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19/03/2024 | FRANCE | N°22/02359

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 8ème chambre 1ère section, 19 mars 2024, 22/02359


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expédition exécutoire délivrée le :
à Maître HANOUN

Copie certifiée conforme délivrée le :
à Maître KHEIRAT JACQUEMIN





â– 


8ème chambre
1ère section


N° RG 22/02359
N° Portalis 352J-W-B7G-CWDIV


N° MINUTE :


Assignation du :
16 Février 2022










JUGEMENT
rendu le 19 Mars 2024

DEMANDERESSE

Madame [L] [F]
[Adresse 6]
[Localité 3] (SUISSE)

représentée par Maître ValÃ

©rie HANOUN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0679


DÉFENDERESSE

Société LE BOURDONNEC DU [Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentée par Maître Nadia KHEIRAT JACQUEMIN, avocat au barreau de PARIS, vestiair...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expédition exécutoire délivrée le :
à Maître HANOUN

Copie certifiée conforme délivrée le :
à Maître KHEIRAT JACQUEMIN

â– 

8ème chambre
1ère section

N° RG 22/02359
N° Portalis 352J-W-B7G-CWDIV

N° MINUTE :

Assignation du :
16 Février 2022

JUGEMENT
rendu le 19 Mars 2024

DEMANDERESSE

Madame [L] [F]
[Adresse 6]
[Localité 3] (SUISSE)

représentée par Maître Valérie HANOUN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0679

DÉFENDERESSE

Société LE BOURDONNEC DU [Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentée par Maître Nadia KHEIRAT JACQUEMIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0433

Décision du 19 Mars 2024
8ème chambre
1ère section
N° RG 22/02359 - N° Portalis 352J-W-B7G-CWDIV

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Laure BERNARD, Vice-Présidente
Madame Muriel JOSSELIN-GALL, Vice-présidente
Madame Elyda MEY, Juge

assistées de Madame Lucie RAGOT, Greffière,

DÉBATS

A l’audience du 17 Janvier 2024 tenue en audience publique devant Madame Muriel JOSSELIN-GALL, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé en par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [L] [F] est propriétaire non occupante depuis 1994 d'un appartement au 1er étage d'un immeuble sis au [Adresse 2] [Localité 4], soumis au statut de la copropriété des immeubles bâtis.

La SARL Le Bourdonnec du [Adresse 2] exploite un fonds de commerce de boucherie dans le local commercial au rez-de-chaussée de cet immeuble depuis 2013, qu'elle loue à M. [M] [K], propriétaire.

Au cours de l'année 2013, Mme [F] a fait part à cette société des nuisances sonores qu'elle subissait et qu'elle attribuait aux équipements frigorifiques installés dans ce commerce, juste en dessous de son appartement, impactant plus spécialement sa chambre à coucher, de jour comme de nuit.

Après audit de son frigoriste, la société Acoustic Control Vibration System (ci-après la société ACVS), la SARL Le Bourdonnec a procédé à des travaux d'insonorisation du local compresseur en juillet 2016 et mis en place des amortisseurs de vibration au mois de décembre 2017.

Mme [F], se plaignant de la persistance des nuisances sonores, a saisi par exploit en date des 29 octobre et 6 novembre 2018 le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris et a assigné la SARL Le Bourdonnec du [Adresse 2] ainsi que M. [M] [K], aux fins de voir ordonner une mesure d'expertise judiciaire.

Par ordonnance de référé en date du 13 décembre 2018, le président du tribunal de grande instance de Paris a désigné M. [Z] [E] aux fins d'expertise judiciaire.

L'expert a déposé son rapport final le 8 mai 2020, et la SARL Le Bourdonnec a fait réaliser les travaux ayant fait l'objet de la transmission auprès de l'expert judiciaire de devis descriptifs et estimatifs, tels que validés par M. [E].

Le 18 octobre 2020, la société ACVS a transmis une attestation de fin de travaux d'isolation acoustique et insonorisation des matériels de réfrigération sur le site de la boucherie, au [Adresse 2], stipulant que "les travaux ont été réalisés sur la base des prescriptions établies par l'expert judiciaire [Z] [E], [Adresse 1], [Localité 5]".

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 15 décembre 2021 et par l'intermédiaire de son conseil, Mme [F] a adressé une mise en demeure à la SARL Le Bourdonnec de lui payer la somme de 30.000 euros, au titre de divers préjudices subis pendant sept ans, dont un trouble de jouissance et un préjudice moral, ainsi que le remboursement des frais et honoraires d'expertises et d'avocat qu'elle avait exposés au cours de ces années.

Cette mise en demeure étant restée vaine, par exploit du 16 février 2022, Mme [F] a assigné la SARL Le Bourdonnec du [Adresse 2] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins d'obtenir la réparation de ses préjudices sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
Par ses dernières conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 10 février 2023, Mme [F] demande au tribunal de :

"Vu l'article 1240 du Code Civil,
Vu l'article 699 et 700 du Code de Procédure Civile,
- Débouter la société LE BOURDONNEC DU [Adresse 2] de ses demandes,
- Condamner la société LE BOURDONNEC DU [Adresse 2] payer à Madame [L] [F] la somme de 12 922 euros en réparation des préjudices subis,
- Condamner la société LE BOURDONNEC DU [Adresse 2] payer à Madame [L] [F] la somme de 15 801,67 euros au titre des frais engagés,
- Condamner la société LE BOURDONNEC DU [Adresse 2] à payer à Madame [L] [F] la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du C.P.C,
A titre subsidiaire :
- Intégrant les frais engagés pour la procédure d'expertise judiciaire, condamner la société LE BOURDONNEC DU [Adresse 2] à payer à Madame [L] [F] la somme de 10 200 euros en application de l'article 700 du C.P.C,
- Condamner la société LE BOURDONNEC DU [Adresse 2] aux dépens, en ce compris les frais d'exécution laissés à la charge du créancier par l'article 10 du Décret 2001-212 du 8 mars 2001.
A titre subsidiaire :

- Intégrant les frais engagés pour la procédure d'expertise judiciaire, condamner la société LE BOURDONNEC DU [Adresse 2] aux dépens y compris les frais de constat et d'assignations délivrées en référé et les frais d'expertise, en ce compris les frais d'exécution laissés à la charge du créancier par l'article 10 du Décret 2001-212 du 8 mars 2001".

Au soutien de ses prétentions, Mme [F] fait valoir que :

- elle a souffert de nuisances sonores à fréquence basse émises par les installations frigorifiques de la boucherie, les distinguant bien du bruit environnant provenant de la rue du [Adresse 2], dont elle connaissait le caractère animé pour avoir choisi son appartement sur ce critère ;
- le bureau des actions contre les nuisances de la préfecture de police de [Localité 7] avait constaté des nuisances sonores, relatées dans une rapport du 19 mai 2017 ;
- pendant toute la période où ces nuisances ont perduré elle a subi un réel préjudice de jouissance et qu'il convient de réévaluer à la hausse le rapport de l'expert en les fixant à une perte de jouissance de 20%, pour une occupation de 20 semaines par an pendant 7 ans, soit 12.922 euros, la valeur de location de l'appartement étant fixée à 2.000 euros mensuels ;
- sa demande indemnitaire n'est pas prescrite car l'assignation en référé sollicitant l'expertise judiciaire a interrompu la prescription, dès lors elle est fondée à solliciter l'indemnisation de son préjudice depuis 2017 ;
- sa demande en réparation du préjudice moral est incluse dans sa demande en réparation du préjudice de jouissance, le préjudice moral s'inclut de fait par sa nature dès lors que l'on ne peut jouir pleinement de son bien ;
- elle sollicite l'indemnisation des frais pour déterminer la réalité et l'origine des nuisances sonores, qu'elle a été contrainte d'engager pour faire valoir ses droits.

Par ses dernières conclusions récapitulatives et en réplique notifiées par voie électronique le 17 janvier 2023, la SARL Le Bourdonnec du [Adresse 2] demande du tribunal de :

"Vu l'article 1240 & 2239 du Code Civil,
Vu les présentes conclusions et les pièces versées aux débats,
- JUGER Madame [F] mal fondée en sa demande en paiement à concurrence de la somme de 12.922 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice et l'en débouter;
- JUGER que le préjudice immatériel de Madame [F] ne saurait excéder une somme fixée à 2.122 euros et la débouter de toute demande supérieure ;
- JUGER Madame [F] mal fondée en sa demande en paiement à concurrence de la somme de 15.801,67 euros au titre des frais engagés par elle et l'en débouter ;
- DIRE ET JUGER mal fondée Madame [F] en sa demande en paiement à concurrence de la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre les complets dépens et l'en débouter ;

- CONDAMNER Madame [F] à payer à la SARL LE BOURDONNEC DU [Adresse 2] une somme de 2.500 euros par application des termes de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre les complets dépens".

Au soutien de ses prétentions, la SARL Le Bourdonnec du [Adresse 2] fait valoir que :

- elle a toujours été à l'écoute des doléances de Mme [F] et tenté de remédier aux nuisances sonores qu'elle évoquait en procédant, de sa propre initiative, à des travaux dès le mois de juillet 2016 ;
- elle a procédé aux travaux préconisés par ce dernier selon devis validés par l'expert judiciaire ;
- l'imputation du trouble anormal du voisinage à la boucherie Le Bourdonnec [Adresse 2] n'est pas démontrée, puisque l'environnement sonore dont se plaint Mme [F] relève de trois sources différentes (la circulation dans la rue du [Adresse 2], le groupe réfrigérant du restaurant voisin et les installations de la boucherie) ; la SARL Le Bourdonnec du [Adresse 2] n'est donc pas la cause exclusive des nuisances dont se plaint Mme [F] ;
- la résidence habituelle de Mme [F] est en Suisse, l'expert judiciaire a rapporté qu'elle utilise cet appartement environ 7 fois par an et pour une période d'une semaine à 10 jours, ce qu'elle n'a pas contesté ;
- elle n'a versé aux débats aucune pièce permettant de démontrer qu'elle louait cet appartement, ni communiqué aucune pièce à l'expert judiciaire s'agissant d'un quantum de quelque indemnisation que ce soit ;
- l'expert a été contraint en conséquence de procéder à l'estimation des préjudices subis sur la base des seules déclarations de Mme [F], dès lors l'évaluation par cette dernière de son préjudice de jouissance à plus de six fois le quantum estimé par l'expert judiciaire, alors qu'elle n'a formulé aucune observation ou dire lors de l'expertise, est particulièrement mal fondé ;
- l'indemnisation du préjudice poursuivi par Mme [F] ne pourra excéder une période de 5 années, période au-delà de laquelle sa demande se heurte à la prescription de son action ;
- à supposer que l'action en désignation d'un expert puisse interrompre la prescription, la date à prendre en considération est celle de l'ordonnance de référé, soit le 13 décembre 2018, et non celle de l'assignation ;
- Mme [F] n'amène aux débats aucune pièce justifiant l'existence d'un préjudice moral ;
- les demandes relatives à l'indemnisation des frais engagés relèvent des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un exposé plus détaillé des moyens et prétentions des parties, il convient de renvoyer aux termes de leurs dernières écritures susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'affaire a été close par ordonnance du 22 mai 2023, et fixée à l'audience du 17 janvier 2024, puis mise en délibéré au 19 mars 2024, date à laquelle il a été mis à disposition au greffe.

MOTIFS

Aux termes de l'article 768 du code de procédure civile, tel que modifié par le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 et applicables aux instances en cours à cette date : "Les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau énumérant les pièces justifiant ces prétentions est annexé aux conclusions.
Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Les moyens qui n'auraient pas été formulés dans les conclusions précédentes doivent être présentés de manière formellement distincte. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
Les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et le tribunal ne statue que sur les dernières conclusions déposées."

Si, dans le corps de ses écritures, le syndicat des copropriétaires fait état d'une prescription d'une partie des demandes en paiement de Mme [F], force est de constater qu'il ne forme, selon les dispositif de ces mêmes écritures, aucune prétention tendant à la voir déclarer irrecevable, de sorte que le tribunal n'en est pas saisi et n'a pas à examiner ce moyen de défense.

Ce d'autant plus que, s'agissant d'une fin de non-recevoir, cela relève de la compétence exclusive du juge de la mise en état en application de l'article 789 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019.

Sur les demandes principales en indemnisation

L'article 1240 du code civil dispose que "Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer".

En application de l'article 1240 du code civil, il appartient au demandeur à l'action en responsabilité civile délictuelle de démontrer une faute, un préjudice et un lien de causalité entre le fait générateur et le dommage.

L'article 544 du code civil dispose que "la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements".

L'article 9-I de la loi du 10 juillet 1965 dispose que "Chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble"

Aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, "Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention".

Un trouble anormal de voisinage est constitué dès lors qu'existe une nuisance excédant les inconvénients normaux de la cohabitation dans un immeuble collectif en fonction des circonstances et de la situation des lieux.

La responsabilité résultant de troubles qui dépassent les inconvénients normaux de voisinage, lesquels doivent être prouvés par celui qui les invoque, est établie objectivement, sans que la preuve d'une faute soit exigée.

Le tiers lésé, qu'il soit propriétaire ou occupant des lieux, dont la jouissance paisible est troublée, est recevable à diriger indifféremment son action aussi bien contre l'auteur effectif du trouble que contre le propriétaire des lieux où le trouble a trouvé son origine ou sa cause (ex. Cour d'appel de Paris, Pôle 1, chambre 2, n° RG 12/08393).

Si, parmi les principes directeurs du procès, l'article 12 du code de procédure civile précité oblige le juge à donner ou à restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions, il ne lui fait pas obligation, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique de leurs demandes (Cass ass.plèn. 21 décembre 2007).

Sur ce
Sur les désordres, leur matérialité, leurs causes et les responsabilités

Le dispositif des conclusions des parties vise l'article 1240 du code civil, soit la responsabilité fondée sur la commission d'une faute délictuelle.

S'il ne résulte pas des éléments du débat que la SARL Le Bourdonnec Le [Adresse 2] ait commis une faute au sens de l'article 1240 susvisé, cette dernière ayant pris en compte les doléances de Mme [F] et procédé à des travaux qu'elle pensait être de nature à neutraliser les nuisances sonores dont elle n'a pas contesté être à l'origine, le tribunal appréciera la responsabilité de la défenderesse à l'aune de la théorie des troubles anormaux du voisinage, dans la mesure où cette société argumente également la mesure de sa responsabilité au regard de cette dernière.

Dans son rapport en date du 8 mai 2020, l'expert acousticien a conclu en ces termes "L'expertise technique a pu montrer que les cycles de mise en route et la régulation de l'installation frigorifique de la boucherie sont audibles dans l'appartement de Madame [F], et en particulier la chambre située au-dessus du local compresseur.
Ce bruit se transmet par voie solidienne, que les fenêtres soient ouvertes ou fermées.
L'expertise a permis de séparer le bruit provenant du restaurant de celui qui est l'objet du litige et qui provient des compresseurs.
Le niveau de bruit global produit par les installations frigorifiques de la boucherie est intermittent et fortement variable, et atteint 30 dB (A) lorsque le bruit résiduel nocturne est de 22 db (A). L'émergence globale constatée a atteint 8 dB (A). A titre de comparaison, selon le code de la santé publique, l'émergence globale autorisée réglementairement serait de 6 db (A) nocturne pour un bruit apparaissant entre 20 mn et 2 heures par nuit.
Le niveau de bruit mesuré dans la bande de tiers d'octave 100 Hz est au minimum égal à 43 dBlin en mode dégivrage et atteint 55 dBlin en hiver, et davantage en été. A titre de comparaison, selon le code de la santé publique, l'émergence spectrale autorisée réglementairement dans la bande d'octave de 125 Hz est de 7 dB."(pp25-26)

En page 22 de son rapport, l'expert judiciaire décrit la gêne sonore et sur son importance : La gêne sonore est permanente le jour, la nuit et le WE, mais elle fonctionne par intermittence selon les cycles de marche/arrêt du compresseur et des évaporateurs. Elle a été limitée par une temporisation nocturne, mais elle se redémarre vers 4h du matin, lorsque la température de la chambre froide remonte au-dessus du seuil de conservation de la viande".

S'agissant des manquements aux prescription législatives, réglementaires ou contractuelles et aux règles de l'art, ayant un lien avec les désordres allégués, l'expert précise que "les mesures montrent que l'émergence globale du bruit du compresseur de 8 dB (A) dépasse le seuil réglementaire du Code de la Santé publique qui est de 3 dB en période nocturne" (p.23)

Par ces constats, il est établi que le niveau sonore des installations frigorifiques de la boucherie Le Bourdonnec [Adresse 2] dépasse le seuil des inconvénients normaux du voisinage puisque, en dépit des efforts déployés par cette dernière pour atténuer le bruit du groupe frigorifique, il dépasse les seuils réglementaires autorisés.

Bien que l'environnement sonore ne comporte pas seulement le bruit généré par ces installations, il s'avère que l'expert acousticien l'a mesuré indépendamment des autres bruits environnants et que cette mesure a fait état, à elle-seule, d'un dépassement des seuils autorisés par le code de la santé publique.

En conséquence les installations frigorifiques de la SARL Le Bourdonnec Le [Adresse 2] sont la cause exclusive du bruit diurne et parfois nocturne sourd et continu, audible dans l'appartement de Mme [F], et spécifiquement dans sa chambre, constitutif d'un trouble dépassant les inconvénients normaux du voisinage.

Le bruit de l'équipement frigorifique de la Boucherie Le Bourdonnec Le [Adresse 2] étant la source d'un trouble anormal du voisinage au préjudice de Mme [F], cette société sera condamnée à l'indemniser de ses préjudices à ce titre.

Sur l'évaluation des préjudices subis par Mme [F]

Sur le trouble de jouissance

L'expert rapporte que "Mme [F] habite en Suisse et utilise cet appartement environ 7 fois par an, pendant une semaine à 10 jours, et ce pied à terre sert également à ses enfants".

Bien qu'il souligne que la partie demanderesse n'ait pas présenté de calcul de préjudice pendant l'expertise et que les éléments produits ne permettent pas de déterminer un préjudice financier direct, comme une baisse de revenu locatif, il estime qu'un préjudice indirect puisse être envisagé sur la base des éléments suivants, "compte-tenu du temps d'occupation de l'appartement par sa propriétaire, et d'une perte de jouissance de 10% :

- Le loyer mensuel de référence pour un 3 pièces est de 26 euros/m2 dans le 6ème arrondissement ;
- La surface de l'appartement est de 68 m2 ;
- Le taux d'occupation est estimé à 8 semaines / an (coefficient 0,15) ;
- La durée du trouble est de 6,5 ans (installation de la boucherie fin 2013 jusqu'à mi 2020) ;
- La perte de jouissance pourrait être estimée à 10% de la valeur locative.
Si un préjudice immatériel était retenu, il serait estimé à 2.122 euros." (p.24)

Mme [F] n'a formulé aucun dire lors de ce rapport à ce sujet et l'expert a souligné sa carence quant à la production d'une pièce justificative de son préjudice ; Mme [F] n'apporte aux débats aucune pièce de nature à justifier sa demande de réévaluation du rapport de l'expert.

En conséquence, faute pour Mme [F], demanderesse, de fournir au tribunal tous éléments de nature à mieux évaluer le préjudice de jouissance dont elle réclame réparation, le tribunal retiendra la somme évaluée par l'expert, soit 2.122 euros.

Sur le préjudice moral

Mme [F], à qui incombe la charge de la preuve, n'apporte aucune pièce venant étayer sa demande au titre de son préjudice moral.

Elle sera en conséquence déboutée de sa demande à ce titre.

Sur la demande au titre de l'indemnisation des frais engagés

Mme [F] sollicite l'indemnisation de 15.801,67 euros au titre du remboursement des frais d'un procès-verbal de constat d'huissier en date du 20 juin 2018, de trois assignations, des honoraires de l'expert, ainsi que le remboursement des honoraires de son avocat.

Il n'est pas contestable que le procès-verbal de constat du 20 juin 2018 a été réalisé, à la demande de Mme [F], pour faire le constat des désordres dénoncés et lui permettre, le cas échéant, de faire valoir ses droits.

Il convient dès lors de faire droit à sa demande à ce titre, à hauteur de 309,20 euros.

Le surplus des frais dont il est sollicité le paiement relève de la catégorie des dépens ainsi que des frais irrépétibles, et seront examinés à ce titre.

Sur les demandes accessoires

- Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

Le juge qui statuer sur un litige peut condamner les parties aux dépens d'une autre instance, s'il s'agit de frais relatifs à une instance ayant préparé celle dont le juge est saisi (frais relatifs à la procédure d'expertise et frais d'expertise (Civ. 3ème, 17 mars 2004, n°00-22.522).

La SARL Le Bourdonnec du [Adresse 2] sera condamnée au paiement des entiers dépens de l'instance, incluant les honoraires de l'expert judiciaire ainsi que les frais des actes d'assignations délivrées à l'occasion de l'instance en référé, justifiés à hauteur de 188,88 euros.

En revanche, la demande de Mme [F] tendant à inclure dans les dépens les "frais d'exécution laissés à la charge du créancier par l'article 10 du Décret 2001-212 du 8 mars 2001" doit être rejetée dès lors qu'elle concerne une situation future et hypothétique et porte sur une dépense en l'état incertaine, tant dans son principe que dans son quantum, rien ne pouvant, en l'état, laisser présumer, par avance, une volonté de résistance du défendeur à la présente instance nécessitant la mise en œuvre d'une procédure d'exécution forcée.

Elle est en outre superfétatoire, puisque la loi, notamment par les dispositions de l'article L.111-8 du code des procédures civiles d'exécution, met déjà par principe les frais d'une exécution forcée nécessaire à la charge du débiteur, sous le contrôle du juge de l'exécution.

- Sur les frais non compris dans les dépens

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.

Tenue aux dépens, la société Le Bourdonnec du [Adresse 2], sera en outre condamnée à payer à Mme [F] la somme de 3.000 euros à ce titre.

- Sur l'exécution provisoire

Aux termes des articles 514 et suivants du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 et applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

Le juge peut écarter l'exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s'il estime qu'elle est incompatible avec la nature de l'affaire. Il statue, d'office ou à la demande d'une partie, par décision spécialement motivée.

En l'espèce, la nature des condamnations prononcées et l'ancienneté du litige justifient que l'exécution provisoire de droit ne soit pas écartée.

Les parties seront déboutées du surplus de leurs demandes formées au titre des frais irrépétibles ainsi que leurs autres demandes plus amples ou contraires.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, par jugement contradictoire et en premier ressort,

CONDAMNE la SARL le Bourdonnec du [Adresse 2] à payer à Mme [L] [F] la somme de 2.122 euros au titre de la réparation de son préjudice de jouissance ;

CONDAMNE la SARL le Bourdonnec du [Adresse 2] à payer à Mme [L] [F] la somme de 309,20 euros au titre des frais engagés ;

DEBOUTE Mme [L] [F] du surplus de ses demandes indemnitaires ;

CONDAMNE la SARL le Bourdonnec du [Adresse 2] à payer à Mme [L] [F] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SARL le Bourdonnec du [Adresse 2] aux dépens, incluant les honoraires de l'expert judiciaire ainsi que les frais des actes d'assignations délivrées à l'occasion de l'instance en référé, justifiés à hauteur de 188,88 euros ;

REJETTE le surplus des demandes de Mme [L] [F] formées au titre des dépens ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

DIT que l’exécution provisoire est de droit ;

Fait et jugé à Paris le 19 Mars 2024.

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 8ème chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 22/02359
Date de la décision : 19/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-19;22.02359 ?
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