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03/04/2024 | FRANCE | N°22/09841

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 1/1/1 resp profess du drt, 03 avril 2024, 22/09841


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :




1/1/1 resp profess du drt


N° RG 22/09841 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CXLL3

N° MINUTE :


Assignation du :
20 Juillet 2022















JUGEMENT
rendu le 03 Avril 2024
DEMANDEUR

Monsieur [B] [P]
[Adresse 1]
[Localité 3]

représenté par Maître Katia BITTON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E1543


DÉFENDEUR

AGENT JUDICIAIRE DE L’ETATr>[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]

représenté par Maître Anne-laure ARCHAMBAULT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0079


MINISTERE PUBLIC

Madame Laureen SIMOES,
Substitut du Procureur





Décision du ...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

1/1/1 resp profess du drt


N° RG 22/09841 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CXLL3

N° MINUTE :

Assignation du :
20 Juillet 2022

JUGEMENT
rendu le 03 Avril 2024
DEMANDEUR

Monsieur [B] [P]
[Adresse 1]
[Localité 3]

représenté par Maître Katia BITTON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E1543

DÉFENDEUR

AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]

représenté par Maître Anne-laure ARCHAMBAULT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0079

MINISTERE PUBLIC

Madame Laureen SIMOES,
Substitut du Procureur

Décision du 03 Avril 2024
1/1/1 resp profess du drt
N° RG 22/09841 - N° Portalis 352J-W-B7G-CXLL3

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Benoît CHAMOUARD, Premier Vice-Président adjoint,
Président de formation,

Monsieur Eric MADRE, Juge
Madame Lucie LETOMBE, Juge
Assesseurs,

assistés de Samir NESRI, Greffier

DEBATS

A l’audience du 07 Février 2024
tenue en audience publique

JUGEMENT

- Contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
- Signé par Monsieur Benoît CHAMOUARD, Président, et par Monsieur Samir NESRI, greffier lors du prononcé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Dans le cadre d'un contentieux prud'homal l'opposant à plusieurs salariés, dont Monsieur [B] [P], portant notamment sur le non-respect des temps de pause, la Société Orly Ramp Assistance a communiqué des attestations au soutien de ses prétentions.

Estimant que la société Orly Ramp Assistance avait produit des attestations n'émanant pas de leurs auteurs et tenté ainsi de fausser l'opinion des juridictions en charge de leur dossier, vingt-deux salariés, dont Monsieur [B] [P], ont déposé plainte auprès du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Créteil le 30 mai 2017, notamment pour faux et usage de faux au visa de l’article 441-1 du code pénal.

Sept autres salariés se sont joints à la plainte le 13 juin 2017, puis un autre le 10 juillet 2017 et deux autres le 19 avril 2018.

Le 27 mars 2019, le conseil des plaignants s’est enquis auprès du procureur de la République de l’état d’avancement de la procédure et l'a informé du désistement de deux d'entre eux.

Par courrier du 18 septembre 2019, le conseil des plaignants a sollicité auprès du procureur de la République la transmission des pièces du dossier.

Par courrier du 27 septembre 2019, le parquet a répondu qu’une enquête était en cours.
Par courriers en date du 3 octobre 2019, du 18 février 2020 et du 29 septembre 2020, le conseil des plaignants a interrogé le parquet sur l’état d’avancement du dossier.

Le 3 mars 2021, le procureur de la République a indiqué ne pas avoir réussi à localiser la procédure, confiée dans un premier temps au commissariat de [Localité 5] le 2 juin 2017 puis adressée à plusieurs commissariats de l’Essonne pour audition des salariés.

Par courrier du 31 janvier 2022, le conseil des plaignants a relancé le parquet sur les suites de la procédure.

Le 31 janvier 2022, le greffe du parquet a confirmé que la procédure avait été égarée.

Par acte du 20 juillet 2022, Monsieur [B] [P] a fait assigner l’agent judiciaire de l’Etat devant le tribunal judiciaire de Paris.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 19 mars 2023, Monsieur [B] [P] demande au tribunal, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, de condamner l’agent judiciaire de l’Etat à lui verser la somme de 8 000,00 € au titre du préjudice moral subi du fait de la perte de la procédure pénale, outre la somme de 1 560,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Il soutient que la perte du dossier d’enquête est un fait traduisant l’inaptitude du service public de la justice judiciaire à remplir la mission dont il est investi et est donc caractéristique d’une faute lourde, engageant la responsabilité de l'Etat, et que les délais devant le procureur de la République de Créteil sont manifestement déraisonnables, alors que, saisi par quatre plaintes des 30 mai, 13 juin et 10 juillet 2017 puis 19 avril 2018, il n'a indiqué qu’en septembre 2019 que le dossier était en phase « enquête » puis le 3 mars 2021, qu’il n’avait pas pu localiser la procédure et le 31 janvier 2022 que la procédure avait été égarée, sans pour autant proposer de solution de repli à son conseil, situation qui s’assimile à un déni de justice.

Il ajoute que le déni de justice est constitué, indépendamment du fait que le plaignant n’ait pas usé de la faculté qui lui était offerte par l’article 85 du code de procédure pénale de déposer une plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d’instruction, aucune décision n'étant intervenue sur sa plainte.

Il ajoute que la désignation d'un juge d'instruction n'aurait pas pu pallier la perte des auditions et de l'enquête menée et que le parquet n'ayant pas tenté de reconstituer la procédure auprès des différents commissariats intervenus.

S'agissant du préjudice moral et financier, il fait valoir que le traitement de ce litige dans un délai normal était très important pour lui puisqu’il était en lien avec la procédure prud’homale qu’il avait diligentée à l’encontre de son employeur, les plaintes de 2017 et de 2018 n’ayant pourtant pas été suivies d’effet et ce, non pas par manque de pièces justifiant du litige mais par la perte pure et simple de l’ensemble de la procédure.

Par conclusions notifiées le 20 décembre 2022, l’agent judiciaire de l’Etat conclut, à titre principal, au rejet des demandes de Monsieur [B] [P], à titre subsidiaire, à la réduction de ses prétentions à de plus justes proportions et, en tout état de cause, le rejet des demandes formées au titres des frais irrépétibles.

Il rappelle que l’inaptitude du service public de la justice ne peut être appréciée que dans la mesure où l’exercice des voies de recours n’a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué et fait valoir qu'en l'espèce, rien n’empêchait le requérant de saisir le doyen des juges d’instruction trois mois après le dépôt de sa plainte, en application de l’article 85 du code de procédure pénale, ce qu'il n'a pas entrepris, de sorte qu'aucune faute lourde n'est caractérisée.

Il conteste ensuite tout déni de justice, rappelant que la durée d'une procédure doit s'apprécier au regard de la complexité du dossier, de l’ensemble des diligences et des investigations réalisées par les services enquêteurs et le procureur de la république chargé du dossier, et du comportement des parties et estimant qu'en l'espèce, la nature du dossier révélait une certaine complexité, avec 32 plaignants et des investigations à réaliser sur chacune des écritures, le parquet ayant accompli de nombreuses diligences auprès de différents commissariats afin de procéder à des auditions, le demandeur ne démontrant pas d'absence de diligence, et ayant attendu plus de deux ans avant d'effectuer une première relance.

Il ajoute que le demandeur, à qui il incombe d’étayer sa demande de réparation avec des éléments pertinents et qui contribuent effectivement à déterminer son préjudice tant moral que matériel, formule une demande globale au titre de son préjudice moral et financier sans détailler ces derniers et fournir de pièces justificatives à l’appui de ses demandes.

Par avis notifié le 15 mars 2023, le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris conclut au rejet des demandes, au motif que, si la perte de la procédure, attestée par les courriers du parquet des 3 mars 2021 et 31 janvier 2022, est constitutive d'un dysfonctionnement du service public de la justice et caractérise une faute grave, entraînant une perte de chance que soient établies - ou non - d'éventuelles infractions, et, le cas échéant, qu'elles reçoivent une réponse pénale et que les fausses attestations soient écartées des débats devant le conseil de prud'hommes, aucun dysfonctionnement du service public de la justice ne peut justifier une indemnisation sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, dès lors que le demandeur pouvait passer outre l'inaction du parquet et des services de police en déposant une plainte avec constitution de partie civile entre les mains du doyen des juges d'instruction, le demandeur s'étant ainsi abstenu d'agir par une autre voie procédurale alors qu'il avait possibilité de le faire.

La clôture de la mise en état a été fixée au 28 août 2023 par ordonnance rendue le même jour par le juge de la mise en état.

A l'audience du 7 février 2024, l'affaire a été mise en délibéré au 3 avril 2024, date du présent jugement.

SUR CE

Sur la demande principale :

Aux termes de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, l’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.
La faute lourde s'entend de toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.

Le déni de justice correspond au refus d’une juridiction de statuer sur un litige qui lui est présenté ou au fait de ne procéder à aucune diligence pour instruire ou juger les affaires ; il constitue une atteinte à un droit fondamental et, s’appréciant sous l’angle d’un manquement du service public de la justice à sa mission essentielle, il englobe, par extension, tout manquement de l’Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu, qui comprend celui de répondre sans délai anormalement long aux requêtes des justiciables, conformément aux dispositions de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme.

L’appréciation d’un allongement excessif du délai de réponse judiciaire, susceptible d’être assimilé à un refus de juger et, partant, à un déni de justice engageant la responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, s’effectue de manière concrète, au regard des circonstances propres à chaque procédure, en prenant en considération les conditions de déroulement de la procédure, la nature de l'affaire, son degré de complexité, le comportement des parties en cause, ainsi que l’intérêt qu’il peut y avoir pour l’une ou l’autre des parties, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige, et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu’il soit tranché rapidement.

Toutefois, l'inaptitude du service public de la Justice à remplir la mission dont il est investi ne pouvant être appréciée que dans la mesure où l'exercice des voies de recours n'a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué.

En l’espèce, s'il est constant et ressort des pièces produites que la plainte de Monsieur [B] [P] n’a pas été traitée par le service d’enquête et par les autorités judiciaires avec la diligence et le soin requis, eu égard à la perte du dossier, reconnue par le parquet de Créteil, le demandeur ne démontre pas avoir mis en œuvre les recours à sa disposition pour passer outre ce dysfonctionnement, en l’absence notamment de tout dépôt de plainte avec constitution de partie civile.
Il convient en effet de rappeler que s'il appartient au premier chef au ministère public de mettre en mouvement l'action publique, cette action peut aussi être mise en mouvement par la partie lésée dans les conditions déterminées par la loi :
- soit par la citation directe de l'auteur de l'infraction devant la juridiction répressive, en vertu des articles 390 et suivants le code de procédure pénale pour les délits ;
- soit, sur le fondement de l'article 85 du code de procédure pénale, par le dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction territorialement compétent, à condition de justifier d'une plainte préalable classée sans suite ou non suivie d'effet pendant plus de trois mois.

Aucune faute lourde de l'Etat au sens de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire n'est ainsi démontrée par Monsieur [B] [P].

De même, le délai de traitement de la plainte n'est aucunement imputable à l'Etat, alors que l'intéressé n'a pas usé de sa faculté de déposer plainte avec constitution de partie civile, de sorte, qu'aucun déni de justice n'est caractérisé par le demandeur.
En effet, une telle plainte, qui pouvait être déposée dès l'issue d'un délai de trois mois à compter de la plainte initiale sans nécessité d'attendre une décision préalable du parquet, était de nature à remédier à un défaut de diligence de ce dernier, en permettant la réalisation d'investigations, dans le cadre d'une commission rogatoire, avant l'expiration du délai de prescription, notamment, le cas échéant, les auditions de personnes déjà entendues au cours de l'enquête préliminaire et dont les procès-verbaux d'audition auraient été égarés. Par ailleurs, la saisine d'un juge d'instruction dès l'issue d'un délai de trois mois à compter du dépôt de plainte initiale était de nature à permettre d'éviter que le dossier pénal ne soit par la suite égaré, alors qu'il ressort du courrier du parquet de Créteil en date du du 27 septembre 2019 que l'enquête demeurait alors en cours, ce dont il se déduit que le dossier n'avait pas encore été perdu à cette date.

En conséquence, il convient de rejeter les demandes de Monsieur [B] [P] à l'encontre de l’Etat français, pris en la personne de l’agent judiciaire de l’Etat.

Sur les demandes accessoires :

Monsieur [B] [P], succombant, est condamné aux dépens et débouté de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,

Rejette les demandes de Monsieur [B] [P] à l'encontre de l’Etat français, pris en la personne de l’agent judiciaire de l’Etat ;

Condamne Monsieur [B] [P] aux dépens ;

Rappelle que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Fait et jugé à Paris le 03 Avril 2024

Le GreffierLe Président

S. NESRIB. CHAMOUARD


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 1/1/1 resp profess du drt
Numéro d'arrêt : 22/09841
Date de la décision : 03/04/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 09/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-03;22.09841 ?
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