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24/11/2023 | FRANCE | N°22/05592

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0196, 24 novembre 2023, 22/05592


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS






3ème chambre
2ème section


No RG 22/05592
No Portalis 352J-W-B7G-CWNTC


No MINUTE :






Assignation du :
22 Mars 2022


















JUGEMENT
rendu le 24 Novembre 2023
DEMANDERESSE


S.A.S. SUCRE SALE
[Adresse 1]
[Localité 2]


représentée par Maître Jean-marie LEGER de l'AARPI ENTHEMIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D2159




DÉFENDERESSE


Commune d

e [Localité 3]
[Adresse 4]
[Localité 3]


représentée par Maître Yvon GOUTAL de la SELARL GAA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0116








Copies délivrées le :
- Maître LEGER #D2159 (ccc)
- Maître GOUTAL #R116 (exécutoire)COMPOSI...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 22/05592
No Portalis 352J-W-B7G-CWNTC

No MINUTE :

Assignation du :
22 Mars 2022

JUGEMENT
rendu le 24 Novembre 2023
DEMANDERESSE

S.A.S. SUCRE SALE
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentée par Maître Jean-marie LEGER de l'AARPI ENTHEMIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D2159

DÉFENDERESSE

Commune de [Localité 3]
[Adresse 4]
[Localité 3]

représentée par Maître Yvon GOUTAL de la SELARL GAA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0116

Copies délivrées le :
- Maître LEGER #D2159 (ccc)
- Maître GOUTAL #R116 (exécutoire)COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Anne BOUTRON, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assistés de Quentin CURABET, Greffier,

DÉBATS

A l'audience du 29 Septembre 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile.

Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 24 Novembre 2023

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

1. La société Sucré salé déclare exploiter une banque de photographies culinaires pour lesquelles elle délivre des licences d'utilisation à partir de son site www.photocuisine.fr, parmi lesquelles la photographie no 60186260 Oranges Givrées dont l'auteur est M. [R] [C].

2. Ayant découvert que cette photographie figurait sans son autorisation sur le site www.drancy.fr édité par la ville de Drancy, la société Sucré salé lui a reproché la violation des droits patrimoniaux et moral d'auteurs et l'a mise en demeure de l'en indemniser, puis, devant son refus après plusieurs échanges, l'a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Paris par acte du 22 mars 2022.

3. Dans ses dernières conclusions signifiées le 15 novembre 2022, la société Sucré salé demande au tribunal de :
- condamner la ville de [Localité 3] à lui payer les sommes de 1.498 euros et 3.500 euros en réparation de ses préjudices sur le fondement de la contrefaçon de ses droits d'auteur sur la photographie no60186260 à titre principal et sur celui de sa responsabilité civile délictuelle à titre subsidiaire,
- condamner la ville de [Localité 3] à lui payer la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive au paiement,
- condamner la ville de [Localité 3] aux dépens et à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

4. Elle soutient que:
- M. [C] est l'auteur de la photographie litigieuse et lui a cédé ses droits d'auteur, ce dont il atteste lui-même ;
- en toute hypothèse, elle est présumée titulaire des droits d'auteur de l'oeuvre qu'elle exploite sur son site internet ;
- l'oeuvre est originale en ce qu'elle a donné lieu à une mise en scène au stade préparatoire et à un cadrage et des jeux de lumière et de couleurs au stade de la réalisation ;
- plusieurs jugements et arrêts ont retenu l'originalité de photographies culinaires ;
- à titre subsidiaire, la ville de [Localité 3] a commis une faute par la reproduction à titre lucratif du cliché en profitant du fruit de son investissement sans contrepartie et en faisant une économie injustifiée ;
- cette utilisation l'a désorganisée par le contournement du processus commercial mis en place pour ses licences, quand bien même les parties ne sont pas en concurrence ;
- il en est résulté un gain manqué du fait de l'absence de redevance normalement due, un préjudice moral résultant du trouble commercial, de la dévalorisation de sa photographie, des pertes subies du fait des moyens externes et internes qu'elle a dû déployer pour identifier l'utilisation non autorisée et de l'absence de crédit photographique et un préjudice moral ;
- la ville de [Localité 3] ayant refusé l'accord amiable, elle est mal fondée à se prévaloir de la deuxième offre d'indemnisation, limitée dans le temps, qui comportait des concessions aujourd'hui injustifiées ;
- la durée d'exposition affirmée par la ville de [Localité 3] n'est pas démontrée ;
- en refusant toute indemnisation malgré ses efforts, la ville de [Localité 3] a fait preuve d'une résistance abusive.

5. Dans ses dernières conclusions du 6 janvier 2023, la commune de Drancy demande au tribunal, au visa des articles L. 111-1 et L. 112-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle de :
- à titre principal, déclarer l'assignation irrecevable pour défaut de titularité des droits sur l'oeuvre,
- subsidiairement, débouter la société Sucré salé de l'ensemble de ses demandes ;
- très subsidiairement, fixer les indemnités à la somme totale de 630, 67 euros ;
- condamner la société Sucré salé aux dépens et à lui payer la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

6. La ville de [Localité 3] oppose que :
- la société Sucré salé ne justifie pas de la titularité des droits d'auteurs en ce que l'annexe au contrat de cession énumérant les oeuvres cédées n'est pas produite et que l'attestation du photographe n'est pas manuscrite et ne justifie pas de l'identité de celui-ci ;
- les caractéristiques revendiquées au titre de l'originalité relèvent en réalité du savoir-faire photographique et il n'existe pas de choix libres et créatifs reflétant l'empreinte de la personnalité de l'auteur ;
- elle n'a commis aucune faute qualifiable de parasitisme, n'ayant pas titré d'avantage concurrentiel ou lucratif du fait de l'utilisation litigieuse, faite pendant une période éphémère dans un objectif éducatif ;
- elle n'est pas un opérateur économique et la publication n'a eu lieu qu'entre le 15 et le 25 décembre 2018 afin d'illustrer un calendrier de l'avent écoresponsable ;
- aucun préjudice moral n'est caractérisé ;
- en refusant de transiger, elle ne s'est pas rendue coupable de résistance abusive ;
- à titre très subsidiaire, le gain manqué doit être chiffré à 120 euros, en se référant aux montants figurant dans le courriel de la demanderesse du 10 novembre 2021, la perte subie, comprenant les frais de détection et de gestion interne, à 260,67 euros et le préjudice moral à 250 euros.

7. L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 janvier 2023.

MOTIVATION

I . Sur la demande principale sur le fondement du droit d'auteur

8. Selon l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial.
En application de l'article L.112-1 du même code, ce droit appartient à l'auteur de toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.
La protection d'une oeuvre de l'esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable. Dans ce cadre toutefois, il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur dont l'existence est contestée de définir et d'expliciter les contours de l'originalité qu'il allègue.

9. La société Sucré salé explicite comme suit l'originalité de la photographie en cause :
"au stade préparatoire, cette photographie révèle un travail de mise en scène : sur une table en bois de couleur grise, au premier plan dans une assiette de couleur noire, quatre oranges givrées ont été présentées. Les couleurs sombres de l'assiette et de la table ont été choisies pour mettre en valeur le jaune de la crème et l'orange des fruits. Deux cuillères, à l'arrière de l'assiette invitent à une dégustation immédiate. (...) Au stade de la prise de vue, le photographe a choisi un cadrage centré sur les oranges (...) Les reflets sur l'assiette et la lumière en arrière-plan suggèrent un temps propice à la dégustation."

10. La photographie vise à mettre en valeur les aliments par différents moyens techniques relevant d'un savoir-faire de photographe.
Le choix de poser quatre oranges givrées dans une assiette sombre sur table en bois, à proximité de cuillères en métal est banal et ne témoigne ni d'une mise en scène ni d'un effort créatif particuliers.
S'agissant du cadrage du sujet et de la captation de lumières mettant en valeur le produit, il s'agit du savoir-faire du photographe culinaire consistant dans la mise en valeur de différentes textures ne réagissant pas pareil à la luminosité ainsi qu'il ressort d'ailleurs de l'article de presse sur le développement de la photographie culinaire (pièce no3 de la société Sucré salé) et non de l'empreinte de sa personnalité, même pris en combinaison avec les choix de mise en scène précités.

11. La photographie en cause n'ouvre donc pas droit à la protection par le droit d'auteur et les demandes présentées sur ce fondement sont par conséquent rejetées, sans qu'il y ait lieu d'examiner le moyen tiré du défaut de titularité des droits sur l'image.

II . Sur la demande subsidiaire fondée sur la faute délictuelle

12. L'article 1240 du code civil prévoit que tout fait de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer et l'article 1241 ajoute que "Chacun est responsable du dommage qu'il a causé par sa négligence ou par son imprudence".

13. Le parasitisme consiste dans le fait, pour un agent économique, de se placer dans le sillage d'une entreprise en profitant indûment des investissements consentis ou de sa notoriété, ou encore de ses efforts et de son savoir-faire.

14. Il est établi que la ville de [Localité 3] a diffusé l'image litigieuse pour illustrer un contenu éditorial pédagogique sur des questions de nutrition ou de développement durable pendant une courte période, ce qui ne suffit pas à caractériser un usage lucratif des investissements de la société Sucré salé.

15. La société Sucré salé n'invoque, à l'appui de la caractérisation de la faute alléguée, aucun autre grief que l'économie réalisée sur le paiement d'une redevance dont le fondement (droit d'auteur) n'a pas été admis par le tribunal.

16. La faute n'est pas établie et il convient de rejeter les demandes fondées sur la responsabilité délictuelle de la ville de [Localité 3].

III . Dispositions finales

17. Le droit d'agir en justice dégénère en abus, susceptible de réparation sur le fondement de l'article 1240 du code civil précité, lorsqu'il est exercé en connaissance de l'absence totale de mérite de l'action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l'autre partie à se défendre contre une action ou un moyen que rien ne justifie sinon la volonté d'obtenir ce que l'on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté.

18. La défense de la ville de [Localité 3] étant accueillie, son refus de payer une réparation pour l'usage sans droit du cliché litigieux ne saurait être considéré comme un abus de droit et trouve sa sanction dans la condamnation prononcée et la charge des frais du procès.

19. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société Sucré salé est condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à la ville de [Localité 3] une somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Déboute la société Sucré salé de l'ensemble de ses demandes ;

Condamne la société Sucré salé aux dépens ;

Condamne la société Sucré salé à payer à la ville de [Localité 3] la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 24 Novembre 2023
Le Greffier La Présidente
Quentin CURABET Irène BENAC


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 22/05592
Date de la décision : 24/11/2023

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 05/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2023-11-24;22.05592 ?
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