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04/04/2024 | FRANCE | N°22/04549

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre 1ère section, 04 avril 2024, 22/04549


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Le :
Expédition exécutoire délivrée à: Me VANNER #B260
Copie certifiée conforme délivrée à : Me DEVERNAY #D70




3ème chambre
1ère section

N° RG 22/04549
N° Portalis 352J-W-B7G-CWFSC

N° MINUTE :

Assignation du :
01 avril 2022







JUGEMENT
rendu le 04 avril 2024





DEMANDERESSE

S.A.S.U. MéO
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Me Olympe VANNER de l’AARPI JACOBACCI AVOCATS, avocat au bar

reau de PARIS, vestiaire #B0260


DÉFENDERESSE

S.A.S. LIMEO MENUISERIES
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Me Coralie DEVERNAY, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #D...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Le :
Expédition exécutoire délivrée à: Me VANNER #B260
Copie certifiée conforme délivrée à : Me DEVERNAY #D70

3ème chambre
1ère section

N° RG 22/04549
N° Portalis 352J-W-B7G-CWFSC

N° MINUTE :

Assignation du :
01 avril 2022

JUGEMENT
rendu le 04 avril 2024

DEMANDERESSE

S.A.S.U. MéO
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Me Olympe VANNER de l’AARPI JACOBACCI AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0260

DÉFENDERESSE

S.A.S. LIMEO MENUISERIES
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Me Coralie DEVERNAY, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #D0070 & Me Charlotte BALDASSARI, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant

Décision du 04 avril 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 22/04549
N° Portalis 352J-W-B7G-CWFSC

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Anne-Claire LE BRAS, 1ère Vice-Présidente Adjointe
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUIS, Juge,

assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière,

DÉBATS

A l’audience du 30 janvier 2024 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 28 mars 2024.
Le délibéré a été prorogé au 04 avril 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

La société MéO, dénommée MC France avant le 1er janvier 2022, est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de menuiseries et notamment de fenêtres, portes-fenêtres et portes d’entrée.
A ce titre, elle est titulaire :- de la marque verbale française “MEO” n°4290592, déposée le 29 juillet 2016 et enregistrée le 18 novembre 2016, en classe 6 notamment pour les “matériaux de construction métallique”, en classe 19 dont “menuiserie non métallique intérieure et extérieure ”, en classe 35 comprenant les “services de vente au détail, ou en gros des produits suivants : “menuiserie métallique et non métallique intérieur ou extérieure, portes, fenêtres” et en classe 37 “services de pose”;
- du nom de domaine fenetremeo.com$gt;, enregistré le 21 décembre 2016 et exploité pour la promotion des produits de la société MéO et des services associés.

En août 2021, la société MéO a découvert l’existence de la société Liméo Menuiseries, créée en 2018, également spécialisée dans la fabrication et la vente de menuiseries sur mesure, de fenêtres, mobiliers et placards. Elle est titulaire d’un site internet accessible à partir du nom domaine limeo-menuiseries.com$gt;, qu’elle a enregistré le 16 avril 2018 et exerce son activité sous les signes suivants :

Considérant que l’exploitation de ces signes engendre un risque de confusion pour la clientèle, la société MéO a mis en demeure la société Liméo Menuiseries le 27 août 2021 de procéder au changement de sa dénomination sociale, de supprimer son nom de domaine et de s’engager à cesser tout usage du signe “Liméo”. Cette mise en demeure est restée sans réponse.
C’est dans ce contexte que le 1er avril 2022, la société MéO a fait assigner la société Liméo Menuiseries devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de sa marque verbale française “MEO” n°4290592 et en réparation des préjudices qu’elle dit avoir subis.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 février 2023, la société MéO demande au tribunal, au visa des articles L.713-1, L.713-2, L.713-3-1, L.716-4, L.716-4-10 et L.716-4-11 du code de propriété intellectuelle, de: Débouter la défenderesse de ses demandes reconventionnelles, Lui interdire l’exploitation des signes LIMEO, LIMEO MENUISERIES, LIMEO-MENUISERIES.COM et/ou , Lui interdire de détenir, offrir à la vente, vendre, promouvoir et/ou vendre des produits de menuiseries revêtues de ces signes litigieux, sous astreinte de 200 euros par jour de retard et par infraction constatée, La condamner à lui verser les sommes provisionnelles à parfaire suivantes :- 40 000 euros au titre du préjudice commercial résultant des actes de contrefaçon de sa marque;
- 15 000 euros au titre du préjudice moral résultant de ces actes,
Ordonner la modification de la dénomination sociale de la société immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 838 901 486 sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé le délai d’un mois à compter de la signification du jugement à intervenir; Ordonner la dépose de l’enseigne du commerce sis [Adresse 2], aux frais de la société défenderesse, sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé le délai d’un mois à compter de la signification du jugement à intervenir, Ordonner la destruction de tous documents commerciaux, publicitaires ou promotionnels, quel qu’en soit le support, y compris sur internet, sur lesquels les signes litigieux sont reproduits, sous astreinte; Ordonner la publication du jugement à intervenir sur le site accessible à partir du nom de domaine limeo-menuiseries.com$gt; de la société défenderesse et à ses frais, pour une durée d’un mois, dans une police classique, type Times New Roman, en taille douze point au moins, dans un coloris tranchant sur le fond de la page et avec une formulation du type : « La société LIMEO MENUISERIES a été condamnée par décision du Tribunal judiciaire de Paris en date du […] pour avoir illicitement exploité des signes LIMEO et LIMEO MENUISERIES pour des produits de menuiserie et des services vente associés, faits qui constituent des actes de contrefaçon de la marque française MEO n°4 290 592 au préjudice de la société MéO ».
Ordonner la radiation du nom de domaine litigieux, sous astreinte;
Ordonner la suppression des comptes de réseaux sociaux «  limeo.menuiseries » sur Instagram, « LIMEO » sur Facebook et « limeo-menuiseries.com » sur Pinterest, sous astreinte; Se réserver la liquidation des astreintes; La condamner aux entiers dépens et à lui verser la somme de 17 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 avril 2023, la société Liméo Menuiseries demande au tribunal, au visa des articles L.713-2 et L.716-4-10 du code de propriété intellectuelle, de : Débouter la demanderesse de l’ensemble de ses demandes; A titre reconventionnel, condamner la société MéO à lui payer la somme de 20 000 euros pour procédure abusive et écarter l’exécution provisoire; La condamner aux entiers dépens et à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 avril 2023.

MOTIFS

Sur la caractérisation de la contrefaçon de la marque française “MEO”n°4290592

Moyens des parties

La société MéO expose qu’en faisant usage à titre de marque dans la vie des affaires des signes Limeo et Liméo Menuiseries, qui imitent sa marque verbale “MEO”, pour des produit et services qui sont identiques ou à tout le moins hautement similaires à ceux des classes dans lesquelles sa marque est enregistrée, la société Liméo Menuiseries crée un risque de confusion pour le consommateur, permettant de caractériser la contrefaçon.
Elle souligne que ses demandes sont fondées sur la contrefaçon de sa marque “MEO”, déposée en 2016, et que la modification ultérieure de sa dénomination sociale, au début de l’année 2022, compte-tenu du succès commercial rencontré par la marque, est indifférent.

Elle affirme en outre que l’usage que la défenderesse fait des signes litigieux excède une seule utilisation à titre de nom de domaine ou de dénomination sociale, le signe étant apposé sur des produits, sur le site internet ou en magasin pour désigner des services de vente. Par ailleurs, il n’est nullement établi, selon elle, que l’activité de la défenderesse serait constituée, de manière dominante, par la fabrication de meubles.

S’agissant de l’analyse des signes en présence, elle relève que le terme “menuiseries” et la mention “vos menuiseries sur mesure’ ne sont pas distinctifs car ils sont descriptifs. Il en est de même, selon elle, de l’élément figuratif du signe utilisé, qui représenterait une fenêtre et s’assimilerait ainsi au produit désigné. Elle conclut que l’élément dominant du signe est le terme “Liméo”, qu’il s’agit d’un seul mot dans lequel sa marque se retrouve entière, à l’identique. Elle estime que la similarité visuelle est élevée. Elle ajoute que les mêmes syllabes [mé] et [o] se prononcent de la même manière, peu important qu’il y ait ou non un accent, que les termes n’ont pas de signification propre, ce qui permet d’écarter une différence intellectuelle. Si le signe utilisé par la défenderesse est un prénom italien, comme elle l’affirme, la société MéO estime qu’il ne sera pas perçu comme tel par le public français. Elle ajoute que dans sa représentation graphique, le préfixe [li] est même isolé, individualisé. Elle conclut à une forte similarité entre les signes.

La société MéO ajoute que le risque de confusion est aggravé par le caractère fortement distinctif de sa marque et la renommée dont elle bénéficie depuis plusieurs années en France. Elle se prévaut, à ce titre, d’importants investissements, tant pour son innovation que pour la publicité, d’actions de mécénat, de partenariats conclus et de l’obtention de certifications et labels qui lui ont permis d’acquérir une position dominante sur le marché. Elle invoque également des enquêtes de satisfaction clients. Elle soutient que la renommée de la marque a été acquise dès son dépôt, grâce aux investissements dont elle justifie et à son positionnement sur le marché.

La société Liméo expose que la marque “MEO” ne bénéficie d’aucune renommée et conteste tout risque de confusion entre les signes. Elle insiste sur le fait que la marque est récente puisque déposée en juillet 2016 et que la demanderesse confond la notoriété prétendument acquise depuis 40 ans sous sa dénomination sociale MC France et le dépôt de la marque “MEO”. Or, la durée d’usage d’une marque fait partie des critères pour apprécier la renommée et la société demanderesse ne justifie pas, selon elle, du degré de connaissance de la marque par le public pertinent. Elle juge les pièces versées pour établir la renommée insuffisantes.
Elle estime par ailleurs qu’il existe une faible similitude entre les activités et produits couverts par l’enregistrement de la marque “MEO” et ceux qu’elle commercialise, qui sont des articles sur-mesure, d’artisanat. Elle rappelle avoir pour activité la menuiserie haut de gamme, sur mesure, avec une activité principale de fabrication de meubles et la réalisation purement accessoire de portes et fenêtres, la marque de la demanderesse n’étant pas enregistrée pour les meubles. Elle souligne que la représentation graphique du signe qu’elle utilise, avec une mention “vos menuiseries sur mesure” diffère de la marque verbale “MEO”, la représentation stylisée du signe renforçant selon elle les différences. Elle conclut également, s’agissant de signes courts, à une faible ressemblance sur les plans visuels, auditifs et conceptuels, rappelant que la sonorité d’attaque, prépondérante, est différente. Elle ajoute que le signe qu’elle utilise renvoie à un prénom italien. Elle fait valoir sa liberté d’entreprendre dans le choix de ce signe et conclut à l’absence de toute contrefaçon.

Appréciation du tribunal

Conformément aux dispositions de l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle, est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :1° D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;
2° D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque.

L'article L. 713-3-1 du code de la propriété intellectuelle précise que sont notamment interdits, en application des articles L. 713-2 et L. 713-3, les actes ou usages suivants :1° L'apposition du signe sur les produits ou sur leur conditionnement; 2° L'offre des produits, leur mise sur le marché ou leur détention à ces fins sous le signe, ou l'offre ou la fourniture des services sous le signe;
3° L'importation ou l'exportation des produits sous le signe ;
4° L'usage du signe comme nom commercial ou dénomination sociale ou comme partie d'un nom commercial ou d'une dénomination sociale;
5° L'usage du signe dans les papiers d'affaires et la publicité ;
6° L'usage du signe dans des publicités comparatives en violation des dispositions des articles L. 122-1 à L. 122-7 du code de la consommation ;
7° La suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée.
Ces actes et usages sont interdits même s'ils sont accompagnés de mots tels que : " formule, façon, système, imitation, genre, méthode ».

Aux termes des dispositions de l'article L. 716-4 du code de la propriété intellectuelle, l'atteinte portée au droit du titulaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur.
La caractérisation de la contrefaçon est subordonnée à la démonstration de l'usage du signe litigieux dans la vie des affaires, c'est-à-dire dans le contexte d'une activité commerciale visant à un avantage économique (CJUE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal) et non dans le domaine privé, de telle manière que cela porte atteinte aux fonctions de la marque.
Lorsqu’il n’y a pas identité de signes et de produits et services désignés, l'appréciation de la contrefaçon implique ensuite de rechercher si, au regard des degrés de similitude entre les signes et entre les produits et/ou services désignés, il existe un risque de confusion comprenant un risque d'association dans l'esprit du public concerné.
Interprétant les dispositions de l'article 5 § 1 de la première directive du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques (89/104/CEE), dont les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle réalisent la transposition en droit interne, la Cour de Justice de l’Union européennes a dit pour doit que, constitue un risque de confusion au sens de ce texte, le risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d'entreprises liées économiquement (voir arrêt Canon, C-39/97, point 29 ; arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97 ).

Décision du 04 avril 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 22/04549
N° Portalis 352J-W-B7G-CWFSC

Selon cette même jurisprudence, l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce (voir, arrêt SABEL, C-251/95, point 22), cette appréciation globale impliquant une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte (voir arrêt Canon, point 17). L'appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par celles-ci, en tenant compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants.
Il est en effet constant que le risque de confusion est d'autant plus élevé que le caractère distinctif de la marque antérieure s'avère important (arrêt Canon). Ainsi, le degré de distinctivité de la marque peut-il constituer un indice pertinent dans l’analyse (Cass. com., 30 mai 2007, n° 06-14.642) et la connaissance de la marque sur le marché, en termes de notoriété ou de renommée (à savoir de connaissance par une partie significative d u public concerné) constitue également un repère (voir Com., 9 mars 2010, n° 09-12.982).
Aux fins de cette appréciation globale conduisant à confronter l’ensemble de ces éléments, le consommateur moyen de la catégorie de produits concernée est censé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (voirarrêt Gut Springenheide et Tusky, C-210/96, point 31; arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97, point 26).
En l’espèce, la société MéO justifie de ses droits sur la marque verbale française “MEO” déposée à l’INPI le 29 juillet 2016 et enregistrée en classes n°6, 19, 35 et 37. Il est établi que la marque est antérieure à l’usage reproché à la défenderesse, peu important que la demanderesse ait modifié son enseigne puis sa dénomination sociale ultérieurement, le changement de dénomination sociale ayant été mentionné au Kbis le 2 février 2022.
Or, dans son procès-verbal de constat dressé le 10 novembre 2021, Me [S] [F], commissaire de justice, constate que sont publiées sur les pages des réseaux sociaux instagram et facebook de la défenderesse, Limeo.menuiseries, des photographies de produits de menuiserie portant le signe Limeo, gravés sur le bois, ou le signe (représentéci-dessous) mentionné sur l’emballage ou le conditionnement des produits:

En outre, il ressort d’un second procès-verbal de constat internet dressé par Me [F] le même jour, que le signe de la défenderesse, comprenant un élément figuratif, est également utilisé à titre d’enseigne. Dès lors, le fait que le signe litigieux soit apposé directement sur les locaux de sa salle d’exposition (“showroom”) ou sur son site internet, au droit des caractéristiques des produits et services proposés, ainsi que cela ressort du second procès-verbal de constat, correspond à un usage dans la vie des affaire pour distinguer des produits et services et non à un simple usage à titre de dénomination sociale ou de nom de domaine. Il est ainsi démontré que la société Liméo Menuiseries fait un usage des signes litigieux dans la vie des affaires.
Les signes critiqués ne constituant pas la reproduction à l'identique de la marque antérieure “MEO” qui leur est opposée, il convient de rechercher s'il n'existe pas entre les signes en présence un risque de confusion, lequel comprend le risque d'association, qui doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, le risque étant d'autant plus élevé que la marque antérieure possède un caractère distinctif important, soit intrinsèquement, soit en raison de sa connaissance par une partie significative du public concerné par les produits ou services en cause.
Il convient donc tout d'abord de comparer les signes en litige, la marque antérieure “MEO” telle qu’enregistrée sous forme verbale et les signes exploités par la défenderesse, avant de procéder à l'appréciation du risque de confusion pouvant exister entre eux pour le public pertinent.
Ce public pertinent, tout d’abord, est composé tant de particuliers que de professionnels, qui achètent des menuiseries, ouvrages en bois. Cet agent de référence normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, a un degré d’attention moyenne.
S’agissant des produits et services concernés, il importe de rappeler que la marque “MEO” est enregistrée en classes 6 et 19 notamment pour la « menuiserie non métallique intérieure et extérieure ; menuiserie en matières plastiques ; menuiserie mixte métal-bois ; portes, fenêtres, portes-fenêtres et les éléments constitutifs desdits produits, tous ceux-ci étant non métalliques » et en classe 35 pour les «services de vente au détail, ou en gros des produits suivants : menuiserie métallique et non métallique intérieur et extérieure, portes, fenêtres ».
Or, la société Liméo Menuiseries se définit, sur son site internet, comme une société de vente en ligne de menuiseries sur mesure à destination des professionnels et des particuliers. Elle propose la création de “fenêtre, porte-fenêtre, porte”, sa spécialité étant, selon la capture d’écran de la page d’accueil de son site internet figurant dans le procès-verbal de constat du 10 novembre 2021, “les fenêtres en bois à l’ancienne”, même si elle crée également des meubles (salle de bain, cuisine) et des dressings, se contenant d’alléguer, sans le démontrer, qu’il s’agit de son activité dominante.
Par conséquent, il ressort des pièces versées aux débats que les signes en cause sont utilisés pour désigner des produits et des services identiques, ou à tout le moins d’une très grande similarité, s’agissant de la fabrication et de la commercialisation de produits de menuiseries (porte, fenêtre, porte-fenêtre). Ils correspondent en effet aux produits et services des classes dans lesquelles la marque de la société demanderesse “MEO” est enregistrée, peu important que la société Liméo Menuiseries réalise ses confections “sur mesure”.Décision du 04 avril 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 22/04549
N° Portalis 352J-W-B7G-CWFSC

S’agissant de l’analyse des signes en présence, la mention du terme “Menuiseries” ou encore “vos menuiseries sur mesures”, dans les signes utilisés par la défenderesse, en ce qu’ils sont descriptifs des produits et services proposés, ne sont pas distinctifs et ne peuvent retenir l’attention du public pertinent. Il en est de même de l’aspect figuratif du signe utilisé par la défenderesse, purement décoratif. En effet, le carré sur la gauche de l’élément verbal évoque effectivement une fenêtre, à tout le moins une ouverture vers l’extérieur, ce qui lui confère un aspect évocateur et le rend négligeable aux yeux du public. De fait, ce sont donc les termes “MEO”, “Limeo” et “Liméo”(avec un accent aigu) qui doivent être comparés, l’élément figuratif décoratif n’étant pas de nature à retenir l’attention du public pertinent.

Sur le plan visuel, tout d’abord, les deux termes ne se distinguent que par la présence du préfix [li]. S’il est vrai que le public pertinent est davantage attentif à l’amorce du signe, il importe de souligner que la marque de la demanderesse, terme court de trois lettres, se retrouve entièrement et dans le même ordre dans le signe utilisé par la défenderesse, de cinq lettres. Il a par ailleurs été souligné que, dans la version semi-figurative du signe utilisé par la défenderesse, le préfixe [li] est légèrement surélevé, ce qui donne l’impression qu’il est mis en retrait, et ne fait qu’accentuer, visuellement la présence du terme “méo”. Enfin, l’accent aigu sur le “e”, sur certains signes utilisés, apparait indifférent visuellement, étant au demeurant souligné que le “e” de “MEO” se prononce [é]. Les signes sont donc assez proches sur le plan visuel.
Sur le plan auditif, les signes ne se distinguent que par la présence du suffice [Li], certes différent à l’oreille, mais conservent en commun deux syllabes [mé] et [o]. Cela traduit une certaine proximité dans les sonorités.
Enfin, sur le plan conceptuel, les deux termes n’ont aucune signification particulière. Si la défenderesse soutient qu’il s’agit d’un prénom italien, rare, elle ne démontre pas qu’il soit perçu comme tel par le public français pertinent.
Les ressemblances entre les signes apparaissent donc prépondérantes par rapport aux dissemblances, le préfixe [li] n’est pas suffisant pour différencier les signes.
Le caractère distinctif et la renommée de la marque antérieure constituent également des facteurs pertinents pour l'appréciation du risque de confusion. Pour déterminer l'étendue de la protection d'une marque en fonction de son pouvoir distinctif, il faut prendre en considération la perception du public concerné au moment où le signe, dont il est prétendu qu'il porterait atteinte à la marque, a commencé à faire l'objet d'une utilisation (Cass. com., 30 mai 2007, n° 06-14.642, voir également CJCE, 27 avr. 2006, aff. C-145/05, Levi Strauss & Co c/ Casucci SpA). En d’autres termes, la force de la distinctivité qu'il faut prendre en considération pour contribuer à caractériser le risque de confusion, est celle qui existe au moment précis où le signe contrefaisant a commencé à être utilisé.
Or, la société MéO ne démontre pas l’existence d’une renommée perçue par le public pertinent au moment où la société Liméo a commencé à faire usage du signe Liméo, en 2018. Si les produits de la demanderesse, dont la dénomination sociale était encore MC France en 2018, bénéficiaient d’une image de qualité depuis 40 ans et rencontraient un succès commercial avéré depuis de nombreuses années, couronné par des trophés, certification, et une importante part de marché, si des investissements importants sont démontrés, la demanderesse ne justifie pas que le public les associait, en 2018, à la marque “MEO” déposée 18 mois plus tôt. L’étude de satisfaction client datée de 2016, citée dans un document de 2019 versé aux débats, ne permet pas d’apprécier le degré de connaissance de la marque “MEO” par le public au jour où Liméo a commencé à être utilisé. La seule démonstration d’une couverture médiatique ne suffit pas. En revanche, la marque “MEO”, en ce qu’elle est arbitraire par rapport aux produits et services désignés, bénéficie d’une distinctivité intrinsèque.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, le tribunal considère que le risque de confusion est suffisamment établi dans la mesure où le public pertinent, confronté aux signes dont il a été dit qu’ils présentent une certaine proximité, pour des produits et services d’une très grande similarité, pourrait leur attribuer une origine commune. Le risque de confusion est ainsi établi et la contrefaçon par imitation est caractérisée.
Sur la réparation de la contrefaçon de marque

Moyens des parties

La société MéO invoque un préjudice commercial, caractérisé tant des bénéfices réalisés par la défenderesse en lien avec les agissements contrefaisants que les conséquences économiques négatives qu’elle subit. Elle expose avoir perdu des parts de marché et dénonce la perte des investissements réalisés et des dépenses en recherche et développement exposées . Elle considère que la société Liméo, qui n’a pas eu à engager ces dépenses, a fait des économies. Elle fait encore référence à un certain avilissement de sa marque et demande réparation de son préjudice moral, estimant que les actes de contrefaçon portent atteinte à sa capacité distinctive en la diluant et en la galvaudant. Elle sollicite des mesures complémentaires pour la réparation intégrale de son préjudice. Elle demande des sommes provisionnelles à défaut de disposer d’éléments comptables concernant l’activité de la défenderesse.
La société Liméo conclut à l’absence de préjudice démontré, soulignant que la demanderesse ne rapporte aucune preuve du préjudice économique allégué. Elle soutient que la demanderesse procède également par simples allégations s’agissant du préjudice moral. Elle conclut que les quantums des sommes demandées ne sont pas étayés.

Décision du 04 avril 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 22/04549
N° Portalis 352J-W-B7G-CWFSC

Appréciation du tribunal

L’article L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle dispose que “pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.”

A titre liminaire, il importe de rappeler que les différents chefs de préjudice listés par l’article précité doivent être considérés distinctement et non cumulativement pour permettre un dédommagement fondé sur une base objective et l’octroi d’une répartion adaptée au préjudice subi du fait de l’atteinte.
Il sera tout d’abord ordonné des mesures d’interdiction strictement nécessaires pour mettre fin à la contrefaçon de marque, dans les termes prévus au dispositif de la présente décision. Il n’apparaît de ce fait pas nécessaire d’ordonner une mesure particulière pour la modification de la dénomination sociale, la dépose de l’enseigne du commerce, la destruction de tous documents commerciaux, publicitaires ou promotionnels et la radiation du nom de domaine, la mesure d’interdiction prononcée étant suffisante à mettre fin au préjudice.
S’agissant en premier lieu des conséquences économiques négatives de la contrefaçon, la société MéO, qui ne conteste pas détenir une part de marché importante et avoir vu le nombre de demandes de devis augmenter en 2019, ne justifie pas de la perte financière qu’elle dit avoir subie du fait des actes de contrefaçon. Elle justifie au contraire d’un chiffre d’affaire annuel de plus de 50 millions d’euros (indiquant qu’elle ne vend ses produits que sous la marque MéO) entre 2016 et 2020 et affirme détenir en 2019-2020 près de 48,2% de part de marché.
En revanche, en imitant le signe de la demanderesse, la société Liméo a attiré de la clientèle, familière des produits de qualité de la demanderesse, et réalisé ainsi un bénéfice indu, tout en faisant des économies d’investissements, exposés par la société MéO pour bâtir son image. La société MéO ne produit toutefois aucun élément financier de nature à apprécier le montant des dépenses d’investissements et publicitaires, et souligne que les comptes annuels de la défenderesse ne sont pas disponibles.

La société Méo justifie bien, enfin, d’un préjudice moral lié à la banalisation de sa marque et l’atteinte à sa capacité distinctive, qui se trouve diluée en raison des agissements du défendeur.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, la société Liméo sera condamnée à payer à la société MéO la somme provisionnelle globale de 5.000 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon de sa marque.
Le préjudice est intégralement réparé par les mesures d’interdiction et indemnitaire, sans qu’une mesure de publication ne soit nécessaire. Les demandes seront rejetées.
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive

Moyens des parties

La société Liméo demande la condamnation de la société MéO à lui payer des dommages-intérêts dans la mesure où l’unique objectif de la procédure était, selon elle, de restreindre sa liberté d’entreprendre.
La société MéO conteste toute procédure abusive, estimant que les éléments avancés par la défenderesse sont insuffisants pour caractériser une intention de nuire ou une légèreté blâmable. Elle conclut que le montant des dommages-intérêts sollicités est en tout état de cause exhorbitant.
Appréciation du tribunal

La procédure engagée par la société MéO, qui voit ses demandes prospérer, n’est pas abusive. La demande de dommages-intérêts de la société Liméo sera rejetée.
Sur les demandes annexes

Succombant, la société Liméo Menuiseries sera condamnée aux dépens de l’instance dont distraction au profit de Me Olympe Vanner en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Supportant les dépens, elle sera condamnée à payer à la société MéO la somme de 7.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Aucune circonstance ne justifie que soit écartée l’exécution provisoire de la présente décision.

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL

FAIT INTERDICTION à la société Liméo Menuiseries de faire usage des signes "LIMEO", “LIMEO MENUISERIES” et

ou de tout autre signe reproduisant ou imitant la marque verbale française "MEO" n°4290592 appartenant à la société MéO, à quelque titre et sous quelque forme support que ce soit, y compris à titre de nom de domaine, de dénomination sociale et d’enseigne, pour des produits identiques ou similaires de menuiseries et des services de vente, pose, installation, réparation, entretien de menuiseries, sous astreinte provisoire de 200 euros par jour de retard à compter d’un délai de deux mois suivant la signification de la présente décision et courant pendant un délai de six mois;

CONDAMNE la société Liméo Menuiseries à payer à la société MéO la somme provisionnelle de 5.000 euros (cinq mille euros) en réparation de l'ensemble des chefs de préjudice résultant des actes de contrefaçon;

REJETTE les demandes de publication de la présente décision;

DÉBOUTE la société Liméo Menuiseries de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive;

REJETTE les autres demandes portant sur la modification de la dénomination sociale, la dépose de l’enseigne du commerce, la destruction de tous documents commerciaux, publicitaires ou promotionnels et la radiation du nom de domaine, la mesure d’interdiction prononcée étant suffisante à mettre fin au préjudice;

REJETTE le surplus;

CONDAMNE la société Liméo Menuiseries aux dépens dont distraction au profit de Me Olympe Vanner en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile;

CONDAMNE la société Liméo Menuiseries à payer à la société MéO la somme de 7.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;

RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit et dit n’y avoir lieu à l’écarter.

Fait et jugé à Paris le 04 avril 2024

LA GREFFIÈRE LA PRESIDENTE
Caroline REBOULAnne-Claire LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 3ème chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 22/04549
Date de la décision : 04/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 10/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-04;22.04549 ?
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