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11/03/2024 | FRANCE | N°22/06394

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 9ème chambre 1ère section, 11 mars 2024, 22/06394


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:




9ème chambre 1ère section

N° RG :
N° RG 22/06394 - N° Portalis 352J-W-B7G-CW5T7

N° MINUTE : 3




Assignation du :
23 Mai 2022










JUGEMENT
rendu le 11 Mars 2024
DEMANDERESSE

Madame [U] [X]
[Adresse 4]
[Localité 3]

représentée par Maître Goce NOVAKOV de la SELARL NOVAKOV AVOCAT, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #E1045




DÉFENDERESSEr>
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D’ILE DE FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentée par Maître Fanny DESCLOZEAUX de la SELARL CARBONNIER LAMAZE RASLE, avocats au barreau de ...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:

9ème chambre 1ère section

N° RG :
N° RG 22/06394 - N° Portalis 352J-W-B7G-CW5T7

N° MINUTE : 3

Assignation du :
23 Mai 2022

JUGEMENT
rendu le 11 Mars 2024
DEMANDERESSE

Madame [U] [X]
[Adresse 4]
[Localité 3]

représentée par Maître Goce NOVAKOV de la SELARL NOVAKOV AVOCAT, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #E1045

DÉFENDERESSE

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D’ILE DE FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentée par Maître Fanny DESCLOZEAUX de la SELARL CARBONNIER LAMAZE RASLE, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0298

Décision du 11 Mars 2024
9ème chambre 1ère section
N° RG 22/06394 - N° Portalis 352J-W-B7G-CW5T7

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Anne-Cécile SOULARD, Vice-présidente
Madame Marine PARNAUDEAU, Vice-présidente
Monsieur Patrick NAVARRI, Vice-président

assistée de Pierre-Louis MICHALAK, Greffier,

DÉBATS

A l’audience du 15 Janvier 2024 tenue en audience publique devant Madame Marine PARNAUDEAU, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 11 Mars 2024.

JUGEMENT

Prononcé en audience publique
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

[U] [X] a ouvert un compte dans les livres de la société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D'ILE DE FRANCE (la banque).

L'intéressée a fait l'objet d'un démarchage par un tiers se présentant comme un courtier travaillant pour le compte de la société COINSMARKET qui lui a proposé d'investir des fonds sur une plate-forme de trading en ligne.

Ce compte de dépôt a été débité d'une somme totale de 96 507,12 €, en exécution des ordres de virement émanant de [U] [X], énoncés ci-après :


Par acte d'huissier du 23 mai 2022, [U] [X] a fait assigner devant la présente juridiction la société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D'ILE DE FRANCE aux fins de la voir condamner à l'indemniser des préjudices subis, les fonds ayant été investis par l'intéressé en pure perte auprès de tiers.

Dans ses dernières conclusions récapitulatives communiquées par le biais du RPVA le 20 mars 2023, [U] [X] demande au tribunal, sur le fondement des articles L133-10, L561-5, L561-5-1, L561-6, L561-8, L561-10-2 et R561-12 du code monétaire et financier et de l'article 1231-1 du code civil, de :

" - JUGER que la société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D'ILE DE FRANCE a commis une faute de vigilance et surveillance dans le fonctionnement du compte bancaire de Madame [U] [X].

En conséquence,

- CONDAMNER la société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D'ILE DE FRANCE à payer à Madame [U] [X] la somme de 96.507,12 Euros en réparation de son préjudice financier ;

Si toutefois le Tribunal considère que le préjudice s'analyse en une perte de chance ;
- CONDAMNER la société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D'ILE DE FRANCE à payer à Madame [U] [X] la somme de 77.205,70 en réparation du préjudice subi, représentant 80% du préjudice matériel subi ;
- CONDAMNER la société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D'ILE DE France au paiement des intérêts légaux avec capitalisation à compter du 21 février 2022, date de l'envoi du courrier de mise en demeure ;
- CONDAMNER la société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D'ILE DE France à payer à Madame [U] [X] la somme de 10 000 Euros en réparation de son préjudice moral ;
- ORDONNER l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;
- CONDAMNER la société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D'ILE DE France à payer à Madame [U] [X] la somme de 5 000 Euros au titre de l'article 700 du Code procédure civile ;
- CONDAMNER la société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D'ILE DE France aux entiers dépens. "
Décision du 11 Mars 2024
9ème chambre 1ère section
N° RG 22/06394 - N° Portalis 352J-W-B7G-CW5T7

[U] [X] déclare tout d'abord avoir été démarchée par téléphone, par un tiers se présentant comme courtier travaillant pour le compte de la société COINSMARKET, en vue d'investir des fonds via la plateforme de trading en ligne sur le marché des crypto actifs. Des gains importants et rapides lui ayant été promis, elle indique avoir investi la somme totale de 96 507,12 €, entre le 20 mars 2018 et le 4 septembre 2018, soit la quasi-totalité de son épargne. Elle déclare également qu'après s'être aperçue que les prises de position n'étaient que virtuelles et après avoir perdu l'intégralité des fonds investis, elle a déposé plainte le 21 septembre 2018 du chef d'escroquerie. Elle souligne également qu'elle s'est opposée au refus de la banque de procéder au remboursement des sommes litigieuses.

La requérante fait ensuite observer qu'un devoir général de vigilance est mis à la charge des banques puisque ces dernières ne doivent pas fournir à autrui des moyens de commettre des infractions au détriment des tiers. Elle affirme que la banque a manqué à son égard à ses obligations de vigilance dans la mesure où les mouvements de fonds observés sur son compte étaient manifestement anormaux au regard de sa pratique habituelle, de la courte période de temps querellée, du nombre et du montant unitaire de virements, du nom du bénéficiaire, du libellé des opérations et du pays de destination des fonds. Elle fait observer que la banque ne pouvait ignorer l'existence d'escroqueries sur le marché des crypto-monnaies et que les sommes querellées ont été transférées sur des comptes détenus en Pologne.

[U] [X] estime que la banque a manqué à ses devoirs de vigilance et de prudence, en exécutant les ordres de virement en cause sans qu'aucune vérification ne soit faite, contribuant ainsi au préjudice consistant dans la perte de la totalité de la somme de 96 507,12 € objet des quinze virements querellés.

Elle déclare qu'en sus de ce devoir général de vigilance, les établissements de crédit et les prestataires de services de paiement sont astreints à une obligation de vigilance vis-à-vis de leurs clients avant l'entrée en relation d'affaires et au cours de celle-ci et à cette fin, doivent identifier leurs clients et le cas échéant les bénéficiaires effectifs de l'opération en vertu de la directive 2005/60/CE du 26 octobre 2005 et des articles L. 561-5 et L. 561-6 du code monétaire et financier régissant la lutte contre le blanchiment des capitaux. Ces établissements doivent vérifier non seulement l'origine des fonds et leur destination mais aussi l'objet de l'opération et l'identité du bénéficiaire de ladite opération. La demanderesse en conclut que le manquement à ces obligations a pour effet d'engager la responsabilité civile des établissements concernés.

Par conclusions récapitulatives communiquées par le biais du RPVA le 2 juin 2023, la société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D'ILE DE FRANCE demande au tribunal, au visa des articles 1134 devenu les articles 1103, 1104 et 1193, 1147 devenu l'article 1231-1, 1151 devenu l'article 1231-4, 1310, 1315 devenu l'article 1353, 1937 et 2224 du code civil, des articles 6 et 9 du code de procédure civile et des articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier, de :

" - DECLARER le CAIDF recevable et bien fondé en toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- JUGER que les dispositions de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, prévues par les articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier, sont inapplicables dans le cadre de l'action initiée par Madame [U] [X] à l'encontre du CAIDF ;
- JUGER que le CAIDF n'était pas tenu d'une obligation de vigilance et de surveillance à l'égard de Madame [U] [X], les opérations contestées ne comportant aucune anomalie matérielle ou intellectuelle ;
- JUGER que Madame [U] [X], a commis de graves négligences à l'origine directe et exclusive du prétendu préjudice subi ;
- JUGER que Madame [U] [X] ne rapporte pas la preuve d'un préjudice et d'un lien de causalité avec de prétendues fautes commises par le CAIDF ;
En conséquence,
- DEBOUTER Madame [U] [X] de l'ensemble de ses demandes de condamnation à l'encontre du CAIDF ;
- CONDAMNER Madame [U] [X] au paiement de la somme de 5.000 € au CAIDF au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Si par impossible et par extraordinaire, le Tribunal de céans devait condamner le CAIDF à tout ou partie des sommes réclamées par Madame [U] [X],
- ECARTER l'exécution provisoire de la décision à intervenir. "

La société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D'ILE DE FRANCE décline toute responsabilité vis-à-vis de [U] [X]. Elle soutient que l'établissement teneur de compte est soumis à un principe de non-ingérence lui interdisant de s'immiscer dans les affaires de son client tout en lui déniant toute possibilité de refuser à son client la libre disposition des fonds disponibles si bien que [U] [X] ne peut invoquer le caractère anormal des opérations qu'elle a elle-même effectuées sur les conseils d'un prétendu courtier qu'il l'a contactée téléphoniquement, pour tenter d'imputer une faute à la banque.

De plus, elle fait observer que les virements ont été effectués au bénéfice d'une banque située dans l'un des Etats membres de l'Union européenne. Elle note au surplus que les sommes litigieuses ont été virées volontairement par [U] [X] si bien qu'il s'agit d'opérations autorisées. Elle relève au surplus, que ces quinze opérations ne présentaient aucune anomalie matérielle ou intellectuelle apparente.

La défenderesse note par ailleurs que [U] [X] n'a fait preuve d'aucune prudence en donnant instruction à la SOCIÉTÉ CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D'ILE DE FRANCE d'effectuer les virements litigieux.

La défenderesse indique que les articles L. 561-5 et L. 561-6 du code monétaire et financier relatifs aux obligations des établissements bancaires inhérentes à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme posent un devoir de vigilance dont toutefois seul le service de fraude idoine et l'Autorité de contrôle peuvent se prévaloir sans ouvrir la possibilité à la victime d'agissements frauduleux de s'en prévaloir. Elle ajoute que la requérante ne rapporte pas la preuve du principe et du montant des préjudices allégués. De surcroît, elle soutient que la demanderesse est la seule à l'origine de son préjudice et qu'elle ne démontre pas l'existence d'une faute ni d'un lien de causalité direct entre la faute alléguée et le préjudice dont elle se prévaut.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures susvisées pour l'exposé complet des moyens et arguments respectifs des parties.

L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire est intervenue le 18 septembre 2023.

MOTIFS

Sur la mise en jeu de la responsabilité contractuelle de la banque

L'article L. 133-6 du code monétaire et financier dispose qu'une opération de paiement est autorisée si le payeur a donné son consentement à son exécution.

En application de l'article 1231-1 du code civil, le principe de la non-ingérence du banquier dans les affaires de son client cède devant son obligation de vigilance portant sur la régularité apparente du fonctionnement d'un compte.

Ainsi, dans l'hypothèse d'un virement autorisé, le banquier demeure tenu de contrôler la régularité de l'ordre de virement, afin de déceler toute anomalie tant matérielle qu'intellectuelle susceptible de l'affecter.

S'il ne lui appartient pas, sauf à porter atteinte à la vie privée du dépositaire des fonds, d'effectuer des recherches ou réclamer des justifications pour s'assurer que les opérations de son client, dont il n'a pas à rechercher la cause, sont régulières, opportunes et exemptes de danger, il doit néanmoins déceler le caractère manifestement anormal de mouvements de fonds par référence au fonctionnement habituel du compte ou en considération de leur bénéficiaire.

Le banquier, gestionnaire de compte et établissement de paiement, n'est pas tenu à une obligation d'information et de conseil à l'égard de son client, sauf convention contraire.

En application de l'article 9 du code de procédure civile, il appartient au demandeur d'établir le bien-fondé de ses demandes, en fournissant, conformément aux règles de droit, les preuves nécessaires au succès de ses prétentions.

En l'espèce, il convient de préciser à titre liminaire que le requérant qui ne rapporte la preuve d'aucune convention contraire, ne saurait reprocher à la banque un manquement à ses devoirs d'information et de conseil.

Si [U] [X] se prévaut, d'une part, des dispositions de la directive UE 2015/849 du mai 2015 et, d'autre part, des articles L. 561-5 et suivants et R. 561-12 du code monétaire et financier, il y a lieu de relever que ces deux derniers textes portent transposition en droit français des dispositions du premier, relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, plus particulièrement à l'obligation de vigilance imposée notamment aux établissements de crédit et aux établissements de paiement agréés tant en France que dans les pays de l'espace économique européen dans leur relation avec la clientèle, de telle sorte que ces deux séries de fondements, invoqués distinctement par le demandeur, se confondent. Par ailleurs, les articles L. 561-5 et suivants du code monétaire et financier, qui soumettent les établissements de crédit notamment à une obligation de déclaration des opérations suspectes, poursuivent un objectif d'intérêt général, de telle sorte que ces dispositions ne peuvent fonder, à les supposer violées, une créance de dommages-intérêts au profit du client de l'établissement déclarant. En conséquence, [U] [X] ne peut se prévaloir des dispositions des textes susvisés pour rechercher la responsabilité de la SOCIÉTÉ CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D'ILE DE FRANCE pour manquement supposé au devoir de vigilance incombant aux établissements de crédit.

Il est constant que [U] [X] n'a jamais informé la société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D'ILE DE FRANCE de la teneur des investissements réalisés et que cette dernière est étrangère aux opérations financières querellées qui ont été présentées et proposées au demandeur par un tiers se présentant comme courtier travaillant pour le compte de la société COINSMARKET.

La demanderesse démontre que la société COINSMARKET figure sur le site Warning trading qui ne saurait se confondre avec la liste noire de l'Autorité des marchés financiers.

De plus, il n'est pas contesté que [U] [X] ne faisait l'objet, au moment des faits, d'aucune mesure judiciaire de protection.

Par ailleurs, il est établi par les pièces produites aux débats que :
- sur la période allant du 20 mars 2018 au 4 septembre 2018, [U] [X] a effectué quinze ordres de virement successifs à destination d'un compte ouvert dans les livres de deux banques situées hors du territoire français, à savoir la Pologne,
- la somme mentionnée sur chaque ordre de virement a été portée au débit de son compte de dépôt,
- [U] [X] ne conteste pas l'authenticité des ordres de virement contestés,
- les bénéficiaires de ces ordres de virement sont Ag Eurobi t Sp zoo, BIT Service Incorporated, Saxo trade Sp zoo,
- les motifs renseignés sont respectivement " [V] ", “IMPOTS”, " IMPOTS SUITE MME [X] [U] ", " TAXE " et " TVA [X] [U] " s'agissant des ordres de virement émis depuis l'agence bancaire tandis que ceux afférents aux virements réalisés depuis son espace en ligne sont " virement Xeb Eurobit Sp Zoo eurobit eurobit ", "virement Web Bit Service Incorpor", " virement Web Bit Service Incorpor coins m coins markets", "virement Web Bit Service Incorpor coins", " virement Web [X] [U] ",
- l'exécution de ces ordres de virement SEPA n'a pas eu pour effet de placer le compte de dépôt en position débitrice,
- le 24 février 2022, [U] [X] a sollicité la restitution des fonds par écrit à la Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D'ILE DE FRANCE,
- la demanderesse a déposé plainte le 21 septembre 2018 du chef d'escroquerie.

Il en ressort que chaque ordre de virement tant dans son principe que dans son quantum a été validé par [U] [X] qui n'en conteste pas l'exactitude. Les quinze virements internationaux querellés ont donc été effectués sur instruction expresse de la part de [U] [X]. Or, dans la mesure où l'obligation de l'établissement bancaire consiste en l'occurrence à assurer la bonne exécution des ordres de virement reçus, la société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D'ILE DE FRANCE qui n'a ni proposé ni suivi cet investissement sur une plateforme de trading en ligne, n'avait ni à en contrôler la finalité, ni à s'assurer de l'identité des destinataires ni à mettre en garde ses clients, en dehors des instructions reçues de ceux-ci, ce d'autant que le motif renseigné était soit inexact soit lacunaire. Il appartenait au demandeur de se renseigner préalablement à la réalisation de cet investissement. [U] [X] est mal fondée à reprocher à la banque de ne pas avoir tenu compte des nombreuses escroqueries aux investissements sur le marché des crypto-monnaies qui avaient cours à cette époque.

Au vu des relevés de compte produits aux débats, il apparaît que chaque virement est d'un montant significatif puisqu'il absorbe la quasi totalité du solde créditeur du compte. En outre, ces relevés de compte ne font pas apparaître l'existence d'opérations habituelles de transfert de fonds vers l'étranger. Ces virements opéraient donc une rupture dans les modalités de gestion habituelle du compte de [U] [X]. Toutefois, à la suite de chaque virement, le solde du compte demeurait créditeur et chaque virement était effectué au bénéfice d'une personne morale dont il n'est pas établi, ni même soutenu, qu'elle figurait sur la liste des établissements frauduleux établie par l'Autorité des marchés financiers.

Ainsi, les opérations effectuées par [U] [X] après qu'elle ait renseigné toutes les informations nécessaires à la réalisation des virements litigieux, pour inhabituelles qu'elles fussent, ne présentaient pas d'anomalies apparentes pour la banque gestionnaire du compte, dès lors que chacune d'elles s'apparentait à une opération de gestion des fonds déposés, librement effectuée par le détenteur du compte.

Par suite, en l'absence d'anomalies apparentes affectant chacun des quinze virements autorisés par [U] [X], cette dernière n'est pas fondée à engager la responsabilité de la SOCIÉTÉ CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D'ILE DE FRANCE pour cause de manquement à son obligation de vigilance et de surveillance.

Au demeurant, [U] [X] n'est pas fondée à reprocher à la SOCIÉTÉ CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D'ILE DE FRANCE de s'être abstenue de l'interroger sur l'objet des virements litigieux dans la mesure où le devoir de non-ingérence lui en fait interdiction et où elle est étrangère à l'opération d'investissement querellée.

Par conséquent, [U] [X] sera déboutée de l'intégralité de ses demandes indemnitaires.

Aucune faute de la banque n'étant caractérisée, la demande subsidiaire formée par [U] [X] est rejetée.

Il y a lieu de rejeter toutes demandes plus amples ou contraires.

Sur les demandes accessoires

Succombant en ses prétentions, [U] [X] sera condamnée aux dépens en application des articles 695 et suivants du code de procédure civile.

[U] [X], partie perdante, sera condamnée à payer à la société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D'ILE DE FRANCE la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Sa demande présentée au titre des frais irrépétibles sera rejetée.
L'exécution provisoire est de droit dans la présente affaire, conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, en premier ressort et publiquement par mise à disposition au greffe,

DÉBOUTE [U] [X] de ses demandes de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice financier,

REJETTE toutes demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE [U] [X] à payer à la société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 5] ET D'ILE DE FRANCE la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE [U] [X] de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

RAPPELLE que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit ;

CONDAMNE [U] [X] aux dépens.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 9ème chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 22/06394
Date de la décision : 11/03/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-11;22.06394 ?
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