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18/03/2024 | FRANCE | N°22/02741

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 19eme contentieux médical, 18 mars 2024, 22/02741


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :


19ème contentieux médical

N° RG 22/02741

N° MINUTE :

Assignations des :
26 et 27 Janvier 2022

CONDAMNE

EG




JUGEMENT
rendu le 18 Mars 2024
DEMANDEURS

Madame [O] [L]
[Adresse 3]
[Localité 4]

Madame [Y] [L]
[Adresse 3]
[Localité 4]

Monsieur [J] [L]
[Adresse 3]
[Localité 4]

Madame [S] [L]
[Adresse 3]
[Localité 4]

Représentés par Maître France BEDOIS, avo

cat au barreau de PARIS, vestiaire #E1661

DÉFENDEURS

L’OFFICE NATIONAL D’INDEMNISATION DES ACCIDENTS MÉDICAUX (ONIAM)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 5]

Représenté par Maître Céline ROQUELLE M...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

19ème contentieux médical

N° RG 22/02741

N° MINUTE :

Assignations des :
26 et 27 Janvier 2022

CONDAMNE

EG

JUGEMENT
rendu le 18 Mars 2024
DEMANDEURS

Madame [O] [L]
[Adresse 3]
[Localité 4]

Madame [Y] [L]
[Adresse 3]
[Localité 4]

Monsieur [J] [L]
[Adresse 3]
[Localité 4]

Madame [S] [L]
[Adresse 3]
[Localité 4]

Représentés par Maître France BEDOIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E1661

DÉFENDEURS

L’OFFICE NATIONAL D’INDEMNISATION DES ACCIDENTS MÉDICAUX (ONIAM)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 5]

Représenté par Maître Céline ROQUELLE MEYER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0082

La CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE SEINE ET MARNE
[Adresse 6]
[Localité 4]
Décision du 18 Mars 2024
19ème contentieux médical
RG 22/02741

Non représentée

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Sabine BOYER, Vice-Présidente
Présidente de la formation

Madame Laurence GIROUX, Vice-Présidente
Madame Emmanuelle GENDRE, Vice-Présidente
Assesseurs

Assistées de Madame Erell GUILLOUËT, Greffière, lors des débats et au jour de la mise à disposition au greffe.

DEBATS

A l’audience du 22 Janvier 2024 présidée par Madame [G] [V] tenue en audience publique, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 18 Mars 2024.

JUGEMENT

- Réputé contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [O] [L] née le [Date naissance 2] 1958 qui présentait une ostéoporose a consulté le docteur [Z], médecin orthopédiste, en raison de dorsalgies après une première intervention de cimentoplastie en raison d’un tassement ostéoporotique en 2016. Le 19 juillet 2018, elle a subi une intervention d’arthrodèse par le Dr [Z] à la clinique [8] à [Localité 9] en raison de la présence d’une pseudarthrose au niveau de la T7. Le 19 juillet 2018, une radiographie a pu mettre en évidence une fracture-tassement jonctionnelle au niveau de la T11. Transférée en centre de rééducation à la clinique [Localité 7] le 27 juillet 2018, elle a présenté, le 29 juillet 2018, un déficit des membres inférieurs se traduisant par une perte des mobilités et de la sensibilité et une rétention urinaire. Elle a été admise à l’hôpital Georges Pompidou le 30 juillet 2018 et a été opérée en urgence d’une fracture jonctionnelle de T10 compliquée d’une compression médullaire avec paralysie évolutive, extension de l’arthrodèse de T10 à L1 en raison de la fracture de T10.

Elle a été réopérée le 7 septembre 2018 à l’hôpital [10] pour extension de l’arthrodèse et cimentoplastie au niveau de la L1 et de la L4.

Par ordonnance en date du 17 janvier 2020, le juge des référés a désigné en qualité d'expert le docteur [M].

L'expert a procédé à sa mission et, aux termes d'un rapport dressé le 30 décembre 2020, a conclu ainsi que suit :
« cette complication post-opératoire très rare au niveau du rachis dorso-lombaire intervient sans faute retenue concernant le chirurgien. Il s’agit donc d’un aléa thérapeutique qui intervient à hauteur de 50%. L’état antérieur marqué par une ostéoporose avérée avec un antécédent de tassement vertébral traité par cimentoplastie intervient aussi à hauteur de 50%. »

arrêt total d'activité : en arrêt au moment de l’intervention ;
déficit fonctionnel temporaire : 
Total du 27/7/2018 au 26/10/2018 ;50% du 27/10/2018 au 27/01/2019 ;25% du 28/01/2019 au 30/04/2019 ;15% du 01/05/2019 au 31/07/2020 ;besoin en tierce personne :
Du 27/10/2018 au 27/01/2019 : 3h par jourDu 28/01/2019 au 30/04/2019 : 2h par jourDu 1/05/2019 au 31/07/2020 : 1h par jour ;1h par jour viagère souffrances endurées : 4/7 ;
consolidation des blessures : 31/07/2020 ;
déficit fonctionnel permanent : 10% ;
préjudice esthétique temporaire : 3/7 ;
préjudice esthétique permanent : 1,5/7 ;
préjudice d'agrément : jogging ;
préjudice professionnel :si une reconversion professionnelle est envisageable, Mme [L] sera limitée fonctionnellement avec une pénibilité accrue et une dévalorisation sur le marché du travail ;

Par actes délivrés les 26 et 27 janvier 2022, Mme [O] [L], Mme [Y] [L], Mme [S] [L], M.[J] [L] ont fait assigner l’ONIAM et la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) de SEINE ET MARNE devant ce tribunal aux fins de voir reconnaître leur droit à indemnisation et de voir liquider leurs préjudices.

Par conclusions récapitulatives signifiées le 13 octobre 2022, auxquelles il est référé expressément conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, Mme [O] [L], Mme [Y] [L], Mme [S] [L], M.[J] [L] demandent au tribunal de :
Juger que leur demande est recevable et bien fondée ;Condamner l’ONIAM à leur payer une indemnisation de 197.715,24 euros ;Condamner l’ONIAM à payer à Mme [O] [L] la somme de 3.000 euros et aux autres demandeurs la somme de 500 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;Condamner l’ONIAM au remboursement des honoraires de l’expert judiciaire ;Juger que les dépens de l’instance seront à la charge de l’ONIAM.

Aux termes de ses dernières écritures récapitulatives notifiées par voie électronique le 7 septembre 2022, auxquelles il est référé expressément conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, l’ONIAM demande au tribunal de :

Constater que le dommage survenu n’est pas anormal compte tenu de l’exposition particulière de Mme [L] à ce dernier ;Constater que les conditions d’intervention de la solidarité nationale ne sont pas réunies ;Prononcer la mise hors de cause de l’ONIAM ;Rejeter les prétentions des consorts [L] au titre des frais irrépétibles et des frais d’expertise ;Ecarter l’exécution provisoire ;Statuer ce que de droit sur les dépens.
La Caisse Primaire d’Assurance-Maladie de SEINE ET MARNE, quoique régulièrement assignée, n’a pas constitué avocat. Le présent jugement, susceptible d'appel, sera donc réputé contradictoire et lui sera déclaré commun.

La clôture de la présente procédure a été prononcée le 22 mai 2023.

L'affaire a été plaidée à l’audience du 22 janvier 2024 et mise en délibéré au 18 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur les conditions de prises en charge d’un accident médical au titre de la solidarité nationale :

Aux termes de l'article L.1142-1 paragraphe II du Code de la santé publique :
« Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient au titre de la solidarité nationale, et, en cas de décès, de ses ayants droit lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'incapacité permanente ou de la durée de l'incapacité temporaire de travail".

Au titre du critère de gravité du dommage, l’ONIAM n’a vocation à intervenir que si le dommage subi par la victime atteint, à minima, l’un des seuils de gravité suivants :
Un déficit fonctionnel permanent supérieur à 24% ;Un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d’un déficit fonctionnel temporaire total ou partielle supérieur ou égal à un taux de 50% pendant six mois consécutifs ou six mois non consécutifs sur une période de 12 mois.A titre exceptionnel, l’ONIAM a vocation à intervenir :
Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l’activité professionnelle qu’elle exerçait avant la survenue du dommage ;Lorsque le dommage occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d’ordre économique, dans ses conditions d’existence.
Il résulte de ce texte que la prise en charge par l'ONIAM des conséquences d'un accident médical, d'une affection iatrogène ou d'une infection nosocomiale est subordonnée à la réunion des conditions cumulatives énoncées par celui-ci.

La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Dans le cas contraire, les conséquences de l'acte médical ne peuvent être considérées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état de santé du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.

Mme [O] [L] soutient que les trois conditions cumulatives prévues par le texte, imputabilité à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins, anormalité et degré de gravité des préjudices, sont réunies en l’espèce.
S’agissant de l’imputabilité, elle rappelle qu’aux termes de son rapport, l’expert a retenu que la complication subie découle bien des soins prodigués.
S’agissant de l’anormalité, Mme [O] [L] expose que selon la jurisprudence cette condition est remplie dans l’un des deux cas suivants :
La condition d’anormalité du dommage doit toujours être regardée comme remplie lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l’absence de traitementLes conséquences de l’acte médical peuvent être regardées comme anormales si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible.
Elle soutient que pour la réalisation de la deuxième condition, la jurisprudence impose de prendre en considération non la probabilité de réalisation de l’accident médical, mais la probabilité de survenance du dommage. Dans son cas, elle expose que l’acte de chirurgie a provoqué une fracture ou tassement ayant entraîné des complications neurologiques et soutient qu’il s’agit d’évaluer la rareté du dommage en l’espèce les complications neurologiques et non de l’accident médical, en l’espèce le tassement. Or, elle maintient que les tassements vertébraux ostéoporotiques ne sont qu’exceptionnellement à l’origine de complications neurologiques, leur survenance étant qualifiée de très rare par l’expert.
S’agissant de la gravité du dommage, Mme [O] [L] rappelle que l’expert a retenu une période de déficit fonctionnel temporaire total du 27 juillet 2018 au 26 octobre 2018 et partiel à 50% du 27 octobre 2018 au 27 janvier 2019, soit pendant une durée supérieure à 6 mois consécutifs.

L’ONIAM s’oppose à l’indemnisation de Mme [O] [L] faisant valoir que la condition d’anormalité du dommage subi n’est pas caractérisée. S’agissant de la gravité du dommage en l’absence d’intervention, il expose ainsi qu’il ressort de l’expertise que les conséquences de la complication survenue dans les suites de l’opération d’ostéosynthèse ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles Mme [O] [L] aurait été exposée à défaut de soins. S’agissant de la fréquence du risque compte tenu de l’exposition particulière de Mme [O] [L] au risque de complication qui est finalement survenu, l’ONIAM souligne que l’expert a retenu que l’état antérieur de Mme [O] [L] était intervenu à hauteur de 50% dans la survenue du dommage et que l’aléa thérapeutique était survenu sur un état antérieur pathologique. Selon l’ONIAM l’état antérieur est bien lié à la survenance de la complication à laquelle Mme [O] [L] était particulièrement exposée. Il estime que l’appréciation de la rareté de la complication survenue doit être faite in concreto en tenant compte de la particulière exposition de la patiente à ce risque. Il en déduit en l’espèce que la particulière exposition de Mme [O] [L] eu égard à son état vertébral antérieur implique que la survenance du dommage présentait une probabilité forte. Au surplus, l’ONIAM relève que dans le corps de l’expertise, l’expert sur interrogation du médecin représentant la clinique, a indiqué en réponse « l’expert lui fait savoir que Mme [L] a présenté une paraplégie postopératoire. A ce titre, il ne peut pas être exclu l’absence d’aléa thérapeutique ce dont convient le Dr [K]. » L’ONIAM déduit de cette phrase qu’il n’est pas possible de conclure à un accident médical non fautif de manière certaine.

SUR CE,

Il convient de relever que Madame [L] a subi deux nouvelles interventions à la suite de l’intervention d’ostéosynthèse T5 T10 en cause du 19 juillet 2018 à la suite de laquelle une complication de paralysie progressive est apparue en raison d’une fracture de T10 entrainant une compression médullaire :
Celle du 31 juillet 2018 d’extension d’arthrodèse de T10 à L1 à la suite de la fracture de T10,Celle du 7 septembre 2018 de cimentoplastie de L1 à L4 à la suite du tassement de L1.
Ainsi, deux complications successives sont survenues, la fracture de T10 entrainant une compression médullaire avec paralysie nécessitant la deuxième intervention et le tassement de L1 nécessitant la troisième intervention.

L’imputabilité du dommage à un acte de soins présenté par Mme [O] [L] n’est pas discutée par les parties. Sur ce point, l’expert retient une complication post opératoire, sans faute retenue concernant le chirurgien et ce dernier point n’est pas davantage contesté.

De même la gravité du dommage n’est pas contestée alors qu’une période de déficit fonctionnel d’au moins 50% durant plus de six mois a été relevée à l’issue de l’expertise.

S’agissant du premier critère d’anormalité, il convient de relever que le Dr [M] dans ses conclusions d’expertise n’évoque pas clairement ce point. Il note cependant que l’évolution à la suite des interventions de reprise a été favorable. En réponse à la demande des parties relative aux conséquences de l’évolution spontanée de l’ostéoporose en l’absence de chirurgie, l’expert indique qu’« il est difficile de répondre à cette question, dans de telles circonstances, le risque de tassement vertébral est élevé, en revanche, il est difficile d’établir une incidence des complications neurologiques. ». En tout état de cause, Mme [O] [L] ne conteste pas que le premier critère d’anormalité du dommage ne soit pas rempli en ce que les conséquences de l’intervention chirurgicale dont elle a bénéficié ne sont pas plus graves que celles auxquelles elle était exposée par sa pathologie en l’absence de traitement.

S’agissant du deuxième critère d’anormalité, à savoir que la survenance du dommage présentait une probabilité faible, l’expert conclut ainsi :
« il retient la notion d’une aggravation d’un état antérieur et d’une complication postopératoire, dont la chirurgie aurait favorisé la survenue. Ceci permet de retenir la notion de responsabilité sans faute. Il n’existe pas en effet de faute, caractérisée par le chirurgien. Les complications neurologiques étaient bien répertoriées et renseignées dans le consentement éclairé. Il s’agit d’un aléa thérapeutique sur un état antérieur pathologique.» Il ajoute ensuite « cette complication post-opératoire très rare au niveau du rachis dorso-lombaire intervient sans faute retenue concernant le chirurgien. Il s’agit donc d’un aléa thérapeutique qui intervient à hauteur de 50%. L’état antérieur marqué par une ostéoporose avérée avec un antécédent de tassement vertébral traité par cimentoplastie intervient aussi à hauteur de 50%. ».

Ainsi, en réponse aux arguments de l’ONIAM qui met en doute la survenue d’une complication médicale qualifiée d’aléa à la suite de la réponse de l’expert citée ci-dessus, il y a lieu de relever que le raisonnement de l’expert pour retenir un aléa et donc un dommage indemnisable est basé sur l’absence de faute du chirurgien, tant dans la décision d’opérer que dans la réalisation de l’acte. Or, toutes les parties se sont entendues pour ne retenir aucune faute dans les interventions successives, y compris dans l’appréciation de la balance bénéfices/ risques de la cimentoplastie du 7 septembre 2018. Si l’état antérieur d’ostéoporose de la patiente pouvait provoquer une fracture spontanée de la vertèbre (en l’espèce T10), la fracture dont il est question est survenue à dix jours de l’intervention chirurgicale litigieuse. Cette fracture a par ailleurs provoqué une autre complication de type neurologique avec paralysie des membres inférieurs dont la survenue n’est pas une conséquence attendue de l’état antérieur et qui a justifié une troisième intervention, à risques, de cimentoplastie. Dans ces conditions, cette complication est en lien certain et direct avec l’acte de soin, de sorte qu’elle doit bien être prise en compte au titre de l’accident médical non fautif. Le critère d’anormalité est d’ailleurs caractérisé, la complication étant qualifiée de très rare par l’expert.

Par ailleurs, le Dr [M] établit un pourcentage de complications imputables à l’état antérieur de Mme [O] [L], 50% et un pourcentage imputable à l’état thérapeutique, ce qui indique que l’état vertébral de Mme [O] [L] a bien été pris en compte dans l’appréciation du préjudice actuel de la patiente, sans que ce constat n’exclut une part imputable à l’accident médical retenu.

Dans ces conditions, il doit être considéré que Mme [O] [L] remplit les conditions définies par l’article L1142-1 du code de la santé publique et l’ONIAM sera tenu de réparer le préjudice de Mme [O] [L] à hauteur de l’imputabilité retenue par l’expert à l’accident médical, soit 50%.

II – Sur l’évaluation du préjudice corporel de Mme [O] [L] :

Au vu de l'ensemble des éléments produits aux débats, le préjudice subi par Mme [O] [L], née le [Date naissance 2] 1958 et âgée par conséquent de 59 ans lors de l'accident médical, de 61 ans à la date de consolidation de son état de santé, et 65 ans au jour du présent jugement sera réparé ainsi que suit, en tenant compte de la limitation du droit à indemnisation résultant de l’état antérieur à hauteur de 50%, étant observé qu'en application de l'article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, d'application immédiate, le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge.

Il sera utilisé, conformément à la demande de la requérante, le barème de capitalisation publié dans la Gazette du Palais du 15 septembre 2020 à un taux d’intérêt de 0%, le mieux adapté aux données sociologiques et économiques actuelles.

Dans le cas d’espèce d'une limitation du droit à indemnisation de la victime de 50%, le droit de préférence de celle-ci sur la dette du tiers responsable a pour conséquence que son préjudice corporel, évalué poste par poste, doit être intégralement réparé pour chacun de ces postes dans la mesure de l'indemnité laissée à la charge du tiers responsable et le tiers payeur ne peut exercer son recours, le cas échéant que sur le reliquat.

1- Préjudices patrimoniaux

- Assistance tierce personne provisoire

Il convient d'indemniser les dépenses destinées à compenser les activités non professionnelles particulières qui ne peuvent être assumées par la victime directe durant sa maladie traumatique, comme l'assistance temporaire d'une tierce personne pour les besoins de la vie courante, étant rappelé que l’indemnisation s'entend en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée. Le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être subordonné à la production de justificatifs des dépenses effectives.

Mme [O] [L] sollicite la somme de 9.230 euros sur la base d’un tarif horaire de 20 euros et de 412 jours par an tenant compte des congés annuels et jours fériés.

En l'espèce, l’expertise retient un besoin de :
3h par jour pendant la période de classe III, soit du 27 octobre 2018 au 27 janvier 2019, représentant 93 jours2h par jour pendant la période de classe II, soit du 28 janvier 2019 au 30 avril 2019, représentant 93 jours1 heure par jour pendant la période à 15%, soit du 1er mai 2019 au 31 juillet 2020, représentant 458 jours
Sur la base d’un taux horaire de 18 euros et de périodes de 365 jours, qui apparaît adapté à la situation de la victime à ce stade, il convient de fixer ainsi le préjudice :
(3h x 93 jours x 18 euros) + (2h x 93 jours x 18 euros) + (1h x 458 jours x 18 euros) = 16.614 euros.

Compte tenu de la réduction du droit à indemnisation, il sera alloué la somme de 8.307 euros (16.614/2).

- Assistance par tierce personne pérenne

Il convient d'indemniser les dépenses destinées à compenser les activités non professionnelles particulières qui ne peuvent être assumées par la victime directe après la consolidation de son état de santé, comme l'assistance temporaire d'une tierce personne pour les besoins de la vie courante, étant rappelé que l’indemnisation s'entend en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée. Le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être subordonné à la production de justificatifs des dépenses effectives.

Mme [O] [L] sollicite la somme de 108.224,16 euros sur la base d’un tarif horaire de 20 euros et de 412 jours par an.

En l'espèce, s'agissant de l'assistance tierce-personne pérenne, l’expert retient une heure par jour de façon viagère en raison de la dépendance pour l’habillage du bas, pour une partie de la toilette intime et surtout pour le port de charges.

S’agissant des arrérages échus jusqu’au jugement, le calcul se fera sur la base d’une heure par jour, d’un taux horaire de 20 euros et sur 365 jours par an entre le 31 juillet 2020 et le 29 février 2024. Ainsi il sera fixé la somme de 1.309 jours x 20 euros = 26.180 euros.

S’agissant des arrérages à échoir à compter du 1er mars 2024, le calcul se fera sur la base sollicitée d’une heure par jour, d’un taux horaire de 20 euros et sur 412 jours par an, avec une capitalisation viagère avec un prix d’euro de rente à 22,658 pour une femme de 65 ans au jour du présent jugement.

Ainsi il sera fixé la somme de (412 jours x 20 euros) x 22,658 = 186.701,92 euros.
Soit un total de 212.881,92 euros. Il sera donc alloué la somme de 106.440,96 euros après réduction du droit à indemnisation.

- Incidence professionnelle

Ce poste d'indemnisation a pour objet d'indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle, ou de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu'elle exerçait avant le dommage au profit d'une autre qu'elle a dû choisir en raison de la survenance de son handicap. Ce poste indemnise également la perte de retraite que la victime va devoir supporter en raison de son handicap, c'est-à-dire le déficit de revenus futurs, estimé imputable à l'accident, qui va avoir une incidence sur le montant de la pension auquel pourra prétendre la victime au moment de sa prise de retraite.

Mme [O] [L] sollicite la somme de 8.000 euros relevant que dans l’hypothèse où une reconversion professionnelle était envisageable, elle serait limitée fonctionnellement ce qui aurait pour conséquence une pénibilité accrue et une dévalorisation sur le marché du travail.

L’expert a retenu en l’espèce que Mme [O] [L] était en arrêt de travail et en invalidité au moment de la survenue de la chirurgie. Il précise que si une reconversion professionnelle était envisageable, elle serait limitée fonctionnellement par l’arthrodèse et l’extension de l’arthrodèse et à ce titre il existe une incidence professionnelle en cas de reprise du travail.

Mme [O] [L] ne verse aucun élément relatif à ses activités professionnelles. Il est rapporté dans l’expertise que Mme [O] [L], qui exerçait dans un cabinet en tant que psychologue clinicienne, a cessé toute activité en 2009 après avoir été placée en invalidité en raison d’une dépression. Dans ces conditions, alors que Mme [O] [L] était âgée de 59 ans lors de l’intervention et de 61 ans à la consolidation, qu’elle avait cessé de travailler depuis 9 ans lors de l’accident médical, une reprise d’activité ou une reconversion même en l’absence d’intervention chirurgicale apparaît illusoire et ne justifie pas l’allocation d’une somme au titre de la pénibilité d’un éventuel emploi ou d’une dévalorisation sur le marché du travail. Elle sera en conséquence déboutée de sa demande à ce titre.

2- Préjudices extra-patrimoniaux

- Déficit fonctionnel temporaire

Ce poste de préjudice indemnise l'invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique. Le déficit fonctionnel temporaire inclut pour la période antérieure à la date de consolidation, l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d'hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique.

Mme [O] [L] sollicite la somme de 3.111,075 euros sur la base d’un taux journalier de 27 euros pour déficit total.

En l'espèce, il ressort du rapport d'expertise ce qui suit s'agissant du déficit fonctionnel temporaire :
DFTT du 27 juillet 2018 au 26 octobre 2018, soit 92 joursDFTP 50% du 27 octobre 2018 au 27 janvier 2019, soit 93 joursDFTP 25% du 28 janvier 2019 au 30 avril 2019, soit 93 joursDFTP 15% du 1er mai 2019 au 31 juillet 2020, soit 458 jours
Sur la base d’une indemnisation de 27 euros par jour pour un déficit total, adapté à la situation décrite, il y a lieu de calculer ainsi l’indemnisation : (92 jours x 27 euros) + (93 jours x 27 euros x 50%) + (93 jours x 27 euros x 25%) + (458 jours x 27 euros x 15%) = 6.222,15 euros.

Au regard de la réduction du droit à indemnisation, il y a lieu d’allouer la somme de 3.111,075 euros.

- Souffrances endurées

Il s'agit de toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime durant la maladie traumatique, c'est-à-dire du jour de l'accident à celui de sa consolidation. A compter de la consolidation, les souffrances endurées vont relever du déficit fonctionnel permanent et seront donc indemnisées à ce titre.

Mme [O] [L] sollicite la somme de 9.000 euros après réduction de son indemnisation de 50%.

En l'espèce, les souffrances sont caractérisées par :
le traumatisme initial incluant les douleurs consécutives à la première opération, la paralysie post opératoire sur compression médullaire, la rétention urinaire, une embolie pulmonaire les traitements subis, à savoir deux opérations chirurgicales, une hospitalisation prolongée, la rééducation et le traitement antalgique. le retentissement psychique des faits.
Elles ont été cotées à 4/7 par l’expert.

Dans ces conditions, elles seront évaluées à la somme de 15.000 euros et il convient d'allouer la somme de 7.500 à ce titre après réduction du droit à indemnisation.

- Préjudice esthétique temporaire

Ce préjudice est lié à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers, et ce jusqu'à la date de consolidation.

Mme [O] [L] sollicite la somme de 1.500 euros.

En l'espèce, ce préjudice a été coté à 3/7 par l'expert en raison notamment de la cicatrice opératoire étendue et le port d’un corset. Compte tenu de ces éléments, le préjudice esthétique temporaire sera évalué à la somme de 2.000 euros et il sera alloué la somme de 1.000 euros à ce titre.

- Déficit fonctionnel permanent

Ce préjudice a pour composante les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, les douleurs qui persistent depuis la consolidation, la perte de la qualité de la vie et les troubles définitifs apportés à ses conditions d'existence.

Mme [O] [L] sollicite la somme de 6.650 euros.

En l'espèce, l’expert a retenu un taux de déficit fonctionnel permanent de 10% en raison des séquelles suivantes : lombalgies postopératoires avec une extension de l’arthrodèse, des rachialgies diffuses, la présence de signes discrets d’irritation pyramidale du membre inférieur droit séquellaire d’une paraplégie postopératoire d’évolution favorable.

La victime étant âgée de 61 ans lors de la consolidation de son état, il lui sera alloué une indemnité de 6.600 euros (13.200 euros/2).

- Préjudice esthétique permanent

Ce préjudice est lié à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers, et ce de manière pérenne à compter la date de consolidation.

Mme [O] [L] sollicite la somme de 1.500 euros à ce titre.

En l'espèce, il convient de noter que l’expert a retenu la présence d’une cicatrice douloureuse et sensible ainsi qu’une boiterie évaluant ce préjudice à 1,5/7.

Dans ces conditions, il convient d’évaluer ce préjudice à la somme de 2.000 euros et d'allouer une somme de 1.000 euros à ce titre après réduction du droit à indemnisation.

- Préjudice d'agrément

Ce préjudice vise à réparer le préjudice spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs ainsi que les limitations ou difficultés à poursuivre ces activités. Ce préjudice particulier peut être réparé, en sus du déficit fonctionnel permanent, sous réserve de la production de pièces justifiant de la pratique antérieure de sports ou d’activités de loisirs particuliers. La jurisprudence des cours d'appel ne limite pas l’indemnisation du préjudice d’agrément à l’impossibilité de pratiquer une activité sportive ou de loisirs exercée antérieurement à l’accident. Elle indemnise également les limitations ou les difficultés à poursuivre ces activités.

Mme [O] [L] sollicite la somme de 5.000 euros faisant valoir qu’elle pratiquait le jogging deux fois par semaine durant 45 minutes à 1 heure.

L’expert a retenu une absence de possibilité de pratiquer la course et une limitation de la marche à 15 minutes. Mme [O] [L] verse des attestations de ses trois enfants et de son ex-conjoint indiquant qu’elle pratiquait régulièrement le jogging avant son opération.

Il convient dans ces conditions d'allouer la somme de 2.000 euros à ce titre après réduction de son droit à indemnisation (4.000 euros/2).

II – Sur l’évaluation du préjudice des victimes indirectes :

Mme [Y] [L] sollicite la somme de 30.000 euros au titre de son préjudice d’affection, soit 15.000 euros après réduction du droit à indemnisation. Elle précise qu’elle vit au domicile de sa mère tandis que son frère et sa sœur y résident de manière alternée. Elle demande par ailleurs la somme de 10.000 euros, soit 5.000 euros après réduction du droit à indemnisation au titre des troubles dans les conditions d’existence.

M.[J] [L] et Mme [S] [L] demandent la somme de 10.000 euros chacun au titre de leur préjudice d’affection et la somme de 2.500 euros chacun au titre des troubles dans les conditions d’existence.

En application des dispositions de l’article L1142-1 II du code de la santé publique précitées, seule la victime directe peut être indemnisée en présence d’un accident médical non fautif et le législateur n’a pas entendu indemniser les victimes indirectes au titre de la solidarité nationale. Ce n’est qu’en cas de décès consécutif de la victime que les ayants droit peuvent solliciter l’indemnisation d’un préjudice.

Il y a lieu en conséquence de les débouter de leurs demandes d’indemnisation.

III – Sur les demandes accessoires :

L’ONIAM, partie qui succombe en la présente instance, sera condamné aux dépens. En outre, il devra supporter les frais irrépétibles engagés par Mme [O] [L] dans la présente instance et que l'équité commande de réparer à raison de la somme de 3.000 euros.

Il y a lieu en revanche de débouter Mme [Y] [L], M.[J] [L] et Mme [S] [L] de leur demande au titre des frais irrépétibles.
Les intérêts des sommes allouées courront à compter du jugement en vertu de l’article 1231-7 du code civil.

Rien ne justifie d'écarter l'exécution provisoire dont la présente décision bénéficie de droit, conformément aux dispositions des articles 514 et 514-1 du code de procédure civile, s'agissant en effet d'une instance introduite après le 1er janvier 2020.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire mis à disposition au greffe et rendu en premier ressort,

DIT que Mme [O] [L] a été victime d'un accident médical non-fautif au sens des dispositions précitées l'article L.1142-1-II, qui relève de l’indemnisation par la solidarité nationale pour une part de 50 % ;

CONDAMNE en conséquence l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à indemniser Mme [O] [L] à hauteur de 50% de son préjudice ;

CONDAMNE l'office national d'indemnisation des accidents médicaux à payer à Mme [O] [L], à titre de réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittances, provisions non déduites, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour, après application de la réduction du droit, les sommes suivantes :
- assistance par tierce personne temporaire : 8.307 euros
- assistance par tierce personne pérenne : 106.440,96 euros
- déficit fonctionnel temporaire: 3.111,075 euros
- souffrances endurées: 7.500 euros
- préjudice esthétique temporaire: 1.000 euros
- déficit fonctionnel permanent: 6.600 euros
- préjudice esthétique permanent: 1.000 euros
- préjudice d’agrément: 2.000 euros ;

DÉBOUTE Mme [O] [L] de sa demande au titre de l’incidence professionnelle ;

DÉBOUTE Mme [Y] [L], M.[J] [L] et Mme [S] [L] de leurs demandes d’indemnisation de leur préjudice par ricochet et de leurs demandes au titres de l’article 700 du code de procédure civile ;

DÉCLARE le présent jugement commun à la Caisse Primaire d'Assurance-Maladie de SEINE ET MARNE ;

CONDAMNE l'office national d'indemnisation des accidents médicaux aux dépens comprenant les frais d’expertise ;

CONDAMNE l'office national d'indemnisation des accidents médicaux à payer à Mme [O] [L] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire dont la présente décision bénéficie de droit ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Fait et jugé à Paris le 18 Mars 2024.

La GreffièreLa Présidente

Erell GUILLOUËTSabine BOYER


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 19eme contentieux médical
Numéro d'arrêt : 22/02741
Date de la décision : 18/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-18;22.02741 ?
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