la marque est ainsi démontré.
Par conséquent, la société Design Market sera déboutée de sa demande de déchéance de la marque verbale de l’Union Européenne “Ligne [B]” n°516666, dont est titulaire la société [B].
Sur la contrefaçon de marques

Sur la preuve des actes argués de contrefaçon

Moyens des parties

La société [B] soutient que, sous couvert de vendre des produits d’occasion dit “vintage”, la société Design Market offre à la vente ou vend sur son site internet des modèles de fauteuil “TOGO” de seconde main qui ont subi des transformations qui ne répondent pas à ses standards de qualité, sans autorisation et avec réapposition illicite de sa marque. Elle expose que certains de ces fauteuils constituent, compte-tenu des modifications substantielles subies, de véritables copies du modèle “TOGO”, dont quasiment plus rien n’est d’origine. Elle parle de produits totalement transformés, affectés dans leur intégrité. Elle considère qu’en reproduisant ainsi, de manière grossière, avec des matériaux dont l’origine n’est pas connue, le fauteuil “TOGO”, ses marques sont imitées, peu important que l’étiquette ait été finalement ôtée par le défendeur.
En réponse au moyen tiré de l’absence de preuve des faits argués de contrefaçon, la société [B] se prévaut de quatre procès-verbaux de constat qu’elle a fait dresser par des commissaires de justice, qu’elle estime parfaitement valables: Un premier procès-verbal de constat sur internet dressé par Me [K] le 27 mai 2021 permet, selon elle, de constater les très nombreuses offres à la vente de modèles de fauteuils “TOGO” d’occasion sur le site de la société Design Market, sans qu’il soit procédé à une distinction entre ceux qui demeurent en parfait état et ceux qui ont été transformés; un deuxième procès-verbal de constat d’achat par un tiers acheteur dressé par Me [M], le 16 juillet 2021 ainsi qu’un procès-verbal de réception de Me [K] le 9 août 2021 et un troisième procès-verbal de constat dressé par Me [K], le 13 septembre 2021, en présence de M. [B] et de Mmes [X] et [D], effectuant une analyse in concreto du fauteuil objet du constat d’achat. Elle conteste le fait que le commissaire de justice instrumentaire de ce troisième procès-verbal se soit contenté d’enregistrer les déclarations des membres de la société [B] mais estime qu’il a, au contraire, procédé à des constatations personnelles.

La société Design Market soutient que la société [B] ne rapporte pas la preuve des faits argués de contrefaçon. Elle invoque tout d’abord la nullité du procès-verbal de constat dressé le 13 septembre 2021 par Me [K], en ce qu’il constitue, selon elle, une saisie-contrefaçon déguisée dans la mesure où l’huissier de justice a procédé à une description détaillée du produit sans autorisation du juge. Elle estime, en tout état de cause, que ce procès-verbal est dépourvu de toute valeur probante. Outre le fait qu’il y a une rupture de traçabilité au moment de la réception du colis, elle souligne que l’analyse du fauteuil n’a pas été réalisée par un expert indépendant, le commissaire de justice instrumentaire ne faisant que reprendre à son compte les déclarations des employés et du dirigeant de la société [B], qui sont retranscrites dans le procès-verbal. Elle ajoute que les comparaisons qui sont faites avec un fauteuil “TOGO” contemporain ne peuvent pas être considérées comme pertinentes, le modèle litigieux étant d’occasion et portant les marques de l’usure normale du temps. Elle souligne encore l’absence de justificatif des éléments, matériaux et accessoires qui sont utilisés comme support de comparaison.
Appréciation du tribunal

Aux termes des dispositions de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Il est constant que la contrefaçon, fait juridique, se prouve par tous moyens. Dans ce cadre, il appartient au juge de s’assurer qu’il existe un juste équilibre entre la loyauté des preuves dont dépend le respect du droit au procès équitable, et le droit à la preuve des titulaires de droits de propriété intellectuelle qui doit leur permettre de réunir des preuves dans des conditions qui ne soient pas inutilement complexes ou coûteuses, afin d’assurer le respect de leurs droits.
En application de l’ article 1, II, 2° de l’ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut des commissaires de justice, ces derniers peuvent effectuer, à la requête de particuliers, des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. Ces constatations font foi jusqu'à preuve contraire.
a. Sur les procès-verbaux de constat présentés au soutien de l’action

En l’espèce, alors que dans la lettre de mise en demeure qu’elle a adressée à la société Design Market préalablement au présent contentieux et dans ses premières écritures, la société [B] admettait que les fauteuils litigieux étaient des modèles authentiques ayant subi des modifications, elle soutient, dans ses conclusions récapitulatives, qu’il s’agit de copies, tant les modifications réalisées, à supposer les modèles initiaux authentiques, ont été importantes.
Pour justifier de ces modifications d’ampleur des produits et de leur absence de conformité à ses standards de qualité, la société [B] verse aux débats un procès-verbal de constat sur internet dressé par Me [K] le 27 mai 2021, un procès-verbal de constat d’achat par un tiers acheteur dressé par Me [M], le 16 juillet 2021, un procès-verbal de réception du produit dressé par Me [K] le 9 août 2021 et un procès-verbal de constat dressé par Me [K], le 13 septembre 2021, en présence de M. [B] et de Mmes [X] et [D].
b. Sur le procès-verbal du 13 septembre 2021

-La demande de nullité du procès-verbal du 13 septembre 2021

En application des dispositions de l’article 1, II, 2° de l’ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 précitées, la société [B] pouvait requérir un commissaire de justice pour procéder à un constat d’achat par un tiers acheteur, dont l’indépendance n’est pas remise en cause, ainsi qu’à diverses constatations. Le produit commandé n’ayant pas été appréhendé par voie de saisie, il ne s’agit pas d’une saisie-contrefaçon déguisée. Le seul fait que le commissaire de justice ait procédé à des constatations lors de l’ouverture du colis ne fait pas encourir la nullité au procès-verbal qu’il a dressé à l’issue des opérations.
La demande tendant à ce que soit prononcée la nullité du procès-verbal de constat du 13 septembre 2021 est donc rejetée.
-La force probante du procès-verbal du 13 septembre 2021

En revanche, il appartient au tribunal d’apprécier la valeur probante des procès-verbaux qui lui sont soumis. Il est à ce titre constant que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales commande que la personne qui assiste l'huissier instrumentaire lors de l'établissement d'un procès-verbal de constat soit indépendante de la partie requérante (Cass. Civ. 1ère, 25 janvier 2017 pourvoi n°15-23.210).
Le procès verbal de constat sur internet dressé le 27 mai 2021 comporte, en premier lieu, des captures d’écran du site internet de la société Design Market permettant d’établir que sont offerts à la vente des canapés, fauteuils et ensembles de salon “vintage pour ligne [B]” “de [L] [W]”. Deux annonces ont été ouvertes par le commissaire de justice, portant l’une sur un “ensemble de salon vintage microfibre aubergine TOGO par [L] [W] pour Ligne [B] années 1970" et l’autre sur un “canapé vintage TOGO pour ligne [B] en microfibre jaune 1970", sur lesquelles est mentionné le retapissage du fauteuil, qui n’est pas contesté. La valeur probante de ce procès-verbal n’est pas discutée.
S’agissant ensuite du procès-verbal de constat de livraison du produit précédemment acheté sur le site de la société Design Market, dressé par Me [K] le 9 août 2021, si le commissaire de justice n’était pas présent au moment de la livraison du fauteuil commandé, il indique néanmoins, dans son procès-verbal, que le colis a été livré au pied de son étude à 20h34, quelques minutes avant de lui être présenté, qu’il s’agit bien du canapé commandé lors du constat du 16 juillet 2021 sur le site internet de la société Design Market et que le colis est intègre. Les photographies annexées à son acte permettent de relever que le fauteuil est enveloppé dans du plastique transparent et des morceaux de carton et porte une étiquette mentionnant le nom du destinataire, les coordonnées de l’étude du commissaire de justice ainsi que le numéro de commande. Cette référence correspond à celle qui est mentionnée sur la facture produite en pièce 13 par la société Design Market avec M. [V], représentant légal de la société This.Sign. Ces garanties apparaissent donc suffisantes pour considérer qu’il s’agit bien du fauteuil commandé, les scellés ayant été ensuite posés par le commissaire de justice, ce qui permet de garantir la traçabilité du produit.
Enfin, Me [K] a été requise par la société [B], le 13 septembre 2021, pour se rendre dans ses locaux et procéder à l’analyse du canapé après avoir constaté l’intégrité des scellés.
Or, force est de constater qu’un grand nombre de mentions faites par le commissaire de justice dans son procès-verbal ne sont que la reprise à son compte de déclarations de membres du personnel de la société Rozet, les opérations de constat se déroulant en présence de Mme [A] [X] responsable du service après-vente technique, Mme [F] [D], responsable qualité service après-vente technique et M. [Y] [B]. De fait, les observations et analyses faites par les membres du personnel, dépendant de la société [B], qui ne sont confortées par aucune expertise indépendante ou élément extérieur de nature à les étayer, ne peuvent être considérées comme suffisamment probantes.
Il en est de même des comparaisons auxquelles procède le commissaire de justice entre le fauteuil objet du constat d’achat et un “canapé original”, dont on suppose qu’il est neuf, mais pour lequel aucun élément précis n’est fourni permettant d’identifier les caractéristiques, à l’exception d’une photographie. Aucun élément n’est davantage fourni, en dehors de ces déclarations, pour démontrer que les boutons et autres accessoires ne sont pas d’origine et ne sortent pas des usines de la demanderesse. En tout état de cause, une comparaison entre un produit d’occasion datant des années 1980, qui porte nécessairement les marques de l’usure du temps, et un produit neuf ne peut être considérée comme pertinente.
Seules peuvent être finalement considérées comme probantes, les constatations objectives auxquelles le commissaire de justice a, seule, procédé, qui sont: “A l’ouverture de la toile de fond, je constate la présence de l’inscription “1283” indiquant que celle-ci date de 1983 et sort bien des usines de l’entreprise [B]”, ce qui permet d’établir, à tout le moins, qu’il s’agit, à l’origine, d’un fauteuil authentique et “A l’ouverture en fond de chauffeuse, je constate la présence de trois morceaux de mousse: deux à l’état ancien et un à l’état neuf”, “à l’arrière de la chauffeuse, je constate la présence de l’étiquette “[B]”, modifications dont se prévaut la société [B] au soutien de sa demande sur le fondement de la contrefaçon, ainsi que les photographies annexées au procès-verbal de constat, dont six d’entre elles sont ci-dessous reproduites (annexes n° 8, 14, 35, 51, 54 et 81):

Sur l’exception d’épuisement des droits et la contrefaçon

Moyens des parties

En réponse au moyen tiré de l’épuisement des droits sur les marques, opposé par la société Design Market, la société [B] répond que les conditions requises pour l’application de cette exception ne sont pas remplies. Elle estime en effet que la défenderesse ne démontre pas que les produits sont authentiques et ont été achetés à des particuliers en Europe. Elle conteste en outre tout risque de cloisonnement des marchés et de tarissement de la source d’approvisionnement de nature à justifier un renversement de la charge de cette preuve, dans la mesure où elle ne s’oppose pas à la libre circulation de fauteuils d’occasion, s’ils sont dans leur état d’origine.
En tout état de cause, elle invoque un motif létigime au sens de l’article L. 713-4 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle, lui permettant, de s’opposer à l’épuisement des droits dans la mesure où les produits litigieux marqués ont été substantiellement modifiés, la loi ne distinguant pas, d’ailleurs, entre petites et grandes modifications. Elle estime qu’il n’y a rien d’étonnant à réserver au titulaire de droits, dans la lignée de son monopole légal, la rénovation de sa création esthétique protégée ou à tout le moins subordonner à son autorisation la possibilité pour un tiers de le faire. Elle dénonce la commercialisation par les défenderesses de modèles vulgarisés par un retapissage grossier, des copies médiocres emballées dans du plastique alors que la spécificité du fauteuil “TOGO” est de n’être composé que de mousse et d’une housse cousus selon un savoir-faire qui lui est propre, avec un jeu de tension entre les fils et les boutons qui donne au fauteuil sa forme particulière. Elle en déduit que les agissements des défenderesses portent atteinte à son image de prestige, à l’allure du produit, au “made in France”, au savoir-faire artisanal d’excellence, mais également à sa renommée.

Elle considère que la fonction de garantie d’origine des produits est par ailleurs très fortement affectée, puisque le produit vendu n’est pas intègre. Le consommateur est, selon elle, trompé sur l’origine des produits qui ne présentent pas les standards de qualité qu’elle s’impose et ne répondent pas aux exigences de confort et de longévité de ses produits. L’atteinte à ces fonctions de qualité et à sa communication constituent aussi un motif légitime.Elle dénonce encore d’autres usages illicites de ses marques, sur le site internet de la société Design Market, dans le fond des canapés ou encore sur les emballages. Elle considère que la suppression ou la modification d’une marque, dans le cadre du retapissage notamment, constituent une modification de l’état du produit et qu’un tel usage de la marque est hors du champ de l’épuisement des droits.

La société [B] invoque enfin une marque de renommée, pour faire obstacle à l’épuisement des droits, mais également comme fondement autonome, estimant remplir les critères d’application.

Sur la mise en cause de la société This.sign, la société [B] soutient que la défenderesse ne démontre pas que cette société serait le vendeur des produits incriminés. Elle sollicite toutefois le prononcé d’une mesure d’interdiction à l’égard des deux parties. Elle conteste le fait que la société Design Market ne soit qu’un intermédiaire, estimant que cette qualification ne lie que les deux défenderesses. Elle conclut au rôle actif de la société Design Market, en raison des mentions sur les annonces et invoque ses conditions générales de vente qui lui donnent un droit discrétionnaire pour accepter ou refuser une annonce, témoignant ainsi de son contrôle. Elle estime qu’elle engage sa responsabilité en tant que place de marché en ligne.

La société Design Market conteste sa mise en cause et soutient qu’elle n’est qu’un intermédiaire mettant en relation un vendeur et un acheteur et conteste tout rôle actif.
Elle oppose à la société [B] l’épuisement des droits sur ses marques. Elle considère qu’elle se contredit en contestant dans ses dernières écritures que les produits ont pu être mis dans le commerce avec son consentement dans l’Union Européenne. Soutenant qu’il s’agit d’un argument tardif, la société Design Market se prévaut d’un risque de cloisonnement du marché, puisque la société [B] dispose d’un réseau de distribution exclusive et qu’elle multiplie les réclamations à l’encontre des sociétés qui investissent le marché de la seconde main, pour invoquer un renversement de la charge de la preuve. Elle conclut qu’il appartient à la société [B] de démontrer que les canapés litigieux ont été mis sur le marché en dehors de l’Union Européenne.

Elle considère, en tout état de cause, que la demanderesse ne dispose d’aucun motif légitime pour s’opposer à l’épuisement des droits. Elle souligne que l’exception s’explique par la fonction de garantie d’identité d’origine attachée à la marque et que cette atteinte n’est constituée que lorsque les conditions de présentation ou de commercialisation de produits en cause ne permettent pas au consommateur normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si lesdits produits proviennent du titulaire de la marque ou au contraire d’un tiers. Elle estime qu’en l’espèce il n’y a aucune atteinte à la fonction de garantie d’origine des marques alors que l’utilisateur du site sait qu’il s’agit de biens d’occasion, de fauteuils restaurés et retapissés. Elle ajoute que la société [B] ne démontre pas l’absence de conformité aux standards des produits [B] et conteste toute atteinte à son image.

Sur la marque de renommée, la société Design Market souligne que la société [B] ne fait aucune démonstration, les pièces produites étant des preuves à elle-même ou de faible valeur.

Appréciation du tribunal

S’agissant de la marque de l’Union européenne, l'article 9 du règlement (UE) 2017/1001 du parlement européen et du conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne intitulé " Droit conféré par la marque de l'Union européenne ", dispose que :1. L'enregistrement d'une marque de l'Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif.
2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque :
a) ce signe est identique à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée ; […]
3. Il peut notamment être interdit, en vertu du paragraphe 2 :
a) d'apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement ;
b) d'offrir les produits, de les mettre sur le marché ou de les détenir à ces fins sous le signe ou de fournir des services sous le signe ; […]
4. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité de la marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est en outre habilité à empêcher tout tiers d'introduire des produits, dans la vie des affaires, dans l'Union sans qu'ils y soient mis en libre pratique, lorsque ces produits, conditionnement inclus, proviennent de pays tiers et portent sans autorisation une marque qui est identique à la marque de l'Union européenne enregistrée pour ces produits ou qui ne peut être distinguée, dans ses aspects essentiels, de cette marque.
Le droit conféré au titulaire d'une marque de l'Union européenne en vertu du premier alinéa s'éteint si, au cours de la procédure visant à déterminer s'il a été porté atteinte à la marque de l'Union européenne, engagée conformément au règlement (UE) n° 608/2013 le déclarant ou le détenteur des produits apporte la preuve que le titulaire de la marque de l'Union européenne n'a pas le droit d'interdire la mise sur le marché des produits dans le pays de destination finale.

En application des dispositions de l'article L. 717-1 du code de propriété intellectuelle, constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur la violation des interdictions prévues aux articles 9, 10, 13 et 15 du règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne.
Décision du 25 avril 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 21/14571
N° Portalis 352J-W-B7F-CVRWM

L’article 15 du règlement 2017/1001 sur la marque de l’union européenne intitulé “Epuisement du droit conféré par la marque de l’Union européenne”, dispose que 1. Une marque de l’Union européenne ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produit qui ont été mis sur le marché dans l’EEE sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement. 2. Le paragraphe 1 n’est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s’oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l’état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce.

S’agissant des marques françaises, en application de l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :1° D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;
2° D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque.
L'article L.716-4 du code de la propriété intellectuelle dispose en outre que l’atteinte portée au droit du titulaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Constitue une atteinte aux droits attachés à la marque la violation des interdictions prévues aux articles L. 713-2 à L. 713-3-3 et au deuxième alinéa de l'article L. 713-4.

Transposant en droit interne l’article 15 de la directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du conseil du 16 décembre 2015, l’article L. 713-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans l'Union européenne ou dans l'Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.Toutefois, faculté reste alors ouverte au titulaire de la marque de s'opposer à tout nouvel acte de commercialisation s'il justifie de motifs légitimes, tenant notamment à la modification ou à l'altération, ultérieurement intervenue, de l'état des produits.

Le droit exclusif du titulaire d’une marque de consentir à la mise sur le marché d’un produit revêtu de sa marque, qui constitue l’objet spécifique du droit de marque, s’épuise ainsi par la première commercialisation de ce produit avec son consentement. A partir du moment où le titulaire d’une marque a mis sur le marché ou autorisé la commercialisation dans un pays de l’Union Européenne de produits revêtus de sa marque, il ne peut plus restreindre ou interdire la circulation de ces produits marqués à travers les divers Etats membres. L’épuisement des droits garantit ainsi la libre circulation des marchandises et fait obstacle à la possibilité, pour le titulaire de ce droit, de s’opposer aux reventes successives d’exemplaires de produits marqués dont il a déjà autorisé la mise en circulation.
L’extinction du droit exclusif résulte donc soit du consentement du titulaire à une mise dans le commerce dans l’espace économique européen, que ce soit de manière expresse ou implicite, soit de la mise dans le commerce dans ledit espace économique par le titulaire lui-même. De fait, le titulaire de la marque, en vendant le produit, a réalisé la valeur économique de la marque. Cette exercice du droit exclusif, qui se traduit par le consentement à la commercialisation ou la mise dans le commerce des produits couverts par la marque, constitue donc un élément déterminant de l'extinction de ce droit.
En principe, s’agissant d’un moyen de défense au fond, il appartient à celui qui se prévaut de l’épuisement du droit d’en rapporter la preuve pour chacun des produits concernés (CJUE, 17 novembre 2022, Harman, C-175/21, point 50 et jurisprudence citée.)
Cependant, dans son arrêt Sté Van Doren c/ Sté Lifestyle sports rendu le 8 avril 2003 (aff. C -244/00), la Cour de justice de l’Union Européenne, statuant sur l'interprétation des articles 28 CE et 30 CE (protection de la libre circulation des marchandise) ainsi que de l'article 7 paragraphe 1 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, telle que modifiée par l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992, a dit pour droit que “les exigences découlant de la protection de la libre circulation des marchandises, consacrée, notamment, aux articles 28 CE et 30 CE, peuvent nécessiter que cette règle de preuve subisse des aménagements. Ainsi, dans l'hypothèse où le tiers parvient à démontrer qu'il existe un risque réel de cloisonnement des marchés nationaux si lui-même supporte la charge de cette preuve, en particulier lorsque le titulaire de la marque commercialise ses produits dans l'Espace économique européen au moyen d'un système de distribution exclusive, il appartient au titulaire de la marque d'établir que les produits ont été initialement mis dans le commerce par lui-même ou avec son consentement en dehors de l'Espace économique européen. Si cette preuve est apportée, il incombe alors au tiers d'établir l'existence d'un consentement du titulaire à la commercialisation ultérieure des produits dans l'Espace économique européen”.
a. Sur l’épuisement du droit de marque

Or, en l’espèce, la société Design Market qui publie sur sa plateforme en ligne des offres à la vente de produits d’occasion commercialisés pour la première fois il y a parfois plusieurs décennies, comme c’est le cas en l’espèce du fauteuil objet du procès-verbal de constat d’achat qui date des années 1980, à des consommateurs particuliers de surcroît, se heurte à la difficulté voire à l’impossibilité de rapporter la preuve, si ce n’est de la personne à qui le produit a été acheté, des différents opérateurs de la chaîne de distribution lui permettant de remonter jusqu’à la première mise dans le commerce du produit revêtu de la marque. Il doit en outre être souligné que ce n’est que tardivement, dans la présente procédure, que la société [B] a contesté l’origine des produits et leur commercialisation dans l’espace économique européen (ci-après EEE) .
Au surplus, il sera observé que la société [B] ne conteste pas commercialiser ses produits via un réseau de distribution sélective dans l’EEE et a sollicité des plateformes de seconde main la communication des noms de leurs fournisseurs. Il en résulte un risque de cloisonnement du marché qui justifie également un renversement de la charge de la preuve.
Il incombe par conséquent à la société [B] d'établir que les produits ont été initialement mis dans le commerce par elle-même ou avec son consentement en dehors de l'EEE.
Or, la société [B], qui ne s’est pas préconstituée cette preuve en utilisant, par exemple, un système de marquage de la destination géographique des produits permettant de déterminer si l’exemplaire litigieux était ou non destiné au marché de l’EEE, ne rapporte pas cette preuve. Par conséquent, il y a lieu de considérer que s’applique la présomption d’épuisement des droits.
b. Sur le motif légitime

La société [B] oppose toutefois un motif légitime, qu’il lui appartient de démontrer, pour s’opposer à un nouvel acte de commercialisation alors même qu’il serait admis que les produits ont été mis dans le commerce dans l’EEE sous sa marque, par elle ou avec son consentement.
Les dispositions précitées énoncent que le motif légitime peut, notamment, tenir à la modification ou à l’altération ultérieure de l’état des produits, sans que les contours de cette atteinte à l’état d’origine du produit ne soient davantage précisés par les textes.
L’atteinte à “l'image de sérieux et de qualité qui s'attache à un tel produit ainsi qu'à la confiance qu'il est susceptible d'inspirer au public concerné” préjudicie à la marque. (CJCE 26 avr. 2007, Boehringer Ingelheim E.A., aff. C-348/04 point 43). L’altération du produit peut également concerner la question du conditionnement ou de l’image de marque du produit (CJUE, 23 avr. 2009, aff. C-59/08, Copad c/ Dior). En effet, l’atteinte à la réputation de la marque ou du fabriquant, qui peut résulter de modalités de vente incompatibles avec l’image de marque et de prestige des produits ou de la renommée du titulaire de la marque, peut constituer un motif légitime.
La Cour de justice de l’Union européenne précise, dans son arrêt rendu le 8 juillet 2010 Portakabin BV c. Primakabin BV, qu’il y a également un motif légitime au sens de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 89/104, lorsque le revendeur donne, par son annonce faite à partir du signe identique ou similaire à la marque, l’impression qu’il existe un lien économique entre lui et le titulaire de la marque, et notamment que l’entreprise du revendeur appartient au réseau de distribution du titulaire de cette marque ou qu’il existe une relation spéciale entre les deux entreprises. En effet, une annonce susceptible de donner une telle impression n’est pas nécessaire pour assurer la commercialisation ultérieure de produits mis sur le marché sous la marque par le titulaire ou avec son consentement et, partant, pour assurer l’objectif de la règle d’épuisement prévue à l’article 7 de la directive 89/104 (voir, en ce sens, arrêts BMW, précité, points 51 et 52, ainsi que du 26 avril 2007, Boehringer Ingelheim e.a., C-348/04, Rec. p. I-3391, point 46) (point 80), ajoutant qu’à cet égard, force est de constater que, lorsque le revendeur enlève, sans le consentement du titulaire d’une marque, la mention de cette marque sur les produits (démarquage) et remplace cette mention par une étiquette portant le nom du revendeur, de sorte que la marque du fabriquant des produits concernés soit entièrement dissimulée, le titulaire de la marque est habilité à s’opposer à ce que le revendeur utilise ladite marque pour annoncer cette revente. En effet, en pareil cas, il existe une atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est d’indiquer et de garantir l’origine du produit et il est fait obstacle à ce que le consommateur distingue les produits provenant du titulaire de la marque de ceux provenant du revendeur ou d’autres tiers (voir, en ce sens, arrêts du 11 novembre 1997, Loendersloot, C-349/95, Rec. p. I-6227, point 24, ainsi que Boehringer Ingelheim e.a., précité, points 14, 32 et 45 à 47) (point 86).
Il est acquis que les protections conférées par le droit des marques ne doivent pas conduire à interdire le marché légitime des biens d'occasion, en tenant compte également des besoins d’entretien et de réparation inhérents à l’écoulement du temps. Cependant, lorsque le produit vendu sous la marque d’origine a, postérieurement à sa mise sur le marché autorisée, été transformé au point que sa nature en a été changée, alors la fonction essentielle de garantie d’origine du produit aux consommateurs par la mention de la marque est mise à mal.
En effet, dans une telle hypothèse, le consommateur risque d’être induit en erreur par la présence de la marque sur ce produit et imputer à son titulaire l’état modifié de ce produit, qui ne peut pourtant plus être considéré, compte-tenu des modifications essentielles dont il a été l’objet, comme celui dont la commercialisation sous la marque a été autorisée licitement par le titulaire de la marque.

-Sur la modification essentielle du produit affectant la garantie d’origine du produit

A titre liminaire, il importe de souligner que le public pertinent de la marque “Ligne [B]” est le consommateur de meubles et en particulier
de canapés, donc le grand public, d'attention moyenne à élevée s'agissant de produits relativement onéreux.

Le fauteuil “TOGO” est, quant à lui, décrit, dans la brochure réalisée pour les 40 ans du fauteuil versée aux débats, comme étant un fauteuil singulier: Il est dit “tout mousse” avec un savoir-faire plusieurs fois récompensé qui implique un“usage exclusif de la mousse pour sa structure [qui] en fait un siège unique, souple, accueillant, sans angle vif ni zone dure, sans danger pour les jeunes enfants [...] Sa structure entièrement constituée de mousses de 3 densités différentes : mousse polyéther 21 kg/m3 - 3,2 kPa, mousse polyéther 28 kg/m3 -4,8 kPa et mousse polyuréthane haute résilience 26 kg/m3 - 1,4 kPa. Sa housse est généreusement matelassée de ouate de polyester”. Il est précisé que “sa tapisserie met en oeuvre un savoir-faire artisanal unique où la main de l’homme reste irremplaçable, exécutant les gestes précis qui façonneront les célèbres plis qui donnent sa personnalité à chaque siège Togo. L’élasticité des mousses est dosée par la tension des fils de fixation de ses boutons-capitons, revêtus du même textile ou cuir que le siège lui-même. La confection d’une grande banquette nécessite un temps de fabrication de 4 heures en tissu et de presque 6 heures en cuir”.
Dès lors, la combinaison particulière de la housse et des mousses, assemblées et cousues selon une technique singulière qui lui confère son design, constitue l’essence même de ce fauteuil qui est dépourvu de toute structure rigide.
Or, il ressort en particulier du procès-verbal de constat du 13 septembre 2021, des photographies qui y sont annexées, ainsi que du fauteuil “TOGO” qui en est l’objet, versé aux débats, que ce dernier a non seulement été retapissé en Pologne, ce qui figure sur l’annonce à destination du consommateur et n’est pas contesté, mais qu’il a également été regarni de manière importante puisque la mousse centrale et la mousse de confort (annexe 54 du procès-verbal de constat) ont été changées, ce qui n’est pas, au demeurant, mentionné dans l’annonce au consommateur. Ces modifications ont impliqué de reprendre les boutons ainsi que les coutures du fauteuil, qui lui donnent son design si particulier. Les photographies annexées au procès-verbal de constat ainsi que le fauteuil produit permettent de constater la mauvaise facture des finitions: les surpiqûres et les plis du fauteuil sont décalés, les mousses ont été grossièrement recollées et la couture centrale est irrégulière.
De ce fait, dans la mesure où tant la housse, les mousses du fauteuil que leur assemblage ont été modifiés dans les conditions précédemment décrites, la société [B] démontre que le fauteuil “TOGO” litigieux a subi une modification essentielle ne respectant pas la configuration initiale du produit. N’ayant pas été intégralement portée à la connaissance du consommateur, informé uniquement d’un retapissage, cette modification essentielle le conduit à associer son résultat, un fauteuil de qualité moindre, au titulaire de la marque. La fonction Décision du 25 avril 2024
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essentielle de la marque, qui est de garantir l’origine du produit, est donc compromise. La société [B] justifie ainsi, au cas d’espèce, d’un motif légitime à s’opposer à l’effet de l’épuisement des droits.

S’agissant d’un produit identique à ceux pour lesquels les marques de la société [B] sont enregistrées, en particulier la marque française “[B]” et d’un signe identique, une étiquette de marque “[B]” étant cousue sur le fauteuil, ce qu’a constaté le commissaire de justice sur le fauteuil objet du constat d’achat, la contrefaçon de la marque “[B]” est caractérisée pour le public pertinent. Il en est de même s’agissant des marques “LIGNE [B]” et de la marque tridimensionnelle, étant au surplus souligné que la modification de l’apposition de la marque, nécessairement retirée pour être recousue différemment, ce qui apparaît sur les photographies, constitue également une atteinte ici démontrée. Il n’y a pas lieu d’examiner le moyen surabondant tiré de la renommée des marques.
En revanche, ainsi que le souligne d’ailleurs la société [B] en page 61 de ses écritures, la démonstration de la transformation du fauteuil objet du constat d’achat et de la modification de son état d’origine ne saurait être, par principe, étendue sous l’effet d’une simple “vraisemblance” à l’ensemble des annonces de fauteuils d’occasion publiées sur la plateforme de la société Design Market. En effet, l’étendue de la contrefaçon établie concerne uniquement le fauteuil “TOGO” acheté, dont la nature et l’ampleur des modifications ont été examinées. La contrefaçon est retenue s’agissant du canapé objet de la vente par un tiers acheteur, qui seul a fait l’objet de cet examen “in concreto” comme le souligne la société [B]. En revanche, elle n’est pas démontrée s’agissant des listes d’annonces indiquant simplement qu’il s’agit de vente de fauteuils d’occasion, ni des deux annonces ouvertes par l’huissier, la simple mention du retapissage sans qu’il soit possible d’examiner la transformation apportée, étant insuffisante.
b. Sur la responsabilité de l’éditeur du site et de la société This.sign

S’agissant du rôle de la société Design Market, il doit être rappelé qu’en application de l’article 6 I. 2 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère manifestement illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible.
La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 14 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (la directive sur le commerce électronique), doit être interprété en ce sens que la règle énoncée s'applique au prestataire d'un service de référencement sur internet lorsque ce prestataire n'a pas joué un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées. S'il n'a pas joué un tel rôle, ledit prestataire ne peut être tenu responsable pour les données qu'il a stockées à la demande d'un annonceur à moins que, ayant pris connaissance du caractère illicite de ces données ou d'activités de cet annonceur, il n'ait pas promptement retiré ou rendu inaccessibles lesdites données (CJUE, 23 mars 2010, Google France SARL, Google Inc. contre Louis Vuitton Malletier SA et Google France SARL contre Viaticum SA, Luteciel SAR, affaires jointes C-236/08 à C-238/08).Elle a encore dit pour droit que l'« exploitant joue un tel rôle (actif) quand il prête une assistance laquelle consiste notamment à optimiser la présentation des offres à la vente en cause ou à promouvoir celles-ci » (CJUE, 12 juillet 2011, L'Oréal e.a./eBay international e.a. C324/09), (Com., 1er juin 2022, 20-21.744). La Cour de justice de l’Union européenne a également dit pour droit que l’article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens que l’exploitant d’un site Internet de vente en ligne intégrant, outre les propres offres à la vente de celui-ci, une place de marché en ligne est susceptible d’être considéré comme faisant lui-même usage d’un signe identique à une marque de l’Union européenne d’autrui pour des produits identiques à ceux pour lesquels cette marque est enregistrée, lorsque des vendeurs tiers proposent à la vente, sur cette place de marché, sans le consentement du titulaire de ladite marque, de tels produits revêtus de ce signe, si un utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif de ce site établit un lien entre les services de cet exploitant et le signe en question, ce qui est notamment le cas lorsque, compte tenu de l’ensemble des éléments caractérisant la situation en cause, un tel utilisateur pourrait avoir l’impression que c’est ledit exploitant qui commercialise lui-même, en son nom et pour son propre compte, les produits revêtus dudit signe. Sont pertinents à cet égard les faits que cet exploitant recourt à un mode de présentation uniforme des offres publiées sur son site Internet, affichant en même temps les annonces relatives aux produits qu’il vend en son nom et pour son propre compte et celles relatives à des produits proposés par des vendeurs tiers sur ladite place de marché, qu’il fait apparaître son propre logo de distributeur renommé sur l’ensemble de ces annonces et qu’il offre aux vendeurs tiers, dans le cadre de la commercialisation des produits revêtus du signe en cause, des services complémentaires consistant notamment dans le stockage et l’expédition de ces produits (CJUE, 22 décembre 2022, Christian Louboutin c. Amazon C-148/21 et C-184/21).
Il importe donc de rechercher si l’éditeur a joué un rôle actif de connaissance ou de contrôle des données stockées quant au contenu mis en ligne.
Or, en l’espèce, il ressort du procès-verbal de constat du commissaire de justice du 27 mai 2021 produit que les annonces figurant sur la plateforme Design Market (URL https://www.design-market.fr/[06] https://www.design-market.fr/[07].html) comportent les mentions suivantes: “nos engagements: authenticité 100% garantie, Paiement 100% sécurisé, livraison sur mesure, satisfait ou remboursé”. Par ailleurs, dans le contrat de partenariat signé avec la société This.sign, versé aux débats, il est rappelé que la société Design Market fournit un “service d'authentification - une équipe d'experts authentifie tous les produits mis en ligne avant leur publication en ligne et peut décider de refuser certains articles” (article 1.1). Il se déduit de ces éléments que la société Design Market a connaissance des données qu’elle stocke pour proposer ses différents services allant au-delà du simple stockage et intervient dans la réalisation de la transaction qu’elle sécurise en qualité d’éditrice. Elle joue donc un rôle actif dans la mise en vente des produits litigieux, caractérisant ainsi sa participation à la commercialisation du produit contrefaisant.
S’agissant de la société This.Sign, la société Design Market produit un contrat de partenariat signé le 20 mars 2018, ainsi que la facture du fauteuil “TOGO” commandé par M. [P] [Z], tiers acheteur, datée du 29 juillet 2021 pour un montant de 1489 euros, au nom de M. [N] [V], représentant légal de la société This.Sign.
La responsabilité de cette dernière en qualité de vendeuse du fauteuil contrefaisant est donc établie.
Sur la contrefaçon de droit d’auteur

Moyens des parties

La société [B] estime que le modèle de fauteuil “TOGO”, créé par M. [W], son salarié pendant près de 26 ans, et qu’elle commercialise sous son nom depuis 1973, est protégé au titre des droits d’auteur. Elle se prévaut de la combinaison des caractéristiques suivantes pour démontrer l’originalité de son oeuvre : - une forme pensée comme " un tube de dentrifrice replié sur lui-même comme un tuyau de poêle et fermé aux deux bouts ";
- une structure constituée de trois mousses de densités différentes, sans point dur de type armature ou dossier ;
- une structure sans piètement, posée à même le sol, bouleversant encore davantage les codes du design au moment de son lancement en 1973 ;
- la découpe des mousses, notamment en biseau sur le haut du dossier, lui donne sa physionomie particulière de " tube de dentrifrice replié sur lui-même " ;
- la confection de la housse, généreusement matelassée et surdimensionnée, en bourrelets, plus resserrés à l'angle du canapé entre le dossier et l'assise qui lui donne sa physionomie de "tuyau de poêle" replié ;
- la tension des fils de fixation de ses boutons-capitons, revêtus du même textile ou cuir que le siège lui-même, ainsi que les piqûres et surpiqûres de la housse permettent de doser l'élasticité des mousses pour donner au modèle son aspect visuellement moelleux sans nuire à sa solidité ;
- les oreilles du canapé qui prennent enfin la forme de pointes dressées vers l'extérieur.

Elle conclut que le modèle de canapé TOGO porte l’empreinte de la personnalité de son auteur, fruit de ses réflexions sur les possibilités de créations de formes offertes par les nouveaux matériaux de l’époque (mousses, ouate de polyester).

Rappelant les termes de l’article L. 122-3 du code de la propriété intellectuelle, elle estime qu’en offrant à la vente des canapés regarnis et retapissés impliquant, selon elle, de dépecer le modèle pour le reproduire, elle s’est rendue responsable de contrefaçon de droit d’auteur. Le fait de réparation implique selon elle la reconstitution du modèle, ce qui n’est pas admis. Elle ajoute que des centaines de canapés “TOGO” sont représentés sans son autorisation sur le site Design Market et qu’il n’est pas nécessaire, pour qu’une contrefaçon soit établie, qu’il y ait eu vente effective, la participation à la commercialisation étant suffisante.

Elle écarte toute contestation de sa titularité des droits, invoquant la cession de droits à son profit par M. [W] le 2 février 1970, antérieure à l’entrée en vigueur des dispositions du code de la propriété intellectuelle que lui oppose la société Design Market, et souligne qu’en tout état de cause, une personne morale qui divulgue une création est présumée titulaire des droits sauf contestation par le créateur.

La société Design Market soutient tout d’abord que l’oeuvre n’est pas précisément identifiée alors qu’il existe plus de six cents versions, des dires mêmes de la société [B]. Elle ajoute ensuite que la demanderesse échoue à démontrer l’originalité faisant principalement état de caractéristiques structurelles et d’un procédé de création qui ne concernent pas l’extérieur de l’oeuvre.
Subsidiairement, la société Design Market se prévaut de l’épuisement du droit de distribution sur le fondement de l’article L. 122-3-1 du code de la propriété intellectuelle. Dans la mesure où il ressort de ses pièces que la société [B] a autorisé la première vente d’exemplaires en Europe, elle ne peut interdire la vente dans les états membres de l’UE.

Elle estime que n’est pas rapportée la preuve d’un acte de contrefaçon par reproduction du fauteuil “TOGO” et que la demanderesse ne procède à aucune comparaison des éléments originaux avec les fauteuils “TOGO” d’occasion.

Appréciation du tribunal

Sur l’identification de l’oeuvre

Il est constant qu’il appartient au demandeur à l’action en contrefaçon d’identifier précisément l’objet pour lequel la protection est invoquée.
En l’espèce, la société [B] se prévaut de droits d’auteur sur le modèle de fauteuil une place qu’elle commercialise sous le nom “TOGO”. Ce fauteuil, commercialisé depuis 1973, présente des caractéristiques constantes dont se prévaut la société [B], peu important que le fauteuil ait été décliné, depuis sa création, en plusieurs dimensions et coloris.
Il y a lieu de considérer que l’oeuvre alléguée est suffisamment identifiée.
Sur l’originalité et la titularité de l’oeuvre

L’oeuvre, au sens du code de la propriété intellectuelle, est l’oeuvre de l’esprit prévue à l’article L. 111-1 selon lequel l'auteur jouit sur l'œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. La protection d'une œuvre de l'esprit est acquise à son auteur du fait de la création d'une forme originale, en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable.
La propriété littéraire et artistique ne protège pas les idées ou concepts, mais seulement la forme originale sous laquelle ils se sont exprimés. Dans ce cadre, il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur dont l'existence est contestée de définir et d'expliciter les contours de l'originalité qu'il allègue. En effet, seul l'auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d'identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole.
L’article L.113-1 pose une présomption de titularité au profit de la personne physique sous le nom de laquelle l’oeuvre est divulguée. S’agissant des personnes morales, “l'exploitation non équivoque d'une oeuvre par une personne morale, sous son nom et en l'absence de revendication du ou des auteurs, fait présumer à l'égard du tiers recherché pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l'oeuvre, qu'elle soit ou non collective, du droit de propriété incorporelle de l'auteur” (Cass. 1ère Civ., 10 juillet 2014, pourvoi n° 13-16.465).
En l’espèce, il y a lieu de considérer que la combinaison des caractéristiques que sont une forme pensée comme " un tube de dentrifrice replié sur lui-même comme un tuyau de poêle et fermé aux deux bouts ", une structure sans piètement, posée à même le sol, la découpe des mousses en biseau sur le haut du dossier qui lui donne sa physionomie particulière de " tube de dentrifrice replié sur lui-même" , une confection en bourrelets, plus resserés à l'angle du canapé entre le dossier et l'assise lui donne sa physionomie de " tuyau de poêle " replié, les piqûres et surpiqûres de la housse qui donnent au modèle son aspect visuellement moelleux sans nuire à sa solidité et les oreilles du canapé prennent enfin la forme de pointes dressées vers l'extérieur, porte l’empreinte de la personnalité de l’auteur, [L] [W] ancien salarié de la société, et permettent de retenir l’originalité de l’oeuvre.
S’agissant de la titularité des droits, la société Design Market ne la conteste pas dans les motifs de ses écritures, indiquant, en page 2, que la société [B] s’en prévaut sans preuve. Cette dernière démontre toutefois commercialiser l’oeuvre depuis sa création, de manière continue et non équivoque, produisant aux débats des publicités pour ce produit vendu sous la marque [B]/ligne [B] depuis 1974 ainsi qu’un document, daté du 2 février 1970, signé par M. [W] aux termes duquel ce dernier déclare céder tous les droits patrimoniaux issus de la création par ses soins des modèles de sièges ou autres meubles à la société.Il est d’ailleurs cité comme créateur dans les annonces litigieuses. En l’absence de revendication de la part de l’auteur, la société [B] doit être présumée titulaire des droits patrimoniaux sur l’oeuvre.
Sur la contrefaçon de droit d’auteur

En application des dispositions des articles L. 122-1 et L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle, le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite.
La contrefaçon d’une œuvre protégée par le droit d’auteur, qui n’implique pas l’existence d’un risque de confusion, consiste dans la reprise de ses caractéristiques reconnues comme étant constitutives de son originalité. Elle ne peut toutefois être retenue lorsque les ressemblances relèvent de la reprise d’un genre et non de la reproduction de caractéristiques spécifiques de l’œuvre première.
L’article L. 122-3-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que dès lors que la première vente d'un ou des exemplaires matériels d'une oeuvre a été autorisée par l'auteur ou ses ayants droit sur le territoire d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, la vente de ces exemplaires de cette oeuvre ne peut plus être interdite dans les Etats membres de la Communauté européenne et les Etats parties à l'accord sur l'Espace économique européen.
Selon l'article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l' auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation , l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. La contrefaçon s'apprécie au regard des ressemblances et non des différences.

En l’espèce, comme il a été souligné précédemment concernant le droit des marque, la société [B] n’établit pas que les produits litigieux, qui sont authentiques, ont été initialement mis dans le commerce par elle-même ou avec son consentement en dehors de l'EEE. Dès lors, la règle de l’épuisement des droits de distribution a vocation à s’appliquer.
Cependant, cette règle ne concerne, en droit d’auteur, que le seul droit de distribution par la vente à l’exclusion des autres prérogatives patrimoniales de l’auteur. De ce fait, le titulaire n’est pas privé de la possibilité de faire valoir ses autres droits, en particulier le droit de reproduction, ou encore le droit au respect de l’oeuvre, lorsqu’il s’agit de l’auteur personne physique titulaire du droit moral.
Si la transformation d’une oeuvre, protégée par le droit d’auteur, peut être sanctionnée au titre de la contrefaçon comme étant une nouvelle reproduction de l’oeuvre, portant ainsi atteinte aux droits patrimoniaux de l’auteur, encore faut-il que le titulaire des droits explique en quoi les caractéristiques protégées ont été transformées, et, s’agissant de la forme ou de la structure interne et non visible de l’oeuvre, qui a une importance centrale en l’espèce, en quoi cette dernière a un lien direct et établi avec la forme externe de l’oeuvre.
Or, en l’espèce, la société [B] reprend le raisonnement tenu en matière de droit des marques, arguant de ce que les défendeurs proposent à la vente des fauteuils regarnis et retapissés voire copiés, sans procéder à une comparaison précise des caractéristiques des produits par rapport à l’oeuvre. En outre, la seule représentation de l’image du fauteuil, oeuvre protégée, dans le cadre d’annonces destinées au commerce d’occasion dont le caractère illicite n’est pas établi, n’est pas une contrefaçon. Dès lors, la contrefaçon de droit d’auteur n’est pas caractérisée.
Sur la contrefaçon de dessin et modèle

Moyens des parties

La société [B] se prévaut d’un modèle français n°112398, et considère que sa spécificité tient à la combinaison des caractéristiques que sont: - une forme pensée par le designer [W] comme “un tube de dentifrice replié sur lui-même comme un tuyau de poële et fermé aux deux bouts”;
- une structure constituée de trois mousses de densités différentes, sans point dur de type armature ou dossier, pour un confort moelleux mais soutenu;
- une structure sans piètement posée à même le sol;
- la découpe des mousses notamment en biseau sur le haut du dossier, qui lui donne une physionomie particulière de tube dentifrice replié sur lui-même;
- la confection de la housse, généreusement matelassée de ouate et surdimensionnée, en bourrelets, plus resserrés à l’angle du canapé entre le dossier et l’assise qui lui donne une physionomie de tuyau de poêle replié;
- la tension des fils de fixation de ses boutons-capitons, revêtus du même textile ou cuir que le siège lui-même ainsi que les piqûres et surpiquûres de la housse permettant de doser l’élasticité des mousses pour donner au modèle son aspect visuellement moelleux sans nuire à sa solidité;
- les extémités du modèle (les oreilles) qui prennent la forme de pointes dressées vers l’extérieur.
Selon elle, le fait que le modèle porte sur un canapé trois places et non deux places est indifférent.

Or, la société [B] estime que les modèles de fauteuil “TOGO” vendus en ligne sur le site de la société Design Market sont des modèles retapissés totalement reconstruits. Présentés comme authentiques, ils ont, selon elle, subi des transformations substantielles, modifiant l’apparence, la tenue, le volume, la densité l’alignement des coutures, les boutons, le revêtement. Elle conclut qu’ils constituent une reproduction servile de son modèle.

Elle ajoute que des centaines de canapés TOGO sont représentés sans autorisation sur le site de la société Design Market et que la société This.Sign devra être condamnée pour les mêmes motifs.

Rappelant que la contrefaçon d’un modèle s’apprécie au regard des caractéristiques déterminées par les seules reproductions contenues dans le certificat d’enregistrement et non en se référant exclusivement aux fauteuils commercialisés, la société Design Market souligne que le modèle déposé ne correspond pas à un canapé une place. Il n’y a donc selon elle aucune contrefaçon démontrée, la société [B] ne procédant, là encore, à aucune comparaison.
Elle invoque par ailleurs l’épuisement des droits de distribution. Elle considère que la société [B] a autorisé la première vente d’exemplaires de fauteuil “TOGO” si bien qu’elle ne peut interdire la vente de ces exemplaires dans les Etats membres de la communauté européenne et les états parties à l’EEE.

Appréciation du tribunal

L’article L. 513-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que sont interdits, à défaut du consentement du propriétaire du dessin ou modèle, la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation, le transbordement, l’utilisation ou la détention à ces fins, d’un produit incorporant le dessin ou modèle.
Décision du 25 avril 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 21/14571
N° Portalis 352J-W-B7F-CVRWM

L’article L. 513-5 du même code dispose que la protection conférée par l’enregistrement d’un dessin ou modèle s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’observateur averti une impression visuelle d’ensemble différente.
L’article L. 521-1 du code de la propriété intellectuelle en son premier alinéa dispose que toute atteinte portée aux droits du propriétaire d'un dessin ou modèle, tels qu'ils sont définis aux articles L. 513-4 à L. 513-8, constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur.
Il convient de rappeler que la contrefaçon d'un modèle s'apprécie au regard des caractéristiques protégées telles que déterminées par les seules reproductions graphiques ou photographiques contenues dans le certificat d'enregistrement. Elle s'apprécie par rapport aux ressemblances et non par rapport aux différences.
La société [B] est titulaire d’un modèle français n°112398 déposé le 5 février 1974, en vigueur jusqu’au 5 février 2024. Le modèle qu’elle verse aux débats à l’appréciation du tribunal est le n°112398 -005 représenté ci-dessous; elle n’en verse pas d’autre en dépit de l’attention attirée sur ce point par l’argumentation de la société Design Market:

Ce modèle de canapé deux places présente une structure sans piètement posé à même le sol. Il comporte des plis et bourrelets que le designer M. [W] décrivait comme donnant une impression de “un tube de dentifrice replié sur lui-même comme un tuyau de poële et fermé aux deux bouts”. Les extrêmités du modèle prennent la forme de pointes dressées vers l’extérieur. A l’arrière, est apposée l’étiquette de la marque. Les caractéristiques internes du produit, relatives à l’existence de mousses de densités différentes et à leur découpe particulière ne concernent pas l’apparence du produit, ses lignes, ses contours, sa forme, sa texture, ses matériaux, seules protégées au titre du modèle. En effet, la création n’est protégée qu’autant qu’elle est visible.
Or, il ressort des différents procès-verbaux de constat dressés par des commissaires de justice que le fauteuil litigieux est un fauteuil une place. Dès lors, le modèle soumis à l’appréciation du tribunal produit sur l’utilisateur averti une impression visuelle d’ensemble différente, quand bien même d’autres caractéristiques s’y retrouveraient. Cette différence entre le modèle déposé et le produit litigieux n’est pas insignifiante.
En tout état de cause, la société [B] ne procède, dans ses conclusions, à aucune comparaison des caractéristiques retenues du modèle avec celles du fauteuil litigieux.
La contrefaçon du modèle n’est pas caractérisée.
Sur la réparation de la contrefaçon de marques

Moyens des parties

La société [B] indique avoir évalué son préjudice provisoirement de manière forfaitaire et justifier tant de son chiffre d’affaires net sur les huit dernières années que des investissements réalisés pour son modèle de fauteuil “TOGO”. Elle estime que la société Design Market en a indûment profité pour vendre depuis 2018 plus de 500 produits avec des prix de vente entre 800 et 7.800 euros et qu’elle a, pour sa part, réalisé un chiffre d’affaires net entre 8 millions et 11 millions d’euros chaque année entre 2014 et 2019 et procédé à des investissements évalués à 5.150 euros, pour les visuels et la publicité.
La société Design Market conclut à l’absence de démonstration d’un préjudice réparable, aucun élément ne permettant à la société [B], dont elle rappelle la bonne santé financière et le succès des ventes du fauteuil “TOGO”, de solliciter le montant des dommages-intérêts formulé. Elle ajoute que les mesures réparatrices sollicitées sont disproportionnées.
Elle s’oppose également à la demande de droit d’information qu’elle estime formulée de manière trop générale et disproportionnée eu égard au secret des affaires. Elle considère que cette demande de communication de pièces ne peut servir à établir l’ampleur du préjudice et conduirait le tribunal à se substituer à la société [B] sur laquelle repose la charge de la preuve.
Appréciation du tribunal

L'article 130 alinéa 1. du Règlement (UE) 2017/1001 du parlement européen et du conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne intitulé " Sanctions " dispose que 1. Lorsqu'un tribunal des marques de l'Union européenne constate que le défendeur a contrefait ou menacé de contrefaire une marque de l'Union européenne, il rend, sauf s'il a des raisons particulières de ne pas agir de la sorte, une ordonnance lui interdisant de poursuivre les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon. Il prend également, conformément au droit national, les mesures propres à garantir le respect de cette interdiction.
L'article L. 717-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que les dispositions des articles L. 716-4-10, L. 716-4-11 et L. 716-8 à L. 716-13 sont applicables aux atteintes portées au droit du titulaire d'une marque de l'Union européenne.
L'article L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle dispose que pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

Il importe de rappeler que les différents chefs de préjudice listés par l'article précité doivent être considérés distinctement et non cumulativement pour permettre un dédommagement fondé sur une base objective et l'octroi d'une répartion adaptée au préjudice subi du fait de l'atteinte.
L’article L. 716-4-11 du même code dispose qu’en cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les produits reconnus comme produits contrefaisants et les matériaux et instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée.La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise.
Les mesures mentionnées aux deux premiers alinéas sont ordonnées aux frais du contrefacteur.

En l’espèce, la contrefaçon de marques étant établie, il convient de prononcer, à l’égard des défenderesses, une mesure d’interdiction, dans les conditions du dispositif de la présente décision, ainsi qu’une mesure de destruction du fauteuil dont la contrefaçon est démontrée, à leurs frais. Il sera également fait droit à la demande de publication de la décision sollicitée par la société [B] sur le fondement de l’article L. 716-4-11 du code de la propriété intellectuelle précité.
S’agissant de la demande de dommages-intérêts, la société [B] souligne demander à ce que le préjudice soit évalué de manière forfaitaire ainsi que le permet l’article L. 716-4-10 du code de propriété intellectuelle. Elle ne justifie d’aucun élément permettant d’établir “le montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte” requis pour l’application dudit alinéa et ne développe en outre aucun moyen au soutien de la réparation d’un préjudice moral.
Le préjudice n’est ici constitué que par le bénéfice indu réalisé par le contrefacteur s’agissant de la vente d’un fauteuil, dont la valeur est de 1489 euros selon la facture de vente produite établie par la société This.sign. Le préjudice sera réparé par l’allocation d’une somme provisionnelle de 1.000 euros que les sociétés Design Market et This.sign seront condamnées in solidum à payer à la société [B]. La demande de communication de documents complémentaires sollicitée sur le fondement de L. 716-4-9 du code de la propriété intellectuelle, pour parfaire la demande d’indemnisation, n’est pas fondée et sera rejetée.
Sur la concurrence déloyale et parasitaire

Moyens des parties

La société [B] estime que la société Design Market en commercialisant des dizaines de modèles “TOGO” a cherché à tirer un profit indu de sa notoriété, obtenue notamment grâce à des campagnes publicitaires de grande envergure, ce qui caractérise un comportement parasitaire. Elle ajoute que les modèles d’occasion et les modèles altérés sont présentés sans distinction de catégories sur la plateforme, ce qui témoigne également d’une volonté de se placer dans son sillage sans bourse délier. Elle dénonce encore la qualité médiocre des produits présentés “comme neufs”, ce qui trompe le consommateur, ainsi qu’une rupture dans les gammes de matériaux et de coloris proposés. Quant aux matériaux utilisés, elle dénonce une tromperie totale.
La société [B] se prévaut encore de propos dénigrants et demande réparation.

Elle conclut que ces actes distincts de concurrence déloyale sont de nature à engager la responsabilité civile solidaire des deux sociétés défenderesses. Il en résulte, selon elle, un trouble commercial qui doit être réparé.

La société Design Market conteste avoir commis des actes de parasitisme, alors qu’elle n’a commis aucune faute, aucun comportement déloyal, et que la société [B] ne démontre pas le préjudice économique qu’elle allègue.
Elle conteste l’allégation selon laquelle les annonces seraient présentées de la même manière alors qu’il est, sur les deux seules annonces ouvertes par le commissaire de justice dans le cadre du procès-verbal de constat du 23 mai 2021, bien spécifié que les produits ont été modifiés dans les ateliers du vendeur. Elle souligne que, contrairement à ce que prétend la société [B], les fauteuils “TOGO” retapissés ne sont pas présentés comme étant “comme neufs” et qu’en tout état de cause, cette formulation accrédite l’idée d’une utilisation préalable. Elle note n’avoir repris aucun slogan, aucune publicité, présentation commerciale ou visuel de la société [B].

Sur le grief tenant à la qualité des produits, cette allégation n’est, selon la société Design Market, étayée par aucune pièce.

La société Design Market souligne évoluer sur un marché différent, à savoir celui de la seconde main et du mobilier vintage, ce qui est rappelé sur son site internet de manière expresse, au contraire de la société [B], implantée sur le marché du produit neuf, qui affirme, sans le démontrer, offrir également un service de restauration de meubles. Elle conclut à l’absence d’acte déloyal.

Elle expose, en tout état de cause, que le préjudice avancé est en totale contradiction avec un chiffre d’affaire de la demanderesse qui a doublé s’agissant du fauteuil “TOGO” entre les années 2012 et 2020, et les dépenses de communication et de publicité qui ont, au contraire, été divisées par deux entre 2008 et 2020. Elle ajoute qu’aucun préjudice personnel n’est caractérisé. Elle souligne une progression de 40% des ventes en 2020 avec une augmentation du nombre de visites de clients, sur site et sur internet et un important chiffre d’affaire à l’export. Elle conclut à l’absence de préjudice démontré.

Appréciation du tribunal

L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Selon l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce, ce qui implique qu'un signe ou un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l'absence de faute, laquelle peut être constituée par la création d'un risque de confusion sur l'origine du produit dans l'esprit de la clientèle, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.
L'appréciation de cette faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté de l'usage, l'originalité et la notoriété de la prestation copiée.
Le parasitisme, qui n’exige pas de risque de confusion, consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
En l’espèce, la seule démonstration de la vente de produits d’occasion, dont la nature apparaît d’ailleurs très clairement sur le site internet à travers les mentions expresses de produits “vintage” ou “seconde main”, ne saurait être regardée comme illicite par principe. En effet, le simple fait de profiter de l’aura d’une marque en revendant des produits d’occasion n’est pas, de la même manière et par principe, un acte de parasitisme. La société [B] ne justifie, in concreto, que de la transformation d’un seul modèle dont il ne peut se déduire un comportement parasitaire. Elle ne démontre pas davantage que la société Design Market ait utilisé ses visuels publicitaires ou slogans de vente. Dès lors, il ne saurait être reproché à la société Design Market d’avoir “commercialisé des dizaines de modèles de canapé “TOGO”, modèle de prestige de [B] depuis 45 ans, dans toutes les dimensions de la gamme proposée par [B]”
Il en est de même du grief tiré de l’absence de création de catégories entre les fauteuils vendus en l’état et ceux ayant subi une modification, ces dernières n’étant, là encore, démontrées que pour un seul des modèles. Il doit en outre être souligné que si l’intitulé de l’annonce ne le mentionne pas, le retapissage du modèle est signalé dans les deux annonces ouvertes par le commissaire de justice dans le cadre de l’établissement du procès-verbal de constat du 27 mai 2021.
Quant à la qualité médiocre des produits proposés, outre le fait qu’elle n’est pas un fait distinct, elle n’est pas suffisamment démontrée pour l’ensemble des produits visés.
Enfin, s’agissant des faits allégués de dénigrement, la société [B] ne précise nullement dans ces écritures, le contexte dans lequel les paroles dénoncées auraient été prononcées, leur support d’expression et leurs destinataires. Il semblerait que les propos relatifs à la qualité des tissus aient été prononcés par une personne appelée“[N]”, qui serait le gérant de la société This.sign (pièce n°29) et non par la société Design Market. Il n’est dès lors pas établi que les propos aient été tenus publiquement pour jeter le discrédit sur un de ses produits dans le but d'inciter une partie de la clientèle de l'entreprise visée à s'en détourner. Il y a lieu, par conséquent, de considérer que les conditions du dénigrement ne sont pas non plus démontrées.

Sur l’appel en garantie de la société This.sign

Moyens des parties

La société Design Market indique que le fournisseur du fauteuil TOGO acheté le 16 juillet 2021 est la société This.sign. En application du contrat de partenariat qu’elles ont signé le 20 mars 2018, elle estime que cette dernière est responsable de toute réclamation relative à l’authenticité des produits proposés à la vente (article 7.1) et de tout défaut de conformité du bien avec la description publiée sur le site (article 5.1). Elle sollicite sa garantie de toute condamnation éventuellement prononcée à son encontre.
Appréciation du tribunal

En l’espèce, la société Design Market produit aux débats un contrat de partenariat signé le 20 mars 2018 avec la société This.sign Ldt, représentée par M. [N] [V].
Il est stipulé, à l’article 1.1 du contrat, que la société Design Market fournit un ensemble de services au marchand lui permettant d’offrir ses produits à la vente, en application de l’article 2.1, qu’aucune copie ou réplique ne sera publiée sur le site web, le marchand ne proposant que des objets authentiques dont la date de conception ou de création se situe entre 1900 et 2000, l’article 7.1 qu’il garantit l’authenticité des produits offerts à la vente et indique que le cocontractant fera son affaire de toute réclamation des bénéficiaires ou de l'acheteur sur l'authenticité des produits proposés à la vente. Enfin, il est stipulé à l’article 5.1 une obligation de conformité du produit livré avec sa description.
Ainsi, en offrant à la vente sur la plateforme de la société Design Market le fauteuil “TOGO” dont la contrefaçon a été caractérisée, la société This.Sign a manqué aux obligations contractuelles précitées et engage sa responsabilité contractuelle, à ce titre, à l’égard de la société Design Market.
Elle sera donc condamnée à la garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre pour ces faits.
Sur la demande reconventionnelle en dénigrement

Moyens des parties

Rappelant que le simple fait de dénoncer à la clientèle des agissements d’un concurrent désigné comme contrefacteur alors qu’aucune décision de justice ne vient en établir la réalité, la société Design Market dénonce le fait que la société [B] ait choisi de dire que les fauteuils “TOGO” présents sur son site sont des contrefaçons. Elle indique que les propos dénigrants ont été publiés pendant six mois au moins sur internet, que des mails ont été adressés à de potentiels clients et prospects et qu’elle a reçu un appel et un courriel, alors qu’aucune décision de justice définitive n’a été rendue. Elle relève que la société [B], qui conteste le principe de cette demande, n’oppose aucun argument.
Elle invoque un préjudice à double titre: matériel, car des prospects l’ont interrogée sur la véracité des propos et n’ont pas mené à bien leur recherche, qu’elle a été contrainte d’agir en référé, et moral, d’image et de réputation. Elle estime fondée sa demande de publication du jugement pour avertir les consommateurs.

La société [B] estime la société Design Market irrecevable et mal fondée, estimant que la société cherche à obtenir devant le tribunal judiciaire ce qu’elle n’a pas obtenu devant le tribunal de commerce. Elle doit être déboutée.
Appréciation du tribunal

Même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit ou un service commercialisé par l’autre, peut constituer un acte de dénigrement. Cependant, lorsque l’information en cause se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, cette divulgation relève du droit à la liberté d’expression, qui inclut le droit de libre critique, et ne saurait, dès lors, être regardée comme fautive, sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure (Cass. 1re civ., 11 juill. 2018, n° 17-21.457 )
Il est ainsi constant que le dénigrement est constitué lorsque les propos visent les produits, les services ou l'activité d'une entreprise et sont tenus dans le but d'inciter une partie de la clientèle de l'entreprise visée à s'en détourner.
De même, le fait de dénoncer à la clientèle les agissement d’un concurrent désigné comme contrefacteur alors qu’aucune décision ne vient en établir la réalité est constitutif d’acte de dénigrement.
En l’espèce, la société Design Market établit, au moyen d’un procès-verbal de constat dressé par Me [U], commissaire de justice, le 16 août 2021, que la société [B] a, sur son site internet accessible au public, publié un article intitulé “Quand les faux TOGO vintage trompent le consommateur” soulignant que “de nombreuses market-places proposent des TOGO retapissés ou “vintage” et que “la plupart de ces offres sont des contrefaçons”. Elle cite un TOGO dit “retapissé” de la market place “société Design Market” et publie des photographies le comparant à un TOGO dit authentique, soulignant que “la plupart de ces offres sont des contrefaçons ne respectant ni la qualité des matériaux ni la fabrication du TOGO. Les toiles de fond et les étiquettes sont aussi contrefaites”. La société Design Market produit également une copie d’écran démontrant que cet article est demeuré en ligne jusqu’au mois de décembre 2021, le conseil de la société [B] indiquant, dans un courriel du 3 janvier 2022, que la mention a été retirée à la suite d’une demande formulée en ce sens par le juge des référés du tribunal de commerce, saisi par assignation du 5 novembre 2021. Elle établit encore que des courriels ont été adressés en septembre 2021 à des clients potentiels qui l’interrogeaient sur l’authenticité des modèles vendus sur les market places telles que Design Market, la société [B], par l’intermédiaire de salariés, répondant que de nombreux modèles sont faux.
Ces propos tenus publiquement, de nature à jeter le discrédit sur les produits mis en ligne sur la plateforme de la société Design Market alors même qu’aucune décision de justice n’avait encore été rendue, constitue un fait de dénigrement.
La société justifie d’un préjudice matériel constitué par une perte de chance de réaliser des transactions qui sera indemnisé à hauteur de 500 euros et un préjudice moral, intégralement réparé par l’allocation d’une somme de 500 euros. En revanche, les frais exposés dans le cadre de la procédure de référé engagée devant le tribunal de commerce ne sauraient faire l’objet d’une indemnisation dans ce cadre. Enfin, le préjudice apparaît intégralement réparé sans qu’une mesure de publication ne soit ordonnée.
Sur les demandes annexes

Succombant, les sociétés Design Market et This.Sign seront condamnées in solidum aux dépens de l’instance.
Supportant les dépens, elles seront condamnées in solidum à payer à la société [B] la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile incluant les frais exposés pour les procès-verbaux de constat.
La présente décision est exécutoire de droit par provision.

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

REJETE les notes en délibéré échangées les 21 et 23 février 2024, non autorisées;

ECARTE la fin de non-recevoir soulevée par la société [B],

DÉBOUTE la société Design Market de sa demande de déchéance de la marque de l’Union Européenne “Ligne [B]”n°516666 dont est titulaire la société [B];

DÉBOUTE la société Design Market de sa demande d’annulation du procès-verbal de constat dressé par Me [O] [K], commissaire de justice à [Localité 8], le 13 septembre 2021;

FAIT INTERDICTION aux sociétés Design Market et This.Sign Ltd de faire usage des signes “[B]” et “LIGNE [B]” ou de tout autre signe reproduisant ou imitant les marques de la société [B], en ce compris la marque tridimentionnelle n°16691537, à quelque titre et sous quelque forme que ce soit, pour désigner un produit authentique de la gamme “TOGO” ayant subi une modification essentielle, sous astreinte provisoire de 1.000 euros par infraction constatée à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la signification du présent jugement;

SE RÉSERVE le contentieux de la liquidation de l’astreinte;

ORDONNE la destruction du fauteuil “TOGO” contrefaisant ayant fait l’objet du procès-verbal de constat d’achat du 16 juillet 2021 dressé par Me [M], au frais des sociétés Design Market et This.Sign;

CONDAMNE in solidum les sociétés This.Sign et Design Market à payer à la société [B] la somme provisionnelle de 1.000 euros en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon de marque;

DÉBOUTE la société [B] de sa demande de droit d’information et de communication d’éléments bancaires, commerciaux et comptables;

DÉBOUTE la société [B] de sa demande de dommages-intérêts provisionnels sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire;

ORDONNE la publication du dispositif du présent jugement aux frais des sociétés défenderesses dans trois journaux ou sites internet au choix de la société [B], pendant une durée de trois mois, sans que le coût global de ces publications n’excède la somme de 3.000 euros HT;

CONDAMNE la société This.Sign à garantir la société Design Market de l’ensemble des condamnations mises à sa charge;

CONDAMNE la société [B] à payer à la société Design Market la somme de 500 euros en réparation de son préjudice matériel et 500 euros en réparation de son préjudice moral, du fait des actes de dénigrement;

REJETTE la demande de publication de la décision formulée par la société Design Market;

REJETTE les autres demandes;

CONDAMNE in solidum les sociétés Design Market et This.Sign aux dépens de l’instance;

CONDAMNE in solidum les sociétés Design Market et This Sign à payer à la société [B] la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile incluant les frais exposés pour les procès-verbaux de constat;

RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit par provision.

Fait et jugé à Paris le 25 avril 2024

LA GREFFIÈRE LA PRESIDENTE
Caroline REBOULAnne-Claire LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 3ème chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 21/14571
Date de la décision : 25/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-25;21.14571 ?
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