TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
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N° RG 24/50520 -
N° Portalis 352J-W-B7H-C3T64
N° : 17-CB
Assignation du :
17 janvier 2024
[1]
[1] 1 Copie exécutoire
délivrée le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 28 mars 2024
par Emmanuelle DELERIS, Vice-présidente au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Clémence BREUIL, Greffier.
DEMANDERESSE
Madame [G] [I]
[Adresse 2]
[Localité 1] (SUISSE)
représentée par Maître Katell RALITE de l’AARPI OAKLANCE, avocats au barreau de PARIS - #D1953
DEFENDEURS
Madame [R] [N]
[Adresse 4]
[Localité 3]
non représentée
Monsieur [U] [X]
[Adresse 4]
[Localité 3]
non représenté
DÉBATS
A l’audience du 08 Février 2024, tenue publiquement, présidée par Emmanuelle DELERIS, Vice-présidente, assistée de Clémence BREUIL, Greffier,
Nous, Président,
Après avoir entendu les conseils des parties,
Madame [G] [I] a acquis, par acte authentique du 15 septembre 2023, un appartement situé au troisième étage de l'immeuble sis [Adresse 4].
Le précédent propriétaire du bien était Monsieur [K] [X].
L'acte authentique mentionne en page 4 :
" Pour une meilleure compréhension des présentes, les parties exposent à titre liminaire que le bien objet des présentes fait l'objet d'une occupation irrégulière par Madame [R] [N], née le 08 avril 1977 en THAILANDE et Monsieur [U] [X], né le 30 décembre 2004 en THAILANDE, fils du vendeur et de ladite Madame [N].
Le vendeur ne dispose d'aucune clé du bien et donc d'aucun moyen d'y accéder, de sorte que l'acquéreur n'a jamais été en mesure de visiter le bien préalablement à la signature des présentes.
Les parties, connaissance prise de cette situation, ont négocié le prix spécifié aux présentes en conséquence, l'acquéreur faisant son affaire personnelle de la libération des lieux et de l'état du bien au jour de cette libération. "
Par exploits délivrés le 9 octobre 2023, Madame [G] [I] a fait signifier à Madame [R] [N] et Monsieur [U] [X] la copie d'un courrier daté du 4 octobre 2023, les avisant de la vente intervenue le 15 septembre 2023 et de son souhait de prendre possession de l'appartement au plus tard le 15 novembre 2023, et les invitant à libérer les lieux pour le 15 novembre 2023.
Madame [G] [I] a fait délivrer à Madame [R] [N] et Monsieur [U] [X], par exploits du 27 novembre 2023, une sommation de quitter les lieux sans délai.
Se prévalant du maintien des occupants dans les lieux sans droit ni titre, Madame [G] [I] a, par exploit délivré le 17 janvier 2024, fait assigner Madame [R] [N] et Monsieur [U] [X] devant le président du tribunal judiciaire de Paris, statuant en référé, aux fins de voir, au visa des articles 521 et suivants, 1875 et suivants du code civil, 834 et 835 du code de procédure civile :
-" Prononcer l'expulsion de Madame [R] [N] et de Monsieur [U] [X], ainsi que celles de tous occupants de leur chef, en requérant au besoin l'assistance de la force publique et d'un serrurier,
-Assortir l'obligation de quitter les lieux d'une astreinte d'un montant de 100 € par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir, et ce jusqu'à la complète libération des lieux loués et la restitution de ses clés et s'en réserver la compétence pour la liquidation de l'astreinte,
-Condamne solidairement Madame [R] [N] et Monsieur [U] [X] au paiement d'une provision sur l'indemnité d'occupation mensuelle égale à la somme de 2.681,50 euros à compter du 15 septembre 2023 jusqu'à la libération complète des lieux,
-Condamner solidairement Madame [R] [N] et Monsieur [U] [X] au paiement d'une somme de 10.000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts correspondant au préjudice subi par Madame [G] [I] résultant de l'impossibilité pour elle de jouir pleinement et efficacement de son bien, somme à parfaire,
-Condamner solidairement Madame [R] [N] et Monsieur [U] [X] au paiement d'une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-Condamner solidairement Madame [R] [N] et Monsieur [U] [X] aux dépens,
-Prononcer l'exécution provisoire. "
Madame [I] expose au soutien de ses prétentions que Monsieur [K] [X], ancien propriétaire des lieux, les avait mis à disposition de Madame [R] [N] et de Monsieur [U] [X], sans contrepartie financière, en raison des relations personnelles existant entre eux, et que cette mise à disposition devait cesser à la majorité de Monsieur [U] [X], intervenue le 30 décembre 2022. Elle soutient que cette mise à disposition s'analyse en un prêt à usage, dont le terme était fixé au 30 décembre 2022, date à laquelle les défendeurs devaient libérer les lieux. Elle souligne qu'ils sont devenus occupants sans droit ni titre depuis cette date, ce qui caractérise un trouble manifestement illicite à son encontre, et rappelle d'une part qu'elle est totalement étrangère à cet accord, d'autre part que Monsieur [K] [X] a informé en temps utile les défendeurs de sa volonté de vendre le bien immobilier qu'ils occupent.
L'affaire a été appelée à l'audience du 8 février 2024.
Madame [G] [I], représentée, sollicite le bénéfice de son assignation.
Madame [R] [N] et Monsieur [U] [X], régulièrement cités à l'étude, n'ont pas constitué avocat.
Conformément aux dispositions des articles 455 et 446-1 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens, il est renvoyé à l'acte introductif d'instance et aux notes d'audience.
La décision a été mise en délibéré au 28 mars 2024.
MOTIFS
En vertu de l'article 472 du code de procédure civile, lorsque le défendeur ne comparaît pas, le juge fait droit à la demande s'il l'estime régulière, recevable et bien fondée.
Sur la demande d'expulsion
L'article 834 du Code de procédure civile dispose que, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
Lorsqu'il n'existe aucune contestation sérieuse, le juge des référés peut ordonner toute mesure qui s'impose ; lorsqu'il existe au contraire un différend, il peut prendre uniquement les mesures conservatoires nécessaires à la sauvegarde des droits des parties.
Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés suppose, en application de cette disposition, de démontrer l'urgence ; celle-ci relève de l'appréciation souveraine du juge des référés et s'apprécie à la date à laquelle il statue.
Aux termes de l'article 835 alinéa premier du code de procedure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.
Aux termes de l'article 835, alinéa 2, du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal peut accorder, en référé, une provision au créancier.
L'octroi d'une provision suppose le constat préalable par le juge de l'existence d'une obligation non sérieusement contestable au titre de laquelle la provision est demandée. Cette condition intervient à un double titre : elle ne peut être ordonnée que si l'obligation sur laquelle elle repose n'est pas sérieusement contestable et ne peut l'être qu'à hauteur du montant non sérieusement contestable de cette obligation, qui peut d'ailleurs correspondre à la totalité de l'obligation.
Cette condition est suffisante et la provision peut être octroyée, quelle que soit l'obligation en cause. La nature de l'obligation sur laquelle est fondée la demande de provision est indifférente, qui peut être contractuelle, quasi-délictuelle ou délictuelle.
Il appartient au demandeur de prouver l'existence de l'obligation, puis au défendeur de démontrer qu'il existe une contestation sérieuse susceptible de faire échec à la demande. La non-comparution du défendeur ne peut, à elle seule, caractériser l'absence de contestation sérieuse.
L'existence d'une contestation sérieuse s'apprécie à la date de la décision du juge des référés et non à celle de sa saisine.
Enfin, l'article 9 du code de procédure civile dispose qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
En l'espèce, la juridiction relève à titre liminaire que si la demanderesse fonde ses demandes au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile, elle ne caractérise pas l'urgence requise par le premier de ces textes de sorte qu'aucune prétention ne saurait prospérer sur ce fondement.
Aux termes des articles 1875 et 1876 du code civil le prêt à usage est un contrat par lequel l'une des parties livre une chose à l'autre pour s'en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s'en être servi. Ce prêt est essentiellement gratuit.
Le contenu du contrat de prêt à usage doit être établi selon les règles prévues à l'article 1359 du code civil, soit à l'aide d'un écrit dès lors que la valeur du prêt excède la somme ou valeur fixée par décret mentionnée à l'alinéa premier de l'article. Cette somme est fixée à 1.500 euros par l'article 1er du décret n°80-533 du 15 juillet 1980.
Tel est le cas en l'espèce, le prêt à usage allégué portant sur la mise à disposition d'un appartement parisien entre l'année 2005 et le 30 décembre 2022.
L'article 1360 du même code énonce que les règles prévues à l'article 1359 reçoivent exception en cas d'impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s'il est d'usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l'écrit a été perdu par force majeure.
Au cas présent, Madame [I] se prévaut de l'existence d'un prêt à usage portant sur l'appartement qu'elle a acquis le 15 septembre 2023, dont le terme aurait été fixé à la date du 30 décembre 2022, et d'une obligation de restitution pesant sur les défendeurs en vertu de laquelle ils seraient tenus de libérer les lieux.
L'acte authentique de vente régularisé le 15 septembre 2023, portant sur l'appartement situé au troisième étage de l'immeuble sis [Adresse 4], précise en pages10 et 11 :
" Le vendeur déclare, ce dont l'acquéreur reconnaît avoir été informée dès avant la signature des présentes :
Que le bien objet des présentes est occupé par Madame [R] [N] et Monsieur [U] [X] depuis 2005 sans aucun paiement de loyer ou d'indemnité de quelque nature que ce soit ;
Que cette occupation résultait d'un accord verbal entre le vendeur et madame [R] [N] et Monsieur [U] [X], compte-tenu de leurs relations personnelles antérieures et de la résidence de Monsieur [U] [X], alors mineur, dans les biens, de sorte qu'aucun bail ou prêt à usage écrit n'a jamais été consenti à Madame [R] [N] ;
Qu'il a été demandé à Madame [R] [N] et Monsieur [U] [X] de libérer les lieux, sans que cette demande ne soit suivie d'effets, d'abord de façon orale, puis par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 12 août 2023 (…).
L'acquéreur reconnaît avoir eu connaissance de cette situation dès avant ce jour et vouloir faire son affaire personnelle de l'éviction de l'occupant. Les parties déclarent que le prix stipulé aux présentes a été convenu compte-tenu de cette situation ".
Il ressort de cette mention que l'existence du prêt à usage invoqué est fondée sur les seules déclarations de Monsieur [K] [X], qui au demeurant précise qu'aucun écrit n'a été rédigé pour formaliser le prêt à usage dont il est fait état.
Les seuls éléments extérieurs aux mentions de l'acte authentique sont constitués par la copie du courrier adressé par Monsieur [K] [X] à Madame [R] [N], daté du 10 août 2023, lui demandant de quitter les lieux à première demande du nouveau propriétaire de l'appartement, et de lui remettre les clés, dès qu'il sera vendu, ainsi que par les exploits d'huissier délivrés aux défendeurs par Madame [I] les 9 octobre et 27 novembre 2023.
Cependant, ces éléments qui affirment l'existence d'une obligation de libération des lieux, sont insuffisants à rapporter la preuve, avec l'évidence requise devant le juge des référés, de la réalité du prêt à usage invoqué d'une part, de la survenance de son terme à la date du 30 décembre 2022 d'autre part.
En conséquence, il n'y a pas lieu à référé sur la demande d'expulsion.
Il s'évince de ce qui précède que l'obligation alléguée de paiement d'une indemnité d'occupation d'une part, d'une provision sur dommages et intérêts au titre du préjudice causé à la demanderesse du fait de la privation de la jouissance de son bien d'autre part, se heurte à une contestation sérieuse en ce l'illicéité de l'occupation du bien par les défendeurs n'est pas établie avec l'évidence requise devant le juge des référés.
Aussi n-y-a-t-il pas davantage lieu à référé sur ces demandes.
Sur les demandes accessoires
En application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, succombant à l'instance, Madame [G] [I] sera condamnée au paiement des dépens.
Elle conservera par ailleurs la charge de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Nous, juge des référés, statuant publiquement, par ordonnance réputée contradictoire et en premier ressort,
Disons n'y avoir lieu à référé sur les demandes de Madame [G] [I] ;
Condamnons Madame [G] [I] au paiement des dépens ;
Rejetons la demande formée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rappelons que la présente ordonnance bénéficie de plein droit de l'exécution provisoire.
Ainsi ordonné et mis à disposition au greffe le 28 mars 2024.
Le Greffier,Le Président,
Clémence BREUILEmmanuelle DELERIS