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22/04/2024 | FRANCE | N°22/13164

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 18° chambre 2ème section, 22 avril 2024, 22/13164


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] C.C.C.F.E. + C.C.C.
délivrées le :
à Me GRAPPOTTE-BENETREAU (K111)
Me DEFIEUX (C0257)




18° chambre
2ème section


N° RG 22/13164

N° Portalis 352J-W-B7G-CYCCW

N° MINUTE : 7

Assignation du :
27 Octobre 2022












ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ÉTAT
rendue le 22 Avril 2024

DEMANDEUR

Maître [N] [G], ès-qualités de mandataire liquidateur de la succession de M. [W] [E]
[Adresse 2]
[Localité 3]
r>représenté par Maître Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #K0111, Me Yves-Marie MORAY, avocat au barr...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] C.C.C.F.E. + C.C.C.
délivrées le :
à Me GRAPPOTTE-BENETREAU (K111)
Me DEFIEUX (C0257)

18° chambre
2ème section

N° RG 22/13164

N° Portalis 352J-W-B7G-CYCCW

N° MINUTE : 7

Assignation du :
27 Octobre 2022

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ÉTAT
rendue le 22 Avril 2024

DEMANDEUR

Maître [N] [G], ès-qualités de mandataire liquidateur de la succession de M. [W] [E]
[Adresse 2]
[Localité 3]

représenté par Maître Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #K0111, Me Yves-Marie MORAY, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #E1244

DÉFENDERESSE

Madame [J] [C] veuve [I]
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Me Nicolas DEFIEUX, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C0257

MAGISTRAT DE LA MISE EN ÉTAT

Maïa ESCRIVE, Vice-présidente

assistée de Henriette DURO, Greffier

DÉBATS

A l’audience du 26 Février 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue par mise à disposition au greffe le 22 Avril 2024.

ORDONNANCE

Rendue publiquement
Contradictoire
En premier ressort susceptible de recours dans les conditions de l'article 795 du code de procédure civile

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant un acte authentique du 18 septembre 1991, Monsieur [M] [E] et Madame [S] [H], son épouse, ont donné à bail professionnel à leur fils, Monsieur [W] [E], des locaux situés [Adresse 1] à [Localité 4].
Le bail a été conclu à compter du 1er avril 1991 pour une durée de six ans, soit jusqu'au 31 mars 1997, avec tacite reconduction, moyennant le versement d'un loyer annuel en principal de 180.000 francs, soit 27.441 euros.

La destination contractuelle des locaux donnés à bail était "l'exploitation d'un cabinet généalogique (…) à l'exclusion de tout autre activité et toute usage commercial, industriel, artisanal ou d'habitation, même en partie. Le bailleur a déclaré que les locaux loués ont toujours eu une destination professionnelle".

Suivant un avenant en date du 20 octobre 1996 signé en présence de Madame [V] [E], sœur de Monsieur [W] [E], Madame [S] [H], veuve d'[M] [E], décédé le 16 septembre 1993, et Monsieur [W] [E] sont convenus d'une réduction du montant du loyer à compter du 1er septembre 1996 jusqu'au 31 mars 1997 fixé pendant cette période à 9.000 francs par mois (1.372 euros) pour tenir compte des difficultés économiques.

Le 15 juin 2000, un avenant n° 2 a été conclu entre les mêmes parties et une nouvelle réduction de loyer a été consentie portant le montant du loyer de 9.000 francs, soit 1.372 euros, à 7.500 francs, soit 1.143 euros à compter du 1er juin 2000.

A son terme, le bail s'est poursuivi tacitement.

Par jugement du 11 juillet 2007, le tribunal de grande instance de Paris, saisi par Madame [V] [E] épouse [R], a ordonné les opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de Madame [S] [H] épouse [E] décédée le 17 mai 2005.

Par jugement du 9 juillet 2012, le tribunal de grande instance de Paris a homologué les conclusions du rapport de l'expert judiciaire et a notamment ordonné sur les poursuites de la partie la plus diligente la licitation à la barre du tribunal des lots 151 et 152 de l'ensemble en copropriété situé [Adresse 1] à [Localité 4], le lot 152 étant celui donné à bail à Monsieur [W] [E]. Il a été interjeté appel de ce jugement et par un arrêt du 20 novembre 2013, la cour d'appel de Paris a notamment fixé la mise à prix des lots 151 et 152 et a retenu que Monsieur [W] [E] était débiteur envers l'indivision successorale de la somme de 11.557,67 euros correspondant aux charges locatives du lot 152 réglées pour son compte par le notaire.

Par jugement en date du 28 avril 2014 signifié le 11 juin 2014 à Monsieur [W] [E], le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris a prononcé l'adjudication du lot 152 pour la somme de 830.000 euros au profit des époux [I].

Par acte extrajudiciaire du 18 juin 2014, les époux [I] ont signifié à Monsieur [W] [E] un congé à effet du 31 mars 2015.

Par acte extrajudiciaire du 10 septembre 2015, les époux [I] ont fait signifier à Monsieur [W] [E] un commandement de payer visant la clause résolutoire portant sur une somme en principal de 111.034,99 euros, outre les frais d'acte de 416,08 euros.

Par jugement en date du 1er octobre 2015, le tribunal de grande instance de Paris a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de Monsieur [W] [E].

Le 18 novembre 2015, les époux [I] ont déclaré leur créance à titre privilégié auprès du mandataire judiciaire à hauteur de 111.034,99 euros pour la période antérieure au jugement d'ouverture et de 13.402,94 euros pour la période postérieure au jugement d'ouverture.

Le 1er mars 2017, Monsieur [Z] [I] est décédé. Madame [J] [C] veuve [I] est devenue seule propriétaire du lot 152 sis [Adresse 1] à [Localité 4].

Par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris du 15 février 2018, Maître [N] [G] a été désigné en qualité de mandataire judiciaire de la liquidation de Monsieur [W] [E].

Monsieur [W] [E] a libéré les locaux le 10 octobre 2018. Il est décédé le 18 avril 2019, laissant pour lui succéder la Société nationale de sauvetage en mer.

Par acte délivré le 27 octobre 2022, Maître [N] [G] en qualité de mandataire liquidateur de la succession de Monsieur [W] [E], a fait assigner devant ce tribunal Madame [J] [C] veuve [I] notamment aux fins de voir prononcer la nullité du bail du 18 septembre 1991, de ses avenants et de tous les actes pris sur leur fondement, invoquant la réglementation d'ordre public issue de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, condamner la partie défenderesse à restituer les sommes versées au titre du bail annulé, fixer l'indemnité d'usage pour un local d'habitation à la somme mensuelle de 1.190 euros, ordonner la compensation des sommes dues réciproquement par les parties et condamner la défenderesse à lui régler la somme de 1.017.728 euros avec intérêts.

Suivant des conclusions notifiées le 21 août 2023, Madame [J] [C] veuve [I] a saisi le juge de la mise en état d'un incident aux fins de voir déclarer irrecevable comme étant prescrite l'action en nullité du bail. Aux termes de ses dernières conclusions d'incident notifiées par voie électronique le 25 novembre 2023, elle demande au juge de la mise en état de :

Vu les articles 122 et 789, 6° du code de procédure civile,
Vu l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation,
Vu la jurisprudence et les pièces versées au débat,

- La déclarer recevable en son incident ;
- Prononcer l'irrecevabilité la demande d'annulation du bail du 18 septembre 1991 formulée dans l'assignation délivrée suivant exploit d'huissier en date du 27 octobre 2022, par Maître [G] ès-qualités à Madame [I], pour cause de prescription ;
- Condamner Maître [G] ès-qualités au paiement de la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner Maître [G] ès-qualités aux entiers dépens.

Madame [J] [C] veuve [I] ne conteste pas que la nullité d'un bail conclu en violation des dispositions de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation est une nullité absolue. Elle fait valoir qu'avant la réforme de la prescription par loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, les actions en nullité absolue étaient soumises, en l'absence de disposition spécifique, au délai trentenaire de droit commun prévu par l'ancien article 2262 du code civil ; qu'en application de cette disposition, l'action en nullité absolue d'un contrat conclu avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 se prescrivait par trente ans à compter de sa conclusion ; que la loi précitée, entrée en vigueur le 19 juin 2008, a réduit le délai de prescription des actions en nullité absolue d'un contrat à 5 ans ; que l'article 2222 du code civil prévoit que ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit pour les contrats conclus antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, un délai expirant le 19 juin 2013.
Elle en conclut que l'action en nullité absolue du contrat de bail conclu le 18 septembre 1991 est prescrite depuis le 19 juin 2013.

Aux termes de ses dernières conclusions d'incident notifiées par voie électronique le 15 janvier 2024, Maître [N] [G] en qualité de mandataire liquidateur de la succession de Monsieur [W] [E] demande au juge de la mise en état de :

Vu les articles L. 631-7 et L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation,
Vu les articles 2224 et 2232 du code civil,

A titre principal,

- Prononcer la recevabilité de la demande d'annulation du bail du 18 septembre 1991 entre les époux [E] et [W] [E] introduite par Maître [N] [G] ès-qualités, pour être imprescriptible sur le fondement des articles L.631-7 et L. 631-7-1 du code de construction et de l'habitation.

A titre très subsidiaire,

- Prononcer la recevabilité de la demande d'annulation du bail du 18 septembre 1991 entre les époux [E] et [W] [E] introduite par Maître [N] [G] ès-qualités, pour ne pas être prescrite au titre des articles 2224 et 2232 du code civil.

En tout état de cause,

- Débouter Madame [J] [C] de son incident, de l'ensemble de ses moyens, fins et conclusions,
- Condamner Madame [J] [C] à lui payer la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Il soutient qu'il démontre que l'usage du local au 1er janvier 1970 était bien celui d'habitation et qu'aucun changement d'usage n'a été régulièrement autorisé après cette date. Il fait valoir que la prescription de droit commun ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce car la réglementation d'ordre public du code de la construction et de l'habitation consacre de son côté en son article L 631-7-1, l'imprescriptibilité en énonçant que "l'usage des locaux définis à l'article L 631-7 n'est en aucun cas affecté par la prescription trentenaire prévue par l'article 2227 du code civil". Il ajoute que s'agissant d'une nullité d'ordre public, toute personne concernée peut demander la nullité du bail. A titre subsidiaire s'il est retenu que son action est soumise au délai de prescription de 30 ans, Maître [G] expose que la violation de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation se perpétue à chaque reconduction du bail, lequel a été renouvelé en l'espèce pour la dernière fois en 2009, de sorte qu'il en conclut qu'il n'est pas prescrit en son action, l'assignation étant intervenue le 27 octobre 2022. Il ajoute qu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 réduisant le délai de prescription à 5 ans, l'action n'était pas prescrite et ce délai ne peut commencer à courir avant sa désignation, jour où il a eu connaissance des faits lui permettant d'exercer cette action.

L'incident a été plaidé à l'audience du 26 février 2024 et mis en délibéré à ce jour.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fin de non-recevoir soulevée par Madame [J] [C] veuve [I]

Aux termes de l'article 789 6° du code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les fins de non-recevoir.

Selon l'article 122 du même code, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Aux termes de l'ancien article 2262 du code civil, toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi.

Avant l'entrée en vigueur de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, l'action en nullité d'un contrat de bail notamment fondée sur la violation de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation était soumise à une prescription trentenaire à compter de la conclusion du contrat.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi précitée portant réforme de la prescription en matière civile, l'ancien article 2262 est abrogé et le délai de prescription est désormais fixé par l'article 2224 du code civil qui dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

L'article 2222 du code civil énonce qu'en cas de réduction de la durée du délai de prescription, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

En l'espèce, le bail litigieux a été conclu le 18 septembre 1991. Au jour de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, le délai de prescription de trente ans n'était pas expiré et le nouveau délai de prescription fixé par l'article 2224 du code civil s'est appliqué, la durée totale n'excédant pas la durée prévue par la loi antérieure. Si le point de départ de la prescription trentenaire était la date de conclusion du contrat, soit le 18 septembre 1991, et non la date du dernier renouvellement tacite du bail en 2009, le nouvel article 2224 du code civil a permis de reporter le point de départ de la prescription quinquennale à la date à laquelle le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Or, au cas présent et ainsi que le relève Madame [C] veuve [I], Monsieur [W] [E] est venu aux droits de ses parents bailleurs, lors du décès de ceux-ci, de sorte qu'au décès de sa mère, le 17 mai 2005, il était propriétaire en indivision avec sa soeur, des locaux qu'il louait.

Dès lors, à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, il connaissait ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer l'action en nullité du bail.

Par conséquent, l'action en nullité du bail du 18 septembre 1991 formulée par Maître [G] ès-qualités est prescrite depuis le 19 juin 2013 et est donc irrecevable.

Sur les demandes accessoires

La présente décision met fin à l'instance.

Maître [G] ès-qualités qui succombe est condamné aux dépens. Il est condamné à verser à Madame [J] [C] veuve [I] une somme qu'il est équitable de fixer à 3.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et débouté corrélativement de sa demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire rendue en premier ressort susceptible de recours dans les conditions de l'article 795 du code de procédure civile,

Déclare irrecevable l'action en nullité du bail du 18 septembre 1991 formée par Maître [N] [G] en qualité de mandataire liquidateur de la succession de Monsieur [W] [E],

Condamne Maître [N] [G] en qualité de mandataire liquidateur de la succession de Monsieur [W] [E] à verser à Madame [J] [C] veuve [I] la somme de 3.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute Maître [N] [G] en qualité de mandataire liquidateur de la succession de Monsieur [W] [E] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Maître [N] [G] en qualité de mandataire liquidateur de la succession de Monsieur [W] [E] aux dépens.

Faite et rendue à Paris le 22 Avril 2024

Le Greffier Le Juge de la mise en état
Henriette DURO Maïa ESCRIVE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 18° chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 22/13164
Date de la décision : 22/04/2024
Sens de l'arrêt : Déclare la demande ou le recours irrecevable

Origine de la décision
Date de l'import : 29/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-22;22.13164 ?
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