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06/03/2024 | FRANCE | N°23/56108

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Service des référés, 06 mars 2024, 23/56108


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS








N° RG 23/56108 -
N° Portalis 352J-W-B7H-C2ACZ

N° : 12

Assignation du :
06 Juillet 2023

[1]

[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:


JUGEMENT RENDU SELON LA PROCEDURE ACCELEREE AU FOND
le 06 mars 2024



par Anne-Charlotte MEIGNAN, Vice-Président au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Daouia BOUTLELIS, Greffier
DEMANDERESSE

La Ville de [Localité 6] prise en la personne de M

adame la Maire de [Localité 6]
[Adresse 7]
[Localité 3]

représentée par Maître Colin MAURICE de la SARL CM & L AVOCATS, avocats au barreau de PARIS - #C1844



DEFEN...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS


N° RG 23/56108 -
N° Portalis 352J-W-B7H-C2ACZ

N° : 12

Assignation du :
06 Juillet 2023

[1]

[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:

JUGEMENT RENDU SELON LA PROCEDURE ACCELEREE AU FOND
le 06 mars 2024

par Anne-Charlotte MEIGNAN, Vice-Président au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Daouia BOUTLELIS, Greffier
DEMANDERESSE

La Ville de [Localité 6] prise en la personne de Madame la Maire de [Localité 6]
[Adresse 7]
[Localité 3]

représentée par Maître Colin MAURICE de la SARL CM & L AVOCATS, avocats au barreau de PARIS - #C1844

DEFENDEUR

Monsieur [H] [Y]
[Adresse 2],
[Localité 5], ROYAUME-UNI

représenté par Me Xavier DEMEUZOY, avocat au barreau de PARIS - #D1735

DÉBATS

A l’audience du 23 Janvier 2024, tenue publiquement, présidée par Anne-Charlotte MEIGNAN, Vice-Président, assistée de Daouia BOUTLELIS, Greffier,

Nous, Président,

Après avoir entendu les conseils des parties,

EXPOSE DU LITIGE

Vu l'assignation délivrée le 6 juillet 2023 par la Ville de [Localité 6] à l'encontre de Monsieur [H] [Y], né le 20 février 1967 à [Localité 4], Grande Bretagne, devant le tribunal judiciaire de Paris, saisi selon la procédure accélérée au fond, sur le fondement des dispositions des articles L.631-7 et L.631-52 du code de la construction et de l’habitation, concernant un appartement situé [Adresse 1] ;

Vu les observations orales de la Ville de [Localité 6] à l'audience du 23 janvier 2024 ;

Vu les écritures déposées par la partie défenderesse et développées oralement à cette même audience;

Vu les dispositions des articles 455 et 446-2 du code de procédure civile ;

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de condamnation sur le fondement des dispositions des articles L 631-7 et L.651-2 du code de la construction et de l'habitation

L'article L.631-7 du code de la construction et de l'habitation dispose que « La présente section est applicable aux communes de plus de 200 000 habitants et à celles des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Dans ces communes, le changement d'usage des locaux destinés à l'habitation est, dans les conditions fixées par l'article L.631-7-1, soumis à autorisation préalable.

Constituent des locaux destinés à l'habitation toutes catégories de logements et leurs annexes, y compris les logements-foyers, logements de gardien, chambres de service, logements de fonction, logements inclus dans un bail commercial, locaux meublés donnés en location dans les conditions de l'article L. 632-1 ou dans le cadre d'un bail mobilité conclu dans les conditions prévues au titre Ier ter de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986.

Pour l'application de la présente section, un local est réputé à usage d'habitation s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. Cette affectation peut être établie par tout mode de preuve. Les locaux construits ou faisant l'objet de travaux ayant pour conséquence d'en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 sont réputés avoir l'usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés.

Toutefois, lorsqu'une autorisation administrative subordonnée à une compensation a été accordée après le 1er janvier 1970 pour changer l'usage d'un local mentionné à l'alinéa précédent, le local autorisé à changer d'usage et le local ayant servi de compensation sont réputés avoir l'usage résultant de l'autorisation.

Sont nuls de plein droit tous accords ou conventions conclus en violation du présent article.

Le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile constitue un changement d'usage au sens du présent article ».

L'alinéa premier de l'article L.651-2 du même code prévoit que « Toute personne qui enfreint les dispositions de l'article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée à une amende civile dont le montant ne peut excéder 50 000 euros par local irrégulièrement transformé. »

Conformément aux dispositions de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à la Ville de [Localité 6], d’établir :

l’existence d’un local à usage d’habitation, un local étant réputé à usage d’habitation si la preuve est apportée par tout moyen qu'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970, sauf pour les locaux construits ou faisant l’objet de travaux ayant pour conséquence d’en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 qui sont réputés avoir l’usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés ;
un changement illicite, sans autorisation préalable, de cet usage, un tel changement étant notamment établi par le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile.
La Ville de [Localité 6] a adopté, par règlement municipal et en application de l’article L.631-7-1 du code de la construction et de l’habitation, le principe d’une obligation de compensation par transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage, obligation de compensation dont il n'est pas allégué qu'elle a été mise en œuvre.

Sur l'usage d’habitation du local

Afin de démontrer l’usage d’habitation du lot en cause, la Ville de [Localité 6] produit une déclaration H2, établie le 18 septembre 1970 par la propriétaire des lieux, Madame [D] [K], née [M], qui déclare occuper les lieux à titre d'habitation.

Le fait qu'il ne soit pas précisé dans l'appartement la présence d'une douche ou d'une baignoire, n'en fait pas pour autant un logement inhabitable compte tenu des critères applicables en 1970, l'appartement étant néanmoins muni d'une cuisine, de toilettes d'aisance et de l'eau courante. En outre, la rature de la mention Cour pour la remplacer par la mention B, face à la rubrique « Bâtiment » n'invalide pas les mentions figurant sur ce document, la mention Cour ayant été reportée dans la rubrique « Escalier ».

Il est en revanche constant que le fait d'avoir rempli une déclaration H2 le 18 septembre 1970 ne permet pas de démontrer que les lieux étaient à usage d'habitation au 1er janvier 1970, la déclaration ne confirmant l'usage de l'habitation qu'à la date à laquelle la déclaration est remplie.

Toutefois, la Ville de [Localité 6] a communiqué le calepin des propriétés bâties de l'immeuble permettant de constater que le bien a été occupé par les époux [K] à compter de l'année 1958 et qu'ils s'acquittaient d'une taxe d'habitation, calculée en 1963, après l'acquisition des lieux en 1957.

Le fait qu'il n'y ait aucune mention postérieure à l'année 1958 sur les calepins, s'agissant des occupants, et à l'année 1963, s'agissant de la taxe mobilière, permet d'établir qu'il n'y a eu aucun changement depuis ces deux dates. En effet, la colonne « année des changements » n'est pas remplie. Il doit en être déduit une continuité d'usage des lieux à titre d'occupation par la suite.

Le fait que les mentions relatives au montant de la taxe mobilière soient raturées pour l'année 1934 ne saurait avoir aucune incidence sur la validité des mentions suivantes.

Enfin, la Ville de [Localité 6] a versé aux débats les extraits de la liste électorale de l'année 1966 et de l'année 1970 qui révèlent que [D] [K] déclarait l'adresse du [Adresse 1] en 1966 et en 1970. Certes, l'article L.18 du code électoral applicable à cette époque précisait que sur la liste électorale devaient figurer les prénom, nom, domicile ou résidence de l'électeur, de sorte que l'adresse mentionnée en l'espèce sur les calepins pouvait être le domicile ou la résidence de la propriétaire des lieux.

Toutefois, les calepins, qui mentionnent une taxe mobilière depuis 1963 sans changement par la suite, ainsi que la déclaration d'usage des lieux à titre d'habitation dans la déclaration H2, et la mention de cette adresse sur les listes électorales constituent des éléments suffisamment concordants pour établir l'usage d'habitation des lieux au 1er janvier 1970.

Sur le changement illicite sans autorisation de l’usage

En l'espèce, il est constant comme résultant des écritures, du constat établi par l'agent assermenté de la Ville de [Localité 6] faisant état d'une annonce postée sur le site Airbnb concernant ce bien, et des observations orales des parties, concordantes sur ce point, que le bien immobilier a fait l'objet de locations meublées de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile alors qu'il ne constituait pas la résidence principale de la partie défenderesse.

Il en résulte que la partie défenderesse a changé sans autorisation préalable l’usage du lot litigieux, au sens de l'article L.631-7 alinéa 1er du code de la construction et de l'habitation.

Sur le montant de l’amende

La loi n°2014-366 du 24 mars 2014 entrée en vigueur le 27 mars 2014, a introduit l’obligation de changement d’usage dont le manquement est sanctionné par l’article L.651-2 du code de la construction et de l’habitation, qui, dans sa rédaction issue de la loi du 18 novembre 2016, applicable au 20 novembre 2016, a porté l’amende encourue de 25.000 à 50.000 euros.

L’amende civile doit être fixée en fonction de l’objectif d’intérêt général poursuivi par la législation dont elle vise à garantir le respect dans une ville comme [Localité 6] où il existe une grande disparité entre l’offre et la demande de logements à la location, des revenus procurés par les locations illicites, de la durée des locations, le cas échéant des diligences du propriétaire pour le retour à un usage d'habitation, de la bonne foi dont l’intéressé a fait preuve et de sa situation personnelle et financière.

En l’espèce, il ressort des pièces versées aux débats que le bien est enregistré sur le site Airbnb et a donné lieu à 155 commentaires, le premier datant du mois de septembre 2014 et le dernier du mois d'octobre 2021. Dès lors, la période de location en meublé de tourisme revêtant un caractère illicite s’établit sur une période de temps considérable. A ce sujet, il convient de préciser qu'à aucun moment de son constat, l'agent assermenté ne déclare qu'aucune location n'aurait eu lieu de 2014 à 2018, ce que dément d'ailleurs la date du premier commentaire.

Concernant les revenus tirés des locations reprochées, le constat et les pièces qui y sont annexées font apparaître que le montant de la nuitée était de 78 euros en moyenne et que le local a été loué, sur la plateforme Airbnb, 279 nuitées en 2019, 235 nuitées en 2020 et 218 nuitées en 2021. Toutefois, après transmission du relevé de réservation pour les années 2020 et 2021 par le défendeur à la Ville de [Localité 6], il apparaît que le total des nuitées pour ces deux années est plus élevé, puisque fixé à 593 nuitées.

La Ville de [Localité 6] fait valoir qu'une location classique aurait généré un revenu de 64.735,20€ sur la même période (74,92 mois x 864 [loyer moyen]), alors que le local a généré, sur la base d'une occupation de 22,5 nuits par mois depuis plus de six ans, des revenus de 129.870€. Elle rappelle que le montant de la compensation s'élève à la somme de 72.000€.

Il en résulte que le changement illicite d'usage du bien a généré un profit substantiel par rapport aux revenus issus d'une mise en location en bail d'habitation.

Le défendeur justifie avoir désactivé l'annonce dès le mois de novembre 2021, après réception de la lettre de mise en demeure de la Ville de [Localité 6]. Il n'est pas contestable qu'il a collaboré avec les services de la Ville de [Localité 6], transmettant l'intégralité des informations concernant les mises en location.

La situation financière alléguée de ce dernier n'apparaît néanmoins pas justifiée, seuls des éléments épars étant versés aux débats, ne permettant pas d'appréhender sa situation dans son ensemble. Il en est de même de son état de santé, puisque les éléments médicaux versés aux débats datent de 2014 et pour le plus récent, de 2018.

Dès lors, en considération de la durée importante de la mise en location, du nombre élevé de locations entre 2018 et 2021, nuancé par la bonne foi dont a fait preuve le défendeur par la suite et du retrait immédiat du bien du site de mise en location, l’amende civile sera fixée à 18.000 euros.

Sur la demande de retour à l’usage d’habitation du local litigieux 

Il résulte des dispositions de l'article 651-2 du code de la construction et de l'habitation que le président du tribunal ordonne le retour à l'usage d'habitation du local transformé sans autorisation, dans un délai qu'il fixe. A l'expiration de celui-ci, il prononce une astreinte d'un montant maximal de 1 000 euros par jour et par mètre carré utile du local irrégulièrement transformé. Le produit en est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé.

Il n'est pas démontré que le bien a été mis en location sur un autre site que le site airbnb. Le défendeur démontre que cette annonce a été désactivée au mois de novembre 2021. Dès lors, il est établi que le bien est retourné à un usage d'habitation et la Ville de [Localité 6] sera déboutée de ses demandes.

Sur les demandes accessoires

Dès lors qu’il est fait droit aux demandes de la Ville de [Localité 6], la partie défenderesse supportera la charge des dépens en vertu de l'article 696 du code de procédure civile.

Condamnée aux dépens, la partie défenderesse sera condamnée à verser à la Ville de [Localité 6] une indemnité que l'équité commande de fixer à 1200 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire rendu en premier ressort, par mise à disposition au greffe le jour du délibéré, après débats en audience publique,

Condamne Monsieur [H] [Y] à payer :
une amende civile de dix-huit mille euros (18.000 euros), dont le produit sera versé à la Ville de [Localité 6] ;à la Ville de [Localité 6], la somme de 1200 euros au titre des frais irrépétibles ;
Rejette le surplus des demandes ;

Condamne Monsieur [H] [Y] aux dépens ;

Rappelle que la présente décision bénéficie de l'exécution provisoire de plein droit.

Fait à Paris le 06 mars 2024

Le Greffier,Le Président,

Daouia BOUTLELISAnne-Charlotte MEIGNAN


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Service des référés
Numéro d'arrêt : 23/56108
Date de la décision : 06/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-06;23.56108 ?
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