TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le:
■
18° chambre
1ère section
N° RG 20/03234
N° Portalis 352J-W-B7E-CR64M
N° MINUTE : 2
contradictoire
Assignation du :
25 Mars 2020
JUGEMENT
rendu le 18 Mars 2024
DEMANDERESSE
S.A.S. AONO
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me David SEMHOUN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0100
DÉFENDEUR
Monsieur [W] [Z]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Gérard FAIVRE, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire #156
Décision du 18 Mars 2024
18° chambre 1ère section
N° RG 20/03234 - N° Portalis 352J-W-B7E-CR64M
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Par application des articles R.212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire et 812 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été attribuée au Juge unique.
Avis en a été donné aux avocats constitués qui ne s’y sont pas opposés.
Madame Sophie GUILLARME, 1ère Vice-présidente adjointe, statuant en juge unique,
assistée de Monsieur Christian GUINAND, Greffier principal, lors des débats, et de Madame Camille BERGER, Greffière, lors de la mise à disposition au greffe,
DÉBATS
A l’audience du 22 Janvier 2024, tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats des parties que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 18 mars 2024.
JUGEMENT
Rendue par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort
FAITS ET PROCÉDURE
Suivant acte sous seing privé en date du 19 septembre 2019, M. [W] [Z] a donné à bail commercial à la SAS Aono, divers locaux à usage commercial sis à [Localité 3], [Adresse 1] pour une durée de 9 années entières et consécutives à compter du 19 septembre 2019, moyennant un loyer annuel en principal de 18.000 euros HT payable mensuellement à terme échu.
Les lieux sont désignés ainsi qu’il suit : “Au rez-de-chaussée local commercial d’une superficie de 25m2 avec un accès privatif d’une cave au sous-sol de 22 m2;
Cette boutique dispose d’un WC situé dans la cour et appartenant à la copropriété.”
La destination contractuelle des lieux est l’exercice de “tout type de restauration sur place et à emporter sans alcools.”
Il est prévu au bail la clause suivante « Autorisation accordée au preneur de créer un WC individuel dans les locaux, à ses frais, dans les normes du règlement de copropriété.»
Par acte d’huissier signifié le 26 février 2020, M. [W] [Z] a fait délivrer à la société Aono un commandement pour inexécution des obligations locatives visant la clause résolutoire aux termes duquel il est fait injonction à la société locataire, dans le délai d’un mois, “d’avoir à remettre en état à l’identique les parties communes de l’immeuble, en cave, à savoir, notamment :
- Déposer les sanitaires, ainsi que ses cloisons,
- Retirer les conduits d’eau que vous avez installés,
- Reboucher les trous,
- Remettre le compteur électrique à la place où il se trouvait à l’original du bail. »
Par acte d’huissier délivré le 25 mars 2020, la société Aono a fait assigner M. [W] [Z] en opposition au commandement visant la clause résolutoire délivré le 26 février 2020.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 1er décembre 2021, la société Aono demande au tribunal de :
- déclarer nul le commandement pour inexécution des obligations locatives visant la clause résolutoire délivré le 26 février 2020 ;
- condamner M. [W] [Z] à lui verser la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [W] [Z] aux entiers dépens.
Au soutien de ses demandes, la société Aono fait valoir en substance :
- que M. [W] [Z] a fait signifier un commandement imprécis puisqu’il n’est pas possible d’identifier préciser les agissements qui sont reprochés à la locataire,
- qu’aucun élément objectif ne démontre une violation par la société Aono de ses obligations locatives visant la clause résolutoire,
- que comme le permettait le bail, les sanitaires ont été installés dans les locaux loués comme en atteste l’huissier et non dans “les parties communes de l’immeuble en cave” comme cela est sous-entendu dans le commandement,
- que dans des photos datées du 6 octobre 2019 qui ont fait l’objet d’un constat par l’huissier, il existait déjà lors de la prise de bail des conduits d’eau dans les parties communes ; que sa responsabilité n’est pas établie sur ce point,
- que de nombreux témoins attestent que des trous étaient déjà présents lors de la prise à bail,
- que l’installation du tableau électrique a été faite dans les règles de l’art,
- que l’accès au sous-sol existait déjà lors de la prise à bail et que M. [W] [Z] est un bailleur de mauvaise foi, comme cela ressort de nombreuses attestations qu’elle verse aux débats.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 1er mars 2022, M. [W] [Z] demande au tribunal de :
- constater que le bail du 19 septembre 2019 est résilié de plein droit,
- subsidiairement, prononcer la résiliation judiciaire du bail du 19 septembre 2019 avec toutes conséquences de droit,
- ordonner l’expulsion de la société Aono et de tous occupants de son chef avec l’assistance d“un serrurier et de la force publique en cas de besoin, des locaux à elle loués [Adresse 1] à [Localité 3],
- dire qu’il sera statué sur le sort des biens laissés sur place conformément aux articles 201 et suivants du décret du 31 juillet 1992,
- condamner la société Aono au paiement de la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- débouter la société Aono de ses moyens et demandes,
- dire que le jugement sera opposable aux créanciers inscrits,
- condamner la demanderesse en tous les dépens.
Au soutien de ses demandes, M. [W] [Z] fait exposer pour l’essentiel :
- que la société Aono a certes créé un WC privatif dans les locaux loués comme le bail l’y autorisait mais elle a aussi troué le plancher béton de la pizzeria pour faire sortir le tuyau d’évacuation des eaux usées des toilettes et ce en réalisant un branchement pirate, qu’elle a également créé un accès direct à sa cave en perçant le plancher et ce en débouchant dans le sous-sol de la copropriété ; qu’elle a également déplacé le compteur électrique sur 15 mètres environ en passant le câble en sous-sol en perçant deux murs des parties communes,
- que le Cabinet Jean Carpentier, syndic, lui a fait savoir qu’à sa connaissance, aucune suite n’avait été donnée à sa demande de remise en état des parties communes de la copropriété,
- que le commandement vise clairement et dans le détail, des infractions dans les parties communes de l’immeuble,
- que la société Aono ne peut valablement se prévaloir de l’absence de preuve par photos des infractions invoquées alors qu'elle se refuse à laisser le bailleur pénétrer dans les locaux loués pour s’assurer de leur état d’entretien et du respect de toutes les clauses, charges et conditions du présent bail ; qu’il a dû faire délivrer à la SAS Aono le 5 novembre 2020 une sommation de prendre rendez-vous pour la visite des locaux, en vain,
- que les infractions aux clauses du bail sont largement démontrées par les courriers du syndic et les photographies versées aux débats.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause et moyens des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières conclusions récapitulatives figurant à leur dossier et régulièrement notifiées, en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Il n’est pas produit aux débats d’état d’endettement révélant ou non l’existence de créanciers inscrits sur le fonds.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 avril 2022 et l’affaire fixée à l’audience du 28 novembre 2022, reportée le 22 novembre 2022 au 12 juin 2023 puis le 14 février 2023 au 22 janvier 2024 en raison de l’absence de magistrat et de la charge de travail.
MOTIFS DU JUGEMENT
Sur la validité du commandement visant la clause résolutoire délivré le 26 février 2020
Selon les articles 1134 et 1728 du code civil dans leur rédaction applicable au présent contrat, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et le preneur est tenu de deux obligations principales, soit d'user de la chose louée raisonnablement, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail et de payer le prix du bail aux termes convenus.
Selon l'article L145-41 du code de commerce, un contrat de bail commercial peut contenir une clause prévoyant la résiliation de plein droit en cas de manquement du preneur à ses obligations contractuelles si elle ne produit effet qu'un mois après un commandement de payer ou une sommation d'exécuter infructueux, le commandement ou la sommation devant, à peine de nullité, mentionner ce délai.
L'automaticité et la gravité de la sanction instaurée par la loi tout comme la possibilité de régularisation donnée au preneur pour faire échec au jeu de la clause résolutoire imposent au bailleur, qui la met en œuvre, de délivrer une sommation d'exécuter claire, précise et explicite permettant au locataire de se convaincre, à sa seule lecture, de l'obligation contractuelle prétendument méconnue, du manquement reproché et des régularisations attendues, faute de quoi la sommation ne peut produire effet.
En l’espèce, le bail liant les parties comporte une clause résolutoire libellée comme suit:
“Les parties conviennent expressément que :
- en cas de manquement par le PRENEUR à l’une quelconque de ses obligations contractuelles, qui sont toutes de rigueur,
- en cas de violation des dispositions imposées au PRENEUR par les textes légaux et réglementaires, dont les articles L145-1 et suivants du code de commerce, le bail sera résilié de plein droit un mois après une mesure d’exécuter délivrée par exploit d’huissier resté sans effet: les conditions d’acquisition de la clause résolutoire seront constatées judiciairement et l’expulsion du PRENEUR devenu occupant sans droit ni titre, ordonnée par le juge (...)”
Le commandement visant la clause résolutoire critiqué indique au preneur qu’il est actuellement en infraction avec les conditions du bail et la réglementation en vigueur ; qu’en effet, le bailleur a reçu du Cabinet Jean Charpentier, syndic de l’immeuble du [Adresse 1], un courrier en date du 13 février 2020 lui signalant que la locataire avait réalisé des travaux dans les parties communes, en cave, sans autorisation.
L’acte expose ensuite que conformément aux dispositions du bail, le preneur est tenu de :
“ Ne pas occuper d’autres parties d’immeuble que les lieux loués,
Ne rien faire qui puisse nuire à la tranquillité ou à la jouissance paisible des autres occupants et voisins de l’immeuble,
Ne faire aucun changement, démolition, percement de murs ou cloison, ...sans le consentement préalable, exprès et par écrit du BAILLEUR ou de son mandataire...”
Il est ensuite fait injonction à la société Aono dans le délai d’un mois, “d’avoir à remettre en état, à l’identique, les parties communes de l’immeuble, en cave, à savoir, notamment :
- Déposer les sanitaires, ainsi que ses cloisons,
- Retirer les conduites d’eau que vous avez installées,
- Reboucher les trous,
- Remettre le compteur électrique à la place où il se trouvait à l’origine du bail.”
Il ressort ainsi de la lecture de l’acte qu’il est reproché à la société locataire d’avoir réalisé des travaux dans les parties communes, en cave, sans autorisation, travaux qui seraient constitués par l’installation de sanitaires et de canalisations pour l’évacuation de ceux ci, par le déplacement du compteur électrique et par la réalisation de “trous”, sans autre précision.
Or il est établi et non contesté que les sanitaires ont été installés dans les parties privatives de la société Aono, à laquelle M. [Z] reproche en réalité, comme cela ressort de ses conclusions, “d’avoir installé sans autorisation des évacuations des toilettes sans le sous sol de l’immeuble, créé un accès direct à sa cave et déplacé dans le sous sol le compteur électrique” (page 5 des conclusions M. [W] [Z]).
L’acte critiqué est ainsi rédigé en des termes imprécis s’agissant des manquements qu'il vise et des régularisations attendues par le bailleur dans le délai d'un mois imparti à cet effet à la locataire, laquelle ne peut notamment savoir, à la lecture du commandement, si elle doit procéder à la desinstallation de l’ensemble des sanitaires ou simplement remédier au problème des évacuations dans le sous-sol, et quels “trous” elle a l’obligation de reboucher.
Il sera relevé au surplus que M. [W] [Z] ne rapporte pas la preuve des manquements qu’il invoque, les seules photographies, non datées, et les courriers du syndic des 13 février, 11 juin 2020 et 16 juillet 2021, étant insuffisamment probants.
Dans ces conditions, l’acte du 26 février 2020 n'a pu produire effet et n'a pu, dès lors, mettre en jeu la clause résolutoire qu'il vise.
La demande formulée de ce chef par la société Aono sera, en conséquence, accueillie, M. [W] [Z] étant débouté quant à lui de sa demande tendant à voir constater l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation de plein droit du bail à la date du 26 mars 2020.
Sur la demande de résiliation judiciaire du bail
Selon l'article 1224 du code civil, la résiliation d'un contrat peut être prononcée par une décision de justice si le manquement d'une des parties est suffisamment grave pour compromettre la poursuite des relations contractuelles.
M. [W] [Z] motive sa demande de résiliation judiciaire dans les termes suivants, qui figurent à la suite des développements de ses conclusions relatifs à l’acte du 26 février 2020 : «Les infractions aux clauses du bail sont largement démontrées.
Dans ces conditions, le tribunal constatera l’acquisition de la clause résolutoire visées dans le commandement du 26 février 2020 avec toutes conséquences de droit.
Subsidiairement le tribunal prononcera la résiliation judiciaire du bail commercial en raison des graves infractions commises par la société locataire qu’elle persiste à dénier, au lieu d’assurer la remise en état d’origine.»
M. [W] [Z] n'articule, au soutien de sa demande de résiliation judiciaire, aucun manquement précis à une obligation contractuelle identifiée, hormis les manquements visés dans le commandement du 26 février 2020, lesquels, comme indiqué supra, ne sont pas suffisamment caractérisés.
Dans ces conditions, M. [W] [Z] sera débouté de sa demande de résiliation judiciaire du bail et de ses demandes en expulsion et en fixation de l'indemnité d'occupation.
Sur les demandes accessoires
M. [W] [Z] qui succombe supportera la charge des dépens ; il sera débouté de sa demande formée en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et condamné sur ce fondement, au regard de l’équité, à payer à la société Aono la somme de 2000 euros.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au greffe à la date du délibéré
Dit que le commandement visant la clause résolutoire délivré par M. [W] [Z] à la société Aono n'a pas mis en jeu la clause résolutoire du bail portant sur les locaux dépendant de l'immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 3],
Déboute M. [W] [Z] de sa demande tendant à voir constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail susvisé,
Déboute M. [W] [Z] de sa demande de résiliation judiciaire du bail susvisé et de ses demandes d'expulsion de la société Aono et de tous occupants de son chef et de fixation d'une indemnité d'occupation,
Condamne M. [W] [Z] à payer à la société Aono la somme de 2000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute M. [W] [Z] de sa demande formée en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Rejette toutes autres demandes,
Condamne M. [W] [Z] aux dépens,
Rappelle que l’exécution provisoire est de droit.
Fait et jugé à Paris le 18 Mars 2024
Le GreffierLe Président
Camille BERGERSophie GUILLARME