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22/11/2023 | FRANCE | N°21/08624

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0196, 22 novembre 2023, 21/08624


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS




3ème chambre 3
ème section




No RG 21/08624 -
No Portalis 352J-W-B7F-CUWKH


No MINUTE :




Assignation du :
16 juin 2021






























JUGEMENT
rendu le 22 novembre 2023
DEMANDERESSES


S.A. EXEL INDUSTRIES
[Adresse 1]
[Adresse 1]


S.A.S. HOZELOCK EXEL
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Adresse 3]


représentées par Maître Olivier L

EGRAND de la SEP LEGRAND LESAGE-CATEL GAULTIER, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #D1104




DÉFENDERESSE


S.A.S. REDER
[Adresse 2]
[Adresse 2]


représentée par Maître Cécile MOREIRA, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C0817




COMPO...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 3
ème section

No RG 21/08624 -
No Portalis 352J-W-B7F-CUWKH

No MINUTE :

Assignation du :
16 juin 2021

JUGEMENT
rendu le 22 novembre 2023
DEMANDERESSES

S.A. EXEL INDUSTRIES
[Adresse 1]
[Adresse 1]

S.A.S. HOZELOCK EXEL
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Adresse 3]

représentées par Maître Olivier LEGRAND de la SEP LEGRAND LESAGE-CATEL GAULTIER, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #D1104

DÉFENDERESSE

S.A.S. REDER
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représentée par Maître Cécile MOREIRA, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C0817

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjoint
Anne BOUTRON, vice-présidente
Linda BOUDOUR, juge

assistés de Lorine MILLE, greffière,

DEBATS

A l'audience du 11 mai 2023 tenue en audience publique devant Jean-Christophe GAYET et Linda BOUDOUR, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir donné lecture du rapport, puis entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 11 octobre 2023 puis prorogé au 22 novembre 2023.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

1. La société par actions simplifiée (ci-après SAS) Hozelock Exel, immatriculée le 12 septembre 1957 au registre du commerce et des sociétés (RCS) de Villefranche-Tarare, fait partie du groupe Exel Industries et est spécialisée dans la conception, la fabrication et la commercialisation de produits de jardinage destinés au grand public.

2. La société anonyme (ci-après SA) Exel Industries, immatriculée le 13 juillet 1955 au RCS de Reims est la maison mère du groupe Exel Industries et détient les portefeuilles de brevets et de marques du groupe.

3. Elle est titulaire du brevet européen EP2540162 (ci-après EP162), déposé le 27 juin 2012 sous priorité du 1er juillet 2011 et délivré le 10 juillet 2013, ayant pour objet un appareil de désherbage.

4. La SAS Reder, immatriculée le 29 janvier 1997 au RCS de Paris, se présente comme ayant pour activité principale la vente par correspondance et au détail de produits textiles et de divers équipements et produits.

5. La SAS Hozelock Exel expose fabriquer et commercialiser l'invention du brevet EP162 sous les marques Berthoud, Hozelock et Green Power depuis le début de l'année 2012. Pour ce faire, elle dit avoir conclu avec la SA Exel Industries un contrat de licence non-exclusive le 10 septembre 2014, suivi d'un contrat du 9 juin 2021.

6. Reprochant à la SAS Reder la commercialisation, sur le site internet seado.com, d'un appareil de désherbage portant, selon elles, atteinte au brevet EP162, les sociétés Hoselock Exel et Exel Industries l'ont mise en connaissance de cause dudit brevet, par lettre du 20 mai 2019.

7. La réponse de la SAS Reder du 5 juin 2019 demandant des précisions sur la contrefaçon alléguée ne les satisfaisant pas, les sociétés Hozelock Exel et Exel Industries l'ont mise en demeure, par lettre de leur conseil du 1er juillet 2019, de cesser toute commercialisation et détention de l'appareil de désherbage litigieux, de préciser l'identité et les coordonnées du fournisseur dudit appareil et d'indiquer les quantités de produits importés, commercialisés et détenus en stock.

8. À défaut d'accord amiable avec la SAS Reder et lui reprochant de continuer à commercialiser plusieurs appareils de désherbage portant atteinte selon elles au brevet EP162 sur les sites sedao.com et lhommemoderne.fr et de profiter indument de leurs investissements de communication, les sociétés Hozelock Exel et Exel Industries l'ont faite assigner devant ce tribunal en contrefaçon de brevet et en parasitisme, par acte d'huissier du 16 juin 2021.

9. L'instruction a été close par ordonnance du 15 septembre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 11 mai 2023 pour être plaidée.

10. Par conclusions adressées le 23 septembre 2022 au juge de la mise en état et dans leur dernier état le 6 octobre 2022, la SAS Reder a demandé la révocation de l'ordonnance de clôture intervenue le 15 septembre 2022 afin de pouvoir faire assigner son fournisseur en garantie et en intervention forcée. Les demanderesses s'y sont opposées par conclusions notifiées le 28 septembre 2022.

11. Par décision du 28 octobre 2022 le juge de la mise en état a rejeté la demande de révocation de l'ordonnance de clôture.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

12. Dans leurs dernières conclusions au fond, notifiées par voie électronique le 18 mai 2022, les sociétés Hozelock Exel et Exel Industries demandent au tribunal de :
- déclarer la SAS Reder irrecevable à soulever une fin de non-recevoir à l'encontre des demandes de la SAS Hozelock Exel ;
- déclarer en tout état de cause la SAS Reder mal fondée en sa fin de non-recevoir à l'encontre des demandes de la SAS Hozelock Exel ; l'en débouter ;
- déclarer la SAS Reder mal fondée en sa demande en nullité des revendications 1, 9 et 10 du brevet EP162 pour défaut d'activité inventive ; l'en débouter ;
- dire et juger que la SAS Reder s'est rendue coupable de contrefaçon des revendications 1, 9 et 10 du brevet EP162 au préjudice des sociétés Exel Industries et Hozelock Exel ;
- dire et juger que la SAS Reder s'est rendue coupable de parasitisme au préjudice de la SAS Hozelock Exel ;
- ordonner à la SAS Reder, de cesser la diffusion de tous documents, prospectus, catalogues, tant sur support papier que par tout autre moyen de communication, présentant les appareils de désherbage Thermo Kill, Thermo Green Électrique 3 en 1 Easymaxx, Thermo Green Électrique et Thermo Green Électrique 4 en 1, sous ces dénominations, sous ces marques, sous les références 0252948, 0249164 et 0238008 ou sous quelques autres dénominations, marques ou références que ce soit, et ce sous astreinte de 1500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir et pendant une période de trois mois à l'issue de laquelle il sera à nouveau fait droit ;
- faire interdiction à la SAS Reder, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir et pendant une période de trois mois à l'issue de laquelle il sera à nouveau fait droit, d'importer en France les appareils de désherbage Thermo Kill, Thermo Green Électrique 3 en 1 Easymaxx, Thermo Green Électrique et Thermo Green Électrique 4 en 1, sous ces dénominations, sous ces marques, sous les références 0252948, 0249164 et 0238008 ou sous quelques autres dénominations, marques ou références que ce soit, de les détenir, de les offrir à la vente et de les vendre, l'infraction s'entendant de chaque acte d'importation, détention, offre à la vente ou vente de l'un ou l'autre de ces produits ;
- ordonner le retrait du marché et la destruction, sous le contrôle de la SA Exel Industries et aux frais de la SAS Reder, de tous les appareils de désherbage respectivement dénommés, marqués ou référencés Thermo Kill 0252948, Thermo Green Électrique 3 en 1 Easymaxx 0249164, Thermo Green Électrique 0238008 et Thermo Green Électrique 4 en 1 0252948 se trouvant entre ses mains, et ce sous astreinte de 1500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir et pendant une période de trois mois à l'issue de laquelle il sera à nouveau fait droit ;
- faire injonction à la SAS Reder, sous astreinte de 1500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir et pendant une période de trois mois à l'issue de laquelle il sera à nouveau fait droit, d'avoir produire un état certifié par son commissaire aux comptes du nombre d'appareils de désherbage respectivement dénommés, marqués ou référencés Thermo Kill 0252948, Thermo Green Électrique 3 en 1 Easymaxx 0249164, Thermo Green Électrique 0238008 et Thermo Green Électrique 4 en 1 0252948 importés et vendus en France, ainsi que du chiffre d'affaires et du bénéfice réalisés à ce titre, accompagné de l'ensemble des éléments comptables justificatifs ;
- dire que le tribunal se réservera la liquidation des astreintes et la fixation éventuelle de nouvelles astreintes ;
- condamner la SAS Reder au paiement à la SA Exel Industries de la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts du chef de l'atteinte portée à ses droits privatifs sur le brevet EP162 et de leur dévalorisation consécutive ;
- dire que le tribunal statuera sur le préjudice commercial subi par la SAS Hozelock Exel au vu des pièces qui seront produites par la SAS Reder en exécution de la condamnation à production de pièces prononcée sous astreinte ;
- condamner d'ores et déjà la SAS Reder au paiement à la SAS Hozelock Exel de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts provisionnels du chef du préjudice commercial subi ;
- condamner la SAS Reder au paiement à la SAS Hozelock Exel de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts du chef des actes de parasitisme commis ;
- ordonner à la SAS Reder d'afficher le dispositif du jugement à intervenir en page d'accueil des sites sedao.com et www.lhommemoderne.com, en police Arial, en taille 12 points et avec une durée de présence à l'écran de 15 secondes, pendant une durée d'un mois à compter de la signification du jugement à intervenir, et ce sous astreinte de 1500 euros par jour de retard, jour d'interruption ou jour manquant ;
- déclarer la SAS Reder mal fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions ; l'en débouter ;
- condamner la SAS Reder au paiement aux sociétés Exel Industries et Hozelock Exel de 50 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner à rembourser aux sociétés Exel Industries et Hozelock Exel les honoraires, frais et dépens par elles exposés à l'occasion des opérations de constat des 11 février, 22 février et 8 mars 2021 ;
- la condamner également en tous les dépens, dont distraction au profit de Maître Olivier Legrand conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;
- dire n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

13. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 septembre 2022, la SAS Reder demande au tribunal de :
- dire et juger irrecevables et mal fondées les sociétés Exel Industries et Hozelock Exel en toutes leurs demandes, fins et prétentions dirigées à son encontre ;
- prononcer la nullité des revendications 1, 9 et 10 du brevet EP162 pour défaut d'activité inventive ;
- dire et juger que les sociétés Exel Industries et Hozelock Exel n'apportent pas la preuve d'une quelconque contrefaçon des revendications 1, 9 et 10 du brevet EP162 ni d'un quelconque parasitisme ni d'un quelconque préjudice ;
- débouter en conséquence les société Exel Industries et Hozelock Exel de toutes leurs demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre ;
- condamner les sociétés Exel Industries et Hozelock Exel avec exécution provisoire, au paiement d'une somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens et frais d'instance ;
- à titre infiniment subsidiaire, pour le cas où par impossible, le tribunal prononçait une condamnation à son encontre, dire et juger n'y avoir lieu à exécution provisoire.

MOTIVATION

14. En préambule, la SAS Reder ne formule pas de fin de non-recevoir, selon les termes de ses dernières conclusions. Le tribunal ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispostif des dernières conclusions notifiées, par application de l'article 768 du code de procédure civile, il n'y a, dès lors, pas lieu à statuer sur la demande des sociétés Hozelock Exel et Exel Industries tendant à déclarer la SAS Reder irrecevable à soulever une fin de non-recevoir à l'encontre des demandes de la société Hozelock Exel.

I - Présentation du brevet EP162

15. Le brevet EP162 décrit un "appareil, ensemble et procédé de désherbage manuel et localisé" (pièce Hozelock et Exel no6).

16. Selon le fascicule descriptif du brevet, les appareils de désherbage connus de l'art antérieur présentent l'inconvénient d'être peu économiques, peu écologiques, d'avoir un temps de chauffe relativement important ce qui est peu pratique ou ont tendance à détériorer les plantes avoisinantes par un défaut de gestion de l'air chaud (même pièce no6, § 2 à 5).

17. Le but de l'invention est de remédier à ces inconvénients "en proposant un appareil de désherbage manuel et localisé efficace et précis, pratique, respectueux de l'environnement, dont la sécurité d'utilisation est optimale et qui est économique" (même pièce no6, § 6).

18. Le brevet EP 162 comporte dix revendications. Les sociétés Hozelock Exel et Exel Industries opposent à la SAS Reder les revendications 1, 9 et 10 de ce brevet, libellées comme suit :
"1. Appareil de désherbage manuel et localisé comprenant un générateur thermique fixé à une canne, le générateur thermique comprenant un ventilateur et une résistance chauffante et projetant un jet d'air chaud dans un volume intérieur d'une cloche pourvue d'un bord libre pour l'appui de l'appareil sur le sol, caractérisé en ce que la cloche est pourvue d'au moins un trou d'évacuation d'un jet d'air à partir du volume intérieur de la cloche et en ce que le trou est écarté du bord libre d'une distance supérieure à 2 cm.

9. Procédé de désherbage manuel et localisé, caractérisé en ce qu'il comprend des étapes dans lesquelles :
- on crée un jet d'air chaud en faisant circuler de l'air au contact d'une résistance chauffante,
- par-dessus une mauvaise herbe, on pose une cloche qui comprend au moins un trou, avec un bord libre de la cloche en appui sur le sol, le trou étant écarté d'une distance supérieure à 2 cm du bord libre,
- on dirige le jet d'air chaud dans un volume intérieur de la cloche,
- le jet d'air chaud est évacué de la cloche sous la forme d'un jet secondaire passant par le trou.

10. Procédé selon la revendication 9, caractérisé en ce que la température du jet d'air chaud est supérieure à 100oC, de préférence supérieure à 400 oC".

II - Sur la définition de la personne du métier

Moyens des parties

19. Les sociétés Hozelock Exel et Exel Industries considèrent que la personne du métier s'entend du concepteur d'appareil de désherbage.

20. La SAS Reder estime que la personne du métier est un technicien spécialisé dans les appareils de l'industrie du jardinage ou de l'agriculture, et particulièrement dans les appareils de destruction des mauvaises herbes.

Réponse du tribunal

21. La personne du métier est celle du domaine technique où se pose le problème que l'invention, objet du brevet, se propose de résoudre (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 20 novembre 2012, pourvoi no11-18.440).

22. Elle s'entend d'un praticien du domaine technique concerné, qui dispose de connaissances et d'aptitudes moyennes, possèdant les connaissances générales dans le domaine concerné à la date de dépôt ou de priorité du brevet (en ce sens chambre des recours de l'Office européen des brevet - ci-après OEB - 9 août 2001, Sequus Pharmaceuticals Inc. c. Inex Pharmaceuticals Corporation, T0004/98).

23. La personne du métier est donc ici un spécialiste des appareils de désherbage, doté de connaissances générales au 1er juillet 2011.

III - Sur la validité du brevet EP162

Moyens des parties

24. La SAS Reder soutient que les revendications 1, 9 et 10 du brevet EP162 sont nulles comme étant dépourvues d'activité inventive au regard de l'absence d'explication technique au soutien de la partie caractérisante de ces revendications et des caractéristiques dévoilées par l'art antérieur cité dans le fascicule du brevet, en particulier les documents US6029589A (US589A), GB2278988A (GB988A) et WO9114363 (WO363). Elle précise que la solution apportée par l'invention, à savoir l'apport au niveau de la cloche d'au moins un trou d'évacuation d'un jet d'air était déjà connue de l'art antérieur, en sorte que seule la caractéristique selon laquelle le trou est écarté du bord libre d'une distance supérieure à deux centimètres (2 cm) lui permet d'échapper au défaut de nouveauté, tandis que cette caractéristique, selon elle purement arbitraire faute d'explication technique, est dépourvue d'activité inventive. Elle ajoute que le document WO363 proposait déjà une solution pour éviter d'endommager les plantes voisines des plantes à éliminer, consistant à recourir à une surcloche, tandis que les documents US589A et GB988A proposaient des orifices d'évacuation de l'air chaud, la combinaison de ces documents conduisant la personne du métier à déduire l'invention.

25. Elle considère le brevet EP162 comme dépourvu d'activité inventive au regard du document US6076231 (US231) qui décrit une seconde buse pouvant être située à peu près à cinq pouces, soit 12,7 cm, de l'extrémité de la buse principale. Elle en déduit que la personne du métier était conduite, en rapprochant l'enseignement des différents documents cités dans le fascicule du brevet litigieux et celui du document US231, à positionner les orifices d'évacuation de l'air chaud à l'écart du bord libre de l'embout, à une distance non nulle de l'extrémité du bord libre de la cloche.

26. Elle tire de ses précédentes conclusions que la revendication indépendante 9 décrivant un procédé mettant en oeuvre, notamment, la revendication 1 du brevet EP162, est dépourvue d'activité inventive dans la mesure où l'ensemble de ses caractéristiques en est dépourvue. Elle conclut, également, au défaut d'activité inventive de la revendication indépendante 10 en ce qu'elle prévoit un jet d'air chaud supérieur à cent degrés (100oC), de préférence supérieure à 400oC, cette caractéristique étant purement numérique, totalement arbitraire, non explicitée dans sa fonction et résultant des connaissances générales de la personne du métier, outre que le document GB988A dévoile un procédé dans lequel l'air est chauffé à une température supérieure à 80oC.

27. Les sociétés Hozelock Exel et Exel Industries opposent que le positionnement précis d'au moins un trou à une distance supérieure à 2 cm du bord libre répond exactement au problème de la détérioration des plantes avoisinantes et de l'endommagement de l'appareil de désherbage auquel la personne du métier est confrontée avec les dispositifs de l'art antérieur, ce que la description de l'appareil associé aux figures 2, 7 et 8 du fascicule du brevet illustrent clairement.

28. Elles assurent que ni pris isolément, ni dans leur combinaison, les documents de l'art antérieur ne permettent d'aboutir à l'invention : le bouclier du document WO363 n'est doté d'aucun moyen destiné, une fois l'air projeté sur la plante à détruire, d'en gérer l'évacuation en dehors du bouclier ; le document US589A fonctionne à la vapeur d'eau, la question de l'évacuation de l'air chaud ne s'y pose pas, les orifices figurés sont décrits comme permettant à l'air de s'échapper lorsque la vapeur est envoyée dans le couvercle à mauvaises herbes, la fonction de ces ouvertures est exactement contraires à celles du brevet EP162 ; le document GB988A propose une tête d'application visible en figure 1 qui a la forme d'un rateau pour permettre l'agitation mécanique du sol comme aide au procédé d'air chaud, ses dents n'ont donc en aucun cas pour fonction d'assurer l'évacuation de l'air chaud. Elle considère que la personne du métier, confronté au problème technique de l'évacuation de l'air chaud n'a aucune raison de s'intéresser à l'enseignement des documents précités et ne peut déduire de leur consultation que des ouvertures sur le bord libre, non la solution proposée par l'invention, pas plus que cette solution ne résulterait des connaissances générales élémentaires de la personne du métier qui vont à l'opposé des enseignements de l'art antérieur, la défenderesse opérant, à cet égard, selon elles, une analyse a posteriori prohibée, une fois connus le problème et sa solution apportée par le brevet EP162.

29. Elles réfutent que le document US231, seul ou en combinaison avec l'art antérieur précité, prive leur brevet EP162 d'activité inventive. Elles font valoir que l'appareil décrit par le document US231 est utilisé pour déplacer et nettoyer les débris de pelouse, jardins, etc. et qu'il prévoit une seconde buse, adjointe à la première et éloignée de 12,7 cm environ, afin de propulser les débris vers l'extérieur lorsqu'un obstacle provoque leur refoulement vers l'utilisateur. Elles estiment, d'abord, que la personne du métier confrontée au problème technique de l'évacuation de l'air chaud afin de ne pas endommager les plantes avoisinantes n'a aucune raison de s'intéresser à ce document US231, étranger à la question du désherbage, ensuite, que son enseignement, qui consiste à prévoir une seconde buse de propulsion d'air, ne saurait conduire à l'invention du brevet EP162.

30. Elles concluent à la validité de la revendication 9 du brevet EP162 compte tenu qu'aucun des documents de l'art antérieur ne divulgue la combinaison de ses caractéristiques, les ouvertures figurées dans le document US589A étant uniquement conçues pour l'évacuation de l'air ambiant de sorte que la vapeur d'eau puisse y pénétrer, les dents du rateau du document GB988A ayant pour seule fonction de fouiller le sol et la combinaison de ces documents avec les documents WO363 et US231 ne permettant pas d'en déduire de manière évidente l'écartement d'au moins un trou à une distance d'au moins 2 cm du bord libre. Il en va de même, selon elles, de la revendication 10 du brevet EP162 qui se situe dans la dépendance de la précédente.

Réponse du tribunal

31. L'article 52 de la convention de Munich du 5 octobre 1973 sur le brevet européen dispose que les brevets européens sont délivrés pour toute invention dans tous les domaines technologiques, à condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible d'application industrielle.

32. Selon l'article 54 paragraphe 3 de cette convention, est également considéré comme compris dans l'état de la technique le contenu de demandes de brevet européen telles qu'elles ont été déposées, qui ont une date de dépôt antérieure à celle mentionnée au paragraphe 2 et qui n'ont été publiées qu'à cette date ou à une date postérieure.

33. L'article 56 de cette convention précise qu'une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique. Si l'état de la technique comprend également des documents visés à l'article 54, paragraphe 3, ils ne sont pas pris en considération pour l'appréciation de l'activité inventive.

34. L'élément ou les éléments de l'art antérieur ne sont destructeurs d'activité inventive que si, pris isolément ou associés entre eux selon une combinaison raisonnablement accessible à la personne du métier, ils lui permettaient à l'évidence d'apporter au problème résolu par l'invention la même solution que celle-ci (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 15 novembre 1994, no93-12.917 et jurisprudence constante depuis).

35. Au cas présent, le fascicule du brevet EP162 expose que :
- le document WO363 "divulgue un appareil de désherbage manuel et localisé pour le traitement de mauvaises herbes comprenant un générateur thermique fixé à une canne (...) Aucune disposition n'est prévue pour la gestion du jet d'air chaud, une fois que ce dernier a détruit la mauvaise herbe. Par conséquent, le jet d'air chaud a tendance à s'échapper de la cloche soit par le bord libre, détériorant ainsi les plantes avoisinantes, soit en remontant vers le générateur thermique, ce qui génère une surchauffe risquant d'endommager l'appareil" (pièce Hozelock et Exel no6, paragraphe 5)
- selon l'invention, "le générateur thermique projette le jet d'air chaud dans le volume intérieur de la cloche (...) Le jet d'air chaud entre en contact avec la mauvaise herbe et est évacué automatiquement du volume intérieur de la cloche par les trous, sous la forme de plusieurs jets secondaires représentés aux figures 1 à 3 (...) La direction des jets secondaires est conditionnée par la géométrie de la paroi d'échappement et des ouvertures" (même pièce, paragraphes 28 et 29).

36. Il décrit aux paragraphes 30, 31, 34 et 38 différentes géométries des cloches représentées aux figures 3, 4, 5 et 6, toutes dotées de trous d'évacuation situés à distance du bord libre, dont "la paroi d'échappement et les trous de passage des jets secondaires sont conçus de sorte que les jets secondaires sont évacués à partir du volume intérieur de la cloche, avec une distance entre le bord libre et les trous d'échappement supérieure à 2 cm" (même pièce, paragraphe 39).

37. Selon l'invention, "de cette manière, les plantes voisines de la mauvaise herbe à détruire ne risquent pas d'être détériorées" (même pièce, paragraphe 34) et "une légère surpression est créée dans le volume intérieur de la cloche, ce qui favorise la destruction de la mauvaise herbe sans surchauffer la résistance chauffante" (même pièce, paragraphe 36).

38. Ces exposés, associés aux figures 2 à 6 du brevet, mettent la personne du métier en mesure de comprendre les effets techniques de la présence des trous à distance du bord libre de la cloche et la nécessité que cette distance soit au moins de 2 cm pour les obtenir.

39. Ainsi, la critique de la SAS Reder selon laquelle la revendication 1 du brevet EP162 est dépourvue d'activité inventive faute d'explication technique à la raison de l'écartement des trous de plus de 2 cm du bord libre, est infondée.

40. S'agissant du défaut d'activité inventive au regard de l'art antérieur, le document US589A décrit un appareil portable à vapeur pour tuer les mauvaises herbes (selon la traduction du tribunal de "portable steam weed killing apparatus", pièce Reder no4). Le fascicule décrit, notamment, un couvercle à mauvaises herbes de forme conique, semblable à une cloche selon les figures 5 et 6, doté d'une pluralité d'ouvertures d'échappement qui permettent à l'air frais de s'échapper du couvercle à mauvaises herbes lorsque le couvercle à mauvaises herbes est placé étroitement sur le sol et que la vapeur est délivrée au couvercle à mauvaises herbes (traduction de "formed along the lower edge of the weed cover are a plurality of exhaust openings which allow cool air to escape from the weed cover when the weed cover is placed closely on the ground and steam is delivered to the weed cover", même pièce).

41. Le document GB988A propose un appareil et une méthode pour contrôler la croissance et la propagation de la végétation ("apparatus and method to control the growth and spread of plant vegetation", pièce Reder no2), à l'aide d'un flux d'air chaud et dont l'embout peut être doté d'une gamme de têtes d'application, en particulier un rateau, schématisé en figure 3. Le fonctionnement des têtes mécaniques consisterait à agiter, déloger et exposer les mauvaises herbes pour améliorer la capacité létale de désherbage du procédé à air chaud ("the operation of the mechanical heads would be to agitate, dislodge and expose weeds to improve the lethal weeding capability of the air process", même pièce). Les différents accessoires de tête peuvent être utilisés pour diriger, concentrer ou disperser l'air chaud, agir comme un bouclier pour protéger les plantes voisines ("the various head attachments may be used to direct, concentrate or disperse the hot air, act as a shield to protect neighbouring plants", même pièce). L'utilisation des têtes d'application peut permettre à l'air chaud d'être concentré, diffusé, dirigé ou étalé sur les mauvaises herbes, permettre la protection d'autres végétaux ("the use of the application heads may allow hot air to be focused, diffused, directed or spread over the weeds, allow protection to other vegetation", même pièce). Une autre tête d'application conçue peut comprendre une ouverture inclinée pour diriger l'air chaud à un angle donné (non représenté) ("a further designed application head may include an angled outlet to direct the hot air at a given angle (not shown)", même pièce).

42. Le document WO363 divulgue un dispositif de destruction de végétaux ("plant killing device", pièce Reder no3), fonctionnant à l'air chaud. Le fascicule de ce document indique que pour aider à empêcher des dommages accidentels aux plantes poussant à proximité de celles à tuer, il peut être prévu un écran pour s'adapter autour ou adjacent à la buse du dispositif pour restreindre la zone à laquelle l'air chauffé émis est appliqué ("to help prevent accidental damage to plants growing near to those to be killed, there may be provided a shield for fitting around or adjacent the nozzle of the device to restrict the area to which the emitted heated air is applied", même pièce). La conception de cet écran est illustrée aux figures 4 et 5, proposant une cloche cylindrique (même pièce).

43. Il ressort de l'ensemble que les appareils de désherbage de l'art antérieur proposent, à tout le moins, un appareil manuel et localisé comprenant un générateur thermique fixé à une canne, le générateur thermique comprenant un ventilateur et une résistance chauffante et projetant un jet d'air chaud dans un volume intérieur d'une cloche pourvue d'un bord libre pour l'appui de l'appareil sur le sol.

44. Dès lors que le document US589A divulgue une cloche dotée d'une pluralité d'ouvertures d'échappement qui permettent à l'air frais de s'échapper du couvercle à mauvaises herbes, la personne du métier, confrontée au problème technique de l'évacuation de l'air chaud généré par l'appareil, est conduit à concevoir au moins un trou d'évacuation sur le bord libre de la cloche, ses connaissances générales et les enseignements du document GB988A lui permettant de substituer l'air chaud à l'air frais.

45. Il résulte, de ce fait, de la combinaison des trois documents précédents que la personne du métier, confrontée au problème technique de l'évacuation de l'air chaud d'un appareil de désherbage, est conduit à pourvoir la cloche servant à la protection de la végétation avoisinante d'au moins un trou d'évacuation d'un jet d'air à partir du volume intérieur de la cloche.

46. En revanche, aucun de ces documents de l'art antérieur ne divulgue de trou écarté du bord libre de la cloche servant à la protection de la végétation avoisinante d'une distance supérieure à 2 cm de ce bord libre.

47. Si la SAS Reder affirme que la personne du métier "sait, à partir de ses connaissances générales élémentaires, que si les orifices d'évacuation de l'air chaud sont positionnés sur le bord libre de l'embout de l'appareil, l'air chaud va mécaniquement venir au contact des plantes avoisinantes et risquer de les endommager" (ses conclusions page 17), elle n'explique en rien comment, au moyen de ses connaissances générales ou à l'aide des trois documents précédents, cette personne serait incitée de manière évidente ou implicite à positionner les orifices d'évacuation à distance de l'extrémité du bord libre de la cloche.

48. L'opération de déduction qu'elle décrit pour parvenir à ce résultat consiste, au contraire, dans l'activité inventive de la personne du métier confrontée au problème technique de l'évacuation de l'air chaud d'un appareil de désherbage en vue d'épargner les plantes avoisinantes et la surchauffe du générateur d'air chaud.

49. S'agissant du document US231, il décrit une buse pour souffleur de pelouse et jardin ("nozzle for lawn and garden blower", pièce Reder no1), dont l'objet est de permettre plusieurs canaux de passage d'écoulement d'air dans différentes directions à partir d'un souffleur d'air à gaz ou électrique, de pelouse ("an output nozzle for allowing plural air flow passage channels in different directions from a gas/electric yard/lawn air blower", même pièce). L'invention relève du domaine technique des appareils électriques ou à gaz, destinés à diriger le flux d'air afin de permettre aux débris tels que les feuilles, l'herbe, la saleté et les déchets d'être déplacés vers le haut et au-dessus d'obstacles tel que les bordures de pelouse ("this invention relates to gas and electric powered lawn and garden blowers (...) for directing airflow to allow debris such as leaves, grass, dirt and trash to be moved upward and over obstacles such as lawn edges and curbs", même pièce).

50. Il ressort de l'objet de cette invention que la personne du métier du brevet EP162 n'est pas incitée à consulter les enseignements du document US231 qui se trouve en dehors de son champ de spécialité.

51. À supposer que la personne du métier consulte ce document, il serait incité, tout au plus, à concevoir une seconde buse fixée à la première buse ayant une seconde extrémité d'échappement pour faire passer une seconde partie du flux d'air dans une seconde direction à l'extérieur de la seconde extrémité d'échappement ("a preferred embodiment of the nozzle invention includes the combination of a gas or electric motor for moving an airflow, a first longitudinal nozzle having an exhaust end for passing a first portion of the airflow in a first direction outside the exhaust end, and a second nozzle attached to the first nozzle having a second exhaust end for passing a second portion of the airflow in a second direction outside the second exhaust end", pièce Reder no1), cette deuxième buse pouvant être située à peu près à cinq pouces de l'extrémité de la buse principale ("the second nozzle can be located approximately 5 inches in front of main nozzle end", même pièce), dans l'objectif de répondre au problème technique des turbulences indésirables qui provoquent le refoulement des débris vers l'utilisateur ("an undesirable turbulence forms which causes the debris to blow back towards the user", même pièce).

52. Le problème technique résolu par l'invention du document US231 étant distinct de celui proposé par l'invention du brevet EP162, les enseignements du document US231 ne permettaient pas à la personne du métier d'apporter au problème résolu par l'invention du brevet EP162 la même solution que celle apportée par le document US231 avec l'évidence requise.

53. Ainsi, la SAS Reder échoue à démontrer que la revendication 1 du brevet EP162 est dépourvue d'activité inventive.

54. Les revendications 9 et 10 de ce brevet, qui décrivent des procédés de mise en oeuvre de sa revendication 1, ne sont pas plus dépourvues d'activité inventive (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 27 janvier 2021, no18-17.053 : la validité d'une revendication principale entraîne celle des revendications placées sous sa dépendance).

55. En conséquence, la demande de la SAS Reder de prononcer la nullité des revendications 1, 9 et 10 du brevet EP162 pour défaut d'activité inventive sera rejetée.

IV - Sur la contrefaçon du brevet EP162

Moyens des parties

56. Les sociétés Hozelock Exel et Exel Industries soutiennent que les appareils Thermo Kill et Thermo Green électrique équipés de l'embout en forme de buse ou sifflet de la défenderesse constituent des contrefaçons des revendications 1, 9 et 10 de son brevet EP152, compte tenu qu'ils en reproduisent l'intégralité des caractéristiques. Elles considèrent qu'il importe peu, au regard de la matérialité de la contrefaçon, que ces appareils dotés de ces embouts soient présentés comme des allume-barbecues non destinés au désherbage, dès lors que rien n'exclut qu'ils puissent être utilisés conformément à leur fonction principale de désherbeurs. Elles tiennent pour inopérante la prétendue circonstance selon laquelle la buse litigieuse provoquerait une dissémination, non une canalisation, de l'air, dès lors que l'air chaud projeté par le ventilateur l'est dans le volume interne de la buse. Elles assurent que rien ne permet d'affirmer que la forme de la buse litigieuse ne constitue pas une cloche au sens de la revendication 1 de son brevet, dont elle présente toute les caractéristiques couvertes par sa revendication 1. Elles estiment que la buse ligieuse peut être utilisée dans une fonction de désherbage, que dès lors c'est nécessairement par les différents trous de cette buse que l'air arrivé au niveau du sol sera évacué et que, cette buse présentant des trous situés à une distance supérieure à 2 cm de son bord libre, la circonstance qu'ils ne le soient pas tous n'est pas de nature à faire disparaître la contrefaçon. Elles avancent que la contrefaçon des revendications 9 et 10 de son brevet EP162 résulte des mêmes constats, arguments et moyens que ceux présidant à la contrefaçon de sa revendication 1.

57. La SAS Reder oppose qu'aucun des appareils Thermo Kill ou Thermo Green qu'elle commercialise ne sont des contrefaçons du brevet EP162, dans la mesure où la buse ou sifflet fixé à l'embout n'est pas assimilable à une cloche, dont ni la structure, ni la fonction, ne sont définis dans le fascicule du brevet EP162, et où cet embout n'a pas la même structure, ni la même fonction que celles que l'on peut déduire, selon elle, du brevet EP162. Elle déduit de la figure 2 du brevet EP162 que la cloche dispose d'une section intérieure et d'une sortie nettement supérieure à celle de la bouche du générateur thermique et qu'elle a pour fonction de transformer un jet d'air chaud de faible section en jet d'une section de plus grande valeur pour couvrir une aire de plantes à détruire plus importante que l'aire couverte par la sortie du tube de l'appareil. Elle expose que l'embout en forme de buse ou sifflet dont la fonction est de servir de briquet ou d'allume-barbecue, ne permet pas la projection d'un jet d'air chaud, ses nombreux trous provoquant une dissémination de l'air et un amoidrissement de sa canalisation ; qu'il ne comprend pas de cloche, étant plat ; qu'il n'en constitue pas une, car l'entrée de l'embout a une section plus grande que sa sortie d'éjection ; que ses nombreux trous ont pour objet de produire un effet de ventilation, au contraire du positionnement des orifices de la cloche du brevet EP162 dont l'objet est d'évacuer le surplus d'air chaud pour éviter une surchauffe de l'appareil et d'atteindre les herbes avoisinantes. Elle en conclut que cet embout litigieux n'a ni la même structure, ni la même fonction que la cloche selon le brevet EP162, la protection conférée par ce brevet ne pouvant pas s'étendre aux résultats recherchés ou allégués par les demanderesses, en sorte que, selon elle, aucune des revendications 1, 9 et 10 de ce brevet ne sont reproduites par les appareils qu'elle commercialise.

Réponse du tribunal

58. L'article L.613-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que sont interdites, à défaut de consentement du propriétaire du brevet :
a) La fabrication, l'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, l'importation, l'exportation, le transbordement, ou la détention aux fins précitées du produit objet du brevet ;
b) L'utilisation d'un procédé objet du brevet ou, lorsque le tiers sait ou lorsque les circonstances rendent évident que l'utilisation du procédé est interdite sans le consentement du propriétaire du brevet, l'offre de son utilisation sur le territoire français ;
c) L'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, l'importation, l'exportation, le transbordement ou la détention aux fins précitées du produit obtenu directement par le procédé objet du brevet.

59. Conformément à l'article L.615-1 du même code, toute atteinte portée aux droits du propriétaire du brevet, tels qu'ils sont définis aux articles L.613-3 à L.613-6, constitue une contrefaçon.
La contrefaçon engage la responsabilité civile de son auteur.
Toutefois, l'offre, la mise sur le marché, l'utilisation, la détention en vue de l'utilisation ou la mise sur le marché d'un produit contrefaisant, lorsque ces faits sont commis par une autre personne que le fabricant du produit contrefaisant, n'engagent la responsabilité de leur auteur que si les faits ont été commis en connaissance de cause.

60. Lorsqu'une forme particulière est indissociable de la combinaison caractérisant l'invention, la contrefaçon n'est établie que si cette forme est également reproduite (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 7 février 1995, no93-13.005).

61. Selon l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

62. En l'occurrence, les Hozelock Exel et Exel Industries versent aux débats différentes pièces permettant d'établir que la SAS Reder offre à la vente les produits Thermo Kill, Thermo Green Électrique 3 en 1 Easymaxx, Thermo Green Électrique et Thermo Green Électrique 4 en 1, sous les références 0252948, 0249164 et 0238008 (ses pièces 26a, 27a et 28a), ce que la SAS Reder ne conteste pas.

63. Selon les modes d'emploi de ces appareils, ils peuvent avoir pour fonctions de désherber ou d'allumer du charbon de bois (pièces Hozelock et Exel no28b) ou encore d'enlever le vernis ou les autocollants (pièces Hozelock et Exel no26b, 27b). Les trois appareils sont livrés avec deux buses ou embouts, destinés, selon les mêmes modes d'emploi, l'un au désherbage, en forme de cloche, l'autre, de forme tubulaire aux autres fonctions (mêmes pièces). Seuls les appareils dotés de l'embout tubulaire sont argués de contrefaçon.

64. Or, selon la revendication 1 du brevet EP162, l'invention est caractérisée, notamment, par la projection "d'un jet d'air chaud dans un volume intérieur d'une cloche", cette cloche étant "pourvue d'au moins un trou d'évacuation d'un jet d'air à partir du volume intérieur de la cloche et en ce que le trou est écarté du bord libre d'une distance supérieure à 2 cm".

65. L'embout de forme tubulaire des appareils argués de contrefaçon ne saurait être assimilé à une cloche, compte tenu de sa forme : cet embout est d'une section plus étroite à son extrémité de sortie de l'air chaud qu'à celle destinée à être fixée au générateur d'air chaud (pièces Hozelock et Exel 26a à 28b). Par définition, à l'inverse, une cloche a une forme évasée.

66. De plus, la cloche de l'invention est "prévue pour recouvrir une plante à détruire", ou placée "par-dessus une mauvaise herbe [à] détruire (...) La mauvaise herbe [étant] alors confinée dans le volume intérieur de la cloche", selon la description du brevet EP162 (pièce Hozelock et Exel no6, paragraphes 14 et 28). À l'inverse, l'embout argué de contrefaçon, compte tenu de sa forme, est inapte à recouvrir une plante à détruire ou à la confiner dans son volume intérieur. Sa fonction technique est distincte.

67. De même, le au moins un trou de la cloche de l'invention est écarté de son bord libre d'une distance supérieure à 2 cm afin de préserver les plantes voisines de celles à détruire et d'éviter une surchauffe de la résistance chauffante (même pièce, paragraphes 34 et 36). L'embout litigieux est doté d'une série de trous sur l'une de ses faces, allant en continu du bord libre au tronc conique destiné à être fixé au générateur d'air chaud (pièces Hozelock et Exel 26a à 28b). De ce fait, si certains des trous peuvent être situés à plus de 2 cm du bord libre de l'embout, d'autres sont situés à proximité de ce bord libre. Alors, à supposer que les appareils argués de contrefaçon soient utilisés avec l'embout litigieux pour désherber, l'air chaud produit par le générateur va se diffuser à l'ensemble des trous, affectant indistinctement les plantes à détruire et les plantes avoisinantes. L'embout litigieux est donc inapte à préserver les plantes voisines de celles à détruire.

68. Enfin, si la SAS Reder ne conteste pas que certains des trous de l'embout litigieux peuvent être situés à plus de 2 cm de son bord libre, il sera relevé que les sociétés Hozelock Exel et Exel Industries l'affirment sans l'établir par aucune pièce, les photographies et constats produits ne comportant aucune mesure.

69. Il résulte de l'ensemble que les appareils munis de l'embout litigieux, argués de contrefaçon, ne reproduisent pas l'ensemble des caractéristiques de la revendication 1 du brevet EP162 et ne parviennent pas à obtenir le même résultat technique.

70. Faute de reproduction de cette revendication 1, la reproduction des revendications 9 et 10 du brevet EP162, qui en sont des procédés de mise en oeuvre, ne sont pas plus établies. La contrefaçon alléguée n'est, en conséquence, pas démontrée.

71. Les demandes des sociétés Hozelock Exel et Exel Industries fondées sur la contrefaçon des revendications 1, 9 et 10 de son brevet EP162 seront, en conséquence, rejetées.

V - Sur le parasitisme

Moyens des parties

72. Les sociétés Hozelock Exel et Exel Industries reprochent à la défenderesse d'avoir commercialisé des appareils de désherbage thermique à compter de 2018 copiés de leurs produits en se dispensant de tous frais de communication et de promotion, en profitant du succès commercial remporté par leurs propres appareils, en usant des mêmes arguments, termes et expressions que ceux qu'elles ont adoptés et en choisissant une dénomination proche de celle qu'elles ont retenue.

73. La SAS Reder oppose que les demanderesses ne caractérisent aucun fait distinct de la contrefaçon qu'elles allèguent, non plus que la notoriété de leurs produits. Elle considère que l'emploi qu'elle fait de termes usuels et du langage courant pour désigner ses produits n'est pas constitutif de parasitisme.

Réponse du tribunal

74. Aux termes des articles 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

75. Le parasitisme, qui n'exige pas de risque de confusion, consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale économique et financière, 10 juillet 2018, no16-23.694).

76. Au cas présent, la seule circonstance que la SAS Reder emploie une dénomination proche, Thermo Green électrique, de celle adoptée par les sociétés Hozelock Exel et Exel Industries, Green Power, ou qu'elle adopte des termes identiques ou synonymes, tels que efficace, écologique, sûr ou performant, pour commercialiser des appareils ayant des fonctions similaires, est insuffisant à caractériser le parasitisme allégué.

77. Surtout, la demanderesse ne démontre par aucune pièce que sa dénomination Green Power a acquis une valeur économique individualisée dont la défenderesse chercherait à profiter en utilisant une dénomination proche.

78. Les demandes des sociétés Hozelock Exel et Exel Industries fondées sur le parasitisme seront, en conséquence, rejetées.

VI - Sur les dispositions finales

VI.1 - S'agissant des dépens

79. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie.

80. Les sociétés Hozelock Exel et Exel Industries, parties perdantes, seront condamnées aux dépens.

VI.2 - S'agissant des frais irrépétibles

81. L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.

82. Les sociétés Hozelock Exel et Exel Industries, parties tenues aux dépens, seront condamnées à payer 30 000 euros à ce titre à la SAS Reder.

VI.3 - S'agissant de l'exécution provisoire

83. En application des articles 514 et 514-1 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement. Le juge peut écarter l'exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s'il estime qu'elle est incompatible avec la nature de l'affaire. Il statue, d'office ou à la demande d'une partie, par décision spécialement motivée.

84. En l'espèce, l'exécution provisoire, nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, n'a pas à être écartée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande des sociétés Hozelock Exel et Exel Industries tendant à déclarer la SAS Reder irrecevable à soulever une fin de non-recevoir à l'encontre des demandes de la société Hozelock Exel ;

Déboute la SAS Reder de sa demande en nullité des revendications 1, 9 et 10 du brevet européen EP 2540162 pour défaut d'activité inventive;

Déboute les sociétés Hozelock Exel et Exel Industries de l'ensemble de leurs demandes fondées sur la contrefaçon du brevet européen EP 2540162 et sur le parasitisme ;

Condamne les sociétés Hozelock Exel et Exel Industries aux dépens;

Condamne les sociétés Hozelock Exel et Exel Industries à payer 30 000 euros à la SAS Reder en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 22 novembre 2023

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 21/08624
Date de la décision : 22/11/2023

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 05/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2023-11-22;21.08624 ?
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