La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/03/2024 | FRANCE | N°22/01344

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 19eme contentieux médical, 18 mars 2024, 22/01344


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :


19ème contentieux médical

N° RG 22/01344

N° MINUTE :

Assignations des :
- 23 et 28 Décembre 2021
- 05 Janvier 2022

CONDAMNE

LG




JUGEMENT
rendu le 18 Mars 2024
DEMANDEUR

Monsieur [K] [H]
[Adresse 7]
[Localité 2]

Représenté par Maître Didier MARUANI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0493

DÉFENDEURS

Madame [U] [P]
[Adresse 10]
[Localité 11]

ET

La S

AS [X] [O]
[Adresse 6]
[Localité 8]

Représentées par Maître Georges LACOEUILHE membre de l'AARPI LACOEUILHE-LEBRUN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0105

L’OFFICE NATIONAL D’INDEMNISATI...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

19ème contentieux médical

N° RG 22/01344

N° MINUTE :

Assignations des :
- 23 et 28 Décembre 2021
- 05 Janvier 2022

CONDAMNE

LG

JUGEMENT
rendu le 18 Mars 2024
DEMANDEUR

Monsieur [K] [H]
[Adresse 7]
[Localité 2]

Représenté par Maître Didier MARUANI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0493

DÉFENDEURS

Madame [U] [P]
[Adresse 10]
[Localité 11]

ET

La SAS [X] [O]
[Adresse 6]
[Localité 8]

Représentées par Maître Georges LACOEUILHE membre de l'AARPI LACOEUILHE-LEBRUN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0105

L’OFFICE NATIONAL D’INDEMNISATION DES ACCIDENTS MÉDICAUX (ONIAM)
[Adresse 18]
[Adresse 3]
[Localité 12]

Représenté par Maître Sylvie WELSCH de la SCP UGGC Avocats, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0261

Décision du 18 Mars 2024
19ème contentieux médical
RG 22/01344

La CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE L’AIN
[Adresse 4]
[Localité 1]

Non représentée

PARTIE INTERVENANTE

La SOCIÉTÉ BERKSHIRE HATHAWAY INTERNATIONAL INSURANCE LTD (BHIIL)
[Adresse 9]
[Localité 15] /ANGLETERRE

Représentée par Maître Georges LACOEUILHE membre de l'AARPI LACOEUILHE-LEBRUN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0105

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Sabine BOYER, Vice-Présidente
Présidente de la formation

Madame Laurence GIROUX, Vice-Présidente
Madame Emmanuelle GENDRE, Vice-Présidente
Assesseurs

Assistées de Madame Erell GUILLOUËT, Greffière, lors des débats et au jour de la mise à disposition au greffe.

DEBATS

A l’audience du 22 Janvier 2024 présidée par Madame Sabine BOYER tenue en audience publique, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 18 Mars 2024.

JUGEMENT

- Réputé contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [K] [H], né le [Date naissance 5] 1991, ressentait en février 2017 des douleurs au poignet droit à la suite d’un match de tennis.

En juillet 2017, une IRM mettait en évidence un kyste synovial au poignet droit pour lequel le docteur [U] [P] posait une indication chirurgicale.

Le 12 décembre 2017, celle-ci procédait, à la clinique [13], à une arthroscopie radio-carpienne et à l’exérèse du kyste. L’opération était réalisée sous anesthésie par bloc régional faite par le docteur [T] [S].

Les suites opératoires étaient marquées par une absence de sensation au niveau de la main et des doigts.

L’IRM du coude droit effectuée le 14 décembre 2017 objectivait des remaniements inflammatoires des muscles de la loge antérieure de l’avant-bras à hauteur du coude, en particulier le muscle brachioradial, le muscle rond pronateur ainsi que le muscle fléchisseur ulnaire du carpe et fléchisseur profonds des doigts engainant le nerf médian et le nerf ulnaire.

Le 16 décembre 2017, le docteur [P] réalisait une reprise chirurgicale sous forme d’une aponévrotomie musculaire.

Le 22 décembre 2017, un électromyogramme montrait un nerf médian non stimulable, une absence de fibrillation de repos et une absence de potentiel sensitif au niveau des trois premiers doigts lors de la stimulation du nerf médian au poignet.

Le 6 août 2019, une IRM du coude concluait à une section complète du nerf médian au niveau du pli du coude avec une amyotrophie de la loge musculaire innervée dans le territoire au niveau de l’avant-bras.

Monsieur [H] saisissait la commission de conciliation et d’indemnisation (CCI) de [Localité 16], qui ordonnait une expertise confiée au docteur [V].

Aux termes de ce premier rapport d’expertise médicale remis le 17 octobre 2019, celui-ci relevait : « Le dommage est la survenue d’une lésion du nerf médian durant une arthroscopie de poignet. Les lésions anatomiques prédominent en dessous du pli du coude. Il n’y a pas d’explication claire à cette pathologie jamais rencontrée à la lecture de la littérature (…) La réalisation de l’acte n’a pas posé de difficulté. Dans l’installation du patient, on voit que le garrot est nécessairement sous le coude. La seule explication possible serait un glissement vers la main durant l’acte. La durée de gonflement du garrot et la pression du gonflage sont parfaitement dans les normes. ».

Par avis du 9 janvier 2020, la CCI ordonnait une contre-expertise confiée au docteur [W], chirurgien orthopédiste.

Celui-ci rendait son rapport le 22 septembre 2020, dont les conclusions sont les suivantes : « il existe un défaut de surveillance du patient, l’installation initiale du garrot pneumatique et du contre appui n’a pas tenu et en per opératoire, soit un glissement du garrot vers le coude, soit un appui direct et une compression du coude par le contre appui s’est produite. Cette compression prolongée a entraîné la nécrose musculaire et l’atteinte neurologique. (…) ce défaut de surveillance per opératoire directement responsable du dommage est imputable à part égale au chirurgien et à l’anesthésiste. »

Le docteur [W] retenait, par ailleurs, les postes de préjudice suivants :
- Date de consolidation : 18 février 2020,
- Préjudices patrimoniaux avant consolidation :
Frais divers : aide à domicile à raison d’1h30 par jour pendant les périodes de DFP à 50%, 1 heure par jour du 23/01/2018 au 09/03/2018, puis trois heures par semaine du 10/03//2018 jusqu’à la consolidation,
Perte de gains professionnels : commencement d’une activité reporté du 04/01/2018 au 05/02/2018,
- Préjudices extra patrimoniaux avant consolidation :
Déficit fonctionnel temporaire total et partiel sur plusieurs périodes,
Souffrances endurées : 3,5/7,
Préjudice esthétique temporaire : aucun,
- Préjudices permanents après consolidation :
Préjudices patrimoniaux :
Incidence professionnelle : gêne pour l’écriture,
Préjudices extra patrimoniaux :
Déficit fonctionnel permanent : 22% (atteinte peu réversible du nerf médian et à un moindre degré du nerf cubital au membre supérieur droit et à la souffrance psychologique),
Préjudice esthétique permanent : 1 sur 7 (cicatrice et raideur quelque peu visible des doigts de la main droite),
Pas de frais de véhicule adapté mais doléances à la conduite d’une boite manuelle,
Préjudice sexuel : non,
Préjudice d’établissement : non,
Préjudice d’agrément : oui (pas de reprise du tennis et d’autres activités).

Par un avis du 19 janvier 2021, la CCI retenait que Monsieur [H] n’avait pas bénéficié d’une surveillance peropératoire consciencieuse et attentive et imputait ce manquement uniquement au docteur [P] dans la mesure où l’installation du patient pour le geste opératoire était exclusivement choisie et mise en œuvre par le chirurgien. Elle concluait donc que la réparation des préjudices subis par Monsieur [H] incombait intégralement au docteur [P] et invitait son assureur à former une offre d’indemnisation.

L’assureur refusait de suivre l’avis de la commission.

En parallèle, l’ONIAM, acceptant de se substituer à l’assureur défaillant, formulait une offre d’indemnisation, qui était refusée par Monsieur [H].

C’est ainsi que, par actes délivrés les 23 décembre 2021, 28 décembre 2021 et 5 janvier 2022, Monsieur [K] [H] assignait le docteur [U] [P], la société [O] en qualité de représentant en France de la société Berkshire Hathaway International Insurance Limited (BHIIL), l’organisme national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) et la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de l’Ain aux fins de déclaration de responsabilité et de condamnation à l'indemniser des préjudices subis.
Selon dernières conclusions signifiées par voie électronique le 4 novembre 2022, le requérant demande au tribunal de :
Condamner solidairement le Docteur [P] et le BHIIL à indemniser Monsieur [H] de l’intégralité des préjudices subis par lui à la suite de l’opération chirurgicale du 12 décembre 2017 ; Les condamner à lui verser : Au titre des dépenses de santé : 1.233,25 euros
Au titre de la tierce personne avant consolidation : 7.141,68 euros
Au titre de l’incidence et de la gêne professionnelle : 100.000 euros
Au titre de l’aménagement du véhicule : 28.250,27 euros
Au titre des frais divers : 2.717,72 euros
Au titre du déficit fonctionnel temporaire : 6.759,20 euros
Au titre des souffrances endurées : 10.000 euros
Au titre du déficit fonctionnel permanent : 69.290 euros
Au titre du préjudice esthétique : 2.000 euros
Au titre du préjudice d’agrément : 20.000 euros ;
A titre subsidiaire,
Condamner l’ONIAM à indemniser Monsieur [H] des conséquences dommageables de l’opération chirurgicale du 12 décembre 2017 ; Le condamner à lui verser : Au titre des dépenses de santé : 1.233,25 euros
Au titre de la tierce personne avant consolidation : 7.141,68 euros
Au titre de l’incidence et de la gêne professionnelle : 100.000 euros
Au titre de l’aménagement du véhicule : 28.250,27 euros
Au titre des frais divers : 2.717,72 euros
Au titre du déficit fonctionnel temporaire : 6.759,20 euros
Au titre des souffrances endurées : 10.000 euros
Au titre du déficit fonctionnel permanent : 69.290 euros
Au titre du préjudice esthétique : 2.000 euros
Au titre du préjudice d’agrément : 20.000 euros ;
Déclarer le jugement à intervenir commun à la CPAM de l’Ain ;Condamner tout succombant en tous dépens ainsi qu’à 4.000 euros au titre de l’article 700 du CPC.
Par dernières conclusions signifiées par voie électronique le 24 août 2022, le docteur [P], la société [X] [O] et la société BHIIL intervenante volontaire demandent au tribunal de :
Recevoir le Docteur [U] [P], la SAS [X] [O], en ses écritures les disant bien fondées ;Recevoir la BHIIL intervenant volontairement en ses écritures, la disant bien fondée ; Ordonner la mise hors de cause de la SAS [X] [O] ;A titre principal :
Débouter Monsieur [H] de l’ensemble de ses demandes dirigées à l’encontre du DocteurLECLERCQ
Condamner Monsieur [H] à verser au Docteur [P], la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du CPC ;Condamner Monsieur [H] aux entiers dépens de la procédure en ce compris les frais d’expertise ;A titre subsidiaire :
Ordonner une nouvelle mesure d’expertise ; Désigner tel expert compétent en chirurgie orthopédique qu’il plaira et selon modalités précisées dans les écritures ;A titre très subsidiaire :
Réduire les prétentions indemnitaires de Monsieur [H] à de plus justes proportions ;Ordonner la suspension de l’exécution provisoire
L’ONIAM, par dernières conclusions notifiées le 17 octobre 2022, sollicite de :
Dire et juger que les préjudices de Monsieur [H] sont imputables à un défaut de surveillance peropératoire engageant pleinement la responsabilité du docteur [P] ; Constater, dire et juger que les conditions d’une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne peuvent être considérées comme réunies au sens de l’article L.1142-1 du code de la santé publique. Débouter Monsieur [H] de ses demandes d’indemnisations formulées subsidiairement à l’encontre de l’ONIAM. Rejeter toute autre demande formulée à l’encontre de l’ONIAM ;Rejeter la demande d’expertise avant dire droit du docteur [P] et de son assureur, la société BHIIL ; Condamner tout succombant aux entiers dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties quant à l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.

La CPAM de l’Ain n’ayant pas constitué avocat, la décision sera réputée contradictoire.

L’ordonnance de clôture était rendue le 15 mai 2023 et l’audience de plaidoiries se tenait le 22 janvier 2024. La décision était mise en délibéré au 18 mars 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire sur les parties en présence, le docteur [P] précise qu’elle est assurée auprès de la société BHIIL et que la SAS [X] [O] n’est que son courtier en assurance, dont l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés est produite.

Monsieur [H] demande, dans ses dernières écritures, la condamnation du docteur [P] et de la société BHIIL.

Au regard de ces éléments, il y a lieu de recevoir l’intervention volontaire de la société BHIIL aux côtés de son assurée et de mettre hors de cause la SAS [X] [O].

I / SUR LA RESPONSABILITÉ

1/ Sur la qualité des soins

Il résulte des dispositions des articles L.1142-1-I et R.4127-32 du code de la santé publique que, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les praticiens ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. Tout manquement à cette obligation qui n'est que de moyens, n'engage la responsabilité du praticien que s'il en résulte pour le patient un préjudice en relation de causalité directe et certaine.

En application des dispositions de l'article R 4127-32 du code de la santé publique, le médecin, dès lors qu'il a accepté de répondre à une demande de son patient, s'engage à lui assurer personnellement des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s'il y a lieu, à l'aide de tiers compétents.

En l’espèce, Monsieur [H] considère que la responsabilité du docteur [P] est engagée, la lésion du nerf médian étant survenue lors de la réalisation de l’acte médical. Il retient, en effet, que la sécurité du patient relève de la responsabilité du médecin durant la réalisation de l’acte et qu’il lui appartient de veiller à la préservation de cette dernière.

Les défendeurs contestent, à titre principal, toute faute commise par le médecin et, subsidiairement, demandent une nouvelle expertise. Ils allèguent, par ailleurs, que le dommage relève d’une complication imprévisible, qu’il n’existe pas de certitude sur l’étiologie du dommage et qu’en tout état de cause, aucun geste fautif n’est à l’origine du dommage.
Or, les deux experts s’accordent pour identifier le dommage comme la survenue d’une lésion du nerf médian durant une arthroscopie de poignet droit et pour exclure tout geste fautif du chirurgien, le docteur [P], au cours de cette intervention chirurgicale.
En revanche et contrairement à ce qu’allègue le défendeur, les deux experts ont identifié de la même manière une seule origine possible au dommage. D’une part, le docteur [V] indique : « La seule explication possible serait un glissement vers la main du garrot durant l’acte ». Il en conclut d’ailleurs que le dommage subi a été occasionné par la survenue d’une complication imputable à un acte de soins même s’il relève dans le même temps l’absence « d’explication claire à cette pathologie jamais rencontrée à la lecture de la littérature ». D’autre part, le docteur [W] retient : « la seule explication possible est une compression per opératoire du coude droit soit par le garrot pneumatique, soit par le contre appui ». Il retient alors un défaut de surveillance peropératoire.
La compression prolongée du coude a, ainsi, entrainé une nécrose musculaire et une atteinte de la vascularisation des nerfs médian et ulnaire responsable du dommage. Il est d’ailleurs constant que l’intervention n’impliquait nullement une telle atteinte.
De plus, le docteur [W] relève que Monsieur [H] s’est plaint durant l’intervention de douleurs si importantes, que l’anesthésie a été complétée. Il en conclut, ainsi, que la cause de la douleur n’était pas présente au début de l’acte chirurgical.
Par ailleurs, la CCI a retenu l’existence d’un défaut de surveillance uniquement imputable au chirurgien, contrairement au docteur [W] qui concluait à une responsabilité partagée de celui-ci avec l’anesthésiste.
Dès lors, la seule hypothèse envisageable étant un mouvement de l’installation initiale créant un incident au cours de l’intervention, celle-ci caractérise un défaut de surveillance du chirurgien, qui se doit de faire bénéficier son patient d’une vigilance peropératoire consciencieuse et attentive.
Ce défaut de surveillance est constitutif d’une faute directement à l’origine du dommage en cause et engage la responsabilité du docteur [P].
Celle-ci sera donc tenue in solidum avec son assureur à l’indemnisation intégrale de Monsieur [H].
De plus, au regard de ce qui précède, il n’y a lieu à ordonner une nouvelle expertise, telle que subsidiairement sollicitée par le défendeur.
L’article 144 du code de procédure civile dispose, en effet, que : “Les mesures d’instruction peuvent être ordonnée en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer”.
Or, tel n’est pas le cas en l’espèce dès lors que les rapports d’expertise, régulièrement communiqués dans le cadre de la procédure au fond, ont pu être discutés contradictoirement par l'ensemble des parties au litige et que d’autres éléments fondent également les prétentions du requérant.
Par conséquent, la demande d’expertise sera rejetée.

2/ Sur les conditions de prises en charge d'un accident médical au titre de la solidarité nationale

Aux termes de l'article L.1142-1 paragraphe II du code de la santé publique :
"Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient au titre de la solidarité nationale, et, en cas de décès, de ses ayants droit lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.”
Ouvre ainsi droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret.

A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu, notamment, lorsque la victime est déclarée inapte définitivement à exercer l’activité professionnelle qu’elle exerçait avant la survenue de l’accident médical, de l’affection iatrogène ou de l’infection nosocomiale.
En l’espèce, Monsieur [H] n’a formé ses demandes contre l’ONIAM qu’à titre subsidiaire dans l’hypothèse où la responsabilité du docteur [P] ne serait pas engagée.
La faute du docteur [P] ayant été retenue, il n’y a donc pas lieu à examiner les éventuelles conditions d’indemnisation au titre de la solidarité nationale.
Aucune autre demande n’étant formée contre l’ONIAM, il n’y a par conséquent pas lieu à statuer.

II/ SUR LA RÉPARATION DES PRÉJUDICES
Au vu de l'ensemble des éléments produits aux débats, le préjudice subi par Monsieur [H], âgé de 28 ans lors de la consolidation et sans emploi lors de l’accident, sera réparé ainsi que suit, étant observé qu'en vertu de l'article L376-1 du code de la sécurité sociale, le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l’exclusion des préjudices à caractère personnel.
Il sera utilisé, conformément à la demande du requérant, le barème de capitalisation publié dans la Gazette du Palais du 15 septembre 2020 à un taux d’intérêt de 0%, le mieux adapté aux données sociologiques et économiques actuelles.
I/ Préjudices patrimoniaux
1) Dépenses de santé actuelles
Elles correspondent aux frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation déjà exposés tant par les organismes sociaux que par la victime.
En l’espèce, Monsieur [H] sollicite la somme de 1233,25 euros au titre de différents frais : franchises CPAM, frais d’hospitalisation et frais médicaux non pris en charge par la mutuelle.
Le défendeur s’y oppose considérant que seuls les frais imputables à la complication rencontrée pourront être indemnisés.
Le rapport d’expertise a retenu d’éventuels frais sur présentation de justificatifs. De plus, il indique que l’intervention initiale était prévue en hospitalisation de jour et devait uniquement être suivie d’une période de déficit fonctionnel temporaire partiel brève, outre la journée d’hospitalisation pour l’intervention.
Or, au regard du détail des pièces présentées (bordereaux de remboursement de la CPAM, relevés de la mutuelle et factures de la clinique Bizet), le tribunal relève que seule une facture de 50 euros de la clinique Bizet correspond à l’intervention initiale et que le surplus des frais correspond à des soins engagés après celle-ci pour en traiter les complications. Dès lors, à l’exception d’une somme de 50 euros, les frais demandés et justifiés sont imputables à la faute retenue.
Par conséquent, il sera alloué la somme de 1183,25 euros (1233,25-50).
2) Frais divers
L'assistance de la victime lors des opérations d'expertise par un, ou des, médecin conseil en fonction de la complexité du dossier, en ce qu'elle permet l'égalité des armes entre les parties à un moment crucial du processus d'indemnisation, doit être prise en charge dans sa totalité. De même, ces données peuvent justifier d'indemniser les réunions et entretiens préparatoires. Les frais d'expertise font partie des dépens.
En l’espèce, le requérant sollicite la somme de 2717,72 euros correspondant aux frais de médecins-conseils pour les expertises et aux frais de déplacement à [Localité 16] pour s’y rendre. Le défendeur n’a pas spécifiquement conclu sur ce point.
Au regard des justificatifs versés, il est justifié des frais de médecins-conseils pour les deux expertises pour un montant de 2000 euros.
En revanche, il ne peut être indemnisé les frais de transport de Madame [F] [H] pour venir de [Localité 17] à [Localité 16], puis de [Localité 16] à [Localité 14] où réside Monsieur [K] [H]. Il sera donc uniquement indemnisé les frais de transport individuels de ce dernier de [Localité 14] à [Localité 16] et ses frais d’hôtel à [Localité 16], soit la somme totale de 540,72 euros (78,02 + 120/2 + 70 + 149,70 + 118/2 + 124).
En conséquent, il sera alloué la somme totale de 2 540,72 euros.
3) Assistance tierce personne
Il convient d'indemniser les dépenses destinées à compenser les activités non professionnelles particulières qui ne peuvent être assumées par la victime directe durant sa maladie traumatique, comme l'assistance temporaire d'une tierce personne pour les besoins de la vie courante, étant rappelé que l’indemnisation s'entend en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée. Le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être subordonné à la production de justificatifs des dépenses effectives.
Monsieur [H] sollicite une indemnisation sur la base d’un taux horaire de 18 euros pour une tierce personne non spécialisée pour un total de 7141,68 euros, le défendeur demandant de retenir un taux horaire de 9,67 euros.
L’expert a retenu un besoin en aide humaine à raison d’1 heure 30 par jour pendant les périodes de DFP à 50%, 1 heure par jour du 23/01/2018 au 09/03/2018, puis trois heures par semaine du 10/03//2018 jusqu’à la consolidation.

Les parties ne contestent pas ces conclusions.

Sur la base d’un taux horaire de 18 euros adapté à la situation de la victime, il y a lieu de calculer comme suit le préjudice pour une somme totale allouée de 7141,68 euros (18 euros x 1,5 heures x 31 jours + 18 euros x 1 heure x 46 jours + 18 euros x 3 heures x 101,42 semaines).

4) Incidence professionnelle

Le poste de préjudice de l’incidence professionnelle a pour objet d'indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi en raison de la dévalorisation sur le marché du travail, de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi occupé imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à l' obligation de devoir abandonner la profession exercée avant le dommage au profit d'une autre choisie en raison de la survenance du handicap ; que ce poste de préjudice permet également d'indemniser le risque de perte d'emploi qui pèse sur une personne atteinte d'un handicap, la perte de chance de bénéficier d'une promotion, la perte de gains espérés à l'issue d'une formation scolaire ou professionnelle, les frais nécessaires à un retour à la vie professionnelle.
En l’espèce, Monsieur [H] sollicite la somme de 100 000 euros au regard de ses difficultés d’écritures. Le défendeur s’y oppose.
Le rapport d’expertise a relevé une incidence professionnelle liée à sa gêne pour l’écriture. Par ailleurs, l’expert a également indiqué l’existence de douleurs neuropathiques et au plan somatique, des difficultés à l’appréhension fine, à la flexion et au serrage. Il est mentionné que Monsieur [H], auparavant droitier, écrit dorénavant de la main gauche avec une écriture altérée.
Monsieur [H] produit son diplôme d’école supérieure de commerce obtenu en 2015, ainsi qu’un contrat de travail auprès de l’UEFA ayant débuté le 3 janvier 2018. Il n’est pas contesté qu’il occupe un emploi de bureau.
Dans ces conditions, l’incidence professionnelle subie par Monsieur [H], jeune homme de 26 ans en début de carrière, est caractérisée au plan de la pénibilité.
Par conséquent, il sera alloué la somme de 50 000 euros.
5) Frais de véhicule adapté
Il s’agit de dépenses spécifiques rendues nécessaires par les blessures telles que les frais d’adaptation de l’habitat ou du véhicule.
En l’espèce, Monsieur [H] demande la somme de 28 250,27 euros au titre de l’aménagement du véhicule (boîte automatique). Le défendeur s’y oppose en totalité.
Or, si le rapport d’expertise ne retient pas ce poste, il relève des doléances de Monsieur [H] à la conduite automobile prolongée avec une boîte manuelle et indique « néanmoins Monsieur [H] a tout intérêt au moment du changement de véhicule de passer à une boîte de vitesse automatique ».
De plus, des difficultés de préhension et de serrage sont relevées par l’expert.
Dès lors, le principe de l’indemnisation de ce poste est suffisamment démontré.
Par ailleurs, Monsieur [H] se fonde sur un surcoût de 2742 euros pour un véhicule avec boîte automatique sur la base de devis produits. Il calcule ensuite sa demande avec un renouvellement tous les 5 ans et une capitalisation viagère à l’âge de 28 ans sur la base du barème Gazette du Palais de 2020, soit ((2742/5)x51,514).
Or, il convient d’indemniser le premier achat à la date du jugement, puis une capitalisation viagère à compter du premier renouvellement intervenant au bout de sept ans, soit 40 ans en 2031.
Il sera donc alloué la somme de 18 430,94 euros, soit : 2742+((2742/7)x40,052).

II / Préjudices extra-patrimoniaux
A/ Préjudices extra-patrimoniaux temporaires (avant consolidation)
1) Déficit fonctionnel temporaire
Ce préjudice inclut, pour la période antérieure à la consolidation, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice temporaire d'agrément, éventuellement le préjudice sexuel temporaire.

L’expert a retenu des périodes de déficit fonctionnel temporaire partiel, déduisant le déficit fonctionnel temporaire lié à l’intervention hors complications. Les parties s’accordent d’ailleurs sur le nombre et le taux des jours à indemniser.

Monsieur [H] sollicite une indemnisation sur la base d’un taux journalier de 28 euros pour un déficit total, le défendeur proposant un taux de 20 euros.

Sur la base d’une indemnisation de 28 euros par jour pour un déficit total, les troubles dans les conditions d'existence subis par Monsieur [H] jusqu'à la consolidation, justifient la fixation d'une somme de 6 759,20 euros (28 x 11 x 25% + 9 x 28 x 75% + 22 x 28 x 40% + 37 x 28 x 20% + 719 x 28 x 30%).

2) Souffrances endurées
Il s'agit d'indemniser ici les souffrances tant physiques que morales endurées du fait des atteintes à l'intégrité, la dignité et l’intimité et des traitements, interventions, hospitalisations subies depuis l'accident jusqu'à la consolidation.
En l’espèce, Monsieur [H] sollicite la somme de 10 000 euros, le défendeur offrant la somme de 4 000 euros.
L’expert a évalué ce poste à 3,5/7 tenant compte de la reprise chirurgicale, des douleurs neuropathiques prolongées et des souffrances psychologiques.
Ce poste sera donc réparé par une somme fixée à 10 000 euros.

B/ Préjudices extra-patrimoniaux permanents
1) Déficit fonctionnel permanent
Ce poste de préjudice tend à indemniser la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique, à laquelle s'ajoute les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence (personnelles, familiales et sociales) dont la victime continue à souffrir postérieurement à la consolidation du fait des séquelles tant physiques que mentales qu'elle conserve.
Monsieur [H] sollicite à ce titre la somme de 69 290 euros, le défendeur proposant la même somme.
Or, l’expert a retenu un taux de 22% en rapport avec l’atteinte peu réversible du nerf médian et à moindre degré du nerf cubital au membre supérieur droit dominant, ainsi qu’à la souffrance psychologique.
Sur la base d’un point retenu à 3145 euros pour un homme âgé de 28 ans au moment de la consolidation, il sera fait droit à la demande pour un montant de 69 190 euros (3145x22).
2) Préjudice esthétique permanent
Ce poste indemnise les éléments de nature à altérer l'apparence ou l'expression de la victime.
En l’espèce, Monsieur [H] sollicite la somme de 2 000 euros, le défendeur offrant 800 euros.
L’expert a retenu un préjudice esthétique permanent de 1/7 (cicatrice et raideur quelque peu visible des doigts de la main droite).
En conséquence, il convient de faire droit à la demande à hauteur de 2 000 euros.

3) Préjudice d'agrément

Ce poste de préjudice répare l'impossibilité de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs. L’appréciation s’en fait in concreto, au vu des justificatifs produits, de l’âge et du niveau sportif de la victime.

En l’espèce, Monsieur [H] sollicite la somme de 20 000 euros à laquelle s’oppose le défendeur.

L’expertise a retenu un préjudice d’agrément : « le patient n’a pas repris ni le tennis (son sport favori ou il était classé), ni le vélo, ni la course à pied, ni le football ».

De plus, Monsieur [H] justifie de licences de tennis de 1999 à 2017, ainsi que d’un classement de 2011 à 2017. Il s’agissait donc d’une pratique sportive ancienne, régulière et dans laquelle il avait un excellent niveau.

Par conséquent, il lui sera alloué la somme de 15 000 euros.

III/ SUR LES AUTRES DEMANDES
* Sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Il convient de condamner le docteur [P] in solidum avec son assureur, parties perdantes du procès, à payer à Monsieur [H] une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
* Sur l’exécution provisoire
En application de l’article 514 du code de procédure civile en vigueur au jour de l’assignation, s’agissant en effet d’une instance introduite après le 1er janvier 2020, l’exécution provisoire est de droit.

PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire mis à disposition au greffe et rendu en premier ressort,

REÇOIT l’intervention volontaire de la société BHIIL aux côtés de son assurée le docteur [U] [P] ;

MET hors de cause la SAS [X] [O] ;

DECLARE le docteur [U] [P] responsable des conséquences dommageables de l’intervention chirurgicale réalisée le 12 décembre 2017 sur Monsieur [K] [H] en raison d’une faute de surveillance ;

REJETTE la demande d’expertise du docteur [U] [P] et de son assureur, la société BHIIL ;

CONDAMNE in solidum le docteur [U] [P] et son assureur, la société BHIIL à payer à Monsieur [K] [H], les sommes suivantes à titre de réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittances, provisions non déduites, pour les postes énoncés ci-après :
- dépenses de santé actuelles : 1183,25 €,
- frais divers : 2 540,72 euros,
- assistance par tierce personne avant consolidation : 7 141,68 €,
- incidence professionnelle : 50 000 euros,
- frais de véhicule adapté : 18 430,94 euros,
- déficit fonctionnel temporaire : 6 759,20 €,
- souffrances endurées : 10 000 €,
- déficit fonctionnel permanent : 69 190 €,
- préjudice esthétique permanent : 2 000 €,
- préjudice d’agrément : 15 000 €,
Ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

DIT n’y avoir lieu à statuer s’agissant des demandes formées subsidiairement contre l’ONIAM ;

DECLARE le jugement commun à la CPAM de l’Ain ;

CONDAMNE in solidum le docteur [U] [P] et son assureur, la société BHIIL à payer à Monsieur [K] [H], la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum le docteur [U] [P] et son assureur, la société BHIIL aux dépens ;

RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit ;

REJETTE le surplus des demandes, plus amples ou contraires.

Fait et jugé à Paris le 18 Mars 2024.

La GreffièreLa Présidente

Erell GUILLOUËTSabine BOYER


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 19eme contentieux médical
Numéro d'arrêt : 22/01344
Date de la décision : 18/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-18;22.01344 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award