TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
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N° RG 23/58209 et RG 24/50470 -
N° Portalis 352J-W-B7H-C3C4X
N° : 1
Assignation du :
30 Octobre, 02 Novembre 2023 et 09 Janvier 2024
[1]
[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 20 mars 2024
par Maïté GRISON-PASCAIL, 1er Vice-président au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Daouia BOUTLELIS, Greffier
RG 23/58209
DEMANDERESSE
Madame [Y] [D] divorcée [P]
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentée par Maître Thibaut LEDOUX de la SELARL CABINET LEDOUX, avocats au barreau de PARIS - #D1004
DEFENDEURS
Monsieur [Z] [M]
[Adresse 3]
[Localité 8]
représenté par Me Fabrice AMOUYAL, avocat au barreau de PARIS - #E448
Monsieur [R] [K]
[Adresse 1]
[Localité 9]
non comparant et non constitué
RG 24/50470
DEMANDERESSE
Madame [Y] [D] divorcée [P]
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentée par Maître Thibaut LEDOUX de la SELARL CABINET LEDOUX, avocats au barreau de PARIS - #D1004
DEFENDERESSES
S.A.S. EPHRAIMMO
[Adresse 5]
[Localité 9]
représentée par Me Fabrice AMOUYAL, avocat au barreau de PARIS - #E448
S.A.S. HOLDING DU 770
[Adresse 6]
[Localité 9]
non comparante et non constituée
DÉBATS
A l’audience du 19 Février 2024, tenue publiquement, présidée par Maïté GRISON-PASCAIL, 1er Vice-président, assistée de Daouia BOUTLELIS, Greffier,
Nous, Président,
Après avoir entendu les conseils des parties,
Par acte notarié du 2 juin 2021, Mme [Y] [D] a consenti à la société JD Invest une promesse unilatérale de vente portant sur une boutique située [Adresse 4] à [Localité 9], pour un montant total net vendeur de 235 000 euros.
La SCI JD Invest avait pour associés à parts égales M. [Z] [M] et M. [R] [K].
La promesse de vente, consentie avec un délai d'option expirant au plus tard le 30 septembre 2021, stipulait le versement d'une indemnité d'immobilisation d'un montant égal à 10%, soit 23500 euros, la moitié étant déposée entre les mains du notaire institué séquestre par les parties, l'autre moitié devant être payée dans un délai de 8 jours à l'expiration du délai de réalisation de la promesse si la vente ne se réalisait pas du fait du bénéficiaire.
Par acte en date des 26 janvier et 2 février 2022, Mme [D] a fait assigner en référé la SCI JD Invest et Maître [V], notaire, aux fins d'obtention du montant de l'indemnité d'immobilisation, en raison de la carence du bénéficiaire.
Par ordonnance du 25 mai 2022, le juge des référés a :
- condamné la SCI JD Invest à payer à Mme [D] la somme provisionnelle de 23 500 euros à titre d'indemnité d'immobilisation avec intérêts légaux à compter du 9 décembre 2021, dont il sera déduit la somme de 11 750 euros séquestrée entre les mains du notaire,
- condamné la SCI JD Invest aux dépens de l'instance,
- condamné la SCI JD Invest à payer à Mme [D] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par arrêt rendu le 26 janvier 2023, sur appel interjeté par la SCI JD Invest, la cour a confirmé l'ordonnance en toutes ses dispositions et condamné la société à payer à Mme [D] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
L'arrêt a été signifié le 17 février 2023.
Mme [D], indiquant qu'elle a tenté vainement de poursuivre à l'encontre de la SCI JD Invest l'exécution de ces décisions et qu'il n'a été répondu à aucune mise en demeure, par acte en date du 30 octobre et 2 novembre 2023 (RG 23/58209), a fait assigner en référé M. [Z] [M] et M. [R] [K] sollicitant de :
"Vu la promesse unilatérale de vente du 21 juin 2021,
Vu les articles 834 et 836 du Code de procédure civile,
Vu l'article 1857 et 1858 du Code civil,
DIRE ET JUGER que Madame [D] a préalablement et vainement poursuivi la SCI JD INVEST, conformément aux articles 1857 et 1858 du Code civil,
En conséquence,
CONDAMNER par provision Monsieur [Z] [M] à payer à Madame [D] nom d'usage [P] les sommes suivantes :
- 5.875 € en paiement du solde l'indemnité d'immobilisation, avec intérêt au taux légal à compter du 09 décembre 2021, et intérêts au taux légal majoré de 5 points à compter du 24 août 2022 (l1.750 €/2),
- 1.500 € en paiement de la condamnation au titre de l‘article 700 du CPC prévue à l'ordonnance de référé du 25 mai 2022, avec intérêts au taux légal à compter du 25 mai 2022, et intérêts au taux légal majoré de 5 points à compter du 24 août 2022 (3000 €/2).
- 1.500 € en paiement de la condamnation au titre de l'article 700 du CPC prévue arrêt du 26 janvier 2023, avec intérêts au taux légal à compter du 26 janvier 2023, et intérêts taux légal majoré de 5 points à compter du 17 avril 2023,
- 254,30 € au titre des dépens de première instance et d'appel (508,60 € / 2)
CONDAMNER par provision Monsieur [R] [K] à payer à Madame [D] nom d'usage [P] les sommes suivantes :
- 5.875 € en paiement du solde l'indemnité d'immobilisation, avec intérêt au taux légal à compter du 09 décembre 2021, et intérêts au taux légal majoré de 5 points à compter du 24 août 2022 (l1.750 €/2),
- l.500 € en paiement de la condamnation au titre de l'article 700 du CPC prévue à l'ordonnance de référé du 25 mai 2022, avec intérêts au taux légal à compter du 25 mai 2022, et intérêts au taux légal majoré de 5 points à compter du 24 août 2022 (3000 €/2).
- 1.500 € en paiement de la condamnation au titre de l'article 700 du CPC prévue à arrêt du 26 janvier 2023, avec intérêts au taux légal à compter du 26 janvier 2023, et intérêts taux légal majoré de 5 points à compter du 17 avril 2023,
- 254,30 € au titre des dépens de première instance et d'appel (508,60 € / 2)
CONDAMNER in solidum Messieurs [Z] [M] et [R] [K] à payer à Madame [Y] [D] la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNER les mêmes in solidum aux entiers dépens de l'instance."
Dans ses écritures déposées à l'audience, M. [M] sollicite, au visa de l'article 1857 du code civil, de :
- déclarer l'action de Mme [D] irrecevable et en tout état de cause mal fondée en tant que dirigée à son encontre et de la débouter,
- condamner Mme [D] à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Au soutien de ses prétentions, M. [M] fait valoir essentiellement qu'il n'est plus l'associé actuel de la SCI JD Invest, les parts sociales des deux associés ayant été cédées le 15 mai 2021 à la société Ephraïmmo et à la société Holding du 770 et que la demande de Mme [D] fondée sur l'article 1857 du code civil est donc irrecevable ou à tout le moins mal fondée.
Dans ses écritures déposées à l'audience, Mme [D] maintient ses prétentions et soutient que la cession invoquée des parts sociales, prétendument signée le 15 mai 2021, ne lui est pas opposable et était inexistante à la signature de la promesse de vente le 2 juin 2021.
M. [K], cité par remise de l'acte à tiers présent au domicile, n'a pas constitué avocat.
****************
Par acte en date du 9 janvier 2024 (RG 24/50470), Mme [D] a fait assigner en référé la SAS Ephraïmmo et la SAS Holding du 770 aux fins de jonction des procédures, maintien de ses prétentions d'origine et subsidiairement, condamnation dans les mêmes termes que M. [M] et M. [K] de chacune des deux sociétés défenderesses.
Dans ses écritures déposées à l'audience, la société Ephraïmmo sollicite, au visa de l'article 721-3 du code de commerce, de :
- constater son opposition à la demande de jonction,
- déclarer l'action de Mme [D] mal dirigée au regard de la contestation sérieuse,
- constater que le tribunal compétent est le tribunal de commerce de Paris au visa de l'article 721-3 du code de commerce,
- débouter intégralement Mme [D],
- à titre subsidiaire, lui octroyer des délais de paiement de 16 mois pour apurer sa dette en sa qualité d'associée,
- condamner Mme [D] à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La société Holding du 770, citée par remise de l'acte en l'étude du commissaire de justice, n'a pas constitué avocat.
Conformément aux articles 446-1 et 455 du code de procédure civile, pour plus ample informé de l'exposé et des prétentions des parties, il est renvoyé à l'assignation introductive d'instance et aux écritures déposées par les parties.
MOTIFS DE LA DECISION
Il convient d'ordonner la jonction des deux procédures compte tenu du lien étroit unissant les litiges.
L'article 1857 du code civil dispose :
"A l'égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements.(...)."
L'article 1858 du même code énonce :
"Les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale."
L'article 1865 du même code prévoit encore que "La cession de parts sociales doit être constatée par écrit. Elle est rendue opposable à la société dans les formes prévues à l'article 1690, ou, si les statuts le stipulent, par un transfert sur les registres de la société. Elle n'est opposable aux tiers qu'après accomplissement de ces formalités et après publication".
Cette publication spéciale est prévue à l'article 52 du décret n° 78-704 du 3 juillet1978 selon lequel : "La publicité de la cession de parts est accomplie par dépôt, en annexe au registre du commerce et des sociétés de deux copies authentiques de l'acte de cession, s'il est notarié, ou de deux originaux, s'il est sous seing privé"
Mais une cession de parts sociales peut être opposable aux tiers, alors même que l'acte de cession n'a pas été déposé au greffe dès lors que l'ont été les statuts mis à jour constatant cette cession.
En cas de changement d'associé, plus précisément lorsqu'il y a eu cession de parts, le problème se pose de savoir qui du nouvel ou de l'ancien associé répond désormais des dettes de la société à l'égard des tiers, en distinguant celles qui sont antérieures ou postérieures au changement.
L'associé qui se retire de la société se trouve logiquement dégagé des dettes sociales devenues exigibles après son départ. C'est l'associé nouveau qui supportera ce passif, en proportion de ses droits dans le capital.
L'associé qui quitte la société reste tenu des dettes sociales qui existaient au jour de son départ et qui étaient devenues exigibles alors qu'il était associé.
Si la cession n'a pas fait l'objet d'une publicité, elle est, comme le précise l' article 1865 du Code civil , inopposable aux tiers. L'associé cédant reste alors vis-à-vis des tiers, pour lesquels il n'a jamais cessé d'être propriétaire des parts cédés, tenu du passif de la société dans la même proportion qu'avant la cession.
Mme [D] conteste l'opposabilité de cette cession de parts sociales en soulignant que les sociétés Ephraïmmo et Holding du 770 sont des SASU possédées respectivement à 100% par M. [M] et M. [K], gérants respectifs de leurs sociétés, invoquant un "montage" pour contourner l'article 1857 du code civil et elle se prévaut encore de l'absence de preuve du paiement du prix des cessions. Elle considère inexistante la cession de parts sociales au 2 juin 2021 au regard du procès-verbal d'assemblée contenu dans l'acte notarié du 2 juin 2021 qui contredit l'existence même de cette cession de parts sociales.
Elle estime enfin que la date de signature de la promesse est la date de l'exigibilité de l'indemnité d'immobilisation.
Il résulte des pièces versées aux débats que :
- selon les statuts du 10 avril 2019, MM. [M] et [K] étaient associés à parts égales de la SCI JD Invest et cogérants,
- le 15 mai 2021, chacun des associés a cédé l'intégralité de ses parts sociales, M. [M] à la société Ephraïmmo et M. [K] à la société Holding du 770, et les statuts de la SCI ont été mis à jour à cette date,
- ces cessions de parts ont été enregistrées le 21 mai 2021 au service de la publicité foncière et de l'enregistrement [Localité 10] 2,
- le procès-verbal des délibérations de l'assemblée générale extraordinaire du 15 mai 2021 autorisant les cessions de parts sociales a été déposé au registre du commerce et des sociétés de Nanterre le 24 juillet 2021,
- les associés de la SCI JD Invest sont actuellement les sociétés Ephraïmmo et Holding du 770,
- la promesse unilatérale de vente a été signée le 2 juin 2021 entre Mme [D] et la SCI JD Invest représentée par M. [M].
La promesse de vente a été conclue le 2 juin 2021 postérieurement à la cession des parts sociales par les deux associés mais avant la formalité de publicité effectuée le 24 juillet 2021.
Est annexé à cette promesse de vente un procès-verbal d'assemblée générale du 2 juin 2021mentionnant que MM. [M] et [K] sont titulaires en pleine propriété de 50 parts chacun (sur 100 parts sociales) de la SCI JD Invest, ce qui vient en totale contradiction avec le procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 15 mai 2021 versé aux débats, alors qu'au surplus, il doit être relevé que M. [K] a continué à se présenter comme co-gérant et associé de la SCI JD Invest en 2022 (conclusions d'appel ; courriel du 31 août 2022), malgré la cession de parts sociales du 15 juin 2021.
Il apparaît que le litige qui oppose les parties tant sur l'existence de la cession des parts sociales à la date du 2 juin 2021 que sur l'opposabilité à Mme [D] de ladite cession ainsi que sur la date d'exigibilité de la dette, qui est celle de la mise en demeure adressée à la personne morale, permettant de déterminer qui des anciens ou des nouveaux associés doivent répondre des dettes sociales de la SCI JD Invest, excède manifestement les pouvoirs du juge des référés, dès lors qu'il ne résulte aucune évidence suffisante des éléments du dossier.
Il sera donc dit qu'il n'y a pas lieu à référé sur les demandes.
Il ne sera pas fait application en l'espèce des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Chacune des parties conservera à sa charge les dépens par elle exposés.
PAR CES MOTIFS
Statuant par mise à disposition au greffe le jour du délibéré, après débats à l'audience publique, par ordonnance réputée contradictoire et rendue en premier ressort,
Ordonnons la jonction des procédures enregistrées sous les numéros RG 23/58209 et 24/50470;
Disons n'y avoir lieu à référé sur les demandes ;
Disons n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
Disons que chacune des parties conservera à sa charge les dépens par elle exposés.
Fait à Paris le 20 mars 2024
Le Greffier,Le Président,
Daouia BOUTLELISMaïté GRISON-PASCAIL