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12/04/2024 | FRANCE | N°23/57869

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Service des référés, 12 avril 2024, 23/57869


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS








N° RG 23/57869 - N° Portalis 352J-W-B7H-C25PE

N°: 3 - MD

Assignation du :
13 et 18 octobre 2023




EXPERTISE[1]

[1] 2 Copies exécutoires
+ 1 EXPERT
délivrées le:


ORDONNANCE DE REFERE
rendue le 12 avril 2024



par Marie-Hélène PENOT, Juge au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Maude DEAUVERNE, Greffier.
DEMANDERESSE

Le S.D.C. de l’immeuble sis [Adresse 10]-[Adr

esse 11] et [Adresse 5]-[Adresse 6], représenté par son syndic en exercice, le cabinet MICHAU
[Adresse 12]
[Localité 14]

représenté par Maître Tiphaine EOCHE DUVAL, avocate au ...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS


N° RG 23/57869 - N° Portalis 352J-W-B7H-C25PE

N°: 3 - MD

Assignation du :
13 et 18 octobre 2023

EXPERTISE[1]

[1] 2 Copies exécutoires
+ 1 EXPERT
délivrées le:

ORDONNANCE DE REFERE
rendue le 12 avril 2024

par Marie-Hélène PENOT, Juge au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Maude DEAUVERNE, Greffier.
DEMANDERESSE

Le S.D.C. de l’immeuble sis [Adresse 10]-[Adresse 11] et [Adresse 5]-[Adresse 6], représenté par son syndic en exercice, le cabinet MICHAU
[Adresse 12]
[Localité 14]

représenté par Maître Tiphaine EOCHE DUVAL, avocate au barreau de PARIS - #C1383

DEFENDERESSES

La S.C.I. RDP
[Adresse 8]
[Localité 13]

La S.C.I. NDN
[Adresse 9]
[Localité 13]

représentées par Maître Marine PARMENTIER de la SELARL WOOG & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS - #P0283

DÉBATS

A l’audience du 28 Février 2024, tenue publiquement, présidée par Marie-Hélène PENOT, Juge, assistée de Maude DEAUVERNE, Greffier,

Nous, Juge des référés, assisté de notre greffier, après avoir entendu les parties comparantes ou leurs conseils, avons rendu la décision suivante ;

La société civile RDP est propriétaire de locaux situés au premier étage de l'immeuble sis [Adresse 10], soumis au statut de la copropriété des immeubles bâtis et dont ils constituent le lot n°91. La société civile NDN est propriétaire de locaux situés au première étage de l'immeuble sis [Adresse 10], soumis au statut de la copropriété des immeubles bâtis et dont ils constituent les lots n°92 et 93.

Par acte extrajudiciaire délivré les 13 et 18 octobre 2023, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 10]-[Adresse 11] et [Adresse 5]-[Adresse 6] (ci-après : le syndicat des copropriétaires) a fait assigner les sociétés NDN et RDP devant le Président du tribunal judiciaire de Paris statuant en référé, aux fins, essentiellement, de leur voir enjoindre sous astreinte de cesser l'activité de location meublée de tourisme, de supprimer les travaux de transformation des menuiseries extérieures et de remettre les lieux en état, ainsi qu'aux fins de voir désigner un expert judiciaire.

A l'audience du 15 novembre 2023, il a été fait droit à la demande de renvoi formulée par la partie demanderesse.

A l'audience du 28 février 2024, le syndicat des copropriétaires soutient oralement les prétentions et moyens formulés dans ses écritures, aux termes desquelles il entend voir :
" CONDAMNER les sociétés NDN (lots 92 et 93) et RDP (lot 91) à cesser d'exercer dans leurs lots respectifs l'activité commerciale de location meublée touristique de courte durée interdite dans lesdits lots par le règlement de copropriété et ce, sous astreinte de 200 € par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir ;
- CONDAMNER les sociétés NDN (lots 92 et 93) et RDP (lot 91) à remettre en état leurs lots respectifs à usage exclusif de bureaux en conformité avec le règlement de copropriété et ce, sous astreinte de 200 € par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir ;
- CONDAMNER les sociétés NDN (lots 92 et 93) et RDP (lot 91) à remettre en état antérieur leurs lots respectifs (pièces d'eau, raccordements sur les réseaux, etc), sous le contrôle de l'architecte de la copropriété dont les honoraires seront à leur charge exclusive, sous astreinte de 200 € par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir ;
- DESIGNER tel expert qu'il plaira à Madame ou Monsieur le Président du Tribunal de céans avec pour mission de se rendre sur les lieux, d'examiner les travaux de transformation en appartements et/ou chambres meublés des lots n°91-92-93, de décrire ceux qui affectent les parties communes et/ou l'aspect extérieur de l'immeuble, de dire si ces travaux ont été autorisés par l'assemblée générale des copropriétaires et s'ils portent atteinte à la solidité de l'immeuble ou présentent un danger pour les occupants de celui-ci, le cas échéant de dire s'ils sont conformes aux normes en vigueur, de dire s'ils ont donné lieu à la création ou au déplacement de pièces d'eau et à la réalisation de nouveaux raccordements aux réseaux communs, de donner un avis sur les préjudices du syndicat des copropriétaires et de fournir tous renseignements techniques utiles à la détermination des responsabilités ;
- CONDAMNER in solidum les sociétés NDN (lots 92 et 93) et RDP (lot 91) à payer au Syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 10]-[Adresse 11] et [Adresse 5]-[Adresse 6] la somme de 6000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER in solidum les mêmes aux entiers dépens de l'instance. "

Dans leurs écritures oralement développées à l'audience, les sociétés RDP et NDN entendent voir :
" - RECEVOIR la SCI RDP et la SCI NDN en toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
A titre principal,
- CONSTATER l'existence de contestations sérieuses,
- DIRE n'y avoir lieu à référé,
- SE DECLARER incompétent ;
- DEBOUTER le syndicat des copropriétaires de l'ensemble de ses demandes formulées à l'encontre des SCI RDP et SCI NDN, fins et conclusions,

A titre subsidiaire,
- CONSTATER la conformité de l'activité de location meublée touristique avec la destination de l'immeuble et les stipulations du règlement de copropriété,
En conséquence,
- DEBOUTER le syndicat des copropriétaires de l'ensemble de ses demandes formulées à l'encontre des SCI RDP et SCI NDN, fins et conclusions,
- CONDAMNER le syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier sis [Adresse 10]-[Adresse 11] et [Adresse 5]-[Adresse 6] à payer la somme de 2.000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à la SCI RDP,
- CONDAMNER le syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier sis [Adresse 10]-[Adresse 11] et [Adresse 5]-[Adresse 6] aux dépens de l'instance. "

Conformément aux dispositions des articles 446-1 et 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions sus-visées des parties pour un plus ample exposé des moyens qui y sont contenus.

MOTIFS

A titre liminaire, il est rappelé que les " demandes " tendant à voir " constater ", " donner acte " ou " dire et juger " ne constituent pas des prétentions au sens des dispositions de l'article 4 du code de procédure civile et ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'une exécution forcée. Ces demandes -qui n'en sont pas et constituent en réalité un résumé des moyens- ne donneront pas lieu à mention au dispositif.

1. Sur les demandes portant sur des injonctions ou interdictions

Aux termes de l'article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.

La seule méconnaissance d'une réglementation n'est pas suffisante pour caractériser l'illicéité d'un trouble, dont l'anormalité s'apprécie in concreto.

1.1. Sur les demandes de cessation de l'activité de location meublée de tourisme et de rétablissement de l'affectation des lots n°91, 92 et 93

L'article 9 de la loi n°65-557 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis dispose :
" Sont privatives les parties des bâtiments et des terrains réservées à l'usage exclusif d'un copropriétaire déterminé.
Les parties privatives sont la propriété exclusive de chaque copropriétaire. "

L'article 9 de la loi n°65-557 précise, en son premier alinéa :
" I.-Chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble. "

L'article 8 de la loi n°65-557 prévoit :
" I. - Un règlement conventionnel de copropriété, incluant ou non l'état descriptif de division, détermine la destination des parties tant privatives que communes, ainsi que les conditions de leur jouissance ; il fixe également, sous réserve des dispositions de la présente loi, les règles relatives à l'administration des parties communes. Il énumère, s'il y a lieu, les parties communes spéciales et celles à jouissance privative.
Le règlement de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l'immeuble, telle qu'elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation. "

Les articles 8 et 9 précités sont d'ordre public, ainsi que le précise l'article 43 de la loi 65-557.

Ainsi, chaque copropriétaire jouit de la libre jouissance de ses parties privatives, laquelle est toutefois tempérée d'une part par les droits concurrents des autres copropriétaires, d'autre part par l'intérêt supérieur de l'immeuble, sa destination. La destination de l'immeuble, qui n'est définie par aucune norme légale ou réglementaire, a pu être définie lors des travaux préparatoires à la loi de 1965 comme " l'ensemble des conditions en vue desquelles un copropriétaire a acheté son lot, compte tenu de divers éléments, notamment de l'ensemble des clauses des documents contractuels, des caractéristiques physiques et de la situation de l'immeuble, ainsi que de la situation sociale de ses occupants ".

En l'espèce, l'immeuble sis [Adresse 10]-[Adresse 11] et [Adresse 5]-[Adresse 6] comprend trois bâtiments, dont le bâtiment C situé en bordure de la [Adresse 18], desservi par une entrée située [Adresse 19], est décrit par le règlement de copropriété comme :
" Un autre immeuble élevé sur sous-sols avec rez-de-chaussée à usage commercial et neuf étages, le dernier en retrait, desservis ainsi qu'il est dit ci-dessus par l'entre commune prévue sur la [Adresse 19].
Cet ensemble […] comprend :
Sur la totalité de la superficie, deux sous-sols à usage de garages désignés deuxième et troisième sous-sol.
Un premier sous-sol à usage de garages, de caves, de réserve pour compteurs, surpresseurs et caves, chaufferie et réserve de combustible.
Un rez-de-chaussée à usage commercial, comportant deux boutiques, station-service en bordure de la [Adresse 18], avec, à la suite, local à usage de garage et atelier de réparations - sur la [Adresse 19] : entrée d'immeuble et divers locaux à usage de boutiques
Au premier étage, dans chacun des bâtiments en élévation sur [Adresse 19] et sur [Adresse 18], divers locaux à usage de chambres de domestique et de bureaux, locaux réservés au concierge, et, à ce même étage, une cour intérieure en terrasse éclairée, destinée à couvrir les locaux du rez-de-chaussée à usage de garages, aménagée en jardin artificiel ; sur cette cour et au fond, locaux à usage de bureaux formant rez-de-chaussée sur ladite cour ; et enfin, tant [Adresse 19] que [Adresse 18], des bâtiments à usage d'habitation dans les étages ".

En son paragraphe relatif à l'utilisation des parties privatives, le règlement de copropriété stipule :
" Article I - Chacun des co-propriétaires aura le droit de jouir comme bon lui semblera des parties dont il aura la jouissance exclusive, à la condition de ne pas nuire aux droits des autres co-propriétaires, de ne rien faire qui puisse compromettre la solidité de l'immeuble, et sous les réserves qui vont être ci-après formulées.
[…]
Occupation - Les appartements et chambres de service ne pourront être occupés que bourgeoisement et par des personnes de bonnes vie et mœurs ; la domiciliation de siège de société ne comportant pas de réception de clientèle, et l'exercice des professions libérales y sont autorisées à la condition qu'il n'en résulte aucun trouble de jouissance. Les locaux à usage de bureaux seront occupés comme tels. Il ne pourra être exercé dans les boutiques de commerces bruyants, mal odorants ou de mauvais aspect. Les propriétaires de locaux à usage professionnel ou de bureaux, ne pourront exercer de profession pouvant nuire au bon aspect et à la tranquillité de l'immeuble. Il ne pourra y être tenu aucune clinique ni laboratoire.
Les propriétaires et occupants devront veiller à ce que la tranquillité des immeubles ne soit à aucun moment troublée par leur fait, celui des personnes de leur famille, de leurs invités, de leurs clients ou des gens à leur service.
[…]
La transformation des appartements en chambres meublées pour être louées à des personnes distinctes est interdite, mais les locations en meublé par appartements entiers sont autorisées. "

En l'espèce, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 10] et [Adresse 5]-[Adresse 6] fait grief aux sociétés RDP et NDN d'exploiter dans les lots n°91, 92 et 93 de l'immeuble, situés au premier étage du bâtiment C, une activité de location meublée de tourisme, ce que les parties défenderesses reconnaissent.

L'activité de location meublée de tourisme n'est pas explicitement prohibée par le règlement de copropriété de l'immeuble.

En premier lieu, le syndicat des copropriétaires affirme que l'activité de location meublée de tourisme constitue une activité commerciale, dont l'exploitation est prohibée dans les lots n°91, 92 et 93 qui, en application des stipulations du règlement de copropriété, ne peuvent être affectés qu'à un usage de bureaux ou de chambres de domestiques.

L'activité de location immobilière revêt par nature un caractère civil. Il en résulte que la location meublée de tourisme ne constitue une activité commerciale que lorsqu'elle est accompagnée de prestations caractéristiques d'un service para-hôtelier, telles que le petit déjeuner, le nettoyage régulier des locaux, la fourniture de linge de maison et la réception, même non personnalisée, de la clientèle (en ce sens : Civ3ème 24 janvier 2024 - n°22-21455).

En l'espèce, le syndicat des copropriétaires verse aux débats une photographie sur laquelle apparaît un chariot de service, semblable aux équipements utilisés par les établissements hôteliers pour transporter du linge. Cet élément est insuffisant à démontrer que les sociétés défenderesses, qui sont des sociétés civiles, fournissent des prestations para-hôtelières aux locataires des locaux qu'elles offrent à la location meublée de tourisme, de sorte qu'il n'est pas démontré avec l'évidence requise en référé que les sociétés RDP et NDN exploitent une activité commerciale dans les lots n°91, 92 et 93.

Par ailleurs, le règlement de copropriété prévoit que les locaux situés au premier étage sont à destination de chambres de service ou de bureaux. Dans un courrier recommandé en date du 8 juin 2023, le syndic de l'immeuble énonce que les lots situés au premier étage sont " soit des appartements destinés à l'habitation, soit des bureaux ", reconnaissant ainsi un usage mixte des lots situés à cet étage. Enfin, le règlement de copropriété de l'immeuble autorise dans une certaine mesure les changements d'affectation des locaux, ainsi que la transformation des appartements en chambres meublées pour être louées à des personnes distinctes.

Dans ces conditions, il apparaît que seul le juge du fond a le pouvoir d'apprécier si l'exploitation d'une activité de location meublée de tourisme dans des locaux affectés à usage de bureaux, situés à un étage de l'immeuble dont la destination est mixte, constitue un changement d'affectation contraire à la destination de l'immeuble. En effet, une telle appréciation excède l'office du juge des référés en ce qu'elle suppose une interprétation des clauses du règlement de copropriété ne revêtant pas un caractère explicite sur ce point, à la lumière de la destination de l'immeuble qui suppose en outre la prise en considération des caractères et de la situation du bien.

En deuxième lieu, le syndicat des copropriétaires affirme que l'activité de location meublée de tourisme génère des nuisances portant atteinte à la tranquillité des habitants de l'immeuble.

Il ressort du procès-verbal de constat dressé le 6 juillet 2023 par Maître [Y], commissaire de justice, que l'accès aux lots n°91 à 93 suppose de pénétrer dans l'immeuble en utilisant un premier digicode, d'emprunter un escalier pour accéder au premier étage, de traverser une cour pavée puis d'entrer un second digicode avant d'accéder aux portes des lots privatifs. Le commissaire de justice relate en outre la réalisation d'un test consistant à faire traverser la cour à un copropriétaire avec une valise à roulettes ; il expose entendre, depuis un appartement situé au quatrième étage de l'immeuble, des bruits saccadés de roulettes qu'il qualifie de largement audibles lorsque la fenêtre est ouverte, de façon légèrement amoindrie que précédemment lorsque la fenêtre est fermée.

Ces éléments établissent que l'exploitation d'une activité de location meublée de tourisme est susceptible de troubler la jouissance des lieux par les autres copropriétaires, en violation du règlement de copropriété. Pour autant, aucun élément produit par le syndicat des copropriétaires ne démontre l'existence avérée d'un trouble, seule de nature à fonder l'intervention du juge des référés sur le terrain du trouble manifestement illicite et que la présence ponctuelle de valises ou de touristes dans les parties communes est insuffisante à caractériser.

L'existence d'un trouble manifestement illicite n'étant pas établie, il n'y a pas lieu à référé sur la demande de cessation de l'activité de location meublée de tourisme et sur la demande de réaffectation des lots à un usage de bureaux.

1.2. Sur la demande de remise en état des lots n°91, 92 et 93

L'article 25 b) de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 prévoit que sont adoptées à la majorité des voix de tous les copropriétaires les décisions concernant l'autorisation donnée à certains copropriétaires d'effectuer à leurs frais des travaux affectant les parties communes ou l'aspect extérieur de l'immeuble, et conformes à la destination de celui-ci.

Le règlement de copropriété de l'immeuble sis [Adresse 10]-[Adresse 11] et [Adresse 5]-[Adresse 6] stipule, en son article relatif à l'usage des parties privatives :
" Modifications - Il [chacun des copropriétaires] pourra modifier, comme bon lui semblera, sous réserve de l'accord de l'architecte de l'immeuble la disposition intérieure de son appartement, mais en cas de percement de gros murs de refend il devra faire exécuter les travaux sous la surveillance de l'architecte de l'immeuble dont les honoraires seront dans tous les cas à sa charge ; il devra prendre toutes les mesures nécessaires pour ne pas nuire à la solidité de l'immeuble et sera responsable de tous affaissements et dégradations qui se produiraient du fait de ces travaux.
[…]
Les cuisines, salle d'eau et water-closets ne pourront être déplacés. "

En l'espèce, le syndicat des copropriétaires affirme que les sociétés RDP et NDN ont entrepris dans leurs lots des travaux ayant nécessairement impliqué le déplacement de pièces d'eau et le raccordement de canalisations sur les réseaux communs, sans autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires et en violation du règlement de copropriété.

Il est constant que les sociétés défenderesses ont réalisé des travaux dans les lots n°91, 92 et 93 et que certains ont, sans avoir été autorisés par l'assemblée générale des copropriétaires, affecté les parties communes et l'aspect extérieur de l'immeuble, notamment l'installation de boîtes à clés dans les parties communes, la fixation de barreaux aux fenêtres et le remplacement de celles-ci. Pour autant, le syndicat des copropriétaires a renoncé à ses demandes de remise en état portant sur ces travaux, en considération de la dépose des éléments installés sans autorisation intervenue en cours d'instance ; la réalisation de tels travaux est de surcroît insuffisante à démontrer la nature des travaux réalisés à l'intérieur des lots, qui n'est établie par aucune pièce.

Le syndicat des copropriétaires échouant à apporter la preuve du déplacement de pièces d'eau et de la réalisation de raccordements sur les réseaux communs, l'existence d'un trouble manifestement illicite n'est pas démontrée. Il n'y a en conséquence pas lieu à référé sur la demande de remise en état.

2. Sur la demande d'expertise

Selon l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé.

L'obtention de telles mesures est subordonnée à plusieurs conditions : l'absence de procès devant le juge du fond, l'existence d'un motif légitime, l'intérêt probatoire du demandeur -apprécié notamment au regard de la mesure sollicitée et des intérêts du défendeur- et la nature légalement admissible de la mesure demandée.

Les dispositions de l'article 146 du code de procédure civile qui interdisent au juge d'ordonner une mesure d'instruction pour suppléer la carence d'une partie ne s'appliquent pas lorsque le juge est saisi d'une demande fondée sur l'article 145 du même code.

A ce stade, le juge n'est pas tenu de caractériser l'intérêt légitime du demandeur au regard des règles de droit éventuellement applicables ou des différents fondements juridiques des actions que ce dernier envisage d'engager - puisqu'il s'agit seulement d'analyser le motif légitime que le demandeur a de conserver ou établir l'existence de faits en prévision d'un éventuel procès.

La mesure sollicitée n'implique pas d'examen de la responsabilité des parties ou des chances de succès du procès susceptible d'être ultérieurement engagé, il suffit que soit constatée l'éventualité d'un procès dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée, à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d'autrui.

Si le litige au fond peut n'être qu'éventuel, la mesure sollicitée doit toutefois reposer sur des faits précis, objectifs et vérifiables, qui permettent de projeter ce litige futur comme plausible et crédible.

A cet égard, si le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer la réalité des faits qu'il allègue, il doit justifier d'éléments rendant crédibles ses suppositions, ne relevant pas de la simple hypothèse, en lien avec un litige potentiel futur dont l'objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction, la mesure demandée devant être pertinente et utile.

En l'espèce, les pièces versées aux débats par le syndicat des copropriétaires, notamment le procès-verbal de constat en date du 6 juillet 2023, établissent que les sociétés RDP et NDN ont réalisé des travaux dans les lots n°91, 92 et 93, les photographies prises par le commissaire de justice au travers des vitres du lot n°93 laissant apparaître des cloisons absentes des plans de l'immeuble. L'attestation rédigée par une copropriétaire le 28 septembre 2023, précisant avoir vu plusieurs portes numérotées à l'intérieur de l'un des lots, corrobore l'installation de cloisons, lesquelles sont susceptibles d'avoir supposé des percements préalables de gros murs constituant des parties communes. Enfin, il apparaît crédible que la réalisation de travaux d'aménagement destinés à permettre l'exploitation des lots n°91 à 93 par les sociétés RDP et NDN ait supposé la création de pièces ou de points d'eau, ainsi que des modifications des éléments de structure situés à l'intérieur des parties privatives.

Ainsi, le syndicat des copropriétaires démontre le caractère crédible de travaux ayant notamment affecté les parties communes, porté atteinte à la solidité de l'immeuble ou modifié la configuration des locaux en supposant des percements de gros murs, ce en violation des stipulations des dispositions de l'article 25 de la loi n°65-557 ou des stipulations du règlement de copropriété relatives à l'usage des parties privatives. Il justifie dès lors d'un motif légitime à voir ordonner une mesure d'expertise, dont les modalités seront précisées au dispositif.

3. Sur les mesures accessoires

L'article 491 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que le juge statuant en référé statue sur les dépens. Il s'agit d'une obligation, de sorte que toute demande tendant à "réserver" les dépens doit être rejetée. L'article 696 dudit code précise que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

Le syndicat des copropriétaires succombant en ses prétentions à l'exception de celle relative à l'organisation d'une mesure d'instruction, ordonnée dans son intérêt probatoire exclusif, il supportera la charge des dépens.

La nature probatoire de l'unique mesure à intervenir, intervenant avant l'engagement d'une quelconque responsabilité, commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant en référé, par remise au greffe le jour du délibéré, après débats en audience publique, par décision contradictoire et en premier ressort,

Disons n'y avoir lieu à référé sur la demande de cessation de l'activité de location meublée de tourisme ;

Disons n'y avoir lieu à référé sur la demande de rétablissement de l'affectation des lots n°91, 92 et 93 de l'immeuble sis [Adresse 10] ;

Disons n'y avoir lieu à référé sur la demande de remise en état des lots n°91, 92 et 93 de l'immeuble sis [Adresse 10] et [Adresse 5]-[Adresse 6] ;

Ordonnons une mesure d'expertise ;

Désignons en qualité d'expert :

Monsieur [N] [G]
[Adresse 7]
Téléphone : [XXXXXXXX01] / [XXXXXXXX04]
Courriel : [Courriel 21]

qui pourra prendre l'initiative de recueillir l'avis d'un autre technicien, mais seulement dans une spécialité distincte de la sienne,

avec mission, les parties régulièrement convoquées, après avoir pris connaissance du dossier, s'être fait remettre tous documents utiles, et avoir entendu les parties ainsi que tout sachant, de :

- se rendre dans l'immeuble sis [Adresse 10]-[Adresse 11] et [Adresse 5]-[Adresse 6], et notamment dans les lots n°91, 92 et 93 après y avoir convoqué les parties ;

- examiner les travaux réalisés par la société RDP dans le lot n°91 et par la société NDN dans les lots n°92 et 93 ;

- décrire ces travaux ;

- préciser s'ils affectent les éléments de structure de l'immeuble et plus largement les parties communes, et s'ils ont une incidence sur l'aspect extérieur de l'immeuble ;

- localiser les points d'eau et les raccordements aux réseaux communs ; préciser si les travaux ont impliqué de déplacer ou des créer des cuisines, salles d'eau et water-closets ;

- dire si les travaux ont une incidence sur la solidité de l'immeuble ;

- fournir tout renseignement de fait permettant au tribunal de statuer sur les éventuelles responsabilités encourues et sur les comptes entre les parties ;

- fournir tous éléments de nature à permettre ultérieurement à la juridiction saisie d'évaluer les préjudices de toute nature, directs ou indirects, matériels ou immatériels résultant des désordres, notamment le préjudice de jouissance subi ou pouvant résulter des travaux de remise en état ;

- dire si des travaux urgents sont nécessaires pour prévenir les dommages aux personnes ou aux biens ; dans l'affirmative, à la demande d'une partie ou en cas de litige sur les travaux de sauvegarde nécessaires, décrire ces travaux et en faire une estimation sommaire dans un rapport intermédiaire qui devra être déposé aussitôt que possible ;

- faire toutes observations utiles au règlement du litige;

Disons que pour procéder à sa mission l'expert devra :

- convoquer et entendre les parties, assistées, le cas échéant, de leurs conseils, et recueillir leurs observations à l'occasion de l'exécution des opérations ou de la tenue des réunions d'expertise ;

- se faire remettre toutes pièces utiles à l'accomplissement de sa mission, notamment, s'il le juge utile, les pièces définissant le marché, les plans d'exécution, le dossier des ouvrages exécutés ;

- se rendre sur les lieux et si nécessaire en faire la description, au besoin en constituant un album photographique et en dressant des croquis ;

- à l'issue de la première réunion d'expertise, ou dès que cela lui semble possible, et en concertation avec les parties, définir un calendrier prévisionnel de ses opérations; l'actualiser ensuite dans le meilleur délai :

- en faisant définir une enveloppe financière pour les investigations à réaliser, de manière à permettre aux parties de préparer le budget nécessaire à la poursuite de ses opérations ;

- en les informant de l'évolution de l'estimation du montant prévisible de ses frais et honoraires et en les avisant de la saisine du juge du contrôle des demandes de consignation complémentaire qui s'en déduisent, sur le fondement de l'article 280 du code de procédure civile, et dont l'affectation aux parties relève du pouvoir discrétionnaire de ce dernier au sens de l'article 269 du même code ;

- en fixant aux parties un délai impératif pour procéder aux interventions forcées ;

- en les informant, le moment venu, de la date à laquelle il prévoit de leur adresser son document de synthèse ;

- au terme de ses opérations, adresser aux parties un document de synthèse, sauf exception dont il s'expliquera dans son rapport (par ex : réunion de synthèse, communication d'un projet de rapport), et y arrêter le calendrier impératif de la phase conclusive de ses opérations, compte-tenu des délais octroyés devant rester raisonnable ;

- fixant, sauf circonstances particulières, la date ultime de dépôt des dernières observations des parties sur le document de synthèse ;

- rappelant aux parties, au visa de l'article 276 alinéa 2 du code de procédure civile, qu'il n'est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au delà de ce délai;

Fixons à la somme de cinq mille euros (5000 euros) le montant de la provision à valoir sur les frais d'expertise qui devra être consignée par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 10] et [Adresse 5]-[Adresse 6] à la régie du tribunal judiciaire de Paris au plus tard le 12 juin 2024 ;

Disons que, faute de consignation de la présente provision initiale dans ce délai impératif, ou demande de prorogation sollicitée en temps utile, la désignation de l'expert sera aussitôt caduque et de nul effet, sans autre formalité requise, conformément aux dispositions de l'article 271 du code de procédure civile ;

Disons que l'exécution de la mesure d'instruction sera suivie par le juge du contrôle des expertises, spécialement désigné à cette fin en application des articles 155 et 155-1 du même code ;

Disons que le terme du délai fixé par l'expert pour le dépôt des dernières observations marquera la fin de l'instruction technique et interdira, à compter de la date à laquelle il est fixé, le dépôt de nouvelles observations, sauf les exceptions visées à l'article 276 du code de procédure civile ;

Disons que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 232 à 255, 263 à 284-1 du Code de procédure civile et qu'il déposera l'original de son rapport au greffe du Tribunal judiciaire de Paris (Contrôle des expertises) avant le 12 décembre 2024, pour le rapport définitif, sauf prorogation de ces délais dûment sollicitée en temps utile de manière motivée auprès du Juge du contrôle ;

Disons que, dans le but de favoriser l'instauration d'échanges dématérialisés et de limiter la durée et le coût de l'expertise, le technicien devra privilégier l'usage de la plateforme OPALEXE et qu'il proposera en ce cas à chacune des parties, au plus tard lors de la première réunion d'expertise, de recourir à ce procédé pour communiquer tous documents et notes par la voie dématérialisée dans les conditions de l'article 748-1 du code de procédure civile et de l'arrêté du 14 juin 2017 validant de tels échanges ;

Rejetons le surplus des demandes ;

Disons n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamnons le syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 10] aux dépens ;

Rappelons que l'exécution provisoire est de droit.

Fait à Paris le 12 avril 2024

Le Greffier,Le Président,

Maude DEAUVERNEMarie-Hélène PENOT

Service de la régie :
Tribunal de Paris, [Adresse 16]
☎ [XXXXXXXX03]
Fax [XXXXXXXX02]
✉ [Courriel 17]

Sont acceptées les modalités de paiements suivantes :

➢ virement bancaire aux coordonnées suivantes :
IBAN : [XXXXXXXXXX015]
BIC : [XXXXXXXXXX020]
en indiquant impérativement le libellé suivant :
C7 "Prénom et Nom de la personne qui paye" pour prénom et nom du consignataire indiqué dans la décision + Numéro de RG initial

➢ chèque établi à l'ordre du régisseur du Tribunal judiciaire de Paris (en cas de paiement par le biais de l'avocat uniquement chèque CARPA ou chèque tiré sur compte professionnel)

Le règlement doit impérativement être accompagné d'une copie de la présente décision. En cas de virement bancaire, cette décision doit être envoyée au préalable à la régie (par courrier, courriel ou fax).

Expert : Monsieur [N] [G]

Consignation : 5000 € par Le S.D.C. de l’immeuble sis [Adresse 10]-[Adresse 11] et [Adresse 5]-[Adresse 6], représenté par son syndic en exercice, le cabinet MICHAU

le 12 Juin 2024

Rapport à déposer le : 12 Décembre 2024

Juge chargé du contrôle de l’expertise :
Service du contrôle des expertises
Tribunal de Paris, [Adresse 16].


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Service des référés
Numéro d'arrêt : 23/57869
Date de la décision : 12/04/2024
Sens de l'arrêt : Désigne un expert ou un autre technicien

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-12;23.57869 ?
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