TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
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N° RG 24/50449 -
N° Portalis 352J-W-B7H-C3P2Q
N° : 3-CB
Assignation du :
12, 13 et 19 décembre 2023
09 janvier 2024
[1]
[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 15 mars 2024
par Béatrice FOUCHARD-TESSIER, Premier Vice-Président Adjoint au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Clémence BREUIL, Greffier.
DEMANDERESSE
Madame [Y] [M] [N]
[Adresse 5]
[Localité 9]
représentée par Maître Elodie BOSSELER, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE - #PN 474
DEFENDEURS
L’association DENTAIRE[14]
[Adresse 1]
[Localité 10]
La S.A. MMA IARD
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentées par Maître Aude CANTALOUBE de la SELARL FABRE & ASSOCIEES, Société d’Avocats, avocats au barreau de PARIS - #P0124
La CPAM DE [Localité 13]
[Adresse 4]
[Localité 11]
et pour signification au [Adresse 3]
non représentée
L’ASSOCIATION DE PROTECTION SOCIALE DU BATIMENT ET DES TRAVAUX PUBLICS PRO BTP
[Adresse 6]
[Localité 8]
non représentée
DÉBATS
A l’audience du 02 Février 2024, tenue publiquement, présidée par Béatrice FOUCHARD-TESSIER, Premier Vice-Président Adjoint, assistée de Clémence BREUIL, Greffier,
Nous, Président,
Après avoir entendu les parties représentées de leur conseil,
FAITS ET PROCÉDURE
Reprochant au Docteur [T] [W] chirurgien dentiste d’avoir commis divers manquements à l’occasion des soins dentaires qu’il lui a prodigués au sein du Centre dentaire [12], Mme [Y] [M] [N] a assigné en référé cet établissement, son assureur de responsabilité civile professionnelle, MMA IARD et la Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 13] aux fins notamment d’obtenir la désignation d’un expert, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. Par ordonnance de référé du 20 novembre 2020, le Docteur [A] [X] a été désigné comme expert et a rendu son rapport le 3 juillet 2021.
Prenant acte des conclusions du rapport d’expertise, MMA IARD a versé le 28 octobre 2021 à Mme [Y] [M] [N] une provision de 12 000 euros.
Estimant la provision versée insuffisante pour lui permettre d’achever les soins nécessaire à sa réhabilitation dentaire et d’être consolidée, Mme [Y] [M] [N] a, par actes de commissaire de justice des 12, 13 et 19 décembre 2023 et du 9 janvier 2024, assigné en référé l’Association Dentaire [14], son assureur de responsabilité civile professionnelle, MMA IARD, la Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 13] et l’Association de Protection Sociale du Bâtiment et des Travaux Publics, aux fins de voir condamner solidairement le Centre dentaire [12] et son assureur la MMA IARD à lui payer la somme 19.494,60 euros à valoir sur ses préjudices, celle de 5.000 euros à titre de provision ad litem, et celle de 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
L’affaire a été appelée et plaidée à l’audience du 2 février 2024.
Mme [Y] [M] [N] a, par l’intermédiaire de son conseil, développé oralement les moyens et prétentions contenus dans son assignation et ses conclusions déposées à l’audience, exposant qu’elle a besoin de solliciter de nouveau une provision pour pouvoir bénéficier de soins conformes aux préconisations de l’expert. Elle sollicite aussi une provision au titre du préjudice d’impréparation, renvoyant sur ce point aux conclusions expertales.
Dans leurs conclusions déposées à l’audience et soutenues oralement par leur conseil, le Centre Dentaire [14] et MMA IARD demandent au juge des référés de retenir que le quantum de la demande d’indemnité provisionnelle complémentaire formée par Mme [Y] [M] [N] se heurte à des contestations sérieuses, en conséquence, de lui allouer la somme de 5.000 euros à titre de provision à valoir sur l’indemnisation de son préjudice, de débouter Mme [Y] [M] [N] de sa demande de provision ad litem et de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ou à défaut la réduire à de plus justes proportions.
Ils exposent qu’effectivement le plan de réhabilitation coûte plus cher que prévu. Néanmoins, ils soutiennent que l’expert estime que ces soins ne sont pas imputables au centre dentaire. Ils contestent également l’évaluation du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées et estiment que le défaut d’impréparation n’est pas constitué, l’expert ayant conclu sur un défaut de conformité des soins. Enfin, ils soulignent que la demande formée au titre des frais irrépétibles et celle d’une provision ad litem se recouvrent.
La Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 13] et l’Association de Protection Sociale du Bâtiment et des Travaux Publics, bien que régulièrement assignées, n’ont pas constitué avocat.
Conformément aux dispositions des articles 446-1 et 455 du code de procédure civile, il est renvoyé à l’assignation et aux conclusions des parties comparantes pour un plus ample exposé de leurs prétentions respectives et de leurs moyens.
L’affaire a été mise en délibéré au 8 mars 2024, prorogé au 15 mars 2024.
MOTIFS
- Sur la demande en paiement d’une provision à valoir sur l’indemnisation des préjudices
L’article 835, alinéa 2, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, prévoit que, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire statuant en référé peut accorder une provision au créancier.
L'octroi d'une provision suppose le constat préalable par le juge de l'existence d'une obligation non sérieusement contestable, au titre de laquelle la provision est demandée. Cette condition intervient à un double titre : elle ne peut être ordonnée que si l'obligation sur laquelle elle repose n'est pas sérieusement contestable et ne peut l'être qu'à hauteur du montant non sérieusement contestable de cette obligation.
Cette condition est suffisante et la provision peut être octroyée, quelle que soit l'obligation en cause. La nature de l'obligation sur laquelle est fondée la demande de provision est indifférente, qui peut être quasi-délictuelle, contractuelle ou délictuelle.
L’article L 1142-1 alinéa 1er du Code de la santé publique dispose que “I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.”
Il est constant que l’appréciation de la responsabilité d’un praticien et/ou d’un établissement de santé, relève de la compétence du juge du fond.
En l’espèce, il convient de souligner que la responsabilité du Centre dentaire n’est pas discutée en son principe ; le juge des référés, juge de l’évidence, relève que l’expert, dans son rapport a estimé, s’agissant de la greffe osseuse “que le Docteur [W] n’a pas rempli son obligation de moyen en ne réalisant pas le geste indiqué pour corriger l’atrophie osseuse du prémaxillaire de Mme [M]. La conséquence de la non compensation du défaut osseux est de rendre inutile la pose des implants en 16,17, 26 et 27, pourtant réalisée.”
S’agissant de la pose des implants l’expert expose que “la pose de tous les implants est non conforme aux données acquises . C’est pourquoi en l’absence à ce jour d’une solution thérapeutique globale certaine , le remboursement de tous les implants doit être pris en charge”. Il ajoute que “le Dr [S] a proposé de réaliser un bridge transvissé sur implants en conservant six implants posés par le docteur [W] (...). Cependant si les six implants conservés étaient inexploitables, leurs remboursements devraient être impérativement pris en charge. “
S’agissant des bridges sur implants, l’expert retient que “les 3 bridges sur implants ne sont pas conformes, leurs remboursements doivent être pris en charge.”
Il estime ainsi que “les dommages survenus sont la conséquence de négligences.”
L’obligation de réparation du Centre dentaire et de son assureur ne souffre donc pas de contestation en son principe.
Madame [M] [N] sollicite une provision complémentaire à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices à hauteur de 19.494,60 euros se décomposant comme suit :
- 11.444,60 € au titre des dépenses de santé actuelles ;
- 450 € au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
- 6.000 € au titre des souffrances endurées ;
- 1.000 € au titre du préjudice esthétique temporaire ;
- 5.000 € au titre du préjudice d’impréparation ;
- 7.600 € au titre des frais divers.
Sur les dépenses de santé actuelles
Après déduction de la créance de la sécurité sociale pour un montant de 62,30 euros, les dépenses de santé imputables s’établissent à la somme de 11.444,60 euros, montant qui n’est pas discuté par le centre dentaire et son assureur qui estiment à juste titre que ces dépenses sont entièrement indemnisées par la provision de 12.000 euros versée de sorte que le débouté s’impose de ce chef.
Sur le déficit fonctionnel temporaire
Le rapport d’expertise judiciaire retient un taux de 20% de déficit fonctionnel “sur une période théorique de 3 mois”. La requérante sollicite la somme de 450 euros sur la base d’un montant journalier de 25 euros.
Le centre dentaire et son assureur font valoir que l’expert ne s’explique pas sur son évaluation alors que Mme [Y] [M] [N] était édentée depuis une intervention d’arthrotomie bilatérale mandibulaire associée à une ostéotomie maxillaire réalisée en 2018 et bénéficiait d’une prothèse amovible, ni ne s’explique sur la période de trois mois retenue.
Ils estiment que Mme [Y] [M] [N] peut tout au plus prétendre à un déficit temporaire pour la durée de ses arrêts de travail.
Celle-ci justifie cependant d’arrêts de travail du 30 septembre au 18 octobre 2019, soit sur 19 jours, lié directement aux soins litigieux de sorte, qu’il peut être considéré qu’une provision de 95 euros (25x19 x20) peut lui être allouée à ce titre.
Sur les souffrances endurées
La requérante sollicite la somme de 6.000 euros.
Le rapport d’expertise judiciaire a fixé à 2,5/7 les souffrances endurées, y inclus la souffrance psychologique ; une somme de 3.000 euros suggérée par les défendeurs peut être retenue à ce titre.
- sur le préjudice esthétique temporaire
La requérante sollicite la somme de 1.000 euros.
Le rapport d’expertise judiciaire a fixé à 0,5/7 le préjudice esthétique temporaire. Eu égard à l’état dentaire antérieur de Mme [Y] [M] [N], ce préjudice peut faire l’objet d’une évaluation provisionnelle à hauteur de 500 euros.
Sur le préjudice d’impréparation
La requérante sollicite la somme de 5.000 euros.
L’expert a retenu que “ Mme [M] a signé un consentement éclairé le jour de l’intervention. Mme [M] a eu un délai de réflexion suffisant puisque l’intervention a été prévue le 1er juillet 2019 et l’intervention réalisée le 13 septembre 2019. Cependant en l’absence d’une étude pré-prothétique précise, les informations données ne pouvaient qu’être erronées.”
Et encore ; “Le docteur [W] ne réalise pas le plan de traitement qu’il préconise et qui est pourtant indispensable au traitement de Mme [M].”
Le centre dentaire et son assureur dénient l’existence d’un préjudice d’impréparation, estimant que le préjudice de Mme [Y] [M] [N] ne découle pas d’un manquement au devoir d’information du Docteur [W] mais d’un manquement dans la réalisation de soins prothétiques.
Il reviendra au juge du fond d’apprécier si l’information erronée donnée à Mme [Y] [M] [N] équivaut à un défaut d’information justifiant l’indemnisation d’un préjudice d’impréparation.
La provision réclamée ne peut être allouée par le juge des référés.
Sur la demande en indemnisation des frais divers
La demanderesse sollicite la somme de 7.600 euros au titre des frais divers ; elle justifie d’une dépense de 4.230 euros au titre des frais d’avocat, de 1.000 euros au titre des honoraires de dentiste conseil, des frais d’huissier de 663,66 euros et de 1.800 euros au titre des frais d’expertise qui n’ont pas fait l’objet à ce jour d’une condamnation au titre des dépens puisque Madame [M] [N] a dû assumer la charge de ses dépens de la première procédure de référé et le paiement des frais d’expertise.
La somme réclamée n’est donc pas sérieusement contestable.
Au vu de la provision déjà versée à hauteur de 12.000 euros (dont l’emploi a été justifié à hauteur de 11.444,60 euros), il y a lieu d’accorder à Madame [Y] [M] [N] une provision de 10.700 euros ; le Centre Dentaire [14] et MMA IARD seront donc condamnés in solidum à lui verser.
Sur la demande en paiement d’une provision ad litem
La requérante sollicite l’octroi d’une provision ad litem pour faire face aux frais judiciaires à venir.
Il ne peut être exclu que les parties s’accordent sur les conditions de réalisation d’une expertise post-consolidation, de sorte que la demande présentée au titre des frais futurs à exposer est prématurée.
- Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Aux termes de l’article 491, alinéa 2, du code de procédure civile, le juge des référés statue sur les dépens.
Parties perdantes, le Centre Dentaire [14] et MMA IARD seront condamnés in solidum aux dépens et à verser à Mme [Y] [M] [N] la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant par mise à disposition au greffe le jour du délibéré, après débats à l’audience publique, par ordonnance réputée contradictoire et rendue en premier ressort,
Condamnons in solidum le Centre Dentaire [14] et la compagnie Les MUTUELLES DU MANS ASSURANCES IARD à verser à Madame [Y] [M] [N] la somme provisionnelle de 10.700 euros (dix mille sept cents euros) à valoir sur l’indemnisation définitive de ses préjudices ;
Rejetons la demande présentée au titre de la provision ad litem ;
Condamnons in solidum le Centre Dentaire [14] et MMA IARD à verser à Mme [Y] [M] [N] la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rappelons que la présente ordonnance est exécutoire à titre provisoire.
Fait à Paris le 15 mars 2024.
Le Greffier,Le Président,
Clémence BREUILBéatrice FOUCHARD-TESSIER