TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
N° RG 23/58194
N° Portalis 352J-W-B7H-C2VUD
N° : 5
Assignation du :
19 et 26 octobre 2023
[1]
[1] 1 copie exécutoire
délivrée le :
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 29 mars 2024
par Cristina APETROAIE, Juge au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Arnaud FUZAT, Greffier.
DEMANDEURS
Madame [E] [M] [W]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Madame [T] [W]
[Adresse 5]
[Localité 1]
Monsieur [Z] [W]
[Adresse 5]
[Localité 1]
représentés par Maître Jacques-Michel FRENOT de la SCP FRENOT - GUICHERD - COSSIC, avocats au barreau de PARIS - #P0322
DEFENDEURS
Monsieur [H] [W]
[Adresse 5]
[Localité 1]
La S.C.I. DAVESE
[Adresse 2]
[Localité 4]
non représentés
DÉBATS
A l’audience du 09 février 2024, tenue publiquement, présidée par Cristina APETROAIE, Juge, assistée de Arnaud FUZAT, Greffier,
Nous, Président, après avoir entendu les parties représentées par leur conseil, avons rendu la décision suivante :
EXPOSE DU LITIGE
Par des statuts constitutifs du 24 novembre 1993, Mme [E] [W], Mme [T] [W] et M. [H] [W] ont créé la SCI DAVESE, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 30 novembre 1993, et nommé M. [H] [W] en qualité de gérant.
La SCI DAVESE est propriétaire d’un bien immobilier situé [Adresse 9].
M. [Z] [W] est le père de Mme [E] [W], Mme [T] [W] et M. [H] [W].
Reprochant à M. [H] [W] des fautes graves dans la gestion de la SCI, Mme [E] [W], Mme [T] [W] et M. [Z] [W], par exploit des 7 et 21 décembre 2023, ont fait délivrer une assignation à M. [H] [W] et la SCI DAVESE, devant le président du tribunal de la juridiction de céans, aux fins de voir :
« PRONONCER la révocation de Monsieur [H] [W] de ses fonctions de gérant par le Tribunal, de manière judiciaire, et ce conformément aux dispositions de l’article 1851 alinéa 2 du Code Civil, pour manquements graves à la probité, et constitution, tentative et utilisation de faux statuts par celui-ci, ainsi qu’une fausse assemblée générale lui permettant de procéder à la cession d’un bien immobilier et à la conservation à son seul profit du prix de la vente opérée unilatéralement par ses soins.
EXCLURE Monsieur [H] [W] de la SCI DAVESE, en constatant l’absence d’affectio societatis entre le requis et ses associés.
CONDAMNER Monsieur [H] [W] à payer à Mesdames [T] [W] et [E] [W] la somme de 3 000 € à chacune sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
CONDAMNER Monsieur [H] [W] en l’intégralité des dépens de la présente instance. »
Les parties demanderesses font valoir que M. [H] [W] a falsifié deux assemblées générales de la SCI, l’une en date du 7 mai 2021 et la seconde du 27 mars 2023, auxquelles elles n’ont jamais été convoquées ; qu’elles n’ont jamais signé ni les procès-verbaux relatifs à ces assemblées ni les nouveaux statuts qui en ont résulté ; que ce comportement démontre une absence d’affectio societatis vis-à-vis de la société ; qu’en conséquence la révocation de M. [H] [W] en tant que gérant et son exclusion de la société doivent être prononcées au visa de l’article 1851 alinéa 2 du code civil.
L’affaire a été entendue à l’audience du 9 février 2024.
A l’audience, les parties demanderesses ont réitéré les prétentions formulées aux termes de leur acte introductif d’instance et ont sollicité à titre subsidiaire le bénéfice de l’article 837 du code de procédure civile, compte tenu de l’existence d’une urgence.
Régulièrement assignés par procès-verbal de recherches infructueuses, la SCI DAVESE et M. [H] [W] n’ont pas comparu.
Conformément aux dispositions des articles 455 et 446-1 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens, il est renvoyé à l'acte introductif d’instance et aux notes d’audience.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de l’article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée.
Sur la demande principale
Aux termes de l’article 834 du code de procédure civile, le président peut, dans tous les cas d’urgence, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.
Selon l’article 1851 alinéa 2 du code civil, « Le gérant est également révocable par les tribunaux pour cause légitime, à la demande de tout associé. »
Il résulte de ces dispositions qu’il convient de vérifier à la fois que la condition d’urgence est caractérisée pour ordonner une mesure ne se heurtant à aucune contestation sérieuse ou que justifierait l’existence d’un différend, et que les conditions de l’article 1851 alinéa 2 du code civil sont réunies, texte qui vise « les tribunaux » et non le président du tribunal judiciaire statuant en référé.
Il est par ailleurs constant que les dispositions de ce texte n’exigent pas la démonstration des fautes de gestion caractérisant des fautes intentionnelles d’une particulière gravité, incompatibles avec l’exercice normal des fonctions sociales ou contraires à l’intérêt social, et que constitue un juste motif de révocation l'existence entre le gérant et les associés d'une SCI familiale d'une mésentente de nature à compromettre l'intérêt social.
En l’espèce, il ressort des pièces produites au débat que l’objet social de la SCI DAVESE est « la propriété, la mise en valeur de tous biens immobiliers notamment l’acquisition, la gestion et la location » ; qu’à la suite de la découverte d’une assemblée générale extraordinaire du 7 mai 2021 modifiant les statuts en élargissant l’objet social de la SCI et les pouvoirs du gérant, Mmes [E] et [T] [W] ont déposé une plainte le 14 avril 2023 auprès du procureur de la République du tribunal judiciaire de Troyes pour faux et usage de faux et escroquerie ; que M. [Z] [W] a déposé une plainte auprès de la gendarmerie d’[Localité 7] le 18 juillet 2023 pour extorsion par violence, menace ou contrainte de signature, promesse, secret, fonds valeur ou bien ; que dans le procès-verbal de cette plainte, M. [Z] [W] déclare avoir acheté la propriété d’Oléron qu’il a mise au nom de ses trois enfants et que « vers le 28 mars 2023, j’ai reçu une lettre écrite par mon fils [H] en date du 27 mars 2023. (…) Avec cette lettre, il a joint un document une Assemblée Générale Extraordinaire, à faire signer par mes filles [E] et [T] en vue de vendre la propriété de l’Ile d’Oléron, au prix de 400 000 euros. Dans cette lettre, il m’insulte et me menace pour que je lui renvoie le document signé dans les 10 jours suivant.(…). » ; que l’extrait de la lettre produite au débat fait apparaître que : « il va falloir ABSOLUMENT dans les plus brefs délais que je vende ta putain de baraque de merde à Oléron (…) Tu as 10 jours pour me renvoyer l’AGE signé par tes putes de fille, 10 jours pas un jour de plus.(…) Tu vas demander à tes connasses de filles de me signer l’AGE ci-jointe sur les nouveaux statuts que j’ai moi-même modifiés l’an passé.(…) IL ME FAUT UNIQUEMENT CE DOCUMENT SIGNE par les 2 CONNASSES ET RIEN D’AUTRE » ; que le 4 août 2023, Mme [T] [W] a également déposé une plainte auprès de la même gendarmerie pour usage de faux en écriture.
Le procès-verbal d’assemblée générale du 27 mars 2023 que M. [H] [W] souhaitait faire signer par ses sœurs, prévoyait que les associés sont réunis à l’effet de délibérer sur le « pouvoir avant droit de vente de la parcelle [Cadastre 8] sis [Adresse 9] pour un montant minimum net vendeur de 400 000 euros (quatre cent mille euros) » et sur une unique résolution libellée comme suit : « Les Associés soussigné donnent mandat au Gérant, Monsieur [H] [W] de conclure au nom et pour le compte de la Société Civile Immobilière « SCI DAVESE », la vente de la parcelle [Cadastre 8] sis [Adresse 9] pour un montant minimum net vendeur de 400 000 euros (quatre cent mille euros) et de faire toutes les démarches afférentes à cette vente. »
Il résulte de ces éléments un dysfonctionnement manifeste de la SCI du fait des agissements de M. [H] [W], de nature à compromettre l’intérêt social de la société, et qui permet de caractériser la condition d’urgence qui justifie la saisine du juge des référés.
Toutefois, il est relevé que l’article 16 des statuts de la SCI stipule que le gérant est révocable par une décision des associés représentant plus de la moitié des parts sociales, ce qui était réalisable en l’espèce, puisque Mmes [E] et [T] [W] disposent à elles deux, de 66% des parts sociales.
En outre, si le juge des référés saisi sur le fondement de l'article 834 du code de procédure civile, dispose de pouvoirs définis en des termes particulièrement larges puisqu'il peut prendre « toutes les mesures » propres à résoudre le litige qui lui est soumis, il n’entre pas dans ses pouvoirs de prononcer la révocation de son gérant.
En effet, il n'entre pas dans ses pouvoirs de prendre une mesure autre que celle tendant à la préservation des droits d'une partie sauf disposition spéciale, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, l'article 1851 du code civil se contentant de renvoyer aux tribunaux pour une telle demande.
Ainsi, toute autre mesure que celle tendant à la préservation des droits d'une partie, telle que la révocation qui de façon définitive met fin à un mandat social, excède donc les pouvoirs du juge des référés et ce, même dans l'hypothèse où fautes imputées à M. [H] [W] auraient un caractère d'évidence qui suffirait à considérer comme établie la cause légitime visée par le texte précité.
Le même raisonnement s’applique à la demande tendant à voir exclure un associé, qui ne peut trouver application en référé.
Il s’ensuit qu’il ne peut y avoir lieu à référé ni sur la demande de révocation de M. [H] [W] de son mandat de gérant ni sur la demande visant à le voir exclu de la SCI DAVESE.
Sur la demande subsidiaire de passerelle
Selon l’article 837 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire saisi en référé peut, à la demande de l'une des parties et si l'urgence le justifie, renvoyer l'affaire à une audience dont il fixe la date pour qu'il soit statué au fond. Il veille à ce que le défendeur dispose d'un temps suffisant pour préparer sa défense. L'ordonnance emporte saisine de la juridiction.
Il est constant que cette disposition ne se justifie et ne trouve à s’appliquer que lorsque l’urgence justifie que le litige soit tranché au fond avec célérité.
Or en l'espèce, les parties demanderesses ne justifient pas la saisine du juge du fond pour qu’il soit statué sur l’entier litige, de sorte qu’il n’apparaît pas opportun de faire application des dispositions de l’article susvisé, en renvoyant l’affaire devant le juge du fond.
La demande sera en conséquence rejetée.
Sur les demandes accessoires
Succombant en leurs prétentions, Mme [E] [W], Mme [T] [W] et M. [Z] [W] seront condamnés aux dépens.
En revanche, il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant en référé, par remise au greffe le jour du délibéré, après débats en audience publique, par décision réputée contradictoire et en premier ressort,
Disons n’y avoir lieu à référé sur la demande de révocation de Monsieur [H] [W] de ses fonctions de gérant de la SCI DAVESE ;
Disons n’y avoir lieu à référé sur la demande d’exclusion de Monsieur [H] [W] de la SCI DAVESE ;
Disons n’y avoir lieu à l’application de l’article 837 du code de procédure civile ;
Condamnons Madame [E] [W], Mme [T] [W] et M. [Z] [W] aux dépens ;
Disons n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rappelons que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.
Fait à Paris le 29 mars 2024.
Le Greffier,Le Président,
Arnaud FUZATCristina APETROAIE
Décision préparée avec le concours de [J] [P], juriste-assistante.