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02/04/2024 | FRANCE | N°23/04743

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 19ème chambre civile, 02 avril 2024, 23/04743


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :


19ème chambre civile


N° RG 23/04743

N° MINUTE :


Assignations des :
- 15 Février 2023
- 03 Avril 2023

CONDAMNE

SB




JUGEMENT
rendu le 02 Avril 2024
DEMANDEURS

Madame [G] [S] épouse [M]
[Adresse 5]
[Localité 1]

Monsieur [F] [M]
[Adresse 5]
[Localité 1]

Monsieur [H] [M]
[Adresse 5]
[Localité 1]

Représentés par Maître Aysel KOÇ de la SARL E-AVOCAT & CO, avo

cat au barreau de PARIS, vestiaire #A0952

DÉFENDERESSES

La COMPAGNIE PACIFICA
[Adresse 10]
[Localité 9]

Représentée par Maître Patrice GAUD D’AGMC AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiair...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

19ème chambre civile

N° RG 23/04743

N° MINUTE :

Assignations des :
- 15 Février 2023
- 03 Avril 2023

CONDAMNE

SB

JUGEMENT
rendu le 02 Avril 2024
DEMANDEURS

Madame [G] [S] épouse [M]
[Adresse 5]
[Localité 1]

Monsieur [F] [M]
[Adresse 5]
[Localité 1]

Monsieur [H] [M]
[Adresse 5]
[Localité 1]

Représentés par Maître Aysel KOÇ de la SARL E-AVOCAT & CO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0952

DÉFENDERESSES

La COMPAGNIE PACIFICA
[Adresse 10]
[Localité 9]

Représentée par Maître Patrice GAUD D’AGMC AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0430

La CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DU RHONE
[Adresse 6]
[Localité 7]

Non représentée

Décision du 02 Avril 2024
19ème chambre civile
RG 23/04743

La S.A.S.U APRIL INTERNATIONAL E.M.E.A
[Adresse 3]
[Localité 8]

Non représentée

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Géraldine CHARLES, Première Vice-Présidente adjointe
Madame Sabine BOYER, Vice-Présidente
Monsieur Maurice RICHARD, Magistrat à titre temporaire

Assistés de Madame Erell GUILLOUËT, Greffière, lors des débats et au jour de la mise à disposition au greffe.

DEBATS

A l’audience du 30 Janvier 2024 présidée par Madame Géraldine CHARLES tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 02 Avril 2024.

JUGEMENT

- Réputé contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE

Madame [G] [S] épouse [M], née le [Date naissance 2]1972 piéton, a été renversée par le véhicule conduit par Mme [U], assurée auprès de la compagnie PACIFICA, le 03 décembre 2015, alors qu'elle traversait sur un passage protégé. Elle a été projetée sur le véhicule puis a chuté au sol.
Elle a été secourue par les pompiers qui l'ont emmenée au service des urgences de l'hôpital de [Localité 11] où elle a présenté une fracture fermée non déplacée du péroné droit, une douleur à l'épaule gauche sans fracture, un hématome de l'épaule gauche, un hématome des mollet gauche, genou gauche et genou droit, un hématome de la cuisse gauche et la cuisse droite, des vertiges et nausées persistants.
Son ITT initiale a été fixée à 45 jours, sauf complications.

Par la suite le 30 décembre 2015, une IRM du genou gauche a mis en évidence une entorse du « LLE » et une déchirure du ménisque externe. Le 22 janvier 2016, l'IRM du rachis cervical a conclu à une raideur cervicale. Puis sont apparus des vertiges et des lésions au genou droit lors de l'IRM du 11 mars 2016 (lésion intéressant son ligament croisé antérieur sans rupture complète de ce ligament, une atteinte du « LLI » sans rupture complète et avec désinsertion, une intégrité du LLE et du LCP), et le 06 juin 2016, une fracture de la fibula, une entorse du « LLI », une lésion du ménisque externe, avec persistance de douleurs.

Le droit à indemnisation de Mme [M] n'est pas contesté par la compagnie PACIFICA, qui a mandaté un expert le 27 juin 2016, le Dr [J], qui a constaté des atteintes du genou droit, du rachis cervical et de l'épaule gauche, ainsi que des vertiges en lien avec l'accident du 03/12/2015.

Par ordonnance du 16 décembre 2016, le juge des référés a alloué une provision à la victime à hauteur de 10 000 € et ordonné une expertise médicale confiée au Dr [P] [W].

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 19 octobre 2017, aux termes duquel, il a constaté que Mme [M] n’était pas consolidée tant d'un point de vue orthopédique que psychologique.

L'expert a de nouveau examiné Mme [M] le 28 septembre 2020 à la demande du juge des référés du 14 octobre 2019, et il a déposé son rapport médical définitif le 21 janvier 2021, après avis du sapiteur le docteur [L] [Y], psychiatre, et conclut comme suit :

Blessures imputables à l’accident : fracture fermée non déplacée du péroné droit traitée orthopédiquement, douleur épaule gauche sans fracture, hématome de l'épaule gauche, Hématome mollet gauche, hématome genou gauche et genou droit, hématome cuisse gauche et cuisse droite, vertiges et nausées persistantes sans étiologie retrouvée, cervicalgies

consolidation 28 juin 2018

arrêt total d'activité : Arrêts de travail du jour de l’accident 03/12/2015 à la date de consolidation du 28/06/2018.
Ces arrêts de travail sont liés au fait dommageable jusque fin 2017.
Puis à partir du 01/01/ 2018, ils sont liés également à la polyarthrite rhumatoïde (pour 25%);
déficit fonctionnel temporaire :
Déficit fonctionnel temporaire à 100 % du 03 au 17/12/2015
Déficit fonctionnel temporaire à 75 % du 18/12/2015 au 17/01/2016
Déficit fonctionnel temporaire à 50 % du 18/01/2016 au 17/03/2017
Déficit fonctionnel temporaire à 25 % du 18/03/2017 au 06/07/2017
Déficit fonctionnel temporaire à 18 % du 07/07/2017 au 31/12/2017
Déficit fonctionnel temporaire à 15 % du 01/01/2018 au 27/06/2018 ;

besoin en tierce personne :
3 heures par jour du 18.12.2015 au 17.01.2016,
2 heures par jour du 18.01.2016 au 17.03.2017
1 heure par jour du 18.03.2017 au 06.07.2017

souffrances endurées : 3.5/7

séquelles : tant physique (incapacité à se déplacer, atteinte du LLI sans rupture complète aspect de fissure de la corne du ménisque externe et du côté gauche, déchirure du ménisque, vertiges et nausées) que psychique (l'état dépressif associé à une symptomatologie post-traumatique figée;

déficit fonctionnel permanent :
12 % en rapport avec l'accident se décomposant comme suit :
- séquelles psychologiques 8% en rapport avec l'accident
- séquelles somatiques 7 % dont 4 % en rapport avec l'accident

préjudice esthétique temporaire : 2.5/7 en raison de l'alitement pendant 1 mois, des multiples hématomes, du déambulateur, du port d'attelles, des cicatrisations sur les lésions ligamentaires périphériques, du visage figé de la victime déprimée alors âgée de 43 ans à la date de l'accident

préjudice esthétique permanent : 1.5/7

préjudice d'agrément : l'impossibilité pour la victime de se livrer aux activités de randonnées et de vélo (75% en rapport avec l'accident)

préjudice professionnel : Madame [M] ne peut plus exercer sa profession antérieure en raison de l'accident pour 75 % (incapacité à se déplacer) et de la polyarthrite rhumatoïde pour 25 %.
Une profession sédentaire n'est pas envisageable, car elle ne parle pas le français et qu'elle n a fait aucune étude.
le Dr [L] [Y], sapiteur psychiatre, conclut dans son rapport d'expertise psychiatrique du 06 octobre 2020 que :« Il n y a pas d'état antérieur au sens psychiatrique du terme... »
Tableau dépressif monobloc, associé à une symptomatologie post traumatique figée.
« Sur le plan psychiatrique la symptomatologie actuelle ne permet ni une mobilisation dans la recherche d'activité professionnelle, ni une capacité de la soutenir.

préjudice sexuel : le [Y] indique « L'absence de vie sexuelle s'inscrit dans le tableau dépressif

dépenses de santé futures : Des antalgiques sont nécessaires 2 ans à dater de la date de consolidation. Une prise en charge psychiatrique soutenue pour une durée de deux ans est conseillée.

***
Au vu de ce rapport, par actes des 15 février et 3 avril 2023 assignant la SA PACIFICA, la SAS APRIL INTERNATIONAL et la CPAM du Rhône, auxquels il est référé expressément conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, Madame [G] [M] née [S], Monsieur [F] [M] son époux et Monsieur [H] [M], son fils, né le [Date naissance 4]1993, demandent au tribunal de :

Déclarer recevables et bien fondées les demandes présentées par les requérants ;
- Condamner PACIFICA, assureur de Mr [U], à payer à Mme [G] [M], les sommes suivantes, à titre de réparation de son préjudice corporel, provisions non déduites, avec intérêts au taux légal à compter du 18.06.2021 :
18.828.00 € au titre de la tierce personne temporaire112.500.00 € au titre de l'incidence professionnelle600.667.20 € au titre de la perte de gains professionnels futurs8.434.75 € au titre du déficit fonctionnel temporaire12.000.00 € au titre des souffrances endurées5.000.00 € au titre du préjudice esthétique temporaire15.000.00 € au titre du préjudice sexuel42.000.00 € au titre du déficit fonctionnel permanent2.500.00 € au titre du préjudice esthétique permanent5.000.00 € au titre du préjudice d'agrément- Condamner PACIFICA, à payer à Mr [F] [M], la somme de 15.000 € au titre de son préjudice sexuel par ricochet
- Condamner PACIFICA à payer à Mr [F] [M], la somme de 5.000 € au titre de son préjudice d'affection
- Condamner PACIFICA à payer à Mr [H] [M], la somme de 5.000 € au titre de son préjudice d'affection
- Rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions adverses
- Déclarer commun et opposable le jugement à intervenir à la CPAM du RHONE et à la SA APRIL,
- Condamner PACIFICA à payer à Madame [M], la somme de 10 000.00 € en application des dispositions de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance et les frais d'expertise judiciaire,
- Condamner PACIFICA au doublement du taux de l'intérêt légal sur les intérêts échus des capitaux,
- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

***

Aux termes de ses conclusions récapitulatives signifiées le 25 août 2023, auxquelles il est référé expressément conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la compagnie PACIFICA, demande au tribunal de :
Allouer à Madame [G] [M] une indemnité totale de 64.924 euros.Débouter Madame [G] [M] née [S] de toute autre demande.Débouter Monsieur [F] [M] et Monsieur [H] [M] de leurs demandes.Dire et juger que chaque partie conservera la charge de ses dépens.
La Caisse Primaire d’Assurance-Maladie du Rhone et SAS APRIL INTERNATIONAL, quoique régulièrement assignées, n’ont pas constitué avocat ; susceptible d'appel, le présent jugement sera donc réputé contradictoire et sera déclarée commun à la caisse.

La clôture de la présente procédure a été prononcée le 9 janvier 2024.

L'affaire a été mise en délibéré au 2 avril 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le droit à indemnisation

La loi du 5 juillet 1985 dispose que les victimes d’un accident de la circulation, non conducteurs d’un véhicule terrestre à moteur, ont droit à l'indemnisation des dommages résultant des atteintes à leur personne qu'elles ont subis, sauf lorsqu’elles ont commis une faute inexcusable qui a été la cause exclusive de l’accident ou qu’elles ont volontairement recherché le dommage qu’elles subissent.
Le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur ne peut se dégager de son obligation d'indemnisation que s'il établit que cet accident est sans relation avec le dommage.

La compagnie PACIFICA, qui ne conteste le droit à indemnisation de Mme [M], sera tenue de réparer son entier préjudice ainsi que celui des victimes par ricochet.

Sur l'évaluation du préjudice corporel

Au vu de l'ensemble des éléments versés aux débats, le préjudice subi par Madame [G] [M], née le [Date naissance 2] 1972, âgée par conséquent de 43 ans lors de l'accident, 46 ans à la date de consolidation de son état de santé, 52 ans au jour du présent jugement, et, qui aidait son fils à la boulangerie lors des faits, sera réparé ainsi que suit, étant observé qu'en application de l'article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, d'application immédiate, le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge.

I. PREJUDICES PATRIMONIAUX

- Dépenses de santé

Les dépenses de santé sont constituées de l’ensemble des frais hospitaliers, de médecins, d’infirmiers, de professionnels de santé, de pharmacie et d’appareillage en lien avec l’accident.

En l'espèce, aux termes du relevé de ses débours, daté du 8 avril 2021, le montant définitif des débours de la CPAM s'est élevé à 175 946,92 euros, dont 25.848,83 euros au titre des dépenses de santé.

Il n’est sollicité aucun reste à charges à ce titre.

Ce poste de préjudice n'étant constitué que des débours de la CPAM, il ne revient à la victime aucune indemnité complémentaire.

- Assistance tierce personne provisoire

Il convient d'indemniser les dépenses destinées à compenser les activités non professionnelles particulières qui ne peuvent être assumées par la victime directe durant sa maladie traumatique, comme l'assistance temporaire d'une tierce personne pour les besoins de la vie courante, étant rappelé que l’indemnisation s'entend en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée. Le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être subordonné à la production de justificatifs des dépenses effectives.

En l'espèce, il ressort du rapport d'expertise ce qui suit s'agissant de l'assistance tierce-personne temporaire :
3 heures par jour du 18.12.2015 au 17.01.2016, soit 31 jours
2 heures par jour du 18.01.2016 au 17.03.2017 soit 425 jours
1 heure par jour du 18.03.2017 au 06.07.2017 soit 111 jours
Il est demandé l’application d’un taux horaire de 18 € et offert un taux de 14€.

Sur la base d’un taux horaire de 18 euros, adapté à la situation de la victime, il convient de lui allouer la somme de 18 828 € demandée, le calcul suivant totalisant une somme légèrement supérieure :

dates
18,00 €
/ heure
nombre d’heures
total
18/12/2015

jours

17/01/2016
31
jours
3,00
1 674,00 €
17/03/2017
425
jours
2,00
15 300,00 €
06/07/2017
111
jours
1,00
1 998,00 €

- Perte de gains professionnels avant consolidation

Il s'agit de compenser les répercussions de l'invalidité sur la sphère professionnelle de la victime jusqu'à la consolidation de son état de santé. L'évaluation de ces pertes de gains doit être effectuée in concreto au regard de la preuve d'une perte de revenus établie par la victime jusqu'au jour de sa consolidation.

La CPAM a versé à Mme [M] des indemnités journalières de 1 380,68 € du 4/12/2015 au 31/12/2015, puis de 59 012,28 € du 1/1/2016 au 27/6/2018 et à cette date, une rente AT.

Ce poste de préjudice n'étant constitué que des débours de la CPAM, il ne revient à la victime aucune indemnité complémentaire.

- Perte de gains professionnels futurs

Ce poste indemnise la victime de la perte ou de la diminution de ses revenus consécutive à l'incapacité permanente à laquelle elle est confrontée du fait du dommage dans la sphère professionnelle après la consolidation de son état de santé.

En l'espèce, il est demandé une somme de 600 667,20 € au motif que l’expert a noté que Mme [M] ne peut plus exercer sa profession antérieure ni une autre profession car elle ne parle pas français.
Le calcul est fait sur la base d’une « perte de chance (de 80% pour la période à échoir) de percevoir durant sa vie - a minima – un salaire mensuel équivalent à 2000 € par mois » avec capitalisation viagère et imputabilité à 75% à l’accident.

Le défendeur observe que Mme [M] a déclaré qu’elle travaillait au moment de l’accident dans un terminal de cuisson en boulangerie, dont son fils était le propriétaire, fils qui était présent aux opérations d’expertise. Toutefois, il relève qu’aucune pièce justificative de cette activité (fiches de paie, contrat de travail, déclaration à l’URSSAF, avis d’imposition) n’est versée.
La compagnie PACIFICA verse aux débats un constat d’huissier, fait sur autorisation judiciaire, selon lequel les 19, 20 et 21 mai et 2 juin 2021, Mme [M] se déplaçait sans difficulté en véhicule et à pied sans canne et qu’elle manipulait des sacs volumineux ; qu’elle ouvrait la boulangerie et servait les clients.
Dès lors, la compagnie conteste la réalité de l’inaptitude professionnelle.

Les débours de la CPAM permettent de constater que Mme [G] [M] a reçu une rente AT de 7 391,95 € du 28/6/2018 au 15/1/2021, dont le capital à cette date s’élève à 82 313,18€.

Or, il convient de relever que les demandeurs ne versent aucune pièce justifiant de la réalité d’un emploi salarié ou rémunéré alors que Mme [M] a fait l’objet d’une procédure de déclaration d’accident du travail et qu’elle a perçu des indemnités journalières et désormais une rente AT. Cette procédure est insuffisante pour établir une activité salariée déclarée à l’URSSAF et donnant lieu à un calcul de l’impôt sur le revenu.

Au regard de ces éléments, à savoir l’absence de toute pièce justificative de la réalité de l’activité professionnelle alléguée et des revenus perçus antérieurement dans ladite activité, ce poste de préjudice ne peut recevoir indemnisation.
Au surplus, le constat d’huissier permet de constater que Mme [M] n’a pas cessé les activités qu’elle prétend avoir exercé.

En conséquence, la demande sera rejetée de ce chef.

- Incidence professionnelle

Ce poste d'indemnisation a pour objet d'indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle, ou de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu'elle exerçait avant le dommage au profit d'une autre qu'elle a du choisir en raison de la survenance de son handicap.
Ce poste indemnise également la perte de retraite que la victime va devoir supporter en raison de son handicap, c'est-à-dire le déficit de revenus futurs, estimé imputable à l'accident, qui va avoir une incidence sur le montant de la pension auquel pourra prétendre la victime au moment de sa prise de retraite.

En l'espèce, l’expert a conclu que Madame [M] ne peut plus exercer sa profession antérieure en raison de l'accident pour 75 % (incapacité à se déplacer) et de la polyarthrite rhumatoïde pour 25 % et qu’une profession sédentaire n'est pas envisageable, car elle ne parle pas le français et qu'elle n’a fait aucune étude. Le docteur [Y], sapiteur psychiatre, conclut dans son rapport d'expertise psychiatrique du 06 octobre 2020 que sur le plan psychiatrique la symptomatologie actuelle ne permet ni une mobilisation dans la recherche d'activité professionnelle, ni une capacité de la soutenir.
Toutefois, le constat d’huissier permet de constater que Mme [M] se trouvait sur le lieu de travail trois ans après la consolidation, et ce quatre jours de suite et qu’elle était apparemment en capacité de poursuivre une activité de vente et de port des sacs tandis qu’elle pouvait se déplacer à pied et en voiture. Aucune explication n’a été apportée par les demandeurs qui se contentent de contester le principe de l’enquête et n’ont pas conclu après l’assignation en justice.
Dans ces conditions, ce préjudice n’est pas caractérisé en dépit des conclusions des experts. La demande sera rejetée.

II. PRÉJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX

- Déficit fonctionnel temporaire

Ce poste de préjudice indemnise l'invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique. Le déficit fonctionnel temporaire inclut pour la période antérieure à la date de consolidation, l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d'hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique. Par conséquent, il inclut les préjudices sexuel et d’agrément durant la période temporaire.

En l'espèce, il ressort du rapport d'expertise ce qui suit s'agissant du déficit fonctionnel temporaire :
Déficit fonctionnel temporaire à 100 % du 03 au 17/12/2015
Déficit fonctionnel temporaire à 75 % du 18/12/2015 au 17/01/2016
Déficit fonctionnel temporaire à 50 % du 18/01/2016 au 17/03/2017
Déficit fonctionnel temporaire à 25 % du 18/03/2017 au 06/07/2017
Déficit fonctionnel temporaire à 18 % du 07/07/2017 au 31/12/2017
Déficit fonctionnel temporaire à 15 % du 01/01/2018 au 27/06/2018 ;

Sur la base d’une indemnisation de 25 € par jour pour un déficit total, sur lequel les parties s’accordent, il sera alloué la somme suivante :

dates25,00 €/ jour
03/12/2015taux déficittotal
17/12/201515 jours100%375,00 €
17/01/201631 jours75%581,25 €
17/03/2017425 jours50%5 312,50 €
06/07/2017111 jours25%693,75 €
31/12/2017178 jours18%801,00 €
27/06/2018178 jours15%667,50 €8 431 €

- Souffrances endurées

Il s'agit de toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime durant la maladie traumatique, c'est-à-dire du jour de l'accident à celui de sa consolidation. A compter de la consolidation, les souffrances endurées vont relever du déficit fonctionnel permanent et seront donc indemnisées à ce titre.

En l'espèce, elles sont caractérisées par le traumatisme initial, les traitements subis, et le retentissement psychique des faits s’agissant notamment du multi-traumatisme initial, des douleurs, des antalgiques, de la longueur du suivi médical pendant plus de 3 ans, des séances de massages, des consultations psychologiques ainsi que les traitements psychotropes, anti-dépresseurs et anxiolytiques prescrits. Elles ont été cotées à 3,5/7 par l’expert.

Dans ces conditions, il convient d'allouer la somme de 10 000 € à ce titre.

- Préjudice esthétique temporaire

Ce préjudice est lié à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers, et ce jusqu'à la date de consolidation.

En l'espèce, celui-ci a été coté à 2,5/7 par l'expert en raison notamment de l'alitement pendant 1 mois, des hématomes, du déambulateur, du port d'attelles, durant 3 mois correspondant à la cicatrisation des lésions ligamentaires périphériques.
Ainsi, il est justifié d’allouer la somme de 1500 € de ce chef au regard de la durée de l’atteinte.

- Déficit fonctionnel permanent

Ce préjudice a pour composante les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, les douleurs qui persistent depuis la consolidation, la perte de la qualité de la vie et les troubles définitifs apportés à ces conditions d'existence.

Il comporte en conséquence une part du préjudice dont il est demandé l'indemnisation au titre du préjudice d'agrément et qui sera réparé ici.

En l'espèce, l’expert a retenu un taux de déficit fonctionnel permanent 12 % en rapport avec l'accident se décomposant comme suit :
- séquelles psychologiques 8% en rapport avec l'accident
- séquelles somatiques 7 % dont 4 % en rapport avec l'accident

Les séquelles relevées sont tant physique (incapacité à se déplacer, atteinte du LLI sans rupture complète aspect de fissure de la corne du ménisque externe et du côté gauche, déchirure du ménisque, vertiges et nausées) que psychique (l'état dépressif associé à une symptomatologie post-traumatique figée.)

La victime étant âgée de 46 ans lors de la consolidation de son état, il lui sera alloué une indemnité de 24 300 € (valeur du point fixée à 2025€).

- Préjudice esthétique permanent

Ce préjudice est lié à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers, et ce de manière pérenne à compter la date de consolidation.

En l'espèce, il est coté à 1,5/7 par l'expert en raison notamment de l’usage d’une canne et la boiterie.
Si le défendeur conteste la réalité de ce préjudice en raison du constat d’huissier, il convient de relever néanmoins que les séquelles orthopédiques peuvent expliquer la boiterie qui a pu échapper à l’huissier et qui ne se manifeste pas forcément à tout moment.

Dans ces conditions, il convient d'allouer une somme de 1 500 € à ce titre.

- Préjudice d'agrément

Ce préjudice vise à réparer le préjudice spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs ainsi que les limitations ou difficultés à poursuivre ces activités. Ce préjudice particulier peut être réparé, en sus du déficit fonctionnel permanent, sous réserve de la production de pièces justifiant de la pratique antérieure de sports ou d’activités de loisirs particuliers.

En l'espèce, il convient de noter que l’expert a retenu l'impossibilité pour la victime de se livrer aux activités de randonnées et de vélo avec 75% de ce préjudice en rapport avec l'accident, l’état antérieur expliquant la part non prise en compte.
Toutefois, aucune pièce n’est versée pour justifier de la pratique antérieure de la randonnée ou du vélo.

Dans ces conditions, la demande formulée à ce titre en plus du déficit fonctionnel permanent ne pourra qu'être rejetée.

- Préjudice sexuel

La victime peut être indemnisée si l’accident a atteint, séparément ou cumulativement mais de manière définitive, la morphologie des organes sexuels, la capacité de la victime à accomplir l’acte sexuel (perte de l'envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l'acte sexuel, perte de la capacité à accéder au plaisir), et la fertilité de la victime.

En l'espèce, l'expert a retenu ce préjudice en rapport avec le tableau dépressif.

Dans ces conditions, il convient d'allouer la somme de 10 000 € à ce titre.

SUR LE DOUBLEMENT DES INTERETS AU TAUX LEGAL ET L'ANATOCISME

Aux termes de l'article L 211-9 du code des assurances, (après août 2003) une offre d'indemnité, comprenant tous les éléments indemnisables du préjudice, doit être faite à la victime qui a subi une atteinte à sa personne dans le délai maximal de 8 mois à compter de l'accident. Cette offre peut avoir un caractère provisionnel lorsque l'assureur n'a pas, dans les trois mois de l'accident, été informé de la consolidation de l'état de la victime. L'offre définitive doit alors être faite dans un délai de 5 mois suivant la date à laquelle l'assureur a été informé de cette consolidation. En tout état de cause, le délai le plus favorable à la victime s'applique.

Lorsque l'assureur n'est pas informé de la consolidation de l'état de la victime dans les trois mois suivant l'accident, il doit faire une offre d'indemnisation provisionnelle dans un délai de huit mois à compter de l'accident. L'offre définitive doit être faite dans un délai de 5 mois suivant la date à laquelle l'assureur a été informé de la consolidation.

A défaut d'offre dans les délais impartis par l'article L 211-9 du code des assurances, le montant de l'indemnité offerte par l'assureur ou allouée par le juge, produit, en vertu de l'article L 211-13 du même code, des intérêts de plein droit au double du taux de l'intérêt légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif.

En l’espèce, il est demandé le bénéfice de ces dispositions sans aucune précision.

La compagnie PACIFICA indique avoir fait une offre d’indemnisation le 17 juin 2021. Elle considère que la demande doit être rejetée.

L’accident a eu lieu le 3 décembre 2015. La consolidation de l’état de santé de la victime n’est intervenue qu’au-delà du délai de trois mois visé à l’article L211-9 du code des assurances puisqu'elle a été fixée au 28 juin 2018, l’assureur devait donc faire une offre provisionnelle avant le 3 août 2015.
Des provisions de 20 000€ ont été versées : 1000 € le 15 janvier 2016, 1000 € le 23 mars 2016, puis le juge des référés a alloué une provision de 10 000€.

Le rapport d’expertise est daté du 21 janvier 2021, l’offre définitive devait être faite avant le 21 juin 2021. La première offre d’indemnisation dont il est justifié est datée du 17 juin 2021.
Elle doit être considérée complète au regard des sommes allouées par la présente décision car elle comprend des offres au titre des préjudices pour un montant total de 42 124€, auquel s’ajoute l’offre au titre du DFP de 22 800€, que la compagnie considérait à l’époque devoir être absorbée par la créance de rente AT de la CPAM.

En conséquence, la demande sera rejetée.

Sur l'évaluation des préjudices des proches

Il sera alloué la somme de 10 000 € à l’époux de Madame [M] au titre du préjudice sexuel, même somme que celle allouée à son épouse.
En revanche, il ne justifie pas du préjudice moral d’affection ou des troubles dans les conditions d’existence allégués au regard des préjudices de son épouse. Le fils de Mme [M] n’en justifie pas davantage. Aucune pièce n’est versée.
Dans ces conditions, leurs demandes seront rejetées à ce titre.

Sur les demandes accessoires

La compagnie Pacifica, qui est condamnée, supportera les dépens, comprenant les frais d’expertise.

En outre, elle devra supporter les frais irrépétibles engagés par Mme [M] dans la présente instance et que l'équité commande de réparer à raison de la somme de 2500 €.

Rien ne justifie d'écarter l'exécution provisoire dont la présente décision bénéficie de droit, conformément aux dispositions des articles 514 et 514-1 du code de procédure civile, s'agissant en effet d'une instance introduite après le 1er janvier 2020.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire mis à disposition au greffe et rendu en premier ressort,

DIT que le droit à indemnisation de Madame [G] [S] épouse [M] des suites de l’accident de la circulation survenu le 3 décembre 2015 est entier ;

CONDAMNE la compagnie PACIFICA à payer à Madame [G] [S] épouse [M], à titre de réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittances, provisions de non déduites, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour, les sommes suivantes :
- assistance par tierce personne temporaire : 18 828 €
- déficit fonctionnel temporaire : 8 431 €
- souffrances endurées : 10 000 €
- préjudice esthétique temporaire : 1 500 €
- déficit fonctionnel permanent : 24 300 €
- préjudice esthétique permanent : 1 500 €
- préjudice sexuel : 10 000 € ;

REJETTE les demandes au titre des pertes de gains professionnels futurs, de l’incidence professionnelle, du préjudice d’agrément ;

CONDAMNE la compagnie PACIFICA à payer à Monsieur [F] [M], la somme de 10 000 € au titre de son préjudice sexuel ;

DÉBOUTE les autres demandes de Monsieur [F] [M] et Monsieur [H] [M] ;

REJETTE la demande de doublement des intérêts ;

DÉCLARE le présent jugement commun à la Caisse Primaire d'Assurance-Maladie du Rhône et à SAS APRIL INTERNATIONAL ;

CONDAMNE la compagnie PACIFICA aux dépens qui comprendront les frais d'expertise et à payer à Madame [G] [S] épouse [M] la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT n’y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire dont la décision bénéficie de droit;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Fait et jugé à Paris le 02 Avril 2024.

La GreffièreLa Présidente

Erell GUILLOUËTGéraldine CHARLES


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 19ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 23/04743
Date de la décision : 02/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-02;23.04743 ?
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