TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
N° RG 24/80218 - N° Portalis 352J-W-B7I-C4CIF
N° MINUTE :
CE à Me Rochelet
CCC à Me Conti
CCC aux parties en LRAR
Le :
PÔLE DE L’EXÉCUTION
JUGEMENT rendu le 03 avril 2024
DEMANDEUR
Monsieur [L] [M]
né le [Date naissance 2] 1953 à [Localité 8]
[Adresse 1]
[Localité 9]
représenté par Me Serge CONTI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #L0253
DÉFENDERESSE
Madame [Z] [H] divorcée [M]
née le [Date naissance 4] 1955 à [Localité 5]
[Adresse 3]
[Localité 9]
représentée par Me Jérôme ROCHELET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #B0711
JUGE : Monsieur Cyril ROTH, 1er Vice-Président adjoint, juge de l’Exécution par délégation du Président du Tribunal judiciaire de PARIS.
GREFFIER : Madame Chloé GAUDIN, greffière, lors des plaidoiries, Madame Amel OUKINA, greffière principale, lors de la mise à disposition.
DÉBATS : à l’audience du 28 Février 2024 tenue publiquement,
JUGEMENT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoire, susceptible d’appel
EXPOSE DU LITIGE
Le 13 février 2008, le juge aux affaires familiales de Paris a prononcé le divorce par consentement mutuel de M. [M] et de Mme [V] après avoir homologué leur convention prévoyant notamment le maintien d'une indivision sur un ensemble immobilier sis à [Localité 6], dans la Creuse.
Le 28 juin 2023, infirmant un jugement du tribunal judiciaire de Guéret du 22 mars 2022, la cour d’appel de Limoges a constaté qu'était parfaite la vente par Mme [V] à M. [M] de sa part indivise dans cet immeuble intervenue le 21 juin 2019, en a fixé le prix et a dit que son arrêt valait acte authentique de vente.
Sur le fondement de cet arrêt, Mme [V], épouse [H], a, le 4 janvier 2024, fait pratiquer une saisie-attribution entre les mains de la SCP Guilbaud & [R], notaire dans l'Indre. Cette saisie a été dénoncée à M. [M] le 10 janvier suivant.
Le 29 janvier 2024, M. [M] a assigné Mme [V], épouse [H], devant le juge de l’exécution.
Il conclut à l'irrecevabilité des conclusions de Mme [H], à l'annulation de la saisie-attribution et réclame 4.000 € de dommages intérêts pour saisie abusive, outre une indemnité de procédure de 3.000 €.
En défense, Mme [H], conclut au rejet de ces prétentions, demande que l'obligation de payer instituée par l'arrêt du 28 juin 2023 soit assortie d'une astreinte de 2.000 € par jour, sollicite 10.000 € de dommages intérêts, ainsi qu'une indemnité de procédure de 10.000 €.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est fait référence à leurs conclusions écrites respectives visées à l'audience.
MOTIFS
Sur la recevabilité des conclusions de Mme [H]
Au soutien de sa demande tendant à voir déclarer irrecevables les conclusions de Mme [H], M. [M] soutient qu'elle dissimule sa véritable adresse.
Un tel motif, à le supposer avéré, ne serait pas une cause d'irrecevabilité.
Sur la recevabilité de la contestation
La contestation a été introduite dans le mois de la dénonciation de la saisie-attribution à la partie débitrice.
L'assignation introductive d'instance a été dénoncée à l'huissier l'ayant instrumentée par lettre recommandée avec accusé de réception, avant l'expiration du premier jour ouvrable suivant sa délivrance.
La contestation est donc recevable au regard des dispositions de l'article R. 211-11 du code des procédures civiles d'exécution.
Sur la demande d'annulation de la saisie-attribution du 4 janvier 2024
Selon l'article 648 du code de procédure civile, tout acte d'huissier de justice doit mentionner, lorsque le requérant est une personne physique, son domicile.
Mais l'article 111 du code civil autorise toute personne à, dans un acte, élire domicile ailleurs qu'à son domicile réel pour l'exécution de cet acte.
En l'espèce, l'acte de saisie-attribution mentionne que Mme [H] réside [Adresse 3], dans le [Localité 9], mais aussi qu'elle élit domicile en l'étude de l'huissier instrumentaire.
L'assignation introductive d'instance a été délivrée à la requête de M. [M] à ce domicile élu, de sorte l'absence d'indication du domicile réel de Mme [H] à l'acte de saisie-attribution n'a pas empêché le demandeur d'introduire l'instance dans le bref délai prévu à l'article R. 211-11 du code des procédures civiles d'exécution.
Au reste, M. [M] ne peut se faire un grief de ce que Mme [H] résiderait en réalité ailleurs que rue du général Deslestraint lié à l'exécution éventuelle de la décision à intervenir, dès lors qu'il résulte de ses propres conclusions qu'il connaît le lieu de résidence de son ex-épouse.
De ce premier chef, la saisie-attribution critiquée ne saurait donc être annulée.
Il résulte des articles L. 111-2 et L. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution que le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut appréhender entre les mains d'un tiers toute créance de son débiteur.
Selon l'article L. 111-3, 1°, du code des procédures civiles d'exécution, les décisions des juridictions de l'ordre judiciaire ayant force exécutoire constituent des titres exécutoires.
Selon une jurisprudence abondante, la qualification de titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible au sens des articles L. 111-2 et L. 211-1 précités n'est pas subordonnée à l'existence d'une condamnation formelle d'avoir à payer une somme déterminée dans le dispositif de la décision de justice fondant les poursuites (voir par exemple 2ème Civ., 23 oct 2008, n°07-20.035, publié ; Com, 5 déc 2006,n°05-11.761, publié ; Com, 30 oct 2007, n°04-16.655, publié ; Soc, 21 oct 1998, n°96-19.865, publié ; 2ème Civ., 6 oct 2016, n°15-12.606, publié ; 1ère Civ., 19 nov 2009, n°19-22.704, publié ; 2ème Civ., 7 janvier 2010, n°09-65.035 ; 2ème Civ., 19 nov 2009, n°08-14.325, publié).
En l'espèce, l'arrêt du 28 juin 2023 constitue un titre exécutoire en la forme, au sens de l'article L. 111-3 précité ; il constate la vente par Mme [H] de sa part indivise dans l'immeuble de [Localité 7] à M. [M] ; dans le dispositif de sa décision, la cour d’appel en fixe le prix et énonce que son arrêt vaut acte authentique de vente.
Cette décision de justice exécutoire ayant constaté qu'il n'existait plus d'indivision entre les parties, il ne leur est pas loisible de faire dresser un acte de licitation.
D'autre part, l'acheteur étant, selon l'article 1582 du code civil, tenu à payer le prix, l'arrêt du 28 juin 2023 constitue à l'évidence, contrairement à ce que soutient le demandeur, un titre exécutoire permettant à Mme [H], reconnue créancière du prix de 90.000 € liquidé par la cour d’appel, toute mesure d'exécution forcée légalement admissible sur les biens de M. [M].
Il n'y a donc pas lieu, de ce chef non plus, d'annuler la saisie-attribution contestée.
Sur la demande d'astreinte
Selon l’article L. 131-1 du code des procédures civiles d’exécution, le juge de l’exécution peut assortir d’une astreinte la décision d’un autre juge si les circonstances en font apparaître la nécessité.
En l’espèce, la saisie-attribution contestée a été pratiquée pour paiement de la somme globale de 95.379,90 €.
M. [M] établit par une attestation du 8 septembre 2021 avoir versé entre les mains de M. [R], notaire, une somme de 100.000 € destinée à acquitter le prix de la licitation de l’immeuble en cause et des frais afférents.
Le 23 janvier 2024, en réaction à la saisie-attribution pratiquée entre ses mains, ce notaire a avisé l’huissier instrumentaire qu’il était “en possession des fonds permettant à M. [M] de régler la quote-part appartenant à Mme [H]”.
De là, il peut être raisonnablement inféré que la saisie-attribution a été fructueuse pour le tout, de sorte que le prononcé d’une astreinte n’est pas nécessaire.
Sur les demandes de dommages intérêts
L’issue du litige implique le rejet de la demande de dommages intérêts pour saisie abusive.
En revanche, émanant d’un professionnel du droit tel que M. [M], avocat, l’action en contestation d’une saisie fondée sur l’affirmation qu’un arrêt de cour d’appel constatant une créance liquide et exigible ne constituerait pas un titre exécutoire permettant l’exécution forcée doit être tenue pour un abus du droit d’agir en justice.
Cette faute a généré pour Mme [H] un préjudice constitué par le déficit de trésorerie lié à la durée de l’instance en contestation, qui sera justement réparé par l’allocation à titre de dommages intérêts d’une somme forfaitaire de 2.000 €.
Sur les demandes accessoires
L'équité commande d'allouer à la défenderesse l'indemnité de procédure fixée au dispositif.
PAR CES MOTIFS,
le juge de l’exécution
Dit recevables les conclusions prises pour Mme [V], épouse [H] ;
Rejette la demande d’annulation de la saisie-attribution du 4 janvier 2024 ;
Rejette la demande d’astreinte ;
Rejette la demande de dommages intérêts formulée par M. [M] ;
Condamne M. [M] à verser à Mme [V], épouse [H], la somme de 2.000 € à titre de dommages intérêts ;
Condamne M. [M] à verser à Mme [V], épouse [H], la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [M] aux dépens.
Le greffierLe juge de l’exécution