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02/04/2024 | FRANCE | N°22/08976

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 19eme contentieux médical, 02 avril 2024, 22/08976


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

19ème contentieux médical

N° RG 22/08976

N° MINUTE :

Assignation du :
20 Juillet 2022

CONDAMNE

LG




JUGEMENT
rendu le 02 Avril 2024
DEMANDERESSE

Madame [G] [P]
[Adresse 1]
[Localité 6]

Représentée par Maître Caroline BENHAIM, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1803

DÉFENDEURS

Monsieur [H] [R]
[Adresse 4]
[Localité 5]

Représenté par Maître Georges LACOEUILHE membre de l'AARPI LACOEUILHE-LEBRUN, avocat au barreau de PARIS, v

estiaire #A0105

La CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE [Localité 8]
[Adresse 3]
[Localité 7]

Représentée par Maître Rachel LEFEBVRE de la SELARL KATO & LEFEBVRE AS...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

19ème contentieux médical

N° RG 22/08976

N° MINUTE :

Assignation du :
20 Juillet 2022

CONDAMNE

LG

JUGEMENT
rendu le 02 Avril 2024
DEMANDERESSE

Madame [G] [P]
[Adresse 1]
[Localité 6]

Représentée par Maître Caroline BENHAIM, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1803

DÉFENDEURS

Monsieur [H] [R]
[Adresse 4]
[Localité 5]

Représenté par Maître Georges LACOEUILHE membre de l'AARPI LACOEUILHE-LEBRUN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0105

La CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE [Localité 8]
[Adresse 3]
[Localité 7]

Représentée par Maître Rachel LEFEBVRE de la SELARL KATO & LEFEBVRE ASSOCIES , avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1901

Expéditions
exécutoires
délivrées le :

Décision du 02 Avril 2024
19eme contentieux médical
RG 22/08976

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Laurence GIROUX, Vice-Présidente
Madame Sabine BOYER, Vice-Présidente
Madame Emmanuelle GENDRE, Vice-Présidente

Assistées de Madame Erell GUILLOUËT, Greffière, lors des débats et au jour de la mise à disposition au greffe.

DÉBATS

A l’audience du 12 Février 2024 tenue en audience publique devant Madame Laurence GIROUX, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 02 Avril 2024.

JUGEMENT

- Contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

Madame [G] [P], née le [Date naissance 2] 1967 et secrétaire commerciale au moment des faits, présentait un kyste méniscal latéral du genou gauche évoluant depuis plusieurs années.

En août 2019, elle a consulté le docteur [H] [R], qui a réalisé une infiltration à visée anti-inflammatoire en décembre 2019.

Les douleurs revenant, elle a été opérée le 5 février 2020 à la clinique de Turin par le docteur [R] aux fins de méniscectomie externe sous arthroscopie.

Les suites ont été marquées par une suspicion de plaie du pédicule poplité.

Une revascularisation, puis une reprise chirurgicale pour évacuer l’hématome consécutif à cette intervention ont été effectuées.

Elle a quitté la clinique de [9] le 13 février 2020, a bénéficié de soins infirmiers jusqu’au 25 février 2020, puis de soins de kinésithérapie durant plusieurs mois.

Considérant l’existence de séquelles imputables à l’intervention initiale, Madame [P] saisissait le président du tribunal judiciaire de Paris.

Par ordonnance du 16 octobre 2020, le docteur [F] était désigné en qualité d’expert judiciaire.

Celui-ci rendait son rapport le 16 février 2021, dont les conclusions sont les suivantes :
Madame [P] n’étant alors pas consolidé, il lui était versé, dans un cadre amiable, une provision de 5 000 euros à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices et une ordonnance de réouverture des opérations d’expertise après consolidation était ensuite rendue le 14 octobre 2021.

Le docteur [F] remettait son rapport définitif le 19 janvier 2022. Il retenait, après prise en compte des dires des parties, les postes de préjudice suivants :
- Date de consolidation : 17 septembre 2021,
- Préjudices patrimoniaux avant consolidation :
Frais divers : aide non spécialisée 5 heures par semaine durant la période à 25%,
Perte de gains professionnels : sans objet,
- Préjudices extra patrimoniaux avant consolidation :
Déficit fonctionnel temporaire total et partiel sur plusieurs périodes,
Souffrances endurées : 3,5/7 (2 gestes de chirurgie vasculaire, douleurs morales, nécessité de consultations fréquentes, nécessité de prendre des antiagrégants au long cours),
Préjudice esthétique temporaire : 2/7 (cicatrices et œdème du membre inférieur),
- Préjudices permanents après consolidation :
Préjudices patrimoniaux :
Incidence professionnelle : doléances,
Tierce personne pérenne : 2 heures par semaine,
Préjudices extra patrimoniaux :
Deficit fonctionnel permanent : 12%
Préjudice esthétique permanent : 2 sur 7,
Préjudice sexuel : relations sexuelles inexistantes du fait de l’image que Madame [P] a d’elle-même,
Préjudice d’agrément : éléments liés à une limitation douloureuse de la marche.

Par actes délivrés le 20 juillet 2022, Madame [G] [P] assignait le docteur [H] [R] et la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de [Localité 8] aux fins de déclaration de responsabilité et de condamnation à l'indemniser des préjudices subis.
Selon dernières conclusions signifiées par voie électronique le 29 novembre 2022, Madame [P] demande au tribunal de :
Constater que le Docteur [R] a engagé sa pleine et entière responsabilité à l’égard de Madame [P] au titre de la faute technique commise ainsi qu’au titre d’un défaut d’information, l’obligeant à une réparation intégrale du dommage subi par la demanderesse ;Condamner le Docteur [R] à payer à Madame [P] la somme de 304 311,57 euros en réparation des préjudices suivants :PREJUDICES PATRIMONIAUX
- 4 827, 90 euros au titre des frais divers avant consolidation ;
- 1 292 euros au titre des dépenses de santé actuelles ;
- 75 765,95 euros au titre de l’assistance permanente par une tierce personne ;
- 96 109,92 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs ;
- 50 000 euros au titre de l’incidence professionnelle ;
PREJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX
- 2 055, 80 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
- 10 000 euros au titre des souffrances endurées ;
- 3 500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;
- 20 760 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;
- 15 000 euros au titre du préjudice d’agrément ;
- 5 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;
- 10 000 euros au titre du préjudice sexuel ;
- 10 000 euros au titre du préjudice d’impréparation ;
Condamner en outre le Docteur [R] à payer à Madame [P] la somme de 3 500 euros auxquels s’ajouteront la part variable de l’honoraire conventionnellement prévu en application des dispositions de l’article 700 du CPC ;Condamner le même aux entiers dépens de l’instance en ce compris les frais d’expertise taxés à la somme totale de 4 146 euros.
Par dernières conclusions signifiées par voie électronique le 27 mars 2023, le docteur [R] demande au tribunal de :
Recevoir le Docteur [H] [R] en ses écritures les disant bien fondées ;A titre principal :
Ecarter la responsabilité du Docteur [R] en l’absence de toute faute de sa part à l’origine du dommage ;Débouter Madame [G] [P] de l’intégralité de ses demandes dirigées à l’encontre du Docteur [H] [R] ;Débouter la CPAM de ses demandes dirigées à l’encontre du Docteur [R] et son assureur ;Condamner Madame [G] [P] à verser au Docteur [H] [R], la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du CPC ;Condamner Madame [G] [P] aux entiers dépens de la procédure en ce compris les frais d’expertise ;A titre subsidiaire :
Dire que l’indemnisation mise à la charge du Docteur [R] sera réduite à de plus justes proportions En tout état de cause :
Déduire les sommes versées au titre du protocole transactionnel de l’indemnisation sollicitée par Madame [P] ;Ordonner la suspension de l’exécution provisoire.
La CPAM de [Localité 8], par dernières conclusions notifiées le 20 mars 2023, sollicite de :
Recevoir la CPAM de [Localité 8] en ses demandes et l'y déclarer bien fondée ;Condamner le Dr [Y] à verser à la CPAM de [Localité 8] la somme de 7.494,25 €, au titre des prestations d’ores et déjà versées dans l’intérêt de Madame [P] ; Assortir cette somme des intérêts au taux légal à compter des présentes écritures notifiées le 13 octobre 2022 ; Condamner le Dr [Y] à verser à la CPAM de [Localité 8] la somme de 1.162 €, correspondant à l’indemnité forfaitaire de gestion de l'article L.376-1 du Code de la Sécurité Sociale ; Réserver les droits de la CPAM de [Localité 8] quant aux prestations non connues à ce jour et celles qui pourraient être versées ultérieurement ; Condamner le Dr [Y] à verser à la CPAM de [Localité 8] la somme de 2.000 €, au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ; Condamner le Dr [Y] à verser à la CPAM de [Localité 8] en tous les dépens dont distraction au profit de la SELARL KATO & LEFEBVRE, Avocats, en application de l’article 699 du Code de procédure civile ; Rappeler l’exécution provisoire de droit de la décision à intervenir nonobstant appel et sans constitution de garantie.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties quant à l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.

Toutes les parties ayant constitué avocat, la décision sera contradictoire.

L’ordonnance de clôture était rendue le 4 septembre 2023 et l’audience de plaidoiries se tenait le 12 février 2024. La décision était mise en délibéré au 2 avril 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

I / SUR LA RESPONSABILITÉ

1/ Sur l'obligation d'information

Tout professionnel de santé est tenu en application des articles L.1111-2 et R.4127-35 du code de la santé publique d'un devoir de conseil et d'information ; l'information du patient doit porter de manière claire, loyale et adaptée, sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus, le texte prévoyant qu'en cas de litige c'est au professionnel d'apporter, par tous moyens en l'absence d'écrit, la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé.

Le droit à l'information est un droit personne, détaché des atteintes corporelles, et accessoire au droit à l'intégrité corporelle.

Le non-respect du devoir d'information cause nécessairement à celui auquel l'information était légalement due un préjudice moral.

En l’espèce, Madame [P] fait valoir, s’appuyant sur le rapport d’expertise, que le docteur [R] n’a pas respecté son obligation d’information en ne l’informant pas du risque de lésion vasculaire associé à la procédure d’arthroscopie. Elle indique, en effet, que son information n’a été que générique lui causant un préjudice d’impréparation évalué à 10 000 euros.

Le docteur [R] conteste toute faute en faisant valoir la consultation préopératoire du 16 janvier 2020 avec remise d’un formulaire de consentement éclairé, qui était signé par Madame [P].

La CPAM de [Localité 8] n’a pas conclu sur ce point.

Or, l’expert a retenu que : « l’information donnée à la patiente a été « générique »». Il a également relevé que Madame [P] a indiqué ne pas avoir été informée du risque de lésion vasculaire.

Par ailleurs, le formulaire de consentement éclairé signé le 16 janvier 2020 indique notamment :
« Je vous confirme que vous m’avez exposé dans le détail :
Les risques graves y compris vitaux particuliers à toute intervention chirurgicale,Les risques graves y compris vitaux particuliers à l’intervention que je dois subir et qui devrait être le 5 février 2020, indiquée pour traiter l’affection dont je souffre et qui s’est avérée être un kyste méniscal externe genou gauche,Un certain pourcentage de complications et de risques y compris vitaux tenant non seulement à la maladie dont je souffre et aux associations morbides dont je puis être porteur, mais également à des réactions individuelles imprévisibles. ».
Au regard de ces éléments, le professionnel n’apporte pas la preuve, qui pèse sur lui, d’une information sur les risques précis et concrets qui étaient encourus par Madame [P]. Or, comme le souligne d’ailleurs l’expert, l’information générique démontrée est insuffisante au regard de l’obligation circonstanciée pesant sur le professionnel.

Un manquement à l’obligation est donc établi. Le préjudice de Madame [P] en lien direct et certain avec celui-ci se caractérise par le défaut de préparation aux risques encourus.
Ce préjudice moral sera réparé par la somme de 5 000 euros.

2/ Sur la qualité des soins

Il résulte des dispositions des articles L.1142-1-I et R.4127-32 du code de la santé publique que, or le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les praticiens ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. Tout manquement à cette obligation qui n'est que de moyens, n'engage la responsabilité du praticien que s'il en résulte pour le patient un préjudice en relation de causalité directe et certaine.

Le médecin est tenu d'être irréprochable dans ses gestes techniques et doit limiter les atteintes qu'il porte au patient à celles qui sont nécessaires à l'opération.

Il est, par ailleurs, constant que « l’aléa médical peut être défini comme un événement dommageable au patient sans qu’une maladresse ou une faute quelconque puisse être imputée au praticien, et sans que ce dommage se relie à l’état initial du patient ou à son évolution prévisible.
Cette définition implique que l’accident ait été imprévisible au moment de l’acte, ou qu’il ait été prévisible mais connu comme tout à fait exceptionnel, de sorte que le risque était justifié au regard du bénéfice attendu de la thérapie ».

En l’espèce, Madame [P] considère que la responsabilité du docteur [R] est engagée du fait des lésions vasculaires imputables à des gestes chirurgicaux fautifs. Elle fait valoir les conclusions du rapport d’expertise médicale et l’absence de tout aléa.
Le défendeur conteste toute faute considérant notamment que la circonstance qu’il existe une relation causale entre l’intervention litigieuse et les préjudices allégués ne saurait suffire à retenir la responsabilité du chirurgien, à défaut d’une faute dans le geste même. Il fait également valoir que la complication relève d’un aléa thérapeutique.
La CPAM de [Localité 8] s’associe à la demande de condamnation du chirurgien.
Or, l’expert a conclu, de manière circonstanciée et explicite, à l’absence de faute dans l’indication opératoire et le suivi des complications de Madame [P], mais a retenu que les lésions vasculaires subies relevaient d’une maladresse. Il a d’ailleurs précisé que les dires et publications transmises par l’avocat du chirurgien étaient intéressantes, mais ne modifiaient pas cette analyse. En effet, il considère que la section d’une artère ou d’une veine relève de la maladresse et qu’en l’espèce, la double plaie de l’artère et de la veine poplitée était une lésion iatrogène (consécutive à l’effraction de la paroi artérielle par l’un des instruments utilisés par l’opérateur), inhabituelle, inattendue, de caractère exceptionnel et inadmissible (hormis si on considère que réaliser deux plaies vasculaires au cours d’une arthroscopie puisse être admis, sachant que des nombreuses précautions décrites dans la littérature fournie par Maître [O] auraient dû être suivies pour éviter la survenue d’une complication artérielle de cette arthroscopie).

Au regard de ces éléments, il est manifeste, en dépit des critiques générales du défendeur sur les conclusions expertales, que la réalisation de l'intervention chirurgicale n'impliquait pas les lésions constatées et qu’il n'est pas démontré que la complication survenue résulte d'une anomalie anatomique rendant l'atteinte d'un organe ou d'un tissu inévitable.

Il n'apparaît pas davantage de l'expertise et des pièces produites que la lésion provoquée soit un aléa ou un risque connu de ce type d'intervention.

Dès lors, la faute technique du chirurgien est avérée.

Ce geste chirurgical étant constitutif d’une faute directement à l’origine du dommage en cause, il engage la responsabilité du docteur [R].
Il sera, ainsi, tenu à indemnisation de l’entier dommage de Madame [P].

II/ SUR LA RÉPARATION DES PRÉJUDICES

Au vu de l'ensemble des éléments produits aux débats, le préjudice subi par Madame [G] [P], née le [Date naissance 2] 1967 et secrétaire commerciale au moment des faits, sera réparé ainsi que suit, étant observé qu'en vertu de l'article L376-1 du code de la sécurité sociale, le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l’exclusion des préjudices à caractère personnel.
Il sera utilisé, conformément à la demande du requérant, le barème de capitalisation publié dans la Gazette du Palais du 15 septembre 2020, conformément à la demande mais avec un taux d’intérêt de 0%, le mieux adapté aux données sociologiques et économiques actuelles.

I/ Préjudices patrimoniaux

A/ Préjudices patrimoniaux temporaires (avant consolidation)

1) Dépenses de santé actuelles
Elles correspondent aux frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation déjà exposés tant par les organismes sociaux que par la victime.
En l’espèce, Madame [P] sollicite la somme de 1292 euros au titre de différents frais restés à charge.
Le défendeur s’y oppose considérant que seuls les frais imputables à la complication rencontrée pourront être indemnisés.
La CPAM de [Localité 8] forme une demande de 4588,68 euros à ce titre (frais hospitaliers, frais médicaux, frais d’appareillage, frais pharmaceutiques et de transport). Elle produit la notification définitive des débours du 12 octobre 2022, ainsi que l’attestation d’imputabilité de son médecin-conseil.
Le rapport d’expertise n’a rien retenu à ce titre.
Or, les pièces présentées par la CPAM justifient sa demande en dépit des critiques générales du défendeur. En revanche, Madame [P] produit un listing de dépenses et des factures éparses essentiellement pour des produits d’hygiène corporelle. Toutefois, aucun élément ne permet de considérer ces dépenses comme imputables à l’intervention litigieuse, la requérante ne fournissant elle-même aucune explication dans ses écritures.
Par conséquent, il sera alloué la somme de 4588,68 euros à la CPAM de [Localité 8] et Madame [P] sera déboutée de sa demande.

2) Assistance tierce personne temporaire
Il convient d'indemniser les dépenses destinées à compenser les activités non professionnelles particulières qui ne peuvent être assumées par la victime directe durant sa maladie traumatique, comme l'assistance temporaire d'une tierce personne pour les besoins de la vie courante, étant rappelé que l’indemnisation s'entend en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée. Le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être subordonné à la production de justificatifs des dépenses effectives.
Madame [P] sollicite une indemnisation sur la base d’un taux horaire de 22 euros pour une tierce personne non spécialisée pour un total de 4827,90 euros, le défendeur conteste la demande notamment sur une période non retenue par l’expert.
L’expert a retenu un besoin en aide non spécialisée 5 heures par semaine durant la période à 25%, soit du 14 février 2020 au 11 mai 2020.

La consolidation est intervenue le 17 septembre 2021, étant précisé qu’à l’issue des dires, l’expert reconnaissait un besoin pérenne à hauteur de 2 heures par semaine. Dès lors, il est justifié conformément à la demande d’indemniser de la même manière la période entre le 12 mai 2020 et le 17 septembre 2021.

Sur la base d’un taux horaire de 18 euros adapté à la situation de la victime et sur 365 jours s’agissant d’une aide n’ayant pas donné lieu au paiement de charges sociales, il y a lieu de calculer comme suit le préjudice pour une somme totale allouée de 3589,20 euros (18 euros x 5 heures x 12,5 semaines + 18 euros x 2 heures x 68,45 semaines).

B/ Préjudices patrimoniaux permanents

1) Dépenses de santé futures
Elles correspondent aux frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation qui seront exposés tant par les organismes sociaux que par la victime.
En l’espèce, la requérante ne forme aucune demande.
La CPAM de [Localité 8] forme une demande de 4385,40 euros à ce titre (frais médicaux et frais futurs viagers). Elle produit la notification définitive des débours du 12 octobre 2022, ainsi que l’attestation d’imputabilité de son médecin-conseil.
Le rapport d’expertise a retenu de telles dépenses sur justificatifs.
Les pièces présentées par la CPAM justifiant sa demande, il lui sera alloué la somme totale demandée dans le dispositif de ses écritures et incluant ce poste de préjudice.

Assistance par une tierce personneIl convient d'indemniser les dépenses destinées à compenser les activités non professionnelles particulières qui ne peuvent être assumées par la victime directe après la consolidation.
En l’espèce, Madame [P] sollicite la somme de 75 765,95 euros et le défendeur offre la somme de 44 707,39 euros.
Les parties s’accordent pour indemniser sur la base du rapport d’expertise un besoin à hauteur de 2 heures par semaine, soit 0,2857 heure par jour.
S’agissant des arrérages échus jusqu’au jugement, le calcul se fera sur la base de 0,2857 heure par jour, d’un taux horaire de 18 euros et sur 365 jours par an et la période du 17 septembre 2021 au 2 avril 2024. Ainsi, il sera fixé la somme de 4 777,48 euros, telle que calculée :
929 jours x 0,2857 heure x 18 euros.

S’agissant des arrérages à échoir, le calcul se fera sur la base de 0,2857 heure par jour, d’un taux horaire de 22 euros et sur 412 jours par an (soit 2589,58 euros par an), avec une capitalisation viagère avec un prix d’euro de rente à 29,691 € pour une femme de 57 ans au jour du présent jugement.

La somme capitalisée représente donc 76 887,36 euros : ((22eurosx0,2857heurex412jours))x 29,691 €.
Il sera, par conséquent, calculé la somme totale de 81 664,84 euros ramenée à 75 765,95 euros au regard de la demande de la requérante.

3) Pertes de gains professionnels futurs
Elles correspondent à la perte ou à la diminution des revenus consécutive à l'incapacité permanente à compter de la date de consolidation
En l’espèce, Madame [P] sollicite la somme de 96 109,92 euros et le défendeur s’y oppose.

Or, celle-ci fait valoir qu’en raison de ses séquelles, elle a perdu une opportunité d’évolution sur un poste mieux rémunéré. Elle calcule, ainsi, sa demande sur la hausse de salaire espérée pendant une période de 10 jusqu’à sa retraite à 65 ans.

Elle produit un courrier de son directeur daté du 22 décembre 2021, dans lequel il est indiqué que la proposition d’évolution interne lui avait été faite en priorité au regard des ses qualités professionnelles et que ce poste lui serait échu en cas d’acceptation de sa part avec une hause de salaire de l’ordre de 20% à compter du 1er janvier 2022. Il y est également précisé qu’il a été pris acte de son refus en raison de ses séquelles incompatibles avec les exigences de ce poste.
Au regard de la pièce présentée, établissant la certitude de la perte de gains prévue et son imputabilité aux faits du litige, et des calculs précis fournis, il est justifié de la demande pour un montant de 96 109,92 euros.

4) Incidence professionnelle

Le poste de préjudice de l’incidence professionnelle a pour objet d'indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi en raison de la dévalorisation sur le marché du travail, de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi occupé imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à l' obligation de devoir abandonner la profession exercée avant le dommage au profit d'une autre choisie en raison de la survenance du handicap ; que ce poste de préjudice permet également d'indemniser le risque de perte d'emploi qui pèse sur une personne atteinte d'un handicap, la perte de chance de bénéficier d'une promotion, la perte de gains espérés à l'issue d'une formation scolaire ou professionnelle, les frais nécessaires à un retour à la vie professionnelle.
En l’espèce, Madame [X] sollicite la somme de 50 000 euros au regard de sa dévalorisation sur le marché professionnel, de la pénibilité accrue dans l’exercice de la profession et de la perte de droits à la retraite. Le défendeur s’y oppose.
Le rapport d’expertise a relevé les doléances de Madame [P]. La requérante produit, par ailleurs, des attestations de ses collègues et de son supérieur hiérarchique sur le recours à un mi-temps en télétravail pour pallier gêne et pénibilité dans ses tâches. Il a également été retenu qu’elle a perdu une promotion, qui aurait valorisé son expérience par un poste de confiance en fin de carrière et une augmentation de son salaire avant sa retraite.
Dans ces conditions, l’incidence professionnelle subie est caractérisée telle que demandée. Il sera également tenu compte de l’âge de la requérante, à qui il restait environ une dizaine d’années de carrière au moment de la consolidation.
Par conséquent, il sera alloué la somme de 25 000 euros.

II / Préjudices extra-patrimoniaux

A/ Préjudices extra-patrimoniaux temporaires (avant consolidation)

1) Déficit fonctionnel temporaire
Ce préjudice inclut, pour la période antérieure à la consolidation, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice temporaire d'agrément, éventuellement le préjudice sexuel temporaire.
L’expert a retenu des périodes de déficit fonctionnel temporaire partiel, déduisant le déficit fonctionnel temporaire lié à l’intervention hors complications. Les parties s’accordent d’ailleurs sur le nombre des jours à indemniser.

Madame [P] sollicite une indemnisation sur la base d’un taux journalier de 26 euros pour un déficit total, le défendeur proposant un taux de 23 euros.

Sur la base d’une indemnisation de 26 euros par jour pour un déficit total, conformément à la demande, les troubles dans les conditions d'existence subis par Madame [P] jusqu'à la consolidation, justifient la fixation d'une somme de 2 055,30 euros (26x8+87x26x25%+493x26x10%).

2) Souffrances endurées
Il s'agit d'indemniser ici les souffrances tant physiques que morales endurées du fait des atteintes à l'intégrité, la dignité et l’intimité et des traitements, interventions, hospitalisations subies depuis l'accident jusqu'à la consolidation.
En l’espèce, Madame [P] sollicite la somme de 10 000 euros, le défendeur en sollicitant la minoration.
L’expert a évalué ce poste à 3,5/7 tenant compte de deux gestes de chirurgie vasculaire, des douleurs morales, de la nécessité de consultations fréquentes et de la nécessité de prendre des antiagrégants au long cours.
Ce poste sera donc réparé par une somme fixée à 10 000 euros.

3) Préjudice esthétique temporaire
Ce poste indemnise les éléments de nature à altérer l'apparence ou l'expression de la victime jusqu’à la consolidation.
En l’espèce, Madame [P] sollicite la somme de 3 500 euros, le défendeur s’y opposant.
L’expert a retenu un préjudice esthétique permanent de 2/7 (cicatrices et œdème du membre inférieur).
En conséquence, il convient de faire droit à la demande à hauteur de 1 500 euros.

B/ Préjudices extra-patrimoniaux permanents

1) Déficit fonctionnel permanent
Ce poste de préjudice tend à indemniser la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique, à laquelle s'ajoute les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence (personnelles, familiales et sociales) dont la victime continue à souffrir postérieurement à la consolidation du fait des séquelles tant physiques que mentales qu'elle conserve.
Madame [P] sollicite à ce titre la somme de 20 760 euros, le défendeur acquiesçant.
Or, l’expert a retenu un taux de 12% après prise en compte des dires de la requérante (limitations fonctionnelles et impact psychologique perceptible.)
Sur la base d’un point retenu à 3145 euros pour une femme âgée de 54 ans au moment de la consolidation, il sera entériné l’accord pour un montant de 20 760 euros (1730x12).

2) Préjudice esthétique permanent
Ce poste indemnise les éléments de nature à altérer l'apparence ou l'expression de la victime.
En l’espèce, Madame [P] sollicite la somme de 5 000 euros, le défendeur offrant 3 000 euros.
L’expert a retenu un préjudice esthétique permanent de 2/7.
En conséquence, il convient de faire droit à la demande à hauteur de 4 000 euros.

3) Préjudice d'agrément

Ce poste de préjudice répare l'impossibilité de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs. L’appréciation s’en fait in concreto, au vu des justificatifs produits, de l’âge et du niveau sportif de la victime.

En l’espèce, Madame [P] sollicite la somme de 15 000 euros, le défendeur offrant 3 000 euros.

L’expertise a retenu un préjudice d’agrément : « éléments liés à une limitation douloureuse de la marche ».

Or, il ressort des attestations un isolement social de la requérante et des difficultés accrues à faire des sorties et activités dominicales.

Par conséquent, elle sera indemnisée à hauteur de l’offre de 3 000 euros.

4) Préjudice sexuel
Ce poste de préjudice à vocation à indemniser :
-un préjudice morphologique lié à l'atteinte aux organes sexuels résultant du dommage subi,
-un préjudice lié à l'acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l'accomplissement de l'acte sexuel ( perte de l'envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l'acte sexuel , perte de la capacité à accéder au plaisir),
-un préjudice lié à une impossibilité ou difficulté à procréer.
En l’espèce, Madame [P] sollicite la somme de 10 000 euros et il est offert 3 000 euros.

L’expert a retenu les éléments suivants : « relations sexuelles inexistantes du fait de l’image que Madame [P] a d’elle-même ».
La baisse de libido étant établie, il sera alloué la somme de 3 000 euros.

III/ SUR LES AUTRES DEMANDES

* Sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Il convient de condamner le docteur [R], partie perdante du procès, à payer à Madame [P] une somme de 3 500 euros, et à la CPAM de [Localité 8] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens et à la somme de 1 162 euros à la CPAM de [Localité 8] au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion.

* Sur les intérêts au taux légal
Les intérêts au taux legal courront à compter de la présente decision en ce qui concerne les sommes allouées à Madame [P].

Par ailleurs, en application de l’article 1231-6 du code civil, le point de départ des intérêts pour les créances des organismes sociaux est celui du jour de leur première demande en justice et à partir de leur règlement pour les débours effectués postérieurement. Ils courront donc à compter du 13 octobre 2022 pour la CPAM de [Localité 8], date à laquelle elle a notifié ses écritures.

* Sur l’exécution provisoire
En application de l’article 514 du code de procédure civile en vigueur au jour de l’assignation et en l’absence d’éléments justifiant qu’il y soit fait exception, l’exécution provisoire de droit sera appliquée.
PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire mis à disposition au greffe et rendu en premier ressort,

DECLARE le docteur [H] [R] responsable des conséquences dommageables de l’intervention chirurgicale réalisée le 5 février 2020 sur Madame [G] [P] en raison d’un geste fautif ;

CONDAMNE le docteur [H] [R] à payer à Madame [G] [P], les sommes suivantes à titre de réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittances, provisions non déduites, pour les postes énoncés ci-après :
- assistance par tierce personne avant consolidation : 3589,20 €,
- assistance par tierce personne pérenne : 75 765,95€,
- pertes de gains professionnels futurs : 96 109,92 €,
- incidence professionnelle : 25 000 euros,
- déficit fonctionnel temporaire : 2 055,30 €,
- souffrances endurées : 10 000 €,
- préjudice esthétique temporaire : 1 500 €,
- déficit fonctionnel permanent : 20 760 €,
- préjudice esthétique permanent : 4 000 €,
- préjudice d’agrément : 3 000 €,
- préjudice sexuel : 3 000 €,
Ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

DEBOUTE Madame [G] [P] de sa demande au titre des dépenses de santé actuelles ;

CONDAMNE le docteur [H] [R] à payer à Madame [G] [P] la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice d’impréparation avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

CONDAMNE le docteur [H] [R] à payer à la CPAM de [Localité 8] :
* la somme de 7 494,25 euros correspondant aux débours s’imputant sur le poste dépenses de santé actuelles et futures, avec intérêts au taux légal à compter du 13 octobre 2022 ;
* la somme de 1 162 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion prévue par l’article L 376-1 du code de la sécurité sociale, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ;
* la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ;

CONDAMNE le docteur [H] [R] à payer à Madame [G] [P] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE le docteur [H] [R] aux dépens ;

ACCORDE à la SELARL KATO&LEFEBVRE, avocat à la cour, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile ;

DIT l’exécution provisoire de la présente décision est de droit ;

REJETTE le surplus des demandes, plus amples ou contraires.

Fait et jugé à Paris le 02 Avril 2024.

La GreffièreLa Présidente

Erell GUILLOUËTLaurence GIROUX


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 19eme contentieux médical
Numéro d'arrêt : 22/08976
Date de la décision : 02/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-02;22.08976 ?
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