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10/11/2023 | FRANCE | N°21/05819

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0196, 10 novembre 2023, 21/05819


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS




3ème chambre
2ème section




No RG 21/05819
No Portalis 352J-W-B7F-CUJOH


No MINUTE :




Assignation du :
16 Avril 2021






























JUGEMENT
rendu le 10 Novembre 2023
DEMANDERESSE


S.A.R.L. GENOT
[Adresse 3]
[Localité 7]


représentée par Maître Guillaume DAUCHEL de la SELARL CABINET SEVELLEC DAUCHEL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #W0

009


et par Maître Myriam JEAN, avocat au barreau de METZ, avocat plaidant.




DÉFENDERESSES


S.A.R.L. [P] LEMOINE
[Adresse 4]
[Localité 7]


S.C.I. [Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 7]


représentée par Maître Christophe LEVY-DIERES de la S...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 21/05819
No Portalis 352J-W-B7F-CUJOH

No MINUTE :

Assignation du :
16 Avril 2021

JUGEMENT
rendu le 10 Novembre 2023
DEMANDERESSE

S.A.R.L. GENOT
[Adresse 3]
[Localité 7]

représentée par Maître Guillaume DAUCHEL de la SELARL CABINET SEVELLEC DAUCHEL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #W0009

et par Maître Myriam JEAN, avocat au barreau de METZ, avocat plaidant.

DÉFENDERESSES

S.A.R.L. [P] LEMOINE
[Adresse 4]
[Localité 7]

S.C.I. [Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 7]

représentée par Maître Christophe LEVY-DIERES de la SELEURL ARGONE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0135

Copies éxécutoires délivrées le :
- Maître DAUCHEL #W009
- Maître LEVY-DIERES # A135

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Anne BOUTRON, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assistés de Monsieur Quentin CURABET, Greffier

DEBATS

A l'audience du 01 Juin 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile.

Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 22 Septembre 2023, puis prorogé en dernier lieu au10 Novembre 2023.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

1. La sarl Genot exploite sous le nom commercial et l'enseigne ‘Maison des soeurs macarons' un commerce de confiseries et en particulier de macarons de [Localité 7]. Elle est titulaire d'une marque semi-figurative française ‘Maison des soeurs macarons à [Localité 7]' numéro 1 428 634 déposée en 1987 pour renouveler un dépôt antérieur de 1977 et enregistrée pour désigner des macarons (classe 30), représentée ci-dessous (ci-après la marque Maison des soeurs macarons).

2. La société [P]-lemoine (ci-après la société [P]) exploite un commerce de même genre et la SCI [Adresse 1] (ci-après la SCI [Adresse 1]), dont le dirigeant est le même, est propriétaire depuis 2018 d'un local au rez-de-chaussée à l'adresse éponyme, ayant abrité l'atelier historique de l'enseigne Maison des soeurs macarons et contenant toujours d'anciens fours à bois.

3. La SCI [Adresse 1] est titulaire de la marque française semi-figurative ‘[5] [Adresse 1]' numéro 4 531 162 déposée le 6 mars 2019 et enregistrée le 16 aout suivant pour désigner divers produits en classe 30 et divers services en classe 41 (ci-après la marque [5]), représentée ci-dessous.

4. La société Genot a déposé le 19 aout 2020 une marque verbale française ‘Soeurs macaron' pour désigner des produits en classe 30 et des services en classe 35, à laquelle les sociétés [P] et [Adresse 1] ont fait opposition le 9 novembre 2020, en se prévalant de la marque [5] de la SCI [Adresse 1], de la dénomination de celle-ci, de son « nom commercial ou enseigne » Musée [5] [Adresse 1] des soeurs macarons, ainsi que du nom de domaine [5].fr dont la société [P] s'est dite titulaire.

5. Reprochant alors à ces sociétés l'usage de signes contenant les termes « soeurs macarons », dont celui de la marque [5], la société Genot les a assignées en contrefaçon de la marque Maison des soeurs macarons, concurrence déloyale et nullité de la marque [5], le 16 avril 2021. La procédure d'opposition devant l'Institut national de la propriété intellectuelle est suspendue dans l'attente de la présente décision. L'instruction a été close le 7 février 2023.

Prétentions des parties

6. Dans ses dernières conclusions (23 septembre 2022), la société Genot, qui soulève l'irrecevabilité des demandes reconventionnelles et y résiste au fond, invoque d'une part la contrefaçon de sa marque et une concurrence déloyale, demandant 100 000 de provision à la seule société [P] au titre de la contrefaçon et 120 000 euros de dommages et intérêts définitifs aux sociétés [P] et [Adresse 1] prises solidairement au titre de la concurrence déloyale, outre 20 000 euros (définitifs) pour préjudice moral et d'image aux deux titres et aux deux sociétés prises solidairement, ainsi qu'un droit d'information contre la société [P] et des mesures d'interdiction et de publication, d'autre part la nullité de la marque de la défenderesse. Elle demande par ailleurs d'enjoindre à la défenderesse de retirer son opposition à sa nouvelle marque et réclame enfin 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

7. Dans leurs dernières conclusions (5 décembre 2022), les sociétés [P] et [Adresse 1] résistent aux demandes, reconventionnellement demandent la nullité de la marque Maison des soeurs macarons, subsidiairement sa déchéance, la nullité de la marque Soeurs macaron, invoquent une concurrence déloyale au titre de laquelle la société [P] demande 278 473,50 euros « à parfaire » pour préjudice économique et 15 000 euros pour préjudice moral ainsi que des mesures d'interdiction et publication. Elles demandent enfin ensemble 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et « les frais de la médiation ».

Moyens des parties

8. La société Genot estime que la marque [5] est nulle pour caractère trompeur, pour risque de confusion avec sa marque antérieure et son nom commercial, pour fraude et mauvaise foi. Elle lui reproche en effet de faire croire que les pâtisseries vendues sous cette marque sont fabriquées dans le « four des soeurs macarons » au 10 de la rue homonyme alors que ne s'y trouve qu'un musée, d'avoir pour objectif de faire croire que la société [P] fabrique les pâtisseries traditionnelles des soeurs macarons et de viser encore à l'empêcher, elle, d'exploiter sa marque.

9. Sur la contrefaçon, elle reproche à la société [P] d'utiliser l'appellation « Soeurs macarons » à titre commercial et publicitaire sur sa vitrine, son site internet, la page du site des journées du patrimoine consacrée au musée du [Adresse 1], lequel ne serait, selon elle, qu'un alibi pour placer l'expression « Soeurs macarons » sur le site de la société [P].

10. Sur la concurrence déloyale, elle soutient que la société [P] s'approprie la marque, le « patrimoine secret », la « recette authentique » et l'histoire réelle des soeurs macarons, en faisant le lien avec les [5], en utilisant cette appellation dans sa communication commerciale et en ligne pour désigner une pâtisserie sans mettre en oeuvre le « savoir faire particulier de la recette originale tenue secrète », et en cherchant à susciter la confusion et en recourant à une communication axée sur la recette historique et la tradition. Elle lui reproche également d'utiliser la même présentation des produits, vendus également à la douzaine.

11. Sur son préjudice, elle estime d'abord nécessaire de connaitre le nombre de macarons vendus depuis 2019 par la société [P] et le chiffre d'affaires associé car celle-ci utilise depuis cette date la dénomination Soeurs macarons dans sa communication pour faire croire qu'elle détient le savoir-faire de la recette originale. Dans l'attente de ces documents, elle demande une provision de 100 000 euros. S'agissant de la concurrence déloyale et parasitaire, elle fait valoir son chiffre d'affaires annuel de 541 805 euros sur les macarons, ses investissements pour renforcer l'excellence du savoir-faire transmis depuis plusieurs siècles et promouvoir la notoriété de ses macarons (123 000 euros HT de dépenses de communication en cinq ans). Elle invoque encore un préjudice moral et d'image de 20 000 euros du fait de la dilution de sa marque et de la contestation par la société [P] de l'existence d'une recette secrète, ce qu'elle qualifie de comportement dénigrant.

12. Contre la demande reconventionnelle en nullité de sa marque Maisons des soeurs macarons, qu'elle estime prescrite, elle conteste le caractère trompeur de la marque. Contre la demande reconventionnelle en concurrence déloyale, dont elle estime qu'elle met « en évidence [la] démarche déloyale » des sociétés [P] et [Adresse 1], la société Genot rappelle la chaine de succession de fonds de commerce et de transmission de savoir-faire, explique revendiquer seulement la seule recette des soeurs macarons et non la seule recette de macarons de Nancy, affirme que l'histoire des soeurs macarons est un fait historique et estime que c'est même pour cette raison que la SCI [Adresse 1] a acquis l'appartement et le four pour en faire un musée.

**

13. Les sociétés [P] et [Adresse 1] soulèvent la nullité de la marque Maison des soeurs macarons pour caractère trompeur, car cette marque suppose selon elles que les soeurs macarons seraient à l'origine de l'entreprise, que celle-ci aurait été fondée en 1793 et qu'une recette secrète aurait été transmise depuis au titulaire de la marque, ce qui est faux, affirment-elles, contestant notamment la succession invoquée par la demanderesse et en particulier le fait que la première successeuse des « soeurs macarons » fût la nièce de l'une d'elle comme l'affirme la demanderesse. Elles estiment que dans ce cadre le déposant de la marque aurait en réalité tenté de s'approprier un patrimoine historique sur lequel il n'avait aucun droit. Elles en invoquent subsidiairement la déchéance en ce qu'elle serait devenue trompeuse en entretenant faussement le lien avec le lieu de fabrication historique au [Adresse 1], qui n'est plus le lieu de fabrication actuel, mais auquel renvoient selon elles dans la marque l'élément verbal « Maison des soeurs macarons » et le dessin de religieuse qui correspond au vitrail encastré dans une porte du bâtiment, vitrail qui est d'ailleurs, ajoutent-elles, reproduit sans autorisation sur la boutique et le site internet de la société Genot. Elles ont précisé dans leurs dernières conclusions que la fin de non-recevoir dirigée contre leur demande en nullité n'était pas recevable faute d'avoir été présentée au juge de la mise en état. Celui-ci n'est pas intervenu avant de prononcer la clôture.

14. Contre la demande en nullité de la marque [5], les sociétés [P] et [Adresse 1] font valoir qu'elle n'est pas trompeuse dès lors qu'il y a bien un musée à l'adresse indiquée, qui abrite bien les fours historiques des soeurs macarons, contestent toute mauvaise foi ou intention de nuire, expliquant avoir simplement déposé la marque dans le cadre de l'exploitation d'un immeuble dont la SCI [Adresse 1] est propriétaire et précisant que la marque n'est utilisée que pour le musée dont la communication précise qu'il est exploité par la « Confiserie [P] ». Elles contestent tout risque de confusion en soulignant que les marques sont différentes, ajoutent que conceptuellement les marques font référence aux soeurs macarons qui sont, estiment-elles, un symbole historique et comme tel insusceptible d'appropriation. Elles rappellent qu'une enseigne ou un nom commercial ne peut pas servir d'antériorité sauf à être connu sur l'ensemble du territoire.

15. Contre la demande en contrefaçon, elles soutiennent que la marque de la demanderesse ne lui donne pas de droit de propriété sur le signe verbal Soeurs macarons, insistent sur le fait que les soeurs macarons font partie du patrimoine historique de [Localité 7] et ne sauraient dès lors être appropriées par la société Genot, font valoir que le signe litigieux n'est utilisé que pour le musée situé au [Adresse 1], qu'aucun acte de contrefaçon n'est imputable à la société [P], les occurrences du signe Soeurs macarons sur son site ne suscitant aucun risque de confusion ou consistant en la mention des fours, ce qui n'est pas contrefaisant, estiment-elles. Elles ajoutent que le fait qu'un lien vers le site de la société [P] apparaisse sur la page du site des journées du patrimoine dédiée au [Adresse 1], ne leur est pas imputable, ce site étant un site du gouvernement.

16. Contre la demande en concurrence déloyale, elles indiquent ne pas exploiter la marque [5] pour un commerce de vente de macarons, seulement pour un musée, sans faire de lien entre la « Confiserie [P] » ou le musée et la prétendue recette secrète de la société Genot, et sans aucun risque de confusion.

17. Contre les mesures et réparations réclamées, elles estiment que la demanderesse ne démontre pas son préjudice mais que puisqu'elle le chiffre déjà elle n'a pas besoin de connaitre le chiffre d'affaires de la société [P], de sorte que la demande de communication en ce sens devrait être rejetée. Elles soulignent que leur commerce de macarons est exploité exclusivement sous les signes de la Confiserie [P] et non Soeurs macarons. Elles contestent l'existence de tout risque de confusion, y compris s'agissant de la concurrence déloyale, font valoir que la demanderesse n'allègue aucune perte et rappellent que les faits litigieux ont débuté en 2019.

18. Sur leur demande reconventionnelle en concurrence déloyale, elles reprochent à la société Genot de se prétendre dépositaire d'une recette authentique des soeurs macarons alors que celles-ci ne sont qu'une légende et qu'il est faux de dire qu'une des soeurs macarons a transmis cette recette à sa nièce alors d'une part qu'il ne s'agissait pas de sa nièce mais de la nièce par alliance de sa soeur et d'autre part que rien n'indique qu'une recette aurait été transmise. Ce comportement donne selon elles à la société Genot un avantage concurrentiel indu, qu'elles estiment à 5% de son chiffre d'affaires annuel soit 278 473,50 euros. Elles lui reprochent en outre de se présenter à tort comme le seul fabricant de « véritables » macarons de [Localité 7] ce qui vulgariserait les produits de la société [P] et lui causerait ainsi un préjudice forfaitaire de 15 000 euros. Elles en déduisent que la société Genot doit se voir contraindre à cesser de revendiquer tout lien de succession qu'elle aurait avec les soeurs macarons et toute référence à une recette secrète et authentique.

MOTIVATION

I . Demande reconventionnelle en nullité de la marque Maison des soeurs macarons

19. Soulevé également par les sociétés [P] et [Adresse 1] par voie d'exception à l'encontre de la demande en contrefaçon formée par la société Genot, le moyen de défense tiré de la nullité de cette marque est recevable quand bien même une demande d'annulation de la marque par voie d'action se heurterait à une fin de non-recevoir. Il est donc nécessaire de l'examiner.

1 . Nullité

20. Les parties s'appuient sur le code de la propriété intellectuelle dans sa version en vigueur depuis le 15 décembre 2019. Toutefois, les conditions de validité d'une marque, qui s'apprécient à la date de la demande d'enregistrement, sont régies par la loi en vigueur à cette date, c'est-à-dire ici la loi du 31 décembre 1964 sur les marques, dont l'article 3 prévoit notamment que ne peuvent être considérées comme marques celles qui comportent des indications propres à tromper le public.

21. Les sociétés [P] et [Adresse 1] soutiennent en substance que la marque est trompeuse en ce qu'elle revendiquerait une origine et une recette secrète remontant aux religieuses [R] [X] et [L] [C], figures légendaires qui furent appelées « soeurs macarons », alors qu'une transmission de celles-ci jusqu'à la société Genot ne serait pas prouvée (et ce d'autant moins qu'il s'agirait seulement d'une légende) et que cette origine serait en fait un patrimoine commun de la ville de [Localité 7].

22. Ce raisonnement suppose que le public pertinent connait l'histoire des « soeurs macarons » et comprend, en voyant la marque dont les mentions verbales complètes sont « Maison des soeurs macarons à [Localité 7] (déposé) - origine des macarons de [Localité 7] - maison fondée en 1793 - marque de fabrique », qu'il s'agit du commerce originel fondé par ces religieuses.

23. Une telle affirmation est toutefois erronée : le public pertinent, c'est-à-dire les consommateurs de macarons, donc le grand public, raisonnablement informé, n'a pas une connaissance aussi pointue de l'histoire du produit. Confronté à cette marque (représentée ci-dessus au point 1), le public est seulement conduit à penser que les produits visés sont vendus par une entreprise pouvant légitimement prétendre à une origine vers la fin du XVIIIe siècle (« maison fondée en 1793 ») et un rôle précurseur dans le développement desdits produits dans la ville de [Localité 7] (« origine des macarons de [Localité 7] »).

24. S'agissant du nom lui-même (Maison des soeurs macarons), le public n'y verra aucune indication : un tel nom peut avoir de nombreuses explications, par exemple une référence à des religieuses, ce qu'indique également le dessin, mais sans que cette référence suffise à laisser entendre au public qu'il s'agit d'une caractéristique réelle du produit, notamment au regard de son origine ou sa fabrication. Quant à l'existence d'une recette authentique transmise depuis l'origine, elle n'est pas indiquée par la marque.

25. Il faut donc seulement vérifier si les deux attentes que la marque fait naitre dans l'esprit du public, indiquées au point 23, sont fausses, étant rappelé que la charge de la preuve incombe à celui qui allègue le caractère trompeur de la marque.

26. La marque litigieuse a été déposée par [G] [Y] en 1987 (la loi de 1964 ne prévoyait pas le renouvèlement mais seulement des dépôts successifs tous les 10 ans). Celui-ci était propriétaire du fonds de commerce connu sous le nom de Maison des soeurs macarons, qu'il a cédé le 31 janvier 1991 à la société Genot (pièce Genot no24).

27. [G] [Y] avait succédé à ses parents, les époux [O] [Y] et [R] [M] (pièce Genot no24), qui avaient eux-mêmes acquis le fonds de commerce sur les époux [O] [K] et [A] [E] en 1935 (pièces Genot no23 et 24), qui l'avaient eux-mêmes acquis en 1920 sur les époux [W] [K] et [F] [T] (pièce Genot no23 et 22b), qui l'avaient acquis en 1903 sur les époux [S] [K] et [A] [J] (pièces Genot no22a et 22b), le fonds étant alors déjà connu sous le nom de Maison des soeurs macarons et situé à la même adresse du [Adresse 2] (devenue [Adresse 1]). [S] [K] avait auparavant déposé une marque semi-figurative Maison des soeurs macarons à [Localité 7] en 1893 (pièce Genot no4), cédée avec le fonds en 1903 (et dont le devenir ultérieur n'est pas indiqué par les parties).

28. Il est constant que cette adresse est celle à laquelle vivaient, ou auraient vécu selon la légende s'il s'agit seulement d'une « légende », les soeurs [R] (ou [N]) [X] et [L] [C], qui sont les « soeurs macarons » à l'origine du nom (comme l'affirment elles-mêmes les sociétés [P] et [Adresse 1] dans leurs conclusions p. 7, p. 33 et comme l'attestent de nombreuses pièces dont elles se prévalent, par exemple no9b). Les sociétés [P] et [Adresse 1] invoquent elles-mêmes un récit paru au XIXe siècle, en 1863, dans le journal Figaro, qui fait état du commerce de macarons déjà situé [Adresse 2] sous l'enseigne Les Soeurs macarons en référence aux deux religieuses qui y auraient été accueillies à la Révolution, commerce dont les macarons « sont toujours, au dire des gourmets, aussi bons que par le passé » (leur pièce no7a), récit cité mot pour mot en 1875 dans un autre ouvrage dont elles se prévalent (leur pièce no7b, Hostelains et taverniers de [Localité 7]), qui ajoute que le commerce des Soeurs macarons au [Adresse 2] appartient alors aux [D], depuis que la dernière survivante des deux soeurs macarons, [N] [X], y aurait associé sa nièce, mariée à un [D]. Ce récit est complété encore par une autre pièce communiquée par les sociétés [P] et [Adresse 1] (leur pièce no7c, Histoire de [Localité 7], 1909, p. 773) qui donne la date de 1793 pour la fermeture du couvent des deux religieuses et confirme la transmission du commerce des [D] aux [K]. Un dernier document cité par les sociétés [P] et [Adresse 1] elles-mêmes (leur pièce no7d, Les Rues de [Localité 7], 1885), va jusqu'à affirmer que le commerce du [Adresse 2] est alors l'unique fabricant des macarons de [Localité 7].

29. Pour la période antérieure, la société Genot démontre que le [Adresse 2] était déjà désigné comme un immeuble présentant une enseigne des Soeurs macarons dans un journal d'annonces dont la date, ajoutée à la main mais non contestée, est le 16 juin 1829 (sa pièce no78).

30. Il en résulte que le commerce à l'enseigne des Soeurs macarons, dont le déposant de la marque pouvait valablement se dire le successeur, est susceptible d'être à l'origine des macarons de [Localité 7] comme l'affirme la marque et qu'il correspond à un récit impliquant deux religieuses ayant commencé à fabriquer des macarons à l'adresse de ce commerce après la fermeture de leur couvent en 1793.

31. Il résulte également de ce qui précède que l'histoire des « soeurs macarons », qu'elle soit réelle ou non, est indissociable du commerce de macarons dont le déposant de la marque était le propriétaire. Il ne s'agit donc pas d'un « patrimoine commun » comme l'affirment péremptoirement les sociétés [P] et [Adresse 1].

32. Par conséquent, le moyen tiré du caractère trompeur de la marque est écarté.

2 . Déchéance

33. La déchéance est régie par les textes en vigueur à la date à laquelle la prise d'effet de la déchéance est demandée. Il faut supposer ici qu'il s'agit de la date à partir de laquelle des faits de contrefaçon sont reprochés à la société [P], soit le courant de l'année 2019.

34. L'article 20 de la directive 2015/2436 rapprochant les législations des États membres sur les marques (la directive), entré en vigueur le 15 janvier 2019 sans délai de transposition, et reprenant les dispositions en substance identiques de l'article 12, paragraphe 2 de la directive 2008/95, prévoit la déchéance de la marque devenue trompeuse dans les termes suivants :

« Le titulaire d'une marque peut être déchu de ses droits lorsque, après la date de son enregistrement, la marque:
(...)
b) risque, par suite de l'usage qui en est fait par le titulaire ou avec son consentement pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, d'induire le public en erreur notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique de ces produits ou de ces services. »

35. Ces dispositions sont mises en oeuvre en droit interne en des termes non incompatibles par l'article L. 714-6 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction antérieure au 15 décembre 2019.

36. Les sociétés [P] et [Adresse 1] soutiennent en substance que la marque serait devenue trompeuse car elle renverrait à la « maison » des soeurs macarons, qui serait l'immeuble situé au 10 de la rue du même nom, alors que les produits désignés par la marque ne sont plus ni fabriqués ni vendus en ce lieu.

37. La marque, qui ne mentionne aucune adresse ni aucun nom de lieu hormis la ville de [Localité 7], contient l'élément verbal « maison », ce qui dans une marque s'entend a priori au sens d'entreprise commerciale et non de bâtiment d'habitation. Cette interprétation est au demeurant confirmée par un autre élément verbal de la marque précisant que cette « maison » a été fondée en 1793, ce qui renvoie sans équivoque pour le public à la fondation de l'entreprise et non à la construction d'un immeuble.

38. Quant à la correspondance entre le dessin d'une femme pouvant être une religieuse dans la marque et le même dessin sur une vitre du [Adresse 1], elle est évidemment indifférente : outre que le grand public ne connait pas cette coïncidence, elle n'est pas de nature à laisser penser que le produit vendu sous la marque a un lien avec le lieu où se trouve ce dessin.

39. S'agissant enfin de l'absence d'autorisation de reproduire ce vitrail dans la marque, le tribunal n'est pas parvenu à comprendre en quoi le propriétaire d'un immeuble pourrait par principe interdire aux tiers de reproduire des éléments de cet immeuble, et en quoi cela aurait une incidence sur le caractère trompeur d'une marque.

40. Le moyen de déchéance, dépourvu de sérieux, est donc écarté.

41. Il en résulte que la marque contestée n'est ni nulle, ni déchue, et que la demande reconventionnelle en ce sens, à la supposer recevable, est en toute hypothèse infondée et peut donc être rejetée.

II . Demande en nullité de la marque [5]

42. L'article 4 de la directive 2015/2436, dont le délai de transposition a expiré avant le dépôt de la marque en cause, régit la nullité d'une marque nationale à raison de la mauvaise foi du déposant dans les termes suivants :

« 2. Une marque est susceptible d'être déclarée nulle si sa demande d'enregistrement a été faite de mauvaise foi par le demandeur. Un État membre peut aussi prévoir qu'une telle marque est refusée à l'enregistrement. »

43. S'agissant de la mauvaise foi, l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle en vigueur à la date du dépôt de la demande d'enregistrement, qui permet la revendication de la marque déposée en fraude des droits du demandeur, combiné au principe selon lequel la fraude corrompt tout, autorise une interprétation conforme à l'article 4, paragraphe 2, précité, de la directive, prévoyant la nullité de la marque déposée de mauvaise foi (voir, en ce sens, Cass. Com., 17 mars 2021, no18-19.774).

44. La cause de nullité tirée de la mauvaise foi s'applique lorsqu'il ressort d'indices pertinents et concordants que le titulaire d'une marque a introduit la demande d'enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence, mais avec l'intention de porter atteinte, d'une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l'intention d'obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d'une marque, notamment de la fonction essentielle d'indication d'origine (CJUE, 29 janvier 2020, Sky, C-371/18, point 75 et jurisprudence citée).

45. La logique commerciale du dépôt de la marque litigieuse au regard des activités du déposant est un facteur pertinent (CJUE, 12 septembre 2019, Koton, C-104/18 P, point 62 in fine), mais sans pouvoir déduire une mauvaise foi de la seule absence d'activité économique, le déposant disposant d'un délai de cinq ans pour débuter l'usage sérieux de sa marque (CJUE, Sky, précité, points 76 et 78).

46. Il est constant que la marque litigieuse a été déposée par la SCI [Adresse 1] essentiellement pour désigner une activité de musée au [Adresse 1], qui est le local où se trouvait jusqu'au début des années 1980 l'atelier de l'entreprise des époux [O] [Y] et [R] [M] et de leur successeur [G] [Y], qui a ultérieurement cédé le fonds à la société Genot.

47. Il résulte de l'analyse menée ci-dessus aux points 27 à 29 que le local du [Adresse 1], où se trouvent les fours auxquels la marque litigieuse fait référence, était le local, à partir de 1829 (au moins) et jusqu'au début des années 1980, du commerce de macarons connu sous le nom de (Maison des) Soeurs macarons dont la société Genot est aujourd'hui propriétaire du fonds, désormais exploité à une autre adresse. À supposer même que les soeurs [R] [X] et [L] [C] n'aient pas eu d'existence réelle et n'aient pas été à l'origine des Soeurs macarons, il n'en demeure pas moins qu'une seule entreprise a utilisé ce nom et cette origine, vraie ou supposée, depuis le XIXe siècle, et a exploité un commerce de pâtisserie dans ce local : au-delà de leur contestation systématique de la réalité de la transmission d'une « recette secrète » jusqu'à la société Genot et de leur affirmation générale selon laquelle les Soeurs macarons seraient un bien commun, les sociétés [P] et [Adresse 1] n'apportent en effet aucun élément de nature à suggérer (sans parler de prouver) qu'une autre personne aurait contribué à l'émergence de l'histoire ou de la légende des soeurs macarons. Cette histoire, ou cette légende, est donc celle de la société Genot.

48. Le musée en cause, dédié, selon la SCI [Adresse 1] elle-même, à l'histoire du lieu de fabrication des macarons, est donc nécessairement un musée destiné à l'histoire de la Maison des soeurs macarons, donc de l'entreprise appartenant à la société Genot.

49. Un tel musée est a priori honnête et un commerçant ne peut empêcher des tiers de raconter son histoire, à condition, toutefois, pour le tiers de ne pas se faire passer pour le sujet de cette histoire, et plus généralement de ne pas s'en servir pour favoriser un produit ou un service concurrent de celui dont on raconte l'histoire.

50. Or, ici, il est constant que la SCI [Adresse 1], déposant et titulaire de la marque litigieuse et qui n'a aucune autre activité, est dirigée par le dirigeant de la société [P], concurrente directe de la société Genot ; les sociétés [P] et [Adresse 1] se désignent d'ailleurs explicitement dans leurs conclusions comme constituant ensemble « la Confiserie [P] » : ces deux sociétés agissent donc de concert dans un même but qui est celui d'un commerce de confiserie (ou de pâtisserie), concurrent de celui de la société Genot.

51. Les conditions d'exploitation de ce « musée » confirment l'intention de la « Confiserie [P] » de s'approprier l'héritage historique d'un concurrent par l'intermédiaire de son ancien local. En effet, les photographies produites par la société Genot (sa pièce no30), et dont les défenderesses ne contestent pas qu'elles proviennent bien de leur musée du [Adresse 1], montrent que dans ce local, le parcours de visite débute par un panonceau contenant la partie colorée carrée de la marque litigieuse sous laquelle sont écrits les mots « Confiserie [P]-Lemoine », que sur le mur au-dessus d'un four en brique est affichée une plaque avec les mots « [P] [O] » et que sur un présentoir se trouve, parmi des étiquettes anciennes des Soeurs macarons, une boite ancienne de macarons « [P] [U] ». La SCI [Adresse 1] (ou la « Confiserie [P] ») utilise donc la marque litigieuse dans le cadre d'un lieu éducatif ou muséal pour associer le commerce de pâtisseries [P]-Lemoine et son passé à l'histoire de ce lieu, alors que cette histoire est celle d'un commerce concurrent.

52. Ce lien est encore fait sur le site internet de la société [P] qui, dans la rubrique consacrée à son histoire, raconte comment elle a acquis en 1958 le local du [Adresse 1], dont elle précise qu'il abritait le « lieu historique de la marque ‘Maison des soeurs macarons', alors exploitée par [O] [Y] », mais sans préciser que cette entreprise, qui a donné sa valeur historique à ce lieu, est une entreprise différente qui existe toujours. Au contraire, elle entretient la confusion en affirmant être « l'unique gardienne de cet important et si secret patrimoine nancéien ». Le lien entre l'utilisation de la marque litigieuse et le commerce de la société [P] est aussi fait, en sens inverse, sur la page du site officiel des journées du patrimoine consacrée au musée du [Adresse 1], qui indique que « la maison des Soeurs Macarons abrite le musée [5] créé par la Confiserie [P] » et renvoie par un lien hypertexte au site de la société [P]. À cet égard, la contestation des défenderesses qui affirment être étrangères à cette référence car ce site est édité par le gouvernement n'est pas sérieuse : le site des journées du patrimoine référence des lieux selon les informations qui lui sont données, et en toute hypothèse la page en cause indique clairement, par un « crédit » et un signe « copyright », que l'auteur de la notice est la « Confiserie [P]-lemoine ».

53. Le but du dépôt de la marque litigieuse ne s'explique en outre par aucune autre logique économique : le musée n'est ouvert que pendant les journées du patrimoine, soit deux jours par an, ce qui n'est pas un usage économique sérieux. Il s'en déduit que l'activité à laquelle la marque était destinée n'était qu'une activité annexe, servant en réalité, comme cela ressort des constatations des points précédents, à promouvoir un commerce concurrent de celui dont le local en cause était le lieu historique, ou à tout le moins de généraliser abusivement cette histoire en la dissociant de ce commerce.

54. Enfin, l'attitude de la SCI [Adresse 1] traduit par ailleurs la volonté de se servir de la marque, soi-disant destinée à un musée historique, pour empêcher l'entreprise concernée par cette histoire de déposer un signe nécessaire à son activité : la SCI [Adresse 1] s'est en effet prévalue de la marque litigieuse pour faire opposition à la marque verbale Soeurs macaron déposée par la société Genot, alors qu'il s'agit de la partie principale du signe sous lequel le commerce de la société Genot est exploité depuis près de 200 ans. C'est aussi dans ce seul but que se comprend le dépôt de la marque pour les produits en classe 30, la SCI [Adresse 1] ne contestant pas, au demeurant, n'avoir jamais eu aucune intention d'exploiter la marque pour ces produits.

55. Il en résulte que la SCI [Adresse 1], dès la date du dépôt de la marque litigieuse, était animée, à l'égard de l'intégralité des produits et services visés, d'une intention de porter atteinte, d'une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de la société Genot en cherchant à dissocier dans l'esprit du public l'histoire de cette entreprise de la société qui l'incarne, voire à se l'approprier, et dans le même temps à empêcher la société Genot de déposer une marque utile aux besoins légitimes de son activité, ce que la SCI [Adresse 1] savait manifestement.

56. Par conséquent, déposée de mauvaise foi, la marque est annulée.

III . Demandes de la société Genot en contrefaçon et concurrence déloyale

1 . Atteinte au droit conféré par la marque

a. Cadre juridique

57. Les droits sur les marques nationales sont prévus par la directive 2015/2436, à son article 10, rédigé en ces termes :

« 1. L'enregistrement d'une marque confère à son titulaire un droit exclusif sur celle-ci.

2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité de la marque enregistrée, le titulaire de ladite marque enregistrée est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, d'un signe lorsque :
(...)
b) le signe est identique ou similaire à la marque et est utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque ;
(...). »

58. L'atteinte au droit exclusif conféré par la marque, codifié en droit interne, en des termes non expressément incompatibles avec ceux de la directive, à l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction postérieure au 15 décembre 2019, est qualifiée de contrefaçon, engageant la responsabilité civile de son auteur, par l'article L. 716-4.

59. La Cour de justice de l'Union européenne a précisé que le droit exclusif du titulaire de la marque, qui n'est pas absolu, ne l'autorise à s'opposer à l'usage d'un signe par un tiers en vertu de l'article correspondant à l'actuel article 10, dans les conditions énumérées au paragraphe 2, sous a) et b), que si cet usage porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque et notamment à sa fonction essentielle qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service (CJCE, 12 novembre 2002, Arsenal football club, C-206/01, point 51 ; plus récemment, CJUE, 25 juillet 2018, Mitsubishi, C-129/17, point 34).

b. Faits litigieux

Usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, similaires à ceux de la marque

60.
Il ressort de deux constats d'huissier produits par la société Genot (ses pièces no29 et 40) que les 16 décembre 2020 et 22 juin 2021 la page d'accueil du site de la société [P] (www.[06]-lemoine.fr), présentant son activité de vente de pâtisseries, mentionnait « son » musée, « Les [5], [Adresse 1] » et contenait un lien intitulé « [5] » vers un site [5].fr qui était en fait dédié à l'histoire de différentes marques [P] et renvoyait à un troisième site, à la présentation identique à celle du site [06]-lemoine.fr, présentant l'histoire des macarons, à laquelle était intégrée la même référence au musée des « [5] » que dans la rubrique historique du site [06]-lemoine.fr (examinée ci-dessus point 52), et renvoyant, par un lien intitulé « macarons de [Localité 7] » à un quatrième site sur lequel on pouvait acheter des macarons [P]-lemoine. Le site principal [06]-lemoine.fr affirmait également sur sa page d'accueil, le 26 aout 2020, que la « Confiserie [P] » était « la gardienne du berceau des Macarons de [Localité 7] : les [5], [Adresse 1] » (pièce Genot no28).

61. Il s'agit d'un usage non autorisé, dans la vies des affaires, du signe [5] pour faire référence non pas seulement à un musée, mais également à un service de vente de macarons et plus précisément à sa dimension historique (puisqu'il s'agit de décrire l'histoire dont se revendique la « Confiserie [P] »), ce qui est bien un usage « pour des services » au sens de l'article 10, paragraphe 2 de la directive, précité. Le service en cause, la vente de macarons, est similaire au produit pour lequel la marque est enregistrée, à savoir les macarons.

Comparaison des signes

62. La marque Maison des soeurs macarons, représentée ci-dessus au point 1, est constituée d'un médaillon au centre duquel est gravé le buste d'une femme à la tête voilée, autour de laquelle sont écrits, en ovale et en lettres capitales, les mots « Maison des soeurs macarons à [Localité 7] (déposé) », puis dans un deuxième ovale concentrique, en lettres capitales de taille inférieure, « Origine des macarons de [Localité 7] » et « Maison fondée en 1793 », enfin, en-dessous, de taille encore inférieure, « marque de fabrique ».

63. S'agissant d'une marque désignant des macarons, les mots du deuxième ovale sont descriptifs, de même que la mention « marque de fabrique », la mention « déposé » dans le premier ovale, et la précision d'origine géographique (« à [Localité 7] »).

64. Le dessin d'un buste de femme au centre de la marque est normalement distinctif, mais en présence d'un élément verbal c'est sur ce dernier que le public cherchera l'élément déterminant de l'origine commerciale du produit, cet élément verbal étant plus à même qu'un dessin figuratif sobre et relativement banal de distinguer cette origine des autres sans risque d'erreur. Ce sont ainsi les mots « Maison des soeurs macarons », qui entourent le centre du médaillon, qui constituent l'élément le plus distinctif de la marque. Le dessin, néanmoins, en montrant une femme susceptible d'être une religieuse, accentue l'importance du mot « soeur », outre que le mot « maison » ne fait que désigner une entreprise, et c'est ainsi, au sein de l'élément verbal principal, le vocable « soeurs macarons » qui est l'élément distinctif dominant.

65. Au sein du signe [5], les mots « macarons » et « fours » décrivent respectivement le produit et un moyen de le fabriquer, de sorte que la partie la plus distinctive est le mot « soeurs » et le groupe verbal qu'il forme avec le mot suivant : « soeurs macarons ».

66. Le signe et la marque sont ainsi similaires (très fortement similaires au plan conceptuel, assez fortement similaires au plan verbal et faiblement similaires au plan visuel) et ont en commun leur élément le plus distinctif.

Risque de confusion (et atteinte à la fonction essentielle de la marque)

67. Les usages décrits ci-dessus de ce signe [5] pour un service fortement similaire au produit pour lequel la marque est enregistrée sont manifestement susceptibles d'amener le public pertinent, à savoir ici le grand public normalement informé et raisonnablement attentif, à croire que ces signes désignent le service de la même entreprise, ou du moins d'une entreprise associée au titulaire de la marque, ce qui caractérise un risque de confusion dont découle une atteinte à la fonction essentielle de la marque, donc une atteinte au droit conféré par la marque, c'est-à-dire une contrefaçon.

Autres faits d'usage pour un service non similaire

68. En revanche, l'usage du signe Maison des soeurs macarons sur la page du site internet des journées du patrimoine consacrée au local du [Adresse 1] désigne sans équivoque l'immeuble et non un produit ou un service, le signe [5] désigne seulement un service de musée, qui n'est pas similaire aux macarons, de sorte que le risque de confusion est exclu. Il en va de même de l'usage du signe [5] dans le musée du [Adresse 1]. Ces usages, qui ne sont pas illicites au regard du droit des marques, peuvent néanmoins être examinés dans le cadre de la concurrence déloyale.

69. Enfin, si la société Genot allègue également un usage sur la vitrine de la boutique de la société [P], elle ne fait référence à aucune pièce pour le prouver.

2 . Concurrence déloyale

70. Aux termes des articles 1240 et 1241 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, et chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

71. Au visa de ces deux textes, il est constamment jugé que la liberté du commerce autorise tout acteur économique à attirer vers lui la clientèle de son concurrent. Aussi, l'imitation d'un concurrent n'est, en tant que telle, pas fautive, à moins que ne soient utilisés des procédés illicites ou contraires aux usages loyaux du commerce. A cet égard, les procédés consistant, par imitation des signes d'un concurrent, à créer dans l'esprit du public une confusion de nature à tromper la clientèle et la détourner, caractérisent des actes de concurrence déloyale.

72. Le fait de vendre des produits sous le même conditionnement qu'un concurrent, ici à la douzaine (ce qui au demeurant n'a rien de particulier) et de se référer à une tradition ancienne, dès lors qu'il ne s'agit pas spécifiquement de celle de son concurrent, n'est pas fautif.

73. La société Genot se plaint en passant (dans la partie relative au préjudice, mais cela concerne en réalité la faute alléguée) de ce que la société [P] contesterait la réalité de sa recette secrète. Toutefois, les copies d'écran du site de celle-ci, que communique la société Genot pour le prouver (sa pièce no28) révèlent que la société [P] présente seulement l'histoire des macarons sous un angle différent en insistant sur une origine plurielle et par quelques slogans promotionnels un peu vides de sens tels que « Les macarons de [Localité 7] n'ont pas de secret. Ils ont une histoire ». Il s'agit d'une communication banale qui est très loin de caractériser un dénigrement des produits ou services de la société Genot, et n'est donc pas fautive.

74. En revanche, il résulte de ce qui précède (partie sur la mauvaise foi, points 44 et suivants) que la SCI [Adresse 1] et la société [P] ont ensemble, dans l'exploitation au musée du [Adresse 1] et la référence qui y est faite sur le site des journées du patrimoine, utilisé l'appellation et l'histoire des « Soeurs macarons » pour promouvoir leur propre commerce alors qu'il s'agit de la désignation historique des produits et du fonds de commerce de la société Genot, ce qui revient à déposséder celle-ci de son propre patrimoine historique. Il ne s'agit pas d'une contrefaçon dans la mesure où l'usage du signe ne désignait pas directement un service ou un produit similaire à celui pour lequel la marque était enregistrée, mais il s'agit en revanche d'un procédé manifestement déloyal, donc fautif.

3 . Réparation et autres mesures

75. Outre le droit commun de la responsabilité, applicable en particulier à l'indemnisation de la concurrence déloyale, la réparation du dommage causé par la contrefaçon est spécialement prévue par l'article L. 716-4-10 du code de propriété intellectuelle selon lequel, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en compte distinctement les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée, le préjudice moral causé à cette dernière, et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon. Cette disposition s'inscrit dans le cadre de la réparation intégrale du préjudice, en vertu duquel la partie lésée doit se trouver dans la situation qui aurait été la sienne en l'absence des faits litigieux, sans perte ni profit pour elle.

76. L'article L. 716-4-9 du code de la propriété intellectuelle, appliquant l'article 8 de la directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, prévoit au bénéfice du demandeur à l'action en contrefaçon de marque un droit d'information en vertu duquel la juridiction peut ordonner, s'il n'existe pas d'empêchement légitime, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des produits argüés de contrefaçon qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits argüés de contrefaçon ou qui fournit des services utilisés dans de prétendues activités de contrefaçon ou encore qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services.

77. Au cas présent, la demande d'informations vise exclusivement à déterminer le préjudice. Néanmoins, les faits de contrefaçon consistent seulement en une partie relativement marginale de la stratégie promotionnelle de la défenderesse (des références historiques et à un lieu ouvert seulement deux jours par an dans un site internet surchargé de telles références). Le préjudice causé est lié à l'exposition du public à ces usages, qui banalise la marque et nie l'héritage historique de son titulaire. Il est en revanche impossible de déterminer avec une précision satisfaisante leur effet sur les ventes de la défenderesse ; il peut seulement être estimé que venant d'une partie marginale de la promotion des produits, l'effet sur les ventes est lui-même très faible. Dès lors, il n'est pas pertinent, ici, de chercher à déterminer précisément l'ensemble de ces ventes. Ce qu'il faut apprécier au cas présent est la durée des faits litigieux et l'ampleur de l'exposition du public qui peut s'apprécier plus simplement au regard de l'importance approximative de l'activité de la défenderesse, et s'agissant d'un commerce purement local disposant seulement d'une boutique, cette importance est déjà connue sans qu'il soit utile de préciser son chiffre d'affaires exact. La connaissance de ces ventes et du chiffre d'affaires associé n'apporterait ainsi aucune information supplémentaire utile. Par conséquent, la demande formée au titre du droit d'information est rejetée.

78. Il est constant que les faits litigieux ont débuté en 2019 et la société [P] n'allègue pas y avoir mis fin. Ils ont donc duré environ 4 ans. S'agissant d'un commerce local de produits au prix relativement bas, au regard de cette longue durée, de la gravité de l'atteinte à un élément essentiel du modèle économique de la demanderesse (la réputation historique de ses produits) commis sur plusieurs sites internet différents et en tenant compte de la perte que ces éléments permettent d'estimer pour le titulaire de la marque et du bénéfice marginal envisageable pour le contrefacteur, il s'en infère un préjudice, incluant la perte de valeur de la marque et le préjudice moral, de 40 000 euros, que la société [P] doit être condamnée à payer. La demanderesse ayant seulement demandé une provision, cette condamnation doit être une provision.

79. De la même manière, le préjudice causé par les faits distincts de concurrence déloyale commise par les sociétés [P] et [Adresse 1], peut être estimé, s'agissant de faits limités à l'exploitation d'un lieu deux jours par an et à sa référence sur le site officiel consacré à l'évènement, à 10 000 euros (y compris le préjudice moral et d'image). Ces deux sociétés ont causé ensemble un même préjudice et sont donc tenues de cette condamnation in solidum.

80. Par ailleurs, la cessation du préjudice impose l'interdiction de poursuivre les faits illicites, c'est-à-dire d'une part l'usage du signe Soeurs macarons pour exposer l'histoire du service et des produits de la société [P] et d'autre part, plus généralement, le détournement de l'histoire de la Maison des soeurs macarons. Cette interdiction doit être aussi simple que possible pour permettre d'en prouver et vérifier l'exécution, et la mauvaise foi des défenderesses impose une définition relativement large de l'interdiction pour éviter des contournements. Elle inclut la suppression de toute référence à la « Confiserie [P] » sur le site des journées du patrimoines. Le comportement des défenderesses rend également nécessaire une astreinte.

81. La nature des faits justifie également, pour réparer entièrement le préjudice qu'ils ont causé, une mesure de publication sur le site internet de la société [P] et dans un journal local, aux frais de celle-ci.

82. Enfin, il n'appartient pas au présent tribunal d'obliger explicitement une partie à se désister d'une procédure devant l'office.

IV . Demandes reconventionnelles en nullité de la marque verbale Soeurs macaron et en concurrence déloyale

1 . Nullité de la marque verbale Soeurs macaron

83. Il est constant que la marque verbale Soeurs macaron, déposée par la société Genot, n'a pas encore été enregistrée, l'office ayant sursis à statuer sur l'opposition formée contre cette demande de marque par la société [P], dans l'attente de la présente décision sur la marque antérieure invoquée par cette société.

84. Or par définition seule une marque enregistrée peut être annulée. La demande en nullité est donc irrecevable.

2 . Concurrence déloyale

85. La concurrence déloyale, qui inclut les pratiques de nature à tromper le consommateur, est fautive au sens de l'article 1240 du code civil.

86. Ainsi qu'il a été démontré dans les développements qui précèdent, l'histoire des soeurs macarons, que celles-ci aient ou non réellement existé, est d'abord l'histoire particulière d'une entreprise qui existe aujourd'hui sous la forme de la société Genot. Celle-ci est donc légitime à s'en prévaloir, y compris en affirmant détenir une recette d'origine que la continuité de l'exploitation depuis plus d'un siècle et demi rend crédible, outre que c'est à celui qui prétend cette affirmation mensongère qu'incombe la charge de la preuve. Il est par ailleurs contradictoire de la part des sociétés [P] et [Adresse 1] de prétendre à la fois que les soeurs macarons n'existent pas et n'ont donc pas pu transmettre une recette, tout en corrigeant la généalogie de l'une d'elles au point de produire son arbre généalogique (leur pièce no19). Enfin, la société [P] ne vise aucune pièce pour démontrer son affirmation selon laquelle la société Genot se présenterait comme le seul fabricant de « véritables » macarons de [Localité 7].

87. Sa demande, manifestement infondée, est par conséquent rejetée.

V . Dispositions finales

88. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie.

89. La société [P] et la SCI [Adresse 1], qui perdent le procès, sont tenues aux dépens et l'équité implique qu'elles indemnisent intégralement la société Genot des frais qu'elle a dû exposer à cette occasion.

90. L'exécution provisoire est de droit et, hormis pour l'inscription au registre de la nullité de la marque, rien ne justifie de l'écarter au cas présent, y compris pour la publication au regard de l'évidence du caractère fautif des faits concernés. Pour préserver l'effectivité du droit d'appel, la publication mentionnera toutefois que la condamnation dont elle fait état est susceptible d'appel.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal :

Rejette la demande en nullité et en déchéance de la marque Maison des soeurs macarons, numéro 1 428 634 ;

Annule la marque française [5], numéro 4 531 162 ;

Ordonne la transmission de la présente décision à l'INPI aux fins d'inscription au registre des marques lorsqu'elle aura force de chose jugée, à l'initiative de la partie la plus diligente ;

Condamne la société [P]-lemoine à payer une provision de 40 000 euros à la société Genot au titre de la contrefaçon ;

Condamne in solidum la société [P]-lemoine et la SCI [Adresse 1] à payer 10 000 euros à la société Genot au titre de la concurrence déloyale ;

Rejette la demande de la société Genot formée au titre du droit d'information ;

Ordonne à la société [P]-lemoine de cesser tout usage des mots « Soeurs macarons », y compris pour faire référence à l'adresse du [Adresse 1] ou à tout établissement qui s'y trouverait, aux [5], à leur histoire ou leur légende, et ce dans un délai de 10 jours suivants la signification du présent jugement sous une astreinte de 500 euros par jour de retard, qui courra pendant 180 jours ;

Interdit à la SCI [Adresse 1] de faire référence, directement ou indirectement, de quelque façon que ce soit, y compris par les objets présents dans ses locaux, à la société [P]-lemoine (ou toute personne à laquelle celle-ci succède ou qui lui succèderait, y compris toute autre entreprise dont le nom contient « [P] ») et son activité de vente de pâtisseries ou confiseries, et ce sous une astreinte de 3 000 euros par infraction constatée, qui courra passés 10 jours suivant la signification du jugement puis pendant 365 jours ;

Condamne la société [P]-lemoine à afficher sur son site internet, en haut de chaque page, d'une façon extrêmement visible, pendant une durée de trois mois, sous une astreinte de 1 000 euros par jour de retard qui courra passé un délai de 10 jours suivant la signification du jugement puis pendant 180 jours, le communiqué suivant :

« La confiserie [P] a été condamnée le 10 novembre 2023 par le tribunal judiciaire de Paris (par un jugement susceptible d'appel) à indemniser la maison des Soeurs macarons pour avoir tenté de s'approprier son histoire à travers la communication qu'elle a menée sur son site internet et dans un musée créé à cette fin dans l'ancien local historique des Soeurs macarons, commettant ainsi une contrefaçon de marque et une concurrence déloyale. »

Autorise la société Genot à publier le communiqué ci-dessus dans deux numéros d'un périodique local de son choix, et condamne la société [P] à lui en rembourser le prix sur présentation des factures dans la limite de 5 000 euros au total ;

Se réserve la liquidation des astreintes ;

Rejette la demande en injonction de se désister de la procédure d'opposition à l'INPI ;

Déclare irrecevable la demande reconventionnelle en nullité d'une marque verbale Soeurs macaron ;

Rejette les demandes reconventionnelles en concurrence déloyale (dommages et intérêts, interdiction, publication) ;

Condamne in solidum les sociétés [P]-Lemoine et [Adresse 1] aux dépens ainsi qu'à payer 20 000 euros à la société Genot au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire, sauf en ce qui concerne l'inscription de la nullité au registre des marques.

Fait et jugé à Paris le 10 Novembre 2023

Le Greffier La Présidente
Quentin CURABET Irène BENAC


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 21/05819
Date de la décision : 10/11/2023

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2023-11-10;21.05819 ?
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