La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/12/2023 | FRANCE | N°16/13597

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0196, 01 décembre 2023, 16/13597


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS




3ème chambre
2ème section




No RG 16/13597
No Portalis 352J-W-B7A-CIYIZ


No MINUTE :




Assignation du :
02 Septembre 2016


















JUGEMENT
rendu le 01 Décembre 2023
DEMANDERESSES


Société SARTORIUS STEDIM BIOTECH GmbH
[Adresse 4]
[Adresse 4] (ALLEMAGNE)


Société RESPIRONICS NOVAMETRIX LLC - intervenante volontaire
[Adresse 1],
[Adresse 1] (ETATS-UNIS D'AMÉRIQUE)

>représentées par Maître Bertrand WARUSFEL de la SELARL FELTESSE WARUSFEL PASQUIER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0028




DÉFENDERESSES


S.A.S.U. MILLIPORE
[Adresse 3]
[Adresse 3]


S.A.S.U. MERCK BIODEV...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 16/13597
No Portalis 352J-W-B7A-CIYIZ

No MINUTE :

Assignation du :
02 Septembre 2016

JUGEMENT
rendu le 01 Décembre 2023
DEMANDERESSES

Société SARTORIUS STEDIM BIOTECH GmbH
[Adresse 4]
[Adresse 4] (ALLEMAGNE)

Société RESPIRONICS NOVAMETRIX LLC - intervenante volontaire
[Adresse 1],
[Adresse 1] (ETATS-UNIS D'AMÉRIQUE)

représentées par Maître Bertrand WARUSFEL de la SELARL FELTESSE WARUSFEL PASQUIER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0028

DÉFENDERESSES

S.A.S.U. MILLIPORE
[Adresse 3]
[Adresse 3]

S.A.S.U. MERCK BIODEVELOPMENT
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représentées par Maître Catherine MATEU de l'AARPI ARMENGAUD - GUERLAIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #W0007

Copies délivrées le :
- Maître WARUSFEL #K28 (ccc)
- Maître MATEU #W7 (exécutoire) COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Anne BOUTRON, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assistés de Monsieur Quentin CURABET, Greffier

DEBATS

A l'audience du 11 Mai 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile.

Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 08 Septembre 2023 puis prorogé en dernier lieu le 01 Décembre 2023

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Synthèse de l'objet du litige

1. La société de droit allemand Sartorius stedim biotech (la société Sartorius) et la société de droit des États-Unis Respironics novametrix (la société Respironics, et toutes deux ensemble, les brevetées) reprochent aux sociétés Millipore et Merck biodevelopment (les sociétés Merck) d'avoir respectivement fabriqué, fait fabriquer et commercialisé, pour la première, et utilisé, pour la seconde, un système intitulé ‘Mobius sensor ready', en contrefaçon des revendications 1, 2, 5, 6, 8 et 9 de la partie française du brevet européen EP 2 024 487 dont elles sont cotitulaires, portant sur un « bioréacteur ».

2. Les sociétés Merck réclament reconventionnellement la nullité de ces revendications pour défaut de nouveauté et d'activité inventive, la nullité de la saisie-contrefaçon pratiquée en vue de prouver la contrefaçon alléguée, au titre de laquelle ils réclament des dommages et intérêts pour abus, et résistent à l'ensemble des demandes, soulevant notamment la prescription partielle et l'absence de mise en connaissance de cause à leur égard, et l'absence de reproduction des revendications par les produits litigieux.

Droits invoqués et procédure

3. Le brevet EP 2 024 487 (ci-après le brevet ou le brevet en cause), demandé le 24 avril 2007 sous priorité d'une demande allemande du 11 mai 2006, délivré le 31 aout 2011, est intitulé « Bioréacteur à usage unique muni d'un système de détection ».

4. Un « bioréacteur » est, en chimie, un appareil permettant de cultiver des micro-organismes pour un usage économique (dans l'industrie agroalimentaire ou pharmaceutique) ou environnemental. L'invention, ici, concerne plus précisément un dispositif permettant la prise d'une mesure dans un bioréacteur à usage unique, perfectionnée en ce que l'interaction entre le capteur et le milieu est réduite.

5. Le brevet a été annulé en ce qui concerne l'Allemagne par la Cour fédérale des brevets (9 juin 2020, no3 Ni 7/18), confirmée par la Cour fédérale de justice (29 novembre 2022, noX ZR 96/20). En France, il a fait l'objet d'une limitation auprès de l'INPI, acceptée le 17 novembre 2021.

6. La société Sartorius, seule, a assigné les sociétés Merck en contrefaçon du brevet le 2 septembre 2016, après une saisie-contrefaçon du 3 aout 2016. La notification de l'assignation au cotitulaire du brevet (la société Respironics) domicilié aux États-Unis n'ayant d'abord pas été jugée valable, l'instance a été suspendue jusqu'à ce qu'une nouvelle notification éclairée par divers autres éléments soit approuvée par une ordonnance du 15 janvier 2021.

7. C'est alors seulement que les défenderesses, demandant reconventionnellement la nullité du brevet, ont elles-mêmes assigné la société Respironics en intervention forcée le 24 mai 2021.

8. L'instruction a été close le 12 janvier 2023 et l'affaire plaidée le 11 mai suivant.

Prétentions des parties

9. Dans leurs dernières conclusions (10 janvier 2023) les sociétés Sartorius et Respironics résistent aux demandes reconventionnelles, et demandent :
- la cessation de la contrefaçon, l'interdiction à la société Millipore de fabriquer et commercialiser en France le système Sensor ready et les bioréacteurs Mobius, et l'interdiction à la société Merck biodevelopment d'utiliser ledit système, le tout sous astreintes ;
- la condamnation solidaire des sociétés Merck à leur payer 100 000 euros de dommages et intérêts provisionnels pour la contrefaçon ;
- une expertise pour déterminer leur préjudice, tout en se réservant de former une demande au titre du droit d'information ;
- la publication du jugement ;
- outre l'exécution provisoire, 60 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et les dépens, devant comprendre les frais de la saisie-contrefaçon et être recouvrés par leur avocat.

10. Dans leurs dernières conclusions (30 novembre 2022), les sociétés Merck demandent la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon (avec interdiction de communiquer dans toute autre procédure les pièces qui en sont issues), la nullité des revendications 1, 2, 3, 5, 6, 8 et 9 du brevet, résistent aux demandes, en soulèvent l'irrecevabilité, et réclament elles-mêmes de la part des brevetées, prises solidairement, 50 000 euros chacune pour abus à raison de la saisie-contrefaçon, 50 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et les dépens, à recouvrer par leur avocat.

MOTIVATION

I . Demande reconventionnelle en nullité du brevet

1 . Présentation du brevet

11. Il ressort de la description du brevet que la prise de mesures dans un bioréacteur jetable selon l'art antérieur, qui prévoit la présence d'un capteur à l'intérieur du bioréacteur, pose essentiellement deux problèmes : le capteur interne risque de ne pas résister à la stérilisation préalable du bioréacteur, le milieu (contenu dans le bioréacteur) risque d'interagir avec le capteur.

12. L'invention se propose de les résoudre grâce à un adaptateur de capteur intégré dans au moins une « conduite périphérique du bioréacteur servant à alimenter en milieu et/ou décharger celui-ci » et qui doit recevoir un « agencement capteur » (c'est-à-dire le capteur devant réaliser la mesure), lequel interagit avec le milieu (qui parcourt la conduite périphérique) via une « surface limite intérieure de l'adaptateur de capteur ».

13. Les deux « caractéristiques fondamentales » de l'invention selon la description sont ainsi, d'une part, la localisation de la mesure au niveau d'une conduite périphérique, ce qui limite l'interaction entre le capteur et le milieu à la « durée relativement courte d'écoulement du milieu dans la conduite », d'autre part l'usage d'une surface limite de l'adaptateur, surface limite qui est perméable pour la variable physique à mesurer, ce qui évite l'interaction directe entre le capteur et le milieu.

14. Le brevet donne ensuite quelques exemples de mesures et de capteurs adaptés, tels que la mesure du CO2 par la lumière infrarouge traversant la conduite (et donc le milieu), la surface limite étant alors transparente, la mesure de la température à travers une surface limite thermoconductrice, ou la mesure de la conductivité du milieu grâce à deux électrodes situées sur (ou consistant en) deux « sous-surfaces » limites isolées l'une de l'autre.

15. Le brevet tel que délivré contenait 10 revendications, la revendication 1, dont toutes les autres étaient dépendantes, étant ainsi rédigée :

« Bioréacteur à usage unique qui comprend un agencement capteur pouvant être monté de manière réversible à l'extérieur, pour mesurer une variable physique d'un milieu contenu, caractérisé en ce qu'un adaptateur de capteur (28) est intégré dans au moins une conduite périphérique (14, 16, 18) du bioréacteur servant à alimenter et/ou décharger le milieu, pour recevoir un agencement capteur électronique (34, 38 ; 42 ; 44a, 44b, 46, 48) en interaction, via une surface-limite (32a, 32b ; 40 ; 44b) de l'adaptateur de capteur, avec le milieu parcourant la conduite périphérique (14, 16, 18), et en ce que l'adaptateur de capteur (28) est monté dans la conduite périphérique (14, 16, 18) sous forme d'un insert qui prolonge la conduite périphérique (14, 16, 18) et par lequel le milieu contenu peut couler. »

16. La figure 1, reproduite ci-dessous, illustre une forme d'exécution de l'invention (avant la limitation du brevet). Les figures 3 et 4 (ci-après) illustrent deux exemples de capteur et d'adaptateur de capteur (mesure optique pour la figure 3 et mesure de température pour la figure 4).

17. La limitation acceptée par l'INPI a ajouté deux caractéristiques à la revendication 1, la première précisant que le milieu est liquide, la seconde précisant comment l'agencement capteur est reçu dans l'adaptateur de capteur. En conséquence, la revendication 2 qui portait sur un conduit d'échappement de gaz a été supprimée. Hormis la prise en compte de la nouvelle numérotation qui en résulte, les autres revendications sont inchangées.

18. La revendication 1 limitée est ainsi rédigée (les ajouts sont soulignés) :

« Bioréacteur à usage unique qui comprend un agencement capteur pouvant être monté de manière réversible à l'extérieur, pour mesurer une variable physique d'un milieu liquide contenu, caractérisé en ce qu'un adaptateur de capteur (28) est intégré dans au moins une conduite périphérique (14, 16, 18) du bioréacteur servant à alimenter et/ou décharger le milieu liquide, pour recevoir un agencement capteur électronique (34, 38 ; 42 ; 44a, 44b, 46, 48) en interaction, via une surface-limite (32a, 32b ; 40 ; 44b) de l'adaptateur de capteur, avec le milieu liquide parcourant la conduite périphérique (14, 16, 18), et en ce que l'adaptateur de capteur (28) est monté dans la conduite périphérique (14, 16, 18) sous forme d'un insert qui prolonge la conduite périphérique (14, 16, 18) et par lequel le milieu liquide contenu peut couler, et que l'adaptateur de capteur (28) comprend des moyens d'ajustement pour fixer l'agencement capteur électronique (34, 38, 42 ; 44a, 44b, 46, 48) par insertion dans l'adaptateur de capteur. »

19. La revendication 2 du brevet limité, dépendante, précise que l'agencement capteur est configuré pour interagir directement avec le milieu à travers la surface-limite intérieure (32a, 32b ; 40 ; 44b).

20. Les revendications 3 à 7, dépendantes, portent sur les types de capteurs des exemples précités et les revendications 8 et 9, dépendantes, précisent que l'adaptateur de capteur est constitué d'un matériau résistant à des méthodes de stérilisations, à savoir le rayonnement gamma (revendication 8) ou l'oxyde d'éthylène (revendication 9).

2 . Nouveauté et activité inventive

Documents de l'art antérieur cités

21. Les parties citent, entre autres, les deux documents suivants pour établir l'état de la technique à la date de priorité du brevet, qui seront identifiés dans la présente décision comme l'ont fait les parties par le nom souligné ci-dessous :

- Spaulding, Apparatus and methods for culturing mammalian cells [appareil et procédés de culture de cellules de mammifères], demande internationale de brevet WO 97/31128, publiée le 28 aout 1997 (pièce Merck no10) ;

- Hodge, Disposable bioreactor systems and methods [systèmes de bioréacteurs jetables et procédés associés] demande internationale de brevet WO 2005/118771 A2, publiée le 15 décembre 2005 (pièce Merck no11) ;

Moyens des parties

22. Les sociétés Merck exposent, à propos de la limitation de la revendication 1, que le brevet ne décrit aucun effet technique relatif à état liquide du milieu, qui n'a pas de rapport avec l'effet technique recherché, à savoir minimiser l'interaction entre le capteur et le milieu ; au contraire, ajoutent-elles, le brevet expose seulement des avantages associés à une mesure de gaz. En second lieu, elles analysent la caractéristique ajoutée tenant à l'insertion du capteur dans l'adaptateur comme excluant une fixation par clipsage.

23. Elles ajoutent que puisque la conduite périphérique doit servir à alimenter et/ou décharger le milieu, ce qui, interprété à la lumière de la description (§6), implique un écoulement du milieu pendant une « durée relativement courte », la revendication n'inclut pas un écoulement continu du milieu dans la boucle ; le fait que seule une petite fraction n'y coule à un moment donné est selon elles indifférent.

24. Dans ce cadre, elles soutiennent à titre principal que la revendication 1 n'est pas nouvelle à l'égard du document Spalding, dont elles estiment notamment qu'en décrivant une portion de tuyau (transparente) placée dans l'encoche d'un capteur externe, il divulgue un adaptateur de capteur sous la forme d'un insert prolongeant la conduite et dans lequel l'agencement capteur se fixe par insertion. Elles soutiennent à titre subsidiaire que la revendication n'est pas inventive vis-à-vis de ce document car les éventuelles caractéristiques non divulguées par lui ne seraient que des modalités pratiques mineures évidentes qu'il suggère.

25. Elles contestent également l'activité inventive à l'égard du document Hodge, dont elles estiment notamment qu'en décrivant des capteurs de pression pouvant être ajustés à un T créé sur la ligne d'entrée ou de sortie du bioréacteur, il divulgue un agencement capteur fixé à un adaptateur (le T) lequel a la forme d'un insert prolongeant la conduite, de sorte que la seule nouveauté de la revendication 1 est la nature liquide du milieu, qui n'a selon elles aucun effet pour la résolution du problème technique, de sorte que cette modification ne pourrait impliquer aucune activité inventive. Selon elles, la personne du métier, au regard de la façon classique d'utiliser un T, comprend que la branche verticale de celui-ci sert à raccorder le capteur, dont une partie est insérée dans cette branche pour aller jusqu'à la jonction avec la branche horizontale.

26. Elles contestent alternativement l'activité inventive au regard d'autres documents de l'art antérieur, selon différentes combinaisons entre eux.

**

27. Les brevetées soutiennent d'abord que la « conduite périphérique » selon la revendication 1 peut servir en même temps à alimenter et décharger le liquide comme l'indique la formule « et/ou », et que ce qui est important est qu'elle est installée en périphérie du bioréacteur, ce qui minimise bien selon elles l'interaction avec le milieu en la limitant à une petite fraction de son ensemble. Sur la limitation, elles expliquent que la mesure effectuée dans un milieu liquide implique qu'elle soit faite directement sur le bio-milieu (et non sur ses émanations gazeuses) ce qui rend plus important la limitation de l'interaction, objet de l'invention, de sorte que cette limitation est techniquement cohérente ; que « l'insertion » de l'agencement capteur dans l'adaptateur n'est pas suffisante pour le fixer, de sorte que l'enseignement du brevet ne se limite pas à la seule caractéristique de l'insertion.

28. Sur le document Spaulding, elles exposent que celui-ci est limité à la culture de cellules de mammifères, concerne seulement des récipients et non un bioréacteur à usage unique (qui implique l'addition de gaz, une agitation, un éclairage et un contrôle continu), ne divulgue pas un adaptateur de capteur intégré dans le tube (notamment pas sous la forme d'un insert prolongeant la conduite), tube qui n'est pas davantage configuré pour recevoir un agencement capteur électronique et en particulier pas par insertion de l'agencement capteur dans l'adaptateur. Ainsi, selon elles, dans ce document, ce n'est pas le capteur qui est fixé sur la conduite acheminant le milieu mais la conduite qui est insérée dans le capteur. Elles ajoutent que le capteur de pH décrit dans le document Spaulding implique la présence dans le milieu de Phenol red qui pollue donc celui-ci, indépendamment de sa non-toxicité, ce qui empêche selon elles d'atteindre l'effet technique recherché par l'invention (à savoir minimiser toute interaction avec le bio-milieu liquide).

29. Elles soulignent que le document Hodge concerne une mesure dans une conduite d'air, qui n'interagit pas avec le bio-milieu lui-même, donc qui ne peut pas « être pertinente au regard de la revendication 1 » selon elles, outre qu'il ne s'agit pas d'un milieu liquide, que ce document ne divulguerait pas un adaptateur de capteur intégré au sein d'une conduite périphérique, ni un moyen de fixation par insertion car le document ne précise aucun moyen de fixation du capteur au T.

30. Elles contestent également la pertinence des autres documents invoqués.

Appréciation du tribunal

31. En application de l'article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle, la nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l'un quelconque des motifs visés à l'article 138, paragraphe 1, de la Convention de Munich (la Convention sur le brevet européen, ci-après la Convention), lequel est ainsi rédigé :

« (1) Sous réserve de l'article 139, le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un État contractant, que si :

a) l'objet du brevet européen n'est pas brevetable en vertu des articles 52 à 57 ;

(...). »

a. Revendication 1

32. Pour mémoire, la revendication 1 est ainsi rédigée (les passages à la ligne et la numérotation sont le fait du tribunal afin de distinguer les ensembles pertinents de caractéristiques) :

a- Bioréacteur à usage unique
b- qui comprend un agencement capteur pouvant être monté de manière réversible à l'extérieur,
c- pour mesurer une variable physique
d- d'un milieu liquide contenu,
e- caractérisé en ce qu'un adaptateur de capteur (28) est intégré
e1- dans au moins une conduite périphérique (14, 16, 18) du bioréacteur
e12- servant à alimenter et/ou décharger
e13- le milieu liquide,
e2- pour recevoir un agencement capteur électronique (34, 38 ; 42 ; 44a, 44b, 46, 48) en interaction,
e21- via une surface-limite (32a, 32b ; 40 ; 44b) de l'adaptateur de capteur,
e23- avec le milieu liquide parcourant la conduite périphérique (14, 16, 18),
f- et en ce que l'adaptateur de capteur (28)
f1- est monté dans la conduite périphérique (14, 16, 18) sous forme d'un insert qui prolonge la conduite périphérique (14, 16, 18)
f2- et par lequel le milieu liquide contenu peut couler,
g- et que l'adaptateur de capteur (28) comprend des moyens d'ajustement pour fixer l'agencement capteur électronique (34, 38, 42 ; 44a, 44b, 46, 48) par insertion dans l'adaptateur de capteur. »

Nouveauté

33. L'article 52 de la Convention de Munich limite la brevetabilité aux inventions nouvelles et inventives. En vertu de l'article 54, une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique, lequel est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen.

34. Il résulte de ce texte, tel que l'interprètent les juridictions françaises, que pour être comprise dans l'état de la technique et être privée de nouveauté, l'invention doit s'y retrouver tout entière, dans une seule antériorité au caractère certain avec les éléments qui la constituent dans la même forme, le même agencement, le même fonctionnement et le même résultat technique (Cass. Com., 17 mai 2023, no19-25.509).

35. Le document Spaulding concerne un « nouvel appareil et procédé associé, pour surveiller et alimenter des cultures de cellules, en particulier de mammifères ou d'autres cultures de cellules extrêmement sensibles. » Il ne se limite donc pas aux seuls mammifères et en toute hypothèse il s'agit d'un type particulier de micro-organismes pouvant être cultivés dans un bioréacteur tel que revendiqué par le brevet.

36. Il divulgue, en substance, un dispositif dans lequel le milieu de culture d'un récipient (12) est partiellement déchargé et remplacé selon les besoins, grâce à un contrôle du pH de ce milieu effectué par un capteur (20) en communication opérationnelle avec une portion (18) de la conduite (14) d'alimentation et de décharge se trouvant en-dehors du récipient (12), portion dans laquelle est pompée une partie du milieu pour les besoins de la mesure (mode de réalisation décrit p. 6 lignes 11 et s. et illustré par la figure 1 reproduite ci-dessous).

37. Les récipients visés par ce document sont non seulement des « t-flask » (des récipients plats destinés à la culture cellulaire) mais également différentes sortes de bioréacteurs, sans toutefois préciser qu'ils sont à usage unique (p. 4, lignes 18-21). Il n'est certes pas contesté que les t-flask sont à usage unique, mais ce document distingue les t-flask (ainsi que les boites de Petri et récipients du même genre) des bioréacteurs. Il ne peut donc pas en être déduit que les premiers font partie des seconds, ni, par suite, que ce document divulgue directement et sans ambigüité des bioréacteurs à usage unique.

38. En outre, l'adaptation du capteur à la conduite n'est décrite que via une encoche dans le capteur, ce qui ne divulgue pas l'adaptateur de capteur visé à la revendication 1 ni une fixation par insertion dans l'adaptateur.

39. La revendication 1, contre laquelle aucun autre document de l'art antérieur n'est invoqué au titre de la nouveauté, est donc nouvelle.

Activité inventive

40. En application de l'article 56 de la Convention de Munich, une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique.

41. Les éléments de l'art antérieur ne sont destructeurs d'activité inventive que si, pris isolément ou associés entre eux selon une combinaison raisonnablement accessible à la personne du métier, ils permettaient à l'évidence à cette dernière d'apporter au problème résolu par l'invention, la même solution que celle-ci.

42. Les compétences de la personne du métier ne sont pas contestées. Elle connait a minima les bioréacteurs, leur but et leur fonctionnement.

43. Le document Hodge porte sur un bioréacteur jetable (donc à usage unique) et il est constant qu'il était accessible à la personne du métier. Il enseigne, entre autres, que la surveillance des paramètres importants du processus (tels que la température ou le CO2 dissous) par des capteurs se fait préférentiellement de façon à ne pas compromettre la barrière stérile établie par le bioréacteur, donnant l'exemple de la surveillance de l'intensité du flux de gaz par un capteur situé en amont d'un filtre d'entrée d'air (p. 7, lignes 15-20). Il précise notamment que la pression peut être surveillée par des capteurs en créant un « T » sur la ligne d'arrivée et/ou de sortie d'air, avec une membrane qui peut couvrir la surface du T pour maintenir la barrière stérile tout en étant fabriquée de façon à ne pas affecter la mesure de pression. Un transducteur de pression standard peut alors être ajusté au T pour mesurer et contrôler la pression à l'intérieur de la barrière stérile (p. 7 ligne 27 à p. 8 ligne 3).

44. Ces caractéristiques ne sont pas illustrées dans le document Hodge mais les brevetées en ont proposé un schéma dont la partie non contestée est reproduite ci-dessous.

45. Dans le mode de réalisation ainsi divulgué, le bioréacteur à usage unique comprend un agencement capteur électronique servant à mesurer une variable physique (le transducteur de pression). Pouvant être ajusté à l'élément en T, il est ainsi réversible et monté à l'extérieur. L'élément en T sert de ce fait d'adaptateur de capteur. Cet élément étant « créé sur la ligne d'arrivée et/ou de sortie d'air », il est bien intégré dans une conduite périphérique du bioréacteur, sous la forme d'un insert qui prolonge cette conduite. La membrane couvrant la surface du T est une surface-limite de l'adaptateur par laquelle l'agencement capteur interagit avec ce que contient la conduite.

46. La façon d'ajuster le capteur à l'adaptateur n'est pas précisée mais il est évident que dans un adaptateur en T, dont la branche horizontale est nécessairement la partie prolongeant la conduite, la branche verticale a pour fonction de permettre l'ajustement du capteur (les brevetées ne lui allèguent au demeurant aucune autre raison d'être) et un tel ajustement peut avantageusement se faire par insertion de l'agencement capteur dans cette branche, une telle insertion pouvant évidemment permettre une fixation.

47. Les brevetées estiment certes une telle insertion impossible selon le mode de réalisation divulgué par le document Hodge à cause de la membrane dont celui-ci explique qu'elle couvre « la surface du T », c'est-à-dire, selon elles, l'extrémité externe de la branche verticale du T (en haut, sur leur schéma). Toutefois, comme le soulèvent les sociétés Merck, une telle localisation n'aurait aucun sens pour la personne du métier cherchant à suivre l'enseignement de ce document. En effet la forme en T n'aurait aucun intérêt technique si la surface-limite se trouvait à l'extrémité de la branche verticale, qui ne constituerait ainsi qu'une bosse ou cavité inutile le long de la conduite. Il est ainsi évident pour la personne du métier, malgré l'apparente incohérence des termes employés dans le document Hodge, que celui-ci suggère de placer la membrane (surface-limite) à l'intersection des deux branches du T, c'est-à-dire dans la continuité de la paroi de la conduite que le T prolonge, ce qui permet l'insertion du capteur dans l'adaptateur, dont la forme est ainsi un moyen d'ajustement permettant la fixation par insertion, au sens de la revendication 1.

48. Dès lors, les seules caractéristiques de cette revendication qui ne sont pas manifestement divulguées par le document Hodge sont l'état liquide du milieu, le fait que la conduite périphérique sert à alimenter et/ou décharger ce milieu liquide, lequel peut couler à travers elle, et le fait que c'est avec ce milieu liquide que l'agencement capteur électronique interagit. Le document Hodge divulguant ces caractéristiques pour un milieu gazeux, la question est en définitive de savoir si, au regard du document Hodge, il était évident pour la personne du métier de les appliquer à un milieu liquide.

49. Le terme « milieu » n'est pas défini par le brevet ni, au demeurant, par les parties. Le brevet comme les parties l'emploient simplement pour désigner ce qui est contenu dans le bioréacteur et dont une variable doit être mesurée par le capteur objet de l'invention. Le « milieu » est donc ce que l'on veut mesurer. Ainsi, l'état de ce milieu (gazeux ou liquide) est un élément du problème technique (on veut mesurer un milieu liquide en minimisant l'interaction du capteur avec le milieu) et non un élément de la solution. C'est également ce qu'implique l'argumentation des brevetées (leurs conclusions p. 24), lorsqu'elles expliquent que la mesure qui s'effectue sur le milieu liquide est plus critique, c'est-à-dire plus risquée, car elle interagit directement avec le « bio-milieu » (c'est-à-dire les micro-organismes cultivés), lequel est liquide, contrairement à une mesure effectuée seulement sur les gaz émis par ce « bio-milieu », de sorte que l'invention trouve toute son utilité dans le cadre d'une mesure effectuée sur le milieu liquide. Cet état liquide du milieu ne contribue donc pas à l'activité inventive mais est une donnée du problème technique résolu par l'invention.

50. Devant la méthode de mesure réalisée sur une conduite d'air périphérique divulguée par le document Hodge qui expose explicitement l'objectif de maintenir la stérilité du bioréacteur, la personne du métier aurait vu l'intérêt évident de cette mesure périphérique pour minimiser en général l'interaction entre le capteur et le milieu, et aurait pensé à utiliser cette solution pour mesurer le milieu liquide en utilisant les conduites d'arrivée et/ou d'évacuation de celui-ci. À supposer que le document Hodge n'eût pas été une incitation suffisante pour cette transposition, le document Spaulding, qui divulgue explicitement une mesure effectuée sur la conduite d'alimentation et d'évacuation en milieu, lequel est par hypothèse liquide selon les brevetées elles-mêmes (leurs conclusions p. 24, 2e §, p. 25, 1er §), aurait apporté le complément suffisant pour rendre évidentes les caractéristiques divulguées par le document Hodge, y compris pour un milieu liquide.

51. Il en résulte que la revendication 1 était, dans tous ses éléments, évidente pour la personne du métier à la date de priorité.

b. Revendication 2

52. La revendication 2 du brevet limité est ainsi libellée :

« Bioréacteur à usage unique selon la revendication 1, caractérisé en ce que l'agencement capteur (34, 38 ; 41 ; 44a, 46, 48) est configuré pour interagir directement avec le milieu à travers la surface-limite intérieure (32a, 32b ; 40 ; 44b). »

53. Comme le relèvent les sociétés Merck, il ressort de la description du brevet que « l'interaction directe avec le milieu à travers la surface limite intérieure » est illustrée par une mesure par émission d'une lumière infrarouge à travers la surface limite (paragraphe [0008]), qui est opposée à « l'interaction indirecte entre l'agencement capteur et le milieu avec participation de la surface limite », illustrée par un capteur qui mesure la température de la surface limite (et non directement celle du milieu) ou par un capteur de courant ou de tension entre des électrodes en contact avec la surface limite (divisée en deux sous-surfaces) (paragraphes [0009]-[0010]).

54. Les sociétés Merck en déduisent sans être contredites que la mesure de pression divulguée par le document Hodge serait directe car elle s'effectue « simplement à travers la membrane ».

55. En toute hypothèse, et à supposer qu'une mesure optique infrarouge telle que décrite dans le brevet ne fasse pas partie des connaissances générales de la personne du métier à la date de priorité, le document Spaulding divulgue une mesure (de pH) à travers un capteur optique qui opère donc directement à travers la surface de la conduite. La critique soulevée par les brevetées selon laquelle cette mesure optique de pH, qui requiert la présence dans le milieu d'une teinture adaptée (du Phenol Red), serait une « pollution » du milieu et irait ainsi à l'encontre du problème technique pris en compte par le brevet qui est de minimiser l'interaction entre le capteur et le milieu, n'est pas fondée : le brevet ne revendique pas une mesure absolument dépourvue de toute « pollution », mais seulement de « minimiser l'interaction ». Il n'exclut donc pas la mesure de pH décrite par le document Spaulding et il est ainsi évident pour la personne du métier de la mettre en oeuvre en utilisant les caractéristiques évidentes de la revendication 1.

56. La revendication 2 est donc dépourvue d'activité inventive.

c. Revendications 5, 6, 8 et 9

57. La revendication 5, dépendante, porte spécialement sur la présence d'un capteur mesurant la température de la surface-limite.

58. Les sociétés Merck allèguent sans être contredites que la mesure de la température dans un bioréacteur est banale (et elle est décrite par exemple dans le document Hodge). Elles s'appuient sur un autre document que ceux déjà cités qui divulgue selon elles la mesure de température par l'intermédiaire d'une surface-limite. Néanmoins, indépendamment de ce document, il est évident qu'une température peut utilement être mesurée par l'intermédiaire d'une surface limite lorsque l'on veut éviter l'interaction entre deux milieux : c'est le fonctionnement traditionnel des thermomètres domestiques à liquide, notoirement connu de la population générale, dont fait partie la personne du métier.

59. La revendication 6 précise que la surface-limite est constituée d'un matériau thermiquement conducteur et étanche par rapport au milieu. Il s'agit de deux conditions évidentes pour permettre respectivement la mesure de la température et l'existence même d'un milieu de culture liquide stable.

60. Les revendications 8 et 9 ajoutent que l'adaptateur de capteur est constitué d'un matériau résistant respectivement au rayonnement gamma ou à l'oxyde d'éthylène. Le brevet décrit lui-même comme habituelle la stérilisation par rayonnement gamma ou par agents chimiques très agressifs tels que l'oxyde d'éthylène (paragraphe[0002]). Les brevetées ne le contestent pas. Ces revendications sont donc, elles aussi, dépourvues d'activité inventive.

61. Enfin, si les sociétés Merck demandent la nullité de la revendication 3, elles ne soulèvent aucun moyen à son égard. La demande visant cette revendication est donc rejetée.

62. Par conséquent, les revendications 1, 2, 5, 6, 8 et 9 du brevet, dépourvues d'activité inventive, sont annulées.

63. Par suite, les demandes fondées sur la contrefaçon de ces revendications sont rejetées.

II . Demandes reconventionnelles en nullité de la saisie-contrefaçon et dommages et intérêts pour procédure abusive et détournement de saisie-contrefaçon

Moyens des parties

64. Les sociétés Merck estiment la saisie-contrefaçon nulle au motif, d'abord, que son déroulement a porté atteinte aux droits de la défense en ce que les actes délivrés par l'huissier comportent des erreurs sur l'identification de la personne saisie et la transcription des opérations réalisées (écrits contredits par des photographies, omission de certaines diligences telles que l'introduction dans des salles stériles et l'apposition de scellés) ; au motif, ensuite, que l'huissier a dépassé les termes de sa mission en saisissant des articles en nature et en faisant procéder à la découpe des objets appréhendés ; au motif, enfin, d'une violation du secret des affaires et d'un « dévoiement des voies de droit » du fait de l'incertitude sur le sort des pièces saisies car « aucun article communiqué ne comporte le moindre sceau d'Huissier ou la moindre mention rattachant ces pièces aux opérations de saisie-contrefaçon. » S'agissant en particulier du secret des affaires, elles critiquent l'appréhension et la remise à la saisissante de notices, instructions et manuels non nécessaires à la démonstration de la contrefaçon, réalisant ainsi selon elles une « enquête sur toute l'activité de l'entreprise » dépassant sa mission.

65. Elles demandent qu'en conséquence de la nullité il soit interdit de communiquer les pièces obtenues dans toute procédure en France ou à l'étranger.

66. Sur leur demande indemnitaire, elles soutiennent que la conservation par la société Sartorius, pendant plus de quatre ans, malgré l'annulation de la partie allemande du brevet, « des articles et pièces comptables » appréhendés, alors qu'elle savait selon elles que ces articles n'étaient pas argüés de contrefaçon, lui a permis de bénéficier indument d'informations stratégiques. Elles ajoutent que la mise en oeuvre d'une saisie-contrefaçon malgré leur secret des affaires, en présence des forces de l'ordre et d'un expert étranger, a porté atteinte à leur réputation. Elles en déduisent qu'il « conviendra donc de réparer entièrement le préjudice subi » par elles.

67. Les sociétés Sartorius et Respironics contestent les irrégularités invoquées contre la saisie-contrefaçon. En particulier, sur l'atteinte au secret des affaires, elles font valoir que les sociétés Merck n'exposent pas en quoi les pièces saisies relèveraient d'un tel secret ni qu'elles seraient inutiles à la démonstration de la contrefaçon alléguée, n'ont pas donné suite à la proposition faite par l'huissier lors de la saisie pour que leur avocat le contacte pour s'assurer avant leur éventuelle production en justice que les documents étaient bien en relation avec la contrefaçon alléguée, et n'ont pas demandé la protection de leur éventuel secret des affaires.

68. Elles ne répondent pas spécifiquement à la demande en dommages et intérêts fondée sur la violation du secret des affaires et la procédure abusive.

Appréciation du tribunal

1 . Nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon

69. La procédure de saisie-contrefaçon étant dérogatoire au droit commun, l'annulation du titre sur lequel elle était fondée entraîne l'annulation du procès-verbal de saisie, ne laisse rien subsister de celui-ci et emporte, en conséquence, l'impossibilité absolue de se prévaloir du contenu du procès-verbal et des produits saisis, ainsi que l'anéantissement de toute mesure qui en est la suite (Cass. Com., 28 septembre 2022, no20-16.874, point 21).

70. Les brevetées ont limité leur action en contrefaçon aux revendications 1, 2, 5, 6, 8 et 9 du brevet. Elles ont donc entendu laisser hors de l'objet du litige les autres revendications, que les défenderesses, par suite, n'ont pas contestées. Dans ce cadre, la saisie-contrefaçon n'est elle aussi fondée que sur les revendications 1, 2, 5, 6, 8 et 9, qui sont nulles, et non sur les revendications que les parties ont volontairement laissées hors de l'objet du litige.

71. Dès lors, fondé exclusivement sur un titre nul, le procès-verbal de saisie-contrefaçon est nul et il doit en tant que de besoin être interdit aux sociétés Sartorius et Respironics de communiquer les documents et éléments obtenus, conformément à la demande. Naturellement, cette nullité implique plus généralement l'obligation pour les sociétés Sartorius et Respironics de détruire tous les éléments obtenus grâce à la saisie-contrefaçon et de s'abstenir pour toujours de s'en servir de quelque façon que ce soit.

2 . Dommages et intérêts pour abus et détournement de saisie-contrefaçon

72. En application de l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

73. Le droit d'agir en justice dégénère en abus lorsqu'il est exercé en connaissance de l'absence totale de mérite de l'action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l'autre partie à se défendre contre une action ou un moyen que rien ne justifie sinon la volonté d'obtenir ce que l'on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté.

74. Comme le soulignent les sociétés Sartorius et Respironics dans leurs développements sur la validité de la saisie-contrefaçon, les sociétés Merck n'exposent pas en quoi les documents qu'elles reprochent aux premières d'avoir obtenus par la saisie-contrefaçon relèvent du secret des affaires, ni en quoi leur conservation serait fautive alors qu'elles-mêmes ne contestent pas n'avoir rien tenté pour assurer la protection de ce secret. Aucune faute de la part des sociétés Sartorius et Respironics n'est donc établie à cet égard.

75. Quant au principe de la mise en oeuvre d'une saisie-contrefaçon, il était justifié par un brevet alors délivré, que les brevetées pouvaient légitimement croire valide, et il n'est pas contesté que des éléments pouvaient rendre vraisemblable à leurs yeux la mise en oeuvre de ce brevet par un ou des produits des sociétés Merck. Enfin, la présence des forces de l'ordre et d'un expert étranger lors de la mise en oeuvre de cette saisie-contrefaçon était autorisée par l'ordonnance, ce qui est usuel. Aucun abus n'est donc caractérisé.

76. Par conséquent, la demande est rejetée.

III . Dispositions finales

77. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie.

78. Hormis sur la demande reconventionnelle pour abus, les demanderesses au principal perdent le procès. Elles sont donc tenues in solidum aux dépens ainsi qu'à indemniser les parties gagnantes des frais exposés pour le procès, qui peuvent être estimés, en l'absence de justificatif mais au regard de l'ampleur envisageable des discussions et recherches rendues nécessaires par la contestation infondée (bien au-delà des seuls éléments finalement retenus dans la motivation du présent jugement), ampleur corroborée par le montant de la demande en ce sens des parties perdantes (60 000 euros au total), à 30 000 euros chacune soit 60 000 euros au total.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal :

Annule les revendications 1, 2, 5, 6, 8 et 9 du brevet ;

Dit que la présente décision sera transmise à l'INPI par la partie la plus diligence pour son inscription au registre lorsqu'elle aura force de chose jugée ;

Rejette les demande fondées sur la contrefaçon du brevet (dommages et intérêts, interdiction, expertise, publication) ;

Annule le procès-verbal de saisie-contrefaçon pratiquée le 3 aout 2016 ;

Interdit aux sociétés Sartorius stedim biotech et Respironics novametrix de communiquer dans toute procédure en France ou à l'étranger ledit procès-verbal et les éléments et documents obtenus lors de la saisie-contrefaçon ;

Rejette la demande des sociétés Merck en dommages et intérêts pour procédure abusive et détournement de saisie-contrefaçon ;

Condamne in solidum les sociétés Sartorius stedim biotech et Respironics novametrix aux dépens (avec recouvrement par Me Mateu pour ceux dont elle aurait fait l'avance sans en recevoir provision) ainsi qu'à payer aux sociétés Merck biodevelopment et Millipore 30 000 euros à chacune, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire sauf en ce qui concerne l'inscription de la nullité du brevet au registre.

Fait et jugé à Paris le 01 Décembre 2023

Le Greffier La Présidente
Quentin CURABET Irène BENAC


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 16/13597
Date de la décision : 01/12/2023

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 05/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2023-12-01;16.13597 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award