TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] C.C.C.F.E. + C.C.C.
délivrées le :
à Me CARIOU (B0107)
Me DAUCHEL (W0009)
■
18° chambre
2ème section
N° RG 22/03164
N° Portalis 352J-W-B7G-CWJWJ
N° MINUTE : 5
Assignation du :
09 Mars 2022
JUGEMENT
rendu le 18 Avril 2024
DEMANDERESSES
S.C. SCI VENDÔME COMMERCES (RCS Nanterre 431 980 275)
[Adresse 8]
[Localité 5]
S.N.C. CENTRE BOURSE (RCS Paris 300 985 462)
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentées par Maître Catherine CARIOU de la S.E.L.A.R.L Catherine CARIOU, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #B0107
DÉFENDERESSE
S.A.R.L. SARL KHAMSA (RCS Marseille 818 586 646)
[Adresse 6]
[Localité 1]
représentée par Maître Guillaume DAUCHEL de la S.E.L.A.R.L. CABINET SEVELLEC DAUCHEL, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #W0009, Me Renaud PALACCI de la S.E.L.A.R.L. AVOCATS JURISCONSEIL, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant
Décision du 18 Avril 2024
18° chambre 2ème section
N° RG 22/03164 - N° Portalis 352J-W-B7G-CWJWJ
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Par application des articles R.212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire et 812 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été attribuée au Juge unique.
Avis en a été donné aux avocats constitués qui ne s’y sont pas opposés.
Lucie FONTANELLA, Vice-présidente, statuant en juge unique,
assistée de Henriette DURO, Greffier.
DÉBATS
A l’audience du 28 Février 2024 tenue en audience publique.
Après clôture des débats, avis a été donné aux avocats, que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 18 Avril 2024.
JUGEMENT
Rendu publiquement
Contradictoire
En premier ressort
_________________
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 19 décembre 2014, la S.C. SCI VENDÔME COMMERCES et la S.N.C. CENTRE BOURSE ont consenti à la S.A.R.L. SARL KHAMSA (ci-après la SARL KHAMSA) un bail commercial portant sur le lot n°2B10 du CENTRE COMMERCIAL BOURSE sis [Adresse 2]), pour une durée de dix années à compter de la date de livraison dudit local, qui est intervenue le 12 avril 2016, et moyennant un loyer variable calculé au taux de 8% du chiffre d'affaires hors taxes avec un loyer minimum garanti de 84 150 € hors taxes et hors charges par an en principal, indexé annuellement selon l'évolution de l'indice ILC, payable trimestriellement et d'avance.
Selon un acte intitulé " protocole transactionnel valant avenant au bail commercial en date à [Localité 7] du 19 décembre 2014 ", signé le 29 janvier 2019, les parties sont convenues de ce que, outre le paiement d'un arriéré locatif par le preneur, le loyer annuel minimum garanti était fixé rétroactivement à compter du 1er janvier 2019 à 87 322,10 € HT et HC.
À la suite de mises en demeure de payer un arriéré locatif non réglé, lesdites bailleresses ont fait procéder, le 11 février 2022, à une saisie conservatoire de créance sur les comptes bancaires de la SARL KHAMSA, dénoncée le 18 février suivant, lui ayant permis d'appréhender une somme de 13 013,08 €.
Par acte du 09 mars 2022, la S.C. SCI VENDÔME COMMERCES et la S.N.C. CENTRE BOURSE ont assigné la SARL KHAMSA devant le tribunal judiciaire de PARIS.
Dans leurs dernières écritures du 23 février 2023, la S.C. SCI VENDÔME COMMERCES et la S.N.C. CENTRE BOURSE sollicitent :
-le rejet de l'ensemble des demandes de la SARL KHAMSA,
-sa condamnation à payer la somme de 308 238,84 € TTC arrêtée au 31 mars 2023 inclus,
-sa condamnation aux entiers dépens comprenant le coût de la sommation et les frais de la saisie conservatoire, conformément à l'article L.512-2 du code des procédures civiles d'exécution, ainsi qu'au paiement d'une somme de 3 000 € au titre de leurs frais irrépétibles,
-d'ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
Dans ses dernières écritures du 28 septembre 2022, la SARL KHAMSA sollicite :
-de juger qu'aucune somme ne peut être réclamée au titre des provisions sur charges communes, pour travaux, pour impôt foncier et pour eau privative pour les années 2019 à 2022, à défaut de production de justificatif,
-de juger que sur les périodes réclamées le loyer doit être fixé au minimum garanti de 87 322,10 €,
-de lui donner acte de ce qu'elle ne reconnaît devoir qu'une somme de 52 221,38 €,
-d'ordonner un report de paiement de cette somme sur deux ans,
-de dire n'y avoir lieu à application de l'article 700 ni à exécution provisoire.
Pour un exposé exhaustif des prétentions des parties, le tribunal se réfère expressément à leurs écritures par application de l'article 455 du code de procédure civile.
La clôture de la mise en état a été prononcée par ordonnance du 14 juin 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de paiement
En application des articles 9 du code de procédure civile et 1353 du code civil, il appartient au bailleur qui sollicite la condamnation du locataire au paiement de loyers, charges et accessoires, ou d'indemnités d'occupation, de produire les pièces justificatives permettant au tribunal de constater et de vérifier, outre l'existence de l'obligation du locataire, l'exactitude des sommes réclamées.
Il doit notamment fournir un décompte reprenant tous les loyers, charges ou autres sommes dues impayées et les règlements effectués par le locataire, ainsi que les justificatifs (factures, appels de charges, avis d'imposition, relevés individuels et généraux de copropriété, etc...) des sommes réclamées, afin que le tribunal puisse vérifier le calcul de la somme réclamée et en apprécier la pertinence.
*La contestation relative aux loyers annuels
La locataire fait valoir à ce titre qu'il convient de déduire des loyers réclamés, de 87 322,10 € par an de 2019 à 2022, outre les sommes qu'elle a payées :
-trois franchises de loyer de 35 000 € par an en 2019, 2020 et 2021,
-une franchise de loyer de 9 685 € en 2022,
-un abandon de créance de 13 588,52 € mentionné dans l'avenant n°3,
-la somme de 13 013,08 € objet de la saisie de créance,
-une franchise totale de loyer sur la période covid (deuxième et quatrième trimestre 2020) de 26 161,04 €.
Les bailleresses répliquent que les déductions et abattements ont bien été appliqués, ajoutant que la défaillance de la locataire dans le paiement des sommes dues étant une condition résolutoire, elles auraient pu reprendre la facturation du plein loyer.
Aux termes de l'acte du 29 janvier 2019, le loyer minimum annuel garanti a été fixé rétroactivement à compter du 1er janvier 2019 à 87 322,10 € HT et HC ; ce montant étant, conformément aux articles 22.1.4, 22.2.1 et 22.2.2 des conditions générales du contrat de bail, actualisé anuellement selon l'évolution de l'indice des loyers commerciaux publié par l'INSEE.
Dès lors, il est justifié que son montant ait été augmenté à 89 354,11 € au 1er janvier 2020, à 89 516,98 € au 1er janvier 2021 et à 91 835,95 € au 1er janvier 2022.
Il y a lieu d'ajouter la TVA à ce montant hors taxes, en application de l'article 25 des conditions générales du contrat de bail.
Le montant du loyer réclamé, avant toutes déductions, apparaît donc exact.
Il ressort également des " relevés de compte client " produits par les bailleresses que les diverses remises de loyer consenties par les bailleresses ont bien été prises en compte dans le calcul des sommes dues.
S'agissant de la " franchise de loyers " pour les " périodes covid ", il est constaté que la locataire ne fournit ni explication ni justificatif démontrant le bien-fondé de cette prétention.
En revanche, il est exact que, comme le soutient la locataire, les bailleresses n'ont pas déduit la somme saisie le 11 février 2022 du montant de la somme réclamée.
Il conviendra donc de déduire la somme de 13 013,08 € de la somme due aux bailleresses.
Pour le surplus, les sommes figurant dans le décompte de la créance au titre des loyers seront jugées justifiées.
*La contestation relative aux charges
La locataire demande au tribunal d'" expurger " le décompte des sommes dues des provisions pour charges y figurant dans l'attente de leur justificatifs, faisant valoir que ledit décompte est une pièce unilatérale et non probante.
Les bailleresses lui opposent qu'elles ont produit les justificatifs des charges à l'exception de l'exercice 2022, dont la clôture n'est pas encore intervenue.
L'article L.145-40-2 du code de commerce, applicable aux baux conclus ou renouvelés à partir du 05 novembre 2014, dispose notamment que :
" Tout contrat de location comporte un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôts, taxes et redevances liés à ce bail, comportant l'indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire. Cet inventaire donne lieu à un état récapitulatif annuel adressé par le bailleur au locataire dans un délai fixé par voie réglementaire. En cours de bail, le bailleur informe le locataire des charges, impôts, taxes et redevances nouveaux.
(...)
Dans un ensemble immobilier comportant plusieurs locataires, le contrat de location précise la répartition des charges ou du coût des travaux entre les différents locataires occupant cet ensemble. Cette répartition est fonction de la surface exploitée. Le montant des impôts, taxes et redevances pouvant être imputés au locataire correspond strictement au local occupé par chaque locataire et à la quote-part des parties communes nécessaires à l'exploitation de la chose louée. En cours de bail, le bailleur est tenu d'informer les locataires de tout élément susceptible de modifier la répartition des charges entre locataires.
Un décret en Conseil d'État fixe les modalités d'application du présent article. Il précise les charges, les impôts, taxes et redevances qui, en raison de leur nature, ne peuvent être imputés au locataire et les modalités d'information des preneurs. "
Selon l'article R.145-36 du code de commerce :
" L'état récapitulatif annuel mentionné au premier alinéa de l'article L. 145-40-2, qui inclut la liquidation et la régularisation des comptes de charges, est communiqué au locataire au plus tard le 30 septembre de l'année suivant celle au titre de laquelle il est établi ou, pour les immeubles en copropriété, dans le délai de trois mois à compter de la reddition des charges de copropriété sur l'exercice annuel. Le bailleur communique au locataire, à sa demande, tout document justifiant le montant des charges, impôts, taxes et redevances imputés à celui-ci. "
Il est constant que, pour justifier de sa créance de remboursement au titre des provisions sur charges comme des redditions de charges, le bailleur doit justifier du montant de ses dépenses ; à défaut, il ne peut en réclamer le paiement et doit restituer ce qui lui a été versé à ce titre.
En l'espèce, force est de constater que malgré les contestations de la locataire, qui a réclamé les justificatifs des charges et impôts fonciers de 2019 à 2022, les bailleresses n'ont produit qu'un document intitulé " justificatif de décompte des charges " établi par la société KLÉPIERRE MANAGEMENT, chargée de la gestion de ses biens.
Or, si cette pièce justifie de la reddition des charges, soit du calcul du montant dû à ce titre sur les exercices passés, il n'est produit aux débats ni relevé de charges générales et individuelles établis par un syndic de copropriété ou un autre tiers indépendant du bailleur, ni facture correspondant aux prestations mentionnées (tels que les charges d'entretien et de fonctionnement de l'immeuble, la consommation d'eau ou les travaux réalisés), ni avis d'imposition justifiant du montant de la taxe foncière avant répartition entre les locataires
Si les relevés de charges générales et individuelles établis par un tiers indépendant du bailleur sont suffisants pour attester des sommes détaillées dans le décompte, il en va différemment lorsque les mêmes relevés sont établis par le gérant de l'immeuble, mandaté par le bailleur, qui n'est donc pas un tiers par rapport à celui-ci.
Étant de principe que " nul ne peut se constituer de preuve à lui-même ", le document, établi par le bailleur ou son mandataire, n'a aucune force probante au soutien de ses propres prétentions et ne suffit donc pas à justifier du bien-fondé des sommes qui y sont réclamées.
Dans ces conditions, le tribunal ne peut que constater que les charges litigieuses ne sont pas justifiées pour les années 2019 à 2021 et que la bailleresse ne peut prétendre au paiement des sommes réclamées à ce titre, qui devront donc être déduites de la somme réclamée à sa locataire.
En revanche, il en va différemment des provisions sur charges de l'année 2022, qui avant la reddition des charges de cet exercice, qui n'avait pas encore été effectuée au moment de la clôture de la mise en état en juin 2023, sont prévues par le contrat à titre d'avance et dues sans que les bailleresses ait à fournir de justificatif.
Ainsi, le tribunal doit procéder à la soustraction des provisions et régularisations de charges des années 2019 à 2021 figurant au débit du décompte litigieux (donc à partir du 1er janvier 2020, la locataire ne réclamant pas la restitution des provisions ou charges versées antérieurement à cette date, à laquelle commence le décompte du 08 février 2022 - pièce n°22 des demanderesses), et à l'ajout des sommes qui y avaient été créditées à titre de régularisations positives en faveur de la locataire :
Soit :
308 238,84 € (solde dû au 10 février 2023 selon le dernier décompte produit - pièce 25 des bailleresses)
-(4 908,23 € + 855,91 € + 1 074,90 € + 412,66 € + 246,12 € + 584,71 € - 0,42 € - 1 074,90 €) au titre des provisions du 1er trimestre 2020
-((4 907,81 € + 1 440,62 € + 658,78 €) x 3) au titre des provisions des 2ème et 3ème trimestres 2020 et du 4ème trimestre 2021
-(232,81 € + 1 857,22 € + 1 064,38 € - 189,70 €) au titre du solde des charges et impôt foncier 2019
-((1 635,94 € + 480,20 € + 219,59 €)x 12) au titre des provisions mensuelles d'octobre 2020 à septembre 2021
+(1 355,95 € + 413,93 € + 966,48 €) au titre du solde de charges positif pour l'année 2020
- 4 638,52 € au titre de la taxe foncière 2020
+ 1 120,40 € au titre du solde de charges positif pour l'année 2021
- 4 384,72 € au titre de l'impôt foncier 2021
= 244 050,05 €
Il y a lieu encore de déduire de ce montant la somme saisie le 11 février 2022, de 13 013,08 €, soit : 244 050,05 € - 13 013,08 € = 231 036,97 €.
En conséquence, la défenderesse sera condamnée à payer aux bailleresses une somme de 231 036,97 € au titre du solde des loyers et charges locatifs arrêté au 31 mars 2023 et le surplus de la demande de paiement à ce titre sera rejeté.
Sur la demande de délai de grâce
L'article 1244-1, devenu l'article 1343-5 du code civil, prévoit que compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, le juge peut, dans la limite de deux années, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues ; par décision spéciale et motivée, il peut prescrire que les sommes correspondant aux échéances reportées produiront intérêt à un taux réduit qui ne peut être inférieur au taux légal ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.
En l'espèce, la défenderesse a déjà bénéficié, de fait, des plus larges délais pour apurer sa dette, de sorte qu'il apparaît inopportun de reporter encore le paiement de la somme restant due.
La demande à ce titre sera donc rejetée.
Sur les demandes accessoires
La défenderesse, partie perdante, sera condamnée aux dépens de l'instance, ainsi qu'à payer une somme aux demanderesses au titre de leurs frais irrépétibles que l'équité commande, au vu des circonstances de la cause, de fixer à 2 000 €.
Les demanderesses entendant inclure dans les dépens le " coût de la sommation et les frais de la saisie conservatoire conformément à l'article L.512-2 du code des procédures civiles d'exécution ", il convient de constater qu'il n'est pas justifié d'une sommation susceptible d'être comprise dans les dépens et que les frais de la saisie conservatoire, qui sont déjà à la charge de la débitrice défaillante en l'absence de décision contraire du tribunal, ne font pas partie des dépens prévus par l'article 695 du code de procédure civile, qui en donne une liste limitative.
Il est rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu premier ressort,
CONDAMNE la S.A.R.L. SARL KHAMSA à payer une somme de deux-cent-trente-et-un-mille-trente-six euros et quatre-vingt-dix-sept centimes (231 036,97 €) à la S.C. SCI VENDÔME COMMERCES et à la S.N.C. CENTRE BOURSE au titre du solde des loyers et charges locatifs arrêté au 31 mars 2023 inclus,
DÉBOUTE la S.A.R.L. SARL KHAMSA de toutes ses demandes,
CONDAMNE la S.A.R.L. SARL KHAMSA aux dépens de l'instance ainsi qu'à payer une somme de deux-mille euros (2 000 €) à la S.C. SCI VENDÔME COMMERCES et à la S.N.C. CENTRE BOURSE en application de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la S.C. SCI VENDÔME COMMERCES et la S.N.C. CENTRE BOURSE du surplus de leurs demandes,
RAPPELLE que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit.
Fait et jugé à Paris le 18 Avril 2024
Le GreffierLe Président
Henriette DUROLucie FONTANELLA