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10/11/2023 | FRANCE | N°21/12225

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0196, 10 novembre 2023, 21/12225


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS




3ème chambre
2ème section




No RG 21/12225
No Portalis 352J-W-B7F-CVENU


No MINUTE :




Assignation du :
24 Septembre 2021






























JUGEMENT
rendu le 10 Novembre 2023
DEMANDEUR


Monsieur [D] [O]
[Adresse 1]
[Localité 2]


représenté par Maître Jean-marie LEGER de l'AARPI FLP AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D2159

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DÉFENDERESSE


Association CROIX ROUGE FRANÇAISE
[Adresse 4]
[Localité 3]


représentée par Maître Thibaut CAYLA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2417






Copies délivrées le :
- Maître LEGER #D2159 (exécutoire)
- Maître CAYLA #C2417 (ccc)
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TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 21/12225
No Portalis 352J-W-B7F-CVENU

No MINUTE :

Assignation du :
24 Septembre 2021

JUGEMENT
rendu le 10 Novembre 2023
DEMANDEUR

Monsieur [D] [O]
[Adresse 1]
[Localité 2]

représenté par Maître Jean-marie LEGER de l'AARPI FLP AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D2159

DÉFENDERESSE

Association CROIX ROUGE FRANÇAISE
[Adresse 4]
[Localité 3]

représentée par Maître Thibaut CAYLA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2417

Copies délivrées le :
- Maître LEGER #D2159 (exécutoire)
- Maître CAYLA #C2417 (ccc)
COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Anne BOUTRON, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assistés de Quentin CURABET, Greffier

DEBATS

A l'audience du 22 Juin 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile.

Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 06 Octobre 202023 puis prorogé au 10 Novembre 2023.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à dispsotiion au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

1. M. [D] [O], entrepreneur individuel inscrit au répertoire SIRET, a réalisé de nombreuses créations graphiques pour le compte de l'association Croix-rouge française entre 1996 et juillet 2017, date au-delà de laquelle aucune commande ne lui a plus été passée.

2. Le 15 avril 2021, le Conseil des prud'hommes de Paris a débouté M. [O] de sa demande de requalification de ses relations avec l'association Croix-rouge française en contrat de travail et d'indemnisation des conséquences de la résiliation de celui-ci.

3. Le 24 septembre 2021, M. [O] a assigné l'association Croix-rouge française devant le tribunal judiciaire de Paris en réparation du dommage résultant de la rupture brutale de relations commerciales établies et de l'atteinte à ses droits patrimoniaux attachés aux créations réalisées pour le compte de celle-ci.

4. Dans ses dernières conclusions du 17 novembre 2022, M. [O] demande au tribunal de :
- condamner l'association Croix-rouge française à lui payer la somme de 106.282 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la rupture abusive des relations commerciales, celle de 11.670 euros à titre de dommages et intérêts pour la violation de ses droits patrimoniaux d'auteur et celle de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour la violation de son droit moral d'auteur ;
- condamner l'association Croix-rouge française aux dépens et à lui payer la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

5. Dans ses dernières conclusions du 10 octobre 2022, l'association Croix-rouge française demande au tribunal de :
- déclarer irrecevables les demandes de M. [O] au titre de l'indemnisation de l'atteinte portée à ses droits patrimoniaux et à ses droits moraux comme prescrites sur les oeuvres suivantes : Donner c'est agir no71, logo et affiche Gaia, la mallette du bénévole, la carte de v?ux 2016, le guide de l'animateur, Donner c'est agir no73, le lancement de la nouvelle signature CRF, la formation « Bien être et autonomie », Donner c'est agir no74,l'affiche de mobilisation de bénévoles, la campagne nouvel intranet, la 72ème AG 2016 (logo – programme – kakemonos – plan de site,le visuel caravane & journée mondiales des Premiers Secours, Donner c'est agir no75, affichettes élections et affichettes éco-gestes ;
- débouter M. [O] de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner M. [O] aux dépens et à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

6. L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 décembre 2022.

MOTIVATION

I . Sur la rupture abusive de relations commerciales établies

7. M. [O] soutient que :
- l'association Croix-rouge française commercialise des services marchands dans les secteurs sanitaire, social, médico-social et de la formation ;
- il a eu une relation commerciale quotidienne avec l'association Croix-rouge française de 1996 à juillet 2017, date à laquelle les commandes ont brutalement cessé, sans préavis ;
- compte tenu de l'ancienneté de leur relation (20 ans), du volume d'affaires, des usages du secteur, de la notoriété du client et de son état de dépendance économique (sollicitations quasi-quotidiennes et fixation des prix par l'association Croix-rouge française), un préavis de 24 mois aurait dû être respecté ;
- en cas de rupture brutale des relations commerciales sans préavis, l'indemnisation du préjudice subi est égale à la marge brute escomptée par la société durant la période pendant laquelle le préavis aurait dû être respecté (Com., 28 avril 2009, pourvoi no08-12.788 et Com., 24 juin 2014, pourvoi no12-27.908) ;
- vu son activité purement intellectuelle, sa marge brute est égale à son chiffre d'affaires ;
- son préjudice est constitué par deux ans de son chiffre d'affaires moyen réalisé de 2010 à 2016 (106.282 euros).

8. L'association Croix-rouge française fait valoir que :
- ses relations avec M. [O], portant sur des supports graphiques de communication à l'occasion de campagnes d'appels aux dons ou de présentation de ses actions, se sont inscrites dans le cadre de son activité bénévole ;
- M. [O] ayant créé des supports pour les appels aux dons, il ne s'agit pas d'une relation commerciale ;
- ces relations n'étaient pas exclusives, il n'existait pas d'accord-cadre et aucun chiffre d'affaires n'était garanti de sorte qu'il n'est pas démontré de relation commerciale établie (Com., 16 décembre 2008, pourvoi no 07-15.589, publié ; Com., 6 septembre 2011, pourvoi no 10-30.679);
- la rupture n'a pas été brutale mais progressive ;
- seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même (Com., 10 février 2015, pourvoi no13-26.414) ;
- au regard de la jurisprudence, de l'ancienneté de la collaboration, de l'absence de dépendance économique et du secteur associatif concerné, un préavis de deux ans est disproportionné ;
- l'indemnisation doit reposer sur le gain manqué et la perte prouvée alors que M. [O] revendique la totalité de son chiffre d'affaires sur deux ans et non sa marge brute.

Sur ce,

9. L'article L. 442-6 du code de commerce introduit le 21 septembre 2000 disposait, dans sa rédaction en vigueur en 2017 et jusqu'au 26 avril 2019 : " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
(...) 5o De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels."

10. Ce texte pose une condition relative à l'auteur qui est interprété en ce que le régime juridique d'une association, comme le caractère non lucratif de son activité, ne sont pas de nature à l'exclure de son champ d'application dès lors qu'elle a une activité de production, de distribution ou de services (Com., 14 septembre 2010, pourvoi no09-14.322 et Com., 25 janvier 2017, pourvoi no15-13.013, publié).

11. Il pose également une condition particulière tenant à l'existence d'une relation commerciale. L'objet des relations commerciales est très large, il concerne toutes activités de production, de distribution ou de service (Com., 23 avril 2003, pourvoi no01-11.664, publié). L'expression ne doit pas être interprétée comme une relation relevant du droit commercial, mais du droit de la concurrence et les termes même de la loi ne permettent pas, dans la généralité de l'expression, d'instaurer des réserves ou des exceptions selon tel type de marché ou de contrat.

12. Le délai de préavis prévu par cette disposition légale d'ordre public est destiné à permettre à la partie qui se voit imposer la rupture de prendre ses dispositions et de donner en temps utile une nouvelle orientation à ses activités.

13. L'association Croix-rouge française a un statut d'association régie par la loi de 1901 ; elle a une importante activité de prestations de services à travers des établissements de santé, de distribution alimentaire, d'aide à domicile et de formation justifiant qu'elle se voie appliquer le texte précité
Il résulte du dossier que M. [O] a réalisé pour son compte des prestations graphiques à titre onéreux, caractérisant une relation commerciale.

14. M. [O] justifie de 28 commandes en 2015 et 17 en 2016 et des chiffres d'affaires annuels avec l'association Croix-rouge française suivants réalisés par des contrats successifs de créations sous forme de devis acceptés :
Cette constance et ce niveau de commandes caractérisent un flux d'affaires continu et donc une relation commerciale établie, étant observé que l'absence d'exclusivité, de contrat-cadre ou de chiffre d'affaires garanti n'exclut pas cette qualification (comme le décide d'ailleurs l'arrêt Com., 6 septembre 2011, pourvoi no 10-30.679 cité par l'association Croix-rouge française elle-même).

15. Il n'est pas discuté que les commandes ont complètement cessé en juillet 2017 sans qu'aucun préavis n'ait été donné à M. [O].
Au contraire, il n'y a eu aucun écrit et les préposés de l'association Croix-rouge française à qui celui-ci a demandé des explications, notamment en février 2018, ne lui ont pas signifié qu'aucune commande postérieure n'interviendrait.
Cette cessation non formalisée, inexpliquée, soudaine et totale est brutale au sens du texte précité.

16. Quand bien même le préjudice réparable est celui résultant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même, le préjudice en résultant est constamment indemnisé sur la base du gain que la victime de la rupture pouvait escompter tirer pendant le temps de préavis qui aurait dû lui être accordé, entendu comme la perte de marge brute pendant le préavis qui n'a pas été exécuté (Com., 28 juin 2023, pourvoi no 21-16.940, publié), outre tout préjudice démontré en lien de causalité avec la faute.

17. M. [O] produit ses déclarations de revenus 2015 et 2016 dont il résulte, d'une part, que l'association Croix-rouge française a été son seul client en 2016 mais non en 2015, année durant laquelle 20 % de son chiffre d'affaires provenait d'autres clients, et, d'autre part, que ses coûts fixes (lignes BH, BJ et BM) représentaient 6 à 8 % de son chiffre d'affaires.
Il ne démontre pas le temps passé auxdites commandes ni le temps nécessaire à la prospection de nouveaux débouchés pour son activité, ni l'état de dépendance économique qu'il allègue.

18. Au vu de ces éléments, il y a lieu de retenir qu'un préavis de neuf mois étaient justifié au regard de l'ancienneté de la relation et du flux d'affaires et que le gain durant ce préavis aurait été de 93 % du chiffre d'affaires moyen des deux années précédant celle de la rupture (2015 et 2016), soit 4.488 euros par mois.

19. Il y a donc lieu de condamner l'association Croix-rouge française à payer à M. [O] la somme de 40.392 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la rupture abusive des relations commerciales.

II . Sur les atteintes aux droits d'auteur de M. [O]

1 . Sur la prescription

20. L'association Croix-rouge française soulève la prescription de l'action fondée sur les atteintes aux droits d'auteur arguant que :
- l'assignation datant du 24 septembre 2021, les demandes portant sur les oeuvres antérieures au 24 septembre 2016 sont prescrites,
- la première assignation de M. [O] du 19 juillet 2021 n'a pu interrompre la prescription, puisque le désistement d'instance, qui n'est pas motivé par l'incompétence de la juridiction, rend non-avenu l'effet interruptif ;
- aucune cause de suspension ne peut être tirée de la tentative de conciliation dans le cadre de l'instance prud'homale de 2019, l'objet des deux procédures n'ayant ni le même objet, ni la même finalité,
- la prescription de l'action en contrefaçon court à compter de "la date du premier acte de publication" (Crim., 16 octobre 2001) et l'exploitation des oeuvres de M. [O] n'a jamais perduré au-delà de chaque commande : les extraits du site internet au 11 mai 2022 ne portent pas sur ses oeuvres ou sont d'anciennes publications et aucunement postérieures au 24 septembre 2016.

21. M. [O] fait valoir que :
- le délai de prescription de son action a été interrompu par son assignation du 19 juillet 2021, le juge de la mise en état n'ayant constaté son désistement d'instance (et non d'action) que le 16 décembre 2021, après délivrance de l'assignation introductive de la présente instance le 24 septembre 2021 ;
- la saisine du conseil des prud'hommes (ayant vocation à se prononcer sur les mêmes faits que la présente affaire) a suspendu la prescription du 9 avril au 24 septembre 2019, reportant le point de départ au 13 mars 2017, de sorte que seuls sont prescrits les faits connus antérieurement au 4 février 2016 ;
- l'association Croix-rouge française lui ayant sciemment laissé croire jusqu'au 12 mars 2018 que les relations allaient se poursuivre, il ne pouvait savoir avant cette date que ses droits de propriété intellectuelle étaient exploités sans cession des droits d'auteur ;
- les contrats entre les parties doivent être qualifiés de contrats d'édition et aucune prescription n'est encourue en l'absence de reddition de comptes ;
- sur le site internet de l'association Croix-rouge française, le 11 mai 2022, 17 de ses créations étaient visibles donc exploitées.

Sur ce,

22. L'article 2224 du code civil prévoit "Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer", l'article 2241 précise "La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure" et l'article 2243 ajoute "L'interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l'instance, ou si sa demande est définitivement rejetée".

23. Une demande en justice interrompt le délai de prescription dans la limite de la demande formée. Or, M. [O] a exclusivement présenté au Conseil des prud'hommes de Paris une demande de requalification de ses relations avec l'association Croix-rouge française en contrat de travail et d'indemnisation des conséquences de la résiliation de celui-ci.
Cette instance portait sur la qualification des relations contractuelles entre les parties alors les faits dont M. [O] demande ici réparation sont l'exploitation non autorisée de ses créations, il s'agit donc de demandes différentes et fondées sur des faits distincts.
Dès lors, la conciliation préalable devant le Conseil des prud'hommes de Paris n'a pu avoir pour effet d'interrompre la prescription des demandes présentées dans la présente instance.

24. L'effet interruptif de l'assignation du 19 juillet 2021 est non-avenu du fait du désistement d'instance, qui n'était pas motivé par l'incompétence de la juridiction, et de la constatation par le juge de la mise en état de l'extinction de l'instance le 16 décembre 2021, dont il est indifférent qu'il ait été constaté après l'assignation dans la présente instance.

25. Les contrats liant les parties portaient sur des créations graphiques et ont tous été conclus sous forme de devis de M. [O] et de bons de commande de l'association Croix-rouge Française sur le base de ceux-ci. Ce sont des contrats de commande, de sorte que le manquement allégué à une obligation de reddition de comptes ne saurait justifier l'absence d'action dans le délai de prescription.

26. Dès lors, les demandes de M. [O] en réparation d'atteinte à ses droits d'auteur antérieures au 24 septembre 2016 sont prescrites.

2 . Sur la contrefaçon de droit d'auteur

27. M. [O] fait valoir que :
- en l'absence de cession écrite de ses droits patrimoniaux, l'exploitation faite par la Croix rouge française de ses oeuvres constitue nécessairement des actes de contrefaçon et son préjudice à ce titre doit être évalué à 20% de son chiffre d'affaires de 2016 ;
- son nom n'a pas été systématiquement mentionné sur chaque exemplaire de ses créations, portant atteinte à son droit à la paternité.

28. L'association Croix rouge française fait valoir que :
- elle n'a pas la qualité d'éditeur ;
- M. [O] a été rémunéré pour ses prestations et ne démontre pas qu'elle aurait exploité les oeuvres au-delà de l'utilisation pour laquelle il a été rémunéré ;
- le fait que de très anciennes publications soient toujours accessibles à ce jour sur internet ne témoigne nullement d'une exploitation de l'oeuvre ;
- ses demandes actuelles, après 20 ans de tolérance, caractérisent une mauvaise foi de sa part dans l'exécution du contrat ;
- l'auteur qui n'a pas demandé de respect de son droit au nom et qui n'a pas signé ses dessins pendant plusieurs années ne peut se prévaloir d'une atteinte à son droit moral ni solliciter que son nom soit apposé sur les créations listées dans son assignation ;
- les extraits de son site internet du 11 mai 2022 ne démontrent pas une exploitation postérieure au 24 septembre 2016 des oeuvres objet du présent litige.

Sur ce,

29. A titre liminaire, l'originalité des créations graphiques en cause n'étant pas contestée, le tribunal considérera chacune des créations en cause comme originale et donc protégée par les règles régissant le droit d'auteur.

30. Il ressort de l'article L. 131-2, alinéa 2, du code de la propriété intellectuelle que la cession de droit d'auteur doit nécessairement être constatée par écrit et de l'article L. 131-3, alinéa 1, du même code que : "La transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée." Il en résulte que tout acte de cession doit mentionner explicitement quelles parties des droits d'exploitation de l'auteur sont cédés : le droit de reproduction et/ou le droit de représentation, et ce dans un cadre strictement délimité.

31. En vertu de l'article L. 121-1, alinéa 1, du code de la propriété intellectuelle, l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. De plus, en application des dispositions des articles L. 122-1 et L. 122-4 du même code, le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction, et toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants-droit ou ayants-cause est illicite.

32. En application de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

33. Il est constant que les contrats entre les parties portaient sur des créations graphiques dont l'association Croix-rouge Française avait besoin pour sa communication interne et externe. Aucun des devis ou bons de commande ne comportait de mention relative à la cession de droits d'auteur sur les créations.

34. Il y a donc lieu de retenir que le droit d'auteur de reproduction a été cédé, pour chacune de ces oeuvres, pour la publication dans le document concerné ou pour l'usage prévu et que toute autre exploitation ultérieure sans l'accord de M. [O] doit être analysée comme un acte de contrefaçon.

35. M. [O] revendique des droits sur les oeuvres suivantes sans toutefois les présenter de façon isolée et précise :
- les pictogrammes et la composition générale du magazine Donner, c'est agir no71,
- un logo Gaïa et une affiche de lancement : "une fusée décolle de la Base contacts (base de données des salariés et bénévoles de l'association) dans un ciel blanc étoilé – signe de fluidité, de transparence – vers l'univers « Gaia » sorte de nébuleuse perchée dans un nuage et ses satellites aux couleurs de la CRF",
- "une série d'illustrations (...) associée dans un calendrier aux couleurs tendres" dans la mallette du bénévole, objet de la commande sur devis no523 du 9 décembre 2015,
- 5 illustrations originales façon « pixel » dans la carte de voeux 2016,
- un "guide de l'animateur", une boîte et des cartes à jouer,
- "trois dessins aux lignes épurées, façon Lego ou Playmobil," du magazine Donner, c'est agir no73,
- 39 illustrations et la direction artistique du film d'animation de 3 mn pour le lancement de la nouvelle signature CRF,
- déclinaison en flyer des affiches créées l'année précédente, modèles « Paul & José », et pictogrammes pour la formation "bien-être et autonomie",
- composition du magazine Donner, c'est agir no74,
- affiche "pyramide d'hommes et femmes casqués, en tenue de motard, dont on suppose, en se fixant sur le haut de l'affiche, qu'ils sont en équilibre sur un engin impressionnant . Mais non, ce n'est qu'une frêle bicyclette rose que suivent deux petits nuages blancs" pour la mobilisation de bénévoles,
- 4 illustrations pour la campagne "nouvel intranet",
- logo, programme, kakémonos et plan du site pour la 72ème AG de juin 2016,
- conception du "visuel" de la caravane 2016 et des journées mondiales des premiers secours avec "une automobile de couleur jaune, portant le logo de la Croix Rouge, tire une caravane faite de mots ou « sauver des vies » en rouge",
- composition du magazine Donner c'est agir no75,
- 3 affichettes élection & mode d'emploi et un livret de 20 pagepour des élections de janvier et mars 2017,
- une affichette représentant 4 cabas.

36. A l'appui de ses demandes, M. [O] invoque ses factures, qui ne sauraient valoir date d'exploitation de ses oeuvres.

37. Aucune pièce n'est produite témoignant d'une exploitation postérieure au 24 septembre 2016 des pictogrammes et de la composition générale du magazine Donner, c'est agir no71, des illustrations du calendrier 2016 de la mallette du bénévole, des illustrations de la carte de voeux 2016, du guide de l'animateur, des 3 dessins du magazine Donner, c'est agir no73, des 39 illustrations et du film d'animation de 3 mn pour le lancement de la nouvelle signature CRF, du magazine Donner, c'est agir no74, de l'affiche "pyramide" pour la mobilisation de bénévoles, des 4 illustrations pour la campagne "nouvel intranet", des logo, programme, kakémonos et plan du site pour la 72ème assemblée générale de 2016 ni du magazine Donner c'est agir no75.

38. Il verse, pour preuve d'une exploitation non autorisée de ses oeuvres, des captures d'écran du site internet de www.croix-rouge.fr datés du 11 mai 2022 (ses pièces 40 à 47 et 49 à 55) et fait valoir dans ses écritures que celles-ci témoignent de l'utilisation de sa plaquette pour la formation "bien-être et autonomie" (pièce no52) et des affiches et logos de la caravane 2016.
Quoiqu' interpellé sur ce point par les écritures adverses (p. 19), il ne précise pas lesquelles de ses oeuvres auraient été reproduites sur ces extraits de sites en date du 11 mai 2022. Or, d'une part, plusieurs des publications reprises par ces pièces semblent être attribuées à des auteurs tiers au présent litige et, d'autre part, la plupart ne présentent pas de lien évident avec les créations énumérées ci-dessus.
Il appartient à M. [O] de démontrer en quoi chacun des extraits de site datés du 11 mai 2022 serait une reprise de l'une de ses oeuvres, et laquelle, ce qu'il ne fait pas et le tribunal ne saurait se substituer à lui.
Le tribunal observe, en toute hypothèse, que la pièce no52 ne reprend aucunement la création (un flyer) figurant en pièce 17, mais seulement la photographie (autrement cadrée) qui y figure et le nom de la formation ; M. [O] n'étant l'auteur ni de l'une, ni de l'autre, il ne saurait s'en évincer aucune atteinte à ses droits.
Quant au "visuel" de la caravane 2016, M. [O] revendique sa qualité d'auteur de deux affiches (ses pièces 22) : la première comporte plusieurs images (une demi-voiture jaune portant le signe de la Croix-rouge, une femme âgée souriante avec un enfant blond, une personne aux cheveux courts au bras blessé et bandé, une caravane jaune portant le signe de la Croix-rouge) et la seconde ne comporte qu'un cercle bleu dans lequel s'inscrit "I[coeur] JMPS". Or aucune de ces images n'est présente sur ces pièces ( il apparaît seulement sur les pièces no51, 53 et 54 un attelage de voiture et caravane d'inspiration voisine mais clairement différent par la composition et les couleur).

39. Dans ces conditions, la preuve n'est pas rapportée des actes de contrefaçon allégués.

40. S'agissant des affichettes "élection & mode d'emploi" réalisées pour des élections ayant eu lieu en 2017 et "éco-gestes", il n'est pas démontré que ces oeuvres auraient fait l'objet d'une deuxième reproduction, non rémunérée par la facture initiale, de sorte que l'atteinte au droit d'auteur n'est pas établie.

41. Concernant le logo Gaïa, l'usage en tant que nom de domaine tel qu'il apparaît sur la première page de la pièce no58 - non datée - du demandeur ne peut porter atteinte à ses droits et la présence du logo en seconde page de cette pièce n'a pas de date et ne peut dont être retenue à titre de preuve de contrefaçon. La pièce no63 est une capture d'écran de la page de connexion à l'outil Gaïa datée du 9 septembre 2022, qui démontre que le logo utilisé à cette date est bien celui créé par M. [O].
Cette exploitation non autorisée relève de la contrefaçon de droit d'auteur.

42. Il en résulte que le demandeur démontre une exploitation contrefaisante du logo Gaïa. En l'absence de justification du préjudice allégué, le tribunal fixe à 500 euros le préjudice résultant de cette atteinte.

3 . Sur l'atteinte au droit moral de l'auteur

43. M. [O] fait valoir que, son nom n'ayant pas systématiquement été mentionné sur chaque exemplaires de ses créations, la défenderesse a porté atteinte à son droit à la paternité.

44. L'association Croix rouge française fait valoir que M. [O] n'a jamais fait état de la moindre difficulté quant à l'utilisation de ses oeuvres, ce serait donc faire preuve de mauvaise foi de sa part que de prétendre le contraire aujourd'hui.

Sur ce,

45. L'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit notamment que "L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible."

46. Il est constant que M. [O] n'a jamais signé ses créations, ni demandé à se voir nommé durant les nombreuses années de ses créations pour l'association Croix-rouge française. La question de la mention de sa paternité, et à plus forte raison des modalités de celle-ci, n'a jamais été évoquée entre les parties. Il se déduit de ces faits que M. [O] ne souhaitait pas révéler sa paternité.

47. Un auteur est fondé à demander à tout moment à ce que sa paternité sur son oeuvre soit reconnue et M. [O] est légitime à exiger postérieurement à la livraison de ses créations que son nom y soit mentionné, ce qu'il ne fait pas, se bornant à demander réparation de la diffusion de certaines de ses oeuvres sans son nom.

48. Il ne démontre donc aucune atteinte à son droit moral, ni, à plus forte raison, de préjudice en résultant.

49. Il y a donc lieu de rejeter ses demandes ce titre.

III . Dispositions finales

50. L'association Croix-rouge française, qui succombe, est condamnée aux dépens et l'équité justifie de la condamner à payer à M. [O], dont beaucoup de demandes sont rejetées, la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Condamne l'association Croix-rouge française à payer à M. [D] [O] la somme de 40.392 euros en réparation de la rupture brutale des relations commerciales ;

Condamne l'association Croix-rouge française à payer à M. [D] [O] la somme de 500 euros en réparation de la contrefaçon du logo Gaia ;

Rejette les demandes de M. [D] [O] en contrefaçon de droit d'auteur sur les autres oeuvres ;

Condamne l'association Croix-rouge française aux dépens ;

Condamne l'association Croix-rouge française à payer à M. [D] [O] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 10 Novembre 2023

Le Greffier La Présidente
Quentin CURABET Irène BENAC


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 21/12225
Date de la décision : 10/11/2023

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2023-11-10;21.12225 ?
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