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06/12/2023 | FRANCE | N°20/12635

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0196, 06 décembre 2023, 20/12635


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS




3ème chambre
3ème section




No RG 20/12635 -
No Portalis 352J-W-B7E-CTMKM


No MINUTE :




Assignation du :
30 novembre 2020




















JUGEMENT
rendu le 06 Décembre 2023
DEMANDERESSE


S.A.R.L. CINE-MAG BODARD
[Adresse 1]
[Localité 3]


représentée par Maître Henri LARMARAUD de la SARL PGEE, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #C1511




DÉFENDERESSES
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Société NETFLIX INC
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 4] (ETATS-UNIS D'AMERIQUE)


Société NETFLIX INTERNATIONAL BV
Karperstraat 8-10
1075 KZ AMSTERDAM (PAYS BAS)


Société HOUSE OF TOMORROW LIMITED
intervenante volontaire
Shepherds ...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 20/12635 -
No Portalis 352J-W-B7E-CTMKM

No MINUTE :

Assignation du :
30 novembre 2020

JUGEMENT
rendu le 06 Décembre 2023
DEMANDERESSE

S.A.R.L. CINE-MAG BODARD
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Maître Henri LARMARAUD de la SARL PGEE, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #C1511

DÉFENDERESSES

Société NETFLIX INC
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 4] (ETATS-UNIS D'AMERIQUE)

Société NETFLIX INTERNATIONAL BV
Karperstraat 8-10
1075 KZ AMSTERDAM (PAYS BAS)

Société HOUSE OF TOMORROW LIMITED
intervenante volontaire
Shepherds Building Central
[Adresse 5]
[Localité 6] (ROYAUME UNI)

représentées par Maître Clara STEINITZ de la SELARL TALIENS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #D0320

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjoint
Anne BOUTRON, vice-présidente
Linda BOUDOUR, juge

assistés de Lorine MILLE, greffière,

DEBATS

A l'audience du 21 septembre 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 06 décembre 2023.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

1. La société Ciné-Mag Bodard (ci-après dénommée «Ciné Mag ») est une société de production audiovisuelle qui se présente comme étant titulaire des droits d'auteur du film intitulé «L'Unique » sorti en salle le 26 février 1986, réalisé par [A] [B] et scénarisé notamment par [K] [S].

2. La plateforme Netflix est une plateforme de streaming exploitée par la société américaine Netflix Inc. (dénommée ci-après « Netflix Inc.») et qui propose à ses abonnés dans plus de 190 pays un catalogue de films et séries à voir à la demande. La distribution des séries Netflix est assurée pour la zone Europe et donc pour la France par la filiale néerlandaise, Netflix International BV (dénommée ci-après « Netflix BV »).

3. La société britannique House of Tomorrow Limited (ci-après dénommée «House of Tomorrow ») se présente comme étant spécialisée dans la production d'oeuvres télévisées de fiction et de comédie et avoir été mandatée par les sociétés Netflix pour la production de la cinquième saison de la série "Black Mirror".

4. La société Ciné-Mag expose avoir constaté que le troisième épisode de la cinquième saison de la série « Black Mirror », intitulé « Rachel, Jack et Ashley aussi » et diffusé depuis le 5 juin 2019 sur la plateforme Netflix, contient des éléments qu'elle estime identiques ou très similaires au film «L'Unique ».

5. Par courriers recommandés de son conseil des 2 décembre 2019 et 3 février 2020, la société Ciné-Mag a enjoint la société Netflix Inc. de cesser toute exploitation de l'épisode « Rachel, Jack et Ashley aussi », faisant valoir le caractère contrefaisant de l'épisode, et demandé communication de divers documents qu'elle affirmait nécessaire à la fixation du montant de son préjudice.

6. Par courrier officiel de son conseil du 19 juin 2020, la société Netflix a rejeté les demandes de la société Ciné Mag, contestant tout fait de contrefaçon.

7. C'est dans ces circonstances que la société Ciné-Mag a fait assigner le 29 juin 2020 les sociétés Netflix devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon du film "l'Unique", acte non placé à la demande des sociétés Netflix qui, par courrier officiel de leur conseil du 27 octobre 2020, ont de nouveau contesté tous faits de contrefaçon.

8. La société Ciné-Mag a de nouveau fait assigner devant le tribunal judiciaire de Paris les sociétés Netflix par actes du 30 novembre 2020 et la société House of Tomorrow est intervenue volontairement à l'instance par conclusions du 3 mars 2021.

9. L'instruction de l'affaire a été clôturée par une ordonnance du 10 novembre 2022 et l'affaire plaidée à l'audience du 21 septembre 2023.

Prétentions des parties

10. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 septembre 2022, la société Ciné-Mag demande au tribunal de :

Condamner les sociétés Netflix, Netflix BV et House of Tomorrow pour :
- actes de contrefaçon constitués par la reproduction du personnage principal et des personnages secondaires, d'une partie importante de l'intrigue, de la totalité de la trame et du dénouement du film « L'Unique » de 1986 dans l'épisode de la série « Black Mirror » intitulé « Rachel, Jack et Ashley aussi » tel que décrit ci-avant ;
- l'exploitation et la distribution de cet épisode contrefaisant en France et dans le monde entier ;
- Condamner les sociétés Netflix, Netflix BV et House of Tomorrow à réparer le préjudice subi par la société Ciné-Mag au titre de la contrefaçon de ses droits de propriété intellectuelle et d'exploitation pour un montant de 1.1 million d'euros pour la perte subie, et une indemnité forfaitaire de 60 000 euros a minima pour le gain manqué ;
- Condamner les sociétés Netflix, Netflix BV et House of Tomorrow, à réparer le préjudice subi par la société Ciné-Mag au titre de son préjudice moral, à hauteur de 70 000 euros ;
- Subsidiairement, au cas où il ne serait pas fait droit aux demandes ci-dessus, condamner les sociétés Netflix, Netflix BV et House of Tomorrow, à réparer le préjudice subi par la société Ciné-Mag au titre d'acte de parasitisme et/ou de concurrence déloyale, à hauteur de 1 500 000 euros ;
En tout état de cause,
- Condamner les sociétés Netflix, Netflix BV et House of Tomorrow aux publications de la décision qui sera rendue par le tribunal de céans si elle est favorable au demandeur au sein de cinq revues internationales spécialisées dont Variety, Screen international, Hollywood Reporter, en langue française ou anglaise selon la revue, sans que le coût de cette publication ne dépasse 12 000 euros par publication et sur la page d'accueil des sites internet de chaque intimé pendant 90 jours ;
- Ordonner aux sociétés Netflix, Netflix BV et House of Tomorrow d'intégrer, sous réserve des droits des auteurs, au sein des génériques de début et de fin de l'épisode litigieux de « Black irror », un carton de quatre secondes, précédant les mentions et qualité des producteurs et de
toute personne citée au générique et dans des caractères identiques :
« D'après le film « l'Unique » produit par Ciné-Mag, réalisé par [A] [B], sur des scénarios d' [W] [T], [A] [B], [M] [R] et [K]
[S] »
- Condamner les sociétés Netflix, Netflix BV et House of Tomorrow à verser à la société Ciné Mag au titre de l'article 700 du code de procédure civile, 70 000 euros pour le fond, et à 3000 euros supplémentaire chacune au titre de l'incident, ainsi que les entiers dépens dont les frais d'assignation, de traduction, de signification à venir de la décision du tribunal judiciaire
et de son exécution ;
- Ordonner l'exécution provisoire de droit.

11. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 septembre 2022, les sociétés Netflix et Netflix BV demandent au tribunal de :

- Donner acte, dans son jugement, du visionnage par le Tribunal du film « L'Unique » et de l'épisode « Rachel, Jack and Ashley Too » de la série « Black Mirror » ; ( ?)
- Juger que le film « L'Unique » est inaccessible, rendant toute contrefaçon de cette oeuvre impossible ;
A titre subsidiaire :
- Juger qu'il n'existe aucune similitude pertinente entre le film « L'Unique » et l'épisode « Rachel, Jack and Ashley Too » de la série « Black Mirror » ;
Par conséquent :
- Juger que l'épisode « Rachel, Jack and Ashley Too » de la série « Black Mirror » ne constitue pas une contrefaçon du film « L'Unique » ;
- Juger que la société Ciné-Mag n'a subi aucun préjudice qui résulterait de la contrefaçon du film L'Unique, d'acte de parasitisme ou d'acte de concurrence déloyale de la part des sociétés Netflix, Netflix BV et House of Tomorrow ;
A titre encore plus subsidiaire, si le tribunal entrait en voie de condamnation :
- Dire que le préjudice patrimonial de la société Ciné-Mag doit être porté à de plus justes proportions, dont la réparation ne saurait excéder 1 000 euros ;
- Rejeter les demandes de la société Ciné-Mag de réparation de son préjudice moral, de son préjudice au titre du parasitisme et de la concurrence déloyale, et de publication ;
En tout état de cause :
- Débouter la société Ciné-Mag de l'ensemble de ses demandes ;
- Condamner la société Ciné-Mag à payer aux sociétés Netflix, Netflix BV et House of Tomorrow, la somme de 65 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Ciné-Mag aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Clara Steinitz, avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la demande principale en contrefaçon de droit d'auteur

Moyen des parties

12. La société Ciné-Mag revendique un droit d'auteur sur le film « l'Unique » dont l'originalité se caractérise selon elle par la combinaison de choix opérés pour le scénario et le message qu'il véhicule, en particulier au regard du choix de remplacer un personnage réel célèbre par son hologramme digital, ainsi que pour les caractéristiques physiques et psychologiques des personnages principaux et secondaires. Elle soutient qu'en raison des nombreuses ressemblances avec le film "l'Unique" et la reprise de ses caractéristiques dont la combinaison est originale, l'épisode « Rachel, Jack and Ashley Too » de la série « Black Mirror » constitue une contrefaçon.

13. Elle conteste que les similtudes relevées puissent procéder d'une rencontre fortuite dès lors que:
- en leur qualité de professionnels, les auteur, réalisateur et producteur de l'épisode litigieux ont nécessairement une culture cinématographique qui s'étend à l'international;
- ils ont pu avoir connaissance du film par la filmographie du scénariste du film, [V] [U] [S], et de ses acteurs principaux, [H] [P] et [F] [Z], qui jouissent d'une notoriété internationale;
- le film est célèbre pour avoir été le premier film en France à utiliser des hologrammes et a été présenté en avant-première du 5ème forum international des nouvelles images dénommé "imagina" qui a eu lieu du 4 au 8 février 1986;
- le film est disponible sur FilmoTV qui peut être accessible depuis l'étranger par le biais d'un lien de déblocage;
- une bande annonce du film de 9 minutes et comprenant les éléments clés du film est diffusée sur Youtube depuis 2013;
- un entretien, présentant des éléments clés du film, avec le réalisateur [A] [B] et l'acteur [H] [P] est diffusé sur Youtube depuis 2014 ;
- le synopsys est accessible sur de nombreux sites internet et en anglais.

14. Les sociétés Netflix et House of Tomorrow, qui ne contestent pas le caractère original du film l'Unique, opposent la rencontre fortuite, au motif que:
- l'oeuvre était inacessible aux créateurs de l'épisode, aucun n'étant basé en France;
- le film n'est sorti qu'en France, le 26 février 1986;
- le film n'est pas disponible à la vente en format DVD, Blu-ray, vidéocassette ou tout autre support matériel, et notamment sur les sites de vente de biens culturels Amazon, La Fnac, Cultura, Cdiscount, ou encore sur la plateforme « Shopping » de Google;
- il n'est pas non plus disponible sur des plateformes de streaming ou de téléchargement, et notamment sur Netflix, MyCanal ou Prime Vidéo;
- seul un site de streaming français isolé, dénommé « Filmo TV » (https ://www.filmotv.fr/), propose le visionnage du film, service cependant exclusivement réservé aux personnes physiques résidant sur le territoire français.

15. Subsidiairement, elles soutiennent que ledit épisode ne reproduit pas la combinaison originale des caractéristiques revendiquées et que les similitudes invoquées sont soit inexistentes, soit banales et accessoires.

Réponse du tribunal

16. En application de l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial.

17. Aux termes de l'article L.112-1 du même code, ce droit appartient à l'auteur de toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.

18. L'article L.112-2 6o du code de la propriété intellectuelle dispose que sont considérées notamment comme oeuvres de l'esprit au sens du présent code, les oeuvres cinématographiques et autres oeuvres consistant dans des séquences animées d'images, sonorisées ou non, dénommées ensemble oeuvres audiovisuelles.

19. Il en résulte que la protection d'une oeuvre de l'esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable. Dans ce cadre, il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d' auteur dont l'existence est contestée de définir et d'expliciter les contours de l'originalité qu'il allègue. En effet, seul l'auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d'identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole.
20. Selon l'article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle, l' auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est attaché à sa personne.

21. De la même manière, selon l'article L.122-1 du même code, le droit d'exploitation appartenant à l' auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction.

22. L'article L.122-4 du même code prévoit quant à lui que toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.

23. La contrefaçon s'apprécie au regard des ressemblances et non par les différences (Cass. Civ. 1ère, 4 février 1992, no90-21.630 ; Cass. Civ. 1ère, 2 octobre 2013, no 12-25.941; Cass. Civ. 1ère, 30 septembre 2015, pourvoi no14-19.105).

24. La contrefaçon ne peut être écartée que lorsque celui qui la conteste démontre que les similitudes existant entre les deux oeuvres procèdent d'une rencontre fortuite ou de réminiscences issues d'une source d'inspiration commune (Cass. 1 civ., 16 mai 2006, no 05-11.780; Cass. Civ. 1ère, 5 octobre 2022, no20-23.629).

Présentation de l'oeuvre

25. En l'occurrence, l'oeuvre pour laquelle la protection par le droit d'auteur est revendiquée est une oeuvre cinématographique française intitulée « L'Unique », sortie en salle le 26 février 1986, d'une durée d'1h25, réalisée par [A] [B] et scénarisée notamment par [K] [S].

26. La société Ciné-Mag résume le scenario comme suit:

"Michel ([H] [P]), un pirate électronique qui vit de rapines dans les maisons de disques, découvre que son ancienne compagne, devenue une chanteuse célèbre de rock ([F] [Z]), est en train, au sens propre du mot, de se faire "doubler".
Le savant Colewsky ([L] [Y]) met au point un procédé de « clonage holographique », un hologramme, qui permet de reproduire l'image tridimensionnelle animée des êtres vivants. Ces travaux de recherche, menés dans le plus grand secret avec l'appui du producteur Vox ([D] [J]), manager de la chanteuse, et en l'absence du consentement de celle-ci débouchent sur la création du clone virtuel de la chanteuse. Le manager compte se passer de la chanteuse réelle, sujette à des caprices et moments de dépression, en lui substituant son clone parfait pour la remplacer lors des apparitions à la télévision comme à la scène. La chanteuse est enlevée alors qu'elle tente de fuir après avoir exprimé son refus de participer à ce clonage holographique, et endormie sous la contrainte. Mais Michel, et son fils, vont interrompre cet échantillonnage curieux en intervenant pour la libérer puis interrompre un concert où l'hologramme remplace la chanteuse, mettant en public fin, à l'expérience, ce qui est la fin du film."

27. L'originalité de l'oeuvre n'est pas contestée par les sociétés en défense et la société Ciné-Mag revendique comme originale la combinaison des caractéristiques suivantes:
- l'introduction de l'hologramme dans un film, ce qu'aucun film français n'avait encore fait;
- le choix d'une chanteuse dépressive pour incarner un personnage public destiné à être remplacé par un hologramme ;
- le but dans lequel l'hologramme est utilisé: reproduire l'image et la voix de la chanteuse pour la remplacer, contre son gré;
- le message délivré derrière le scénario: dénonciation de l'importance des risques de l'abus dans l'utilisation d'un hologramme dans la carrière d'une chanteuse et le remplacement de sa personne contre sa volonté;
- les caractères physiques et psychologiques des personnages principaux et secondaires (la chanteuse svelte et dépressive, son manager avide d'argent, l'ex-compagnon de la chanteuse et son enfant de 7/8 ans, doués en informatique);
- la trame du récit: une intrigue se déroulant dans le présent avec des dérives futuristes plausibles; le conflit entre la chanteuse et son manager; les moyens utilisés pour créer un hologramme de la chanteuse sans son consentement et retenue prisonnière par son manager; la création de l'hologramme pour se débarasser de l'artiste ; le piratage des ordinateurs; la présentation de l'hologramme sur scène; la démultiplication de l'hologramme; le fonctionnement de l'hologramme; le dénouement dans lequel la chanteuse est libérée.

Sur la rencontre fortuite

28. Il est constant que l'épisode litigieux a été réalisé par [O] [E], de nationalité norvégienne, d'après un scénario de [N] [I], de nationalité anglaise et produit par la société anglaise House of Tomorrow sur commande des sociétés belges et américaines Netflix.

29. Il ressort des pièces versées aux débats (pièce no8.1 de la demanderesse et pièces noF-8 et F-12de la défenderesse) et en particulier du procès-verbal de constat établi le 26 mars 2020 à la requête de la société House of Tomorrow que le film l'Unique est un film français qui n'est sorti en salle qu'en France, le 26 février 1986 - soit 33 ans avant la diffusion de l'épisode litigieux le 5 juin 2019, qu'il n'a jamais été distribué sur des supports CD ou DVD ou tout autre support matériel permettant sa diffusion hors de France et qu'il n'a été diffusé que sur une seule plateforme de streaming, la plateforme FilmoTV, l'ensemble de ces faits n'étant d'ailleurs pas contesté par la société Ciné-Mag.

30. Or la plateforme FilmoTV n'est pas licitement accessible depuis l'étranger, tel qu'il ressort du constat susvisé, la société Ciné-Mag ne pouvant sérieusement conclure à la possibilité pour les défenderesses de contourner cette interdiction par le recours à des liens de déblocage, ni invoquer à cette fin les propos du scénariste de l'épisode litigieux incitant les internautes à "pirater sur le net" pour accéder à des contenus non disponibles dans leur pays. En outre, le film apparaît comme non disponible sur cette plateforme, ce qui est d'ailleurs confirmé par la pièce Ciné Mag no50 présentant un commentaire posté il y a plusieurs années sur Youtube faisant état de l'indisponibilité du film.

31. Est ainsi établie par les défenderesses une diffusion territoriale, matérielle, linguistique et temporelle significativement restreinte du film à laquelle s'ajoute l'ancienneté de sa sortie, autants d'éléments dont il s'infère que les auteur, réalisateur et producteur de l'épisode litigieux, tous étrangers, n'ont pu raisonnablement avoir eu accès au film, de sorte que les griefs de contrefaçon élevés par la société Ciné-Mag contre les défenderesses ne sont pas fondés.

32. Les moyens opposés par la société Ciné Mag sont inopérants. En effet, d'une part, la notoriété du film à l'international ne se déduit pas, comme le laisse entendre à tort la société Ciné Mag, de la notoriété internationale de [V] [U] [S], l'un des scénaristes du film, ou de ses acteurs [H] [P] et [F] [Z], et de la mention du film dans leurs biographies respectives. Une telle notoriété internationale ne saurait pas plus résulter de la seule présentation du film en avant première au festival international Imagina alors que cette présentation a eu lieu en 1986 et que ce festival a disparu depuis 2011. Il ne peut donc être déduit de ces seuls faits une connaissance du film par les défenderesses.

33. Par ailleurs, les vidéos accessibles sur Youtube depuis 2014, présentant des séquences du film, ainsi que les pages internet présentant le synopsis du film, toutes en français, ne peuvent pallier l'absence d'accessibilité et de disponibilité du film à l'international et dans une verson traduite pour l'étranger, étant observé en outre que la société Ciné Mag n'établit pas que la combinaison des caractéristiques originales revendiquées pour bénéficier de la protection par le droit d'auteur se retrouverait dans ces vidéos et pages internet prises dans leur ensemble, se contantant d'affirmer que les éléments clés du film s'y retrouvent, alors de plus que la trame du film revendiquée comme originale ne peut être connue que par le visionnage du film dans son intégralité.

34. Il y a lieu en conséquence de rejeter la demande de la société Ciné Mag en contrefaçon de son droit d'auteur sur le film l'Unique.

Sur la demande subsidiaire en parasitisme et concurrence déloyale

Moyen des parties

35. La société Ciné Mag demande à titre subsidiaire la condamnation des défenderesses au paiement de 1 500 000 euros en réparation des préjudices subis des faits de parasitisme et de concurrence déloyale. Au titre du parasitisme, elle fait valoir que les défenderesses ont utilisé sans bourse déliée son travail en reprenant nombre d'éléments du film l'Unique dans l'épisode litigieux et profité du succès du film. S'agissant de la concurrence déloyale, invoquée à titre plus subsidiaire, elle fait valoir une concurrence déloyale par la création d'une oeuvre dérivée.

36. S'agissant de la demande fondée sur le parasitisme, les sociétés défenderesses opposent l'absence de faute, au motif pris de son absence de diffusion à l'étranger, affirmant en outre que l'épisode litigieux ne reprend aucun élément du film. S'agissant de la demande fondée sur la concurrence déloyale, les défenderesses concluent également au débouté au motif qu'elle est erronée en droit.

Réponse du tribunal

37. Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

38. Conformément à l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

39. La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce, ce qui implique qu'un signe ou un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l'absence de faute, laquelle peut être constituée par la création d'un risque de confusion sur l'origine du produit dans l'esprit de la clientèle, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.

40. L'appréciation de cette faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté de l'usage, l'originalité et la notoriété de la prestation copiée (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 10 juillet 2018, no16-23.694).

41. Le parasitisme, qui n'exige pas de risque de confusion, consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale économique et financière, 10 juillet 2018, no16-23.694).
42. En l'occurrence, la demande subsidiaire de société Ciné Mag fondée sur le parasitisme n'apparaît pas fondée dès lors qu'il n'est pas établi que les défenderesses ont eu accès au film et, partant, au travail invoqué. La notoriété alléguée du film n'est pas davantage établie, de sorte qu'il ne peut être considéré que les défenderesses ont cherché à profiter de ce travail et de cette prétendue notoriété.

43. La demande plus subsidiaire de la société Ciné Mag fondée sur la concurrence déloyale n'est pas plus fondée, aucune faute ne pouvant être reprochée aux défenderesses dès lors qu'il ressort de l'examen précédemment réalisé qu'il s'agit d'une rencontre fortuite. Par ailleurs, la demanderesse n'établit ni même n'invoque un risque de confusion, lequel est requis pour caractériser la concurrence déloyale alléguée.

44. Il convient dès lors de rejeter les demandes de la société Ciné Mag fondées à titre subsidiaire sur le parasitisme et à titre plus subsidiaire sur la concurrence déloyale.

Sur les dispositions finales

Sur les dépens et les frais irrépétibles

45. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie.

46. Selon l'article 699 du même code, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision. La partie contre laquelle le recouvrement est poursuivi peut toutefois déduire, par compensation légale, le montant de sa créance de dépens.

47. L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.

48. En l'occurrence, la société Ciné-Mag, partie perdante, sera condamnée aux dépens et l'équité commande de la condamner à payer aux sociétés Netflix et House of Tomorrow chacune la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur l'exécution provisoire

49. En application des articles 514 et 514-1 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement. Le juge peut écarter l'exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s'il estime qu'elle est incompatible avec la nature de l'affaire. Il statue, d'office ou à la demande d'une partie, par décision spécialement motivée.

50. En l'espèce, l'exécution provisoire, compatible avec la nature de l'affaire, n'a pas à être écartée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Rejette les demandes de la société Ciné Mag, fondées à titre principal sur la contrefaçon de droit d'auteur et à titre subsidiaire, sur des actes de parasitisme et plus subsidiairement de concurrence déloyale ;

Condamne la société Ciné Mag aux dépens, avec droit pour Maître Clara Steinitz, avocat au barreau de Paris, de recouvrer ceux dont elle a fait l'avance sans recevoir provision ;

Condamne la société Ciné Mag à payer 4 000 euros à chacune des sociétés Netflix Inc., Netflix International BV et House of Tomorrow Ltd en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 06 décembre 2023

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 20/12635
Date de la décision : 06/12/2023

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 05/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2023-12-06;20.12635 ?
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