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28/09/2023 | FRANCE | N°17/16043

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0196, 28 septembre 2023, 17/16043


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS




3ème chambre
1ère section


No RG 17/16043
No Portalis 352J-W-B7B-CLY7R


No MINUTE :


Assignation du :
13 novembre 2017






















JUGEMENT
rendu le 28 septembre 2023
DEMANDERESSE


Société INO -ROPE
[Adresse 4]
[Localité 5]


représentée par Me Julien LOMBARD de l'AARPI VICTOIRE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E202


DÉFENDERESSES


Société H

ARKEN FRANCE - STE MARITIME
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]


représentée par Me Nicolas REBBOT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0457


Société ROPEYE OÜ
[Adresse 6]
[Localité 1] (ESTONIE)


représentée par Me Charlot...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 17/16043
No Portalis 352J-W-B7B-CLY7R

No MINUTE :

Assignation du :
13 novembre 2017

JUGEMENT
rendu le 28 septembre 2023
DEMANDERESSE

Société INO -ROPE
[Adresse 4]
[Localité 5]

représentée par Me Julien LOMBARD de l'AARPI VICTOIRE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E202

DÉFENDERESSES

Société HARKEN FRANCE - STE MARITIME
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Me Nicolas REBBOT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0457

Société ROPEYE OÜ
[Adresse 6]
[Localité 1] (ESTONIE)

représentée par Me Charlotte GUYARD de la SELARL ORIAMEDIA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E233

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUIS, Juge,

assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière

DÉBATS

A l'audience du 13 juin 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 28 septembre 2023.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

Magistrat signataire : Madame Elodie GUENNEC (article 456 du code de procédure civile), la présidente Madame Nathalie SABOTIER étant empêchée.

EXPOSÉ DU LITIGE :

1. La société Ino-Rope, créée en 2013, a pour activité déclarée la recherche, le développement et la commercialisation de tous produits, principes et procédés notamment dans le domaine nautique et industriel. Elle se présente comme concevant, développant et commercialisant des poulies et cordages, en particulier des poulies dénommées "Ino Block" qu'elle décrit comme particulièrement innovantes.

2. Ces poulies sont couvertes par un brevet français dont la demande a été déposée le 3 juillet 2013, et la délivrance est intervenue le 3 novembre 2017 sous le no FR 1 301 574.

3. Ayant constaté la promotion par la société de droit estonien Ropeye Oü, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de produits destinés à la voile, de poulies fabriquées par ses soins et reproduisant selon elle, les caractéristiques de ses demandes de brevets, la société Ino-Rope a informé cette société de ses droits avant, par acte d'huissier du 13 novembre 2017, de la faire assigner devant ce tribunal en contrefaçon de brevet, en même temps que la société Harken France, filiale française de la société Harken Inc., ainsi que M. [O], tous distributeurs des produits Ropeye en France.

4. La demande de brevet français a fait l'objet d'une extension européenne et internationale sous le no PCT/EP 2014/064202. Un brevet européen couvrant les poulies de la société Ino-Rope a été délivré le 9 mai 2018 sous le no EP 3 016 848 avant de faire l'objet d'une opposition formée le 11 février 2019 par la société Ropeye.
5. Par une ordonnance du 28 juin 2019, le juge de la mise en état a prononcé un sursis à statuer sur les demandes de la société Ino-Rope jusqu'à la clôture de la procédure d'opposition contre le brevet EP 3 016 848 alors en cours devant l'Office Européen des Brevets.

6. L'opposition de la société Ropeye a été définitivement rejeté par la chambre de recours par une décision du 10 mars 2022, le brevet EP 3 016 848 étant maintenu tel que délivré.

7. L'instruction de l'affaire a été close par une ordonnance du 13 octobre 2022 et renvoyée pour plaidoirie à l'audience du juin 2023.

8. Par une ordonnance du 1é janvier 2023, le juge de la mise en état a déclaré parfait le désistement d'instance et d'action de la société Ino-Rope à l'égard de M. [O].

9. Dans ses dernières conclusions no5 notifiées électroniquement le 3 octobre 2022, la société Ino-Rope demande au tribunal de :
A titre principal,
- La DECLARER recevable et bien fondée en ses demandes ;
- DEBOUTER les défendeurs de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
- JUGER qu'en fabriquant, mettant dans le commerce, offrant à la vente et important les produits contrefaisants et en particulier les poulies référencées U Block et X-block, les sociétés Ropeye et Harken ont commis des actes de contrefaçon du brevet français FR1301574 et de la demande de brevet européen EP 2014/0604202 d'Ino-Rope ;
En conséquence :
- INTERDIRE aux sociétés Ropeye et Harken de fabriquer, reproduire, faire usage, distribuer et/ou commercialiser, sous quelque forme que ce soit, sous astreinte définitive de 500 euros par infraction constatée, dans un délai de huit jours à compter de la signification du jugement à intervenir, les produits Ropeye reproduisant les caractéristiques du brevet FR1301574 et/ou de la demande de brevet européen EP 2014/064202;
- CONDAMNER solidairement les sociétés Ropeye et Harken à payer à la société Ino-Rope la somme de 585.263.15 Euros, sauf à parfaire, au titre des actes de contrefaçon du brevet ;
- CONDAMNER solidairement les sociétés Ropeye et Harken à payer à Ino-Rope la somme de 75.000 Euros au titre du préjudice moral subi.
A titre subsidiaire,
- JUGER que les sociétés Ropeye et Harken ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaires en fabriquant, mettant sur le marché, offrant à la vente et important les produits litigieux reproduisant les caractéristiques du brevet français FR1301574 et de la demande de brevet européen EP2014/0604202 ;
- CONDAMNER solidairement les Sociétés Ropeye et Harken France Ste Maritime à payer à la Demanderesse la somme de 585.263.15 Euros à parfaire au titre des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;
- INTERDIRE la poursuite des actes de concurrence déloyale sous astreinte définitive de 500 euros par infraction constatée, dans un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir ;
En tout etat de cause :
- ORDONNER la destruction, aux frais des Sociétés Ropeye et Harken France Ste Maritime, sous le contrôle d'un huissier de justice, des produits litigieux reproduisant les caractéristiques du brevet français FR1301574 et de la demande de brevet européen EP 2014/0604202 d'Ino-Rope, sous astreinte définitive de 500 euros par jour de retard, dans un délai de 30 jours suivant la signification du jugement à intervenir ;
- ORDONNER la publication de la décision à intervenir aux frais des défendeurs sur la page d'accueil du site internet https://www.ropeye.com/ ainsi que le site https://www.harken.fr pendant une durée d'un mois à compter de sa première mise en ligne, et ce dans un délai de 48 heures à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
- ORDONNER qu'il sera procédé à cette publication en partie supérieure de la page d'accueil desdits site, de façon visible et en toute hypothèse au-dessus de la ligne de flottaison, sans mention ajoutée, en police de caractères « times new roman », de taille « 12 », droits, de couleur noire et sur fond blanc, dans un encadré de 468X120 pixels, en dehors de tout encart publicitaire, le texte devant être précédé du titre COMMUNIQUE JUDICIAIRE en lettres capitales et de taille « 14 » ;
- ORDONNER la publication du jugement à intervenir, en intégralité, par extraits ou en résumé, en une page complète dans trois journaux ou revues au choix de la Demanderesse et aux frais des sociétés Ropeye et Harken France Ste Maritime, sans que le coût de chaque insertion ne puisse être supérieur à 7.500 euros ;
- DIRE que le tribunal de Céans se réservera la compétence pour liquider les astreintes prononcées conformément aux dispositions de l'article L131-3 du code des procédures civiles d'exécution ;
- CONDAMNER solidairement les sociétés Ropeye et Harken France Ste Maritime à payer à la demanderesse la somme de 40 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ORDONNER l'exécution provisoire du jugement à intervenir en toutes ses dispositions, , nonobstant appel et sans constitution
de garantie ;
- CONDAMNER solidairement les sociétés Ropeye et Harken France Ste Maritime aux entiers dépens, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

10. Dans ses dernières conclusions no5 notifiées par la voie électronique le 21 septembre 2022, la société Ropeye demande au tribunal de :
A titre liminaire,
- La DIRE recevable et bien fondée en ses demandes, fins et prétentions ;
A titre principal,
- RECONNAÎTRE l'absence d'actes de contrefaçon des revendications 1, 2, 6 et 8 du brevet français FR1301574 et des revendications 1, 2, 4, 5, 6, 8, 9 et 20 du brevet européen EP2014064202 de la société Ino-Rope par la société Ropeye ;
- RECONNAÎTRE l'absence d'actes de concurrence déloyale de la société Ropeye, à l'encontre de la société Ino-Rope ;
A titre reconventionnel,
- CONSTATER l'absence de nouveauté des revendications 1, 3, 4, 8 et 9 du brevet européen EP2014064202 de la société Ino-Rope ;
- CONSTATER l'absence d'activité inventive des revendications 1 à 20 du brevet européen EP2014064202 de la société Ino-Rope et des revendications 1 à 9 du brevet français FR1301574 ;
- PRONONCER la nullité du brevet français FR1301574 et de la demande du brevet européen EP2014064202 de la société Ino-Rope ;
- ORDONNER la transmission par le greffe à l'Institut National de la Propriété Industrielle et à l'Office Européen des Brevets aux fins d'inscription du jugement à intervenir ;
- AUTORISER en tant que de besoin, la société Ropeye à notifier le jugement à intervenir à l'Institut National de la Propriété Industrielle ainsi qu'à l'Office Européen des Brevets aux fins d'inscription du jugement à intervenir ;
- CONDAMNER la société Ino-Rope à verser, au titre du préjudice commercial subi, à la société ROPEYE la somme de 50.000 euros ;
- CONDAMNER la société Ino-Rope à verser, au titre du préjudice moral subi, à la société ROPEYE la somme de 30.000 euros ;
- CONDAMNER la société Ino-Rope en raison de la présente procédure abusive initiée à l'encontre de la société Ropeye, à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages intérêts ;
En tout état de cause,
- DEBOUTER la société Ino-Rope de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions;
- ORDONNER l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;
- CONDAMNER la société Ino-Rope à verser à la société Ropeye, la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles ;
- CONDAMNER la société Ino-Rope aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Charlotte Guyard, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

11. Dans ses dernières conclusions du 21 septembre 2022, la société Harken France demande au tribunal de :
- La DIRE recevable et bien fondée en ses demandes, fins et prétentions ;
1/ Sur la contrefaçon de brevets :
A titre principal,
- RECONNAÎTRE l'absence de contrefaçon des revendications 1, 2, 6 et 8 du brevet français FR1301574 et des revendications 1, 2, 4, 5, 6, 8, 9 et 20 du brevet européen EP2014064202 de la société Ino-Rope par la société Harken France ;
- DEBOUTER en conséquence, la société Ino-Rope de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
A titre subsidiaire,
- CONSTATER l'absence de responsabilité de la société Harken France qui n'a pas agi en connaissance de cause ;
- DEBOUTER en conséquence, la société Ino-Rope de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
A titre infiniment subsidiaire, en cas de condamnation de la société Harken France au titre des actes de contrefaçon,
- CONSTATER que la société Harken France n'est pas impliquée dans la totalité du préjudice subi par la société Ino-Rope ;
- CONSTATER que la société Harken France ne peut être condamnée solidairement au paiement de la totalité des sommes sollicitées par la société Ino-Rope au titre des actes de contrefaçon ;
- REDUIRE en conséquence, le montant des dommages et intérêts dû par la société HARKEN France et le limiter à la somme maximale de 11.431,60 euros ;
2/ Sur la concurrence déloyale :
A titre principal,
- RECONNAÎTRE l'absence d'actes de concurrence déloyale de la société Harken France à l'encontre de la société Ino-Rope ;
- DEBOUTER en conséquence la société Ino-Rope de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
A titre subsidiaire, en cas de condamnation de la société Harken France au titre des actes de concurrence déloyale,
- REDUIREà de plus justes proportions le montant des dommages et intérêts dû par la société Harken France et le limiter à la somme maximale de 11.431,60 euros ;
3/ Sur les mesures de publication :
- REJETTER les mesures de publication sollicitées par la société Ino-Rope ;
4/ Sur les demandes reconventionnelles de la société Harken France :
- CONSTATER l'absence de nouveauté des revendications 1, 3, 4, 8 et 9 du brevet européen EP2014064202 de la société Ino-Rope ;
- CONSTATER l'absence d'activité inventive des revendications 1 à 20 du brevet européen EP2014064202 de la société Ino-Rope et des revendications 1 à 9 du brevet français FR1301574 ;
- PRONONCER la nullité du brevet français FR1301574 et de la demande du brevet européen EP2014064202 de la société Ino-Rope ;
- ORDONNER la transmission par le greffe à l'Institut National de la Propriété Industrielle et à l'Office Européen des Brevets aux fins d'inscription du jugement à intervenir ;
- AUTORISER en tant que de besoin, la société Harken France à notifier le jugement à intervenir à l'Institut National de la Propriété Industrielle ainsi qu'à l'Office Européen des Brevets aux fins d'inscription du jugement à intervenir ;
- CONDAMNER la société Ino-Rope à verser à la société Harken France la somme de 35.000 euros de dommages-intérêts au titre du préjudice subi ;
- CONDAMNER la société Ino-Rope à verser à la société Harken France la somme de 10.000 euros à titre de
dommages-intérêts en raison de la procédure abusive ;
5/ En tout état de cause :
- ORDONNER l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;

- CONDAMNER la société Ino-Rope à verser à la société Harken France la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles ;
- CONDAMNER la société Ino-Rope aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1o) Présentation du brevet EP 3 016 848 (qui s'est en principe substitué au brevet français FR 3 008 084 qui couvre la même invention, et ce, par application des dispositions de l'article L. 614-13 du code de la propriété intellectuelle)

12. Selon le paragraphe [0001] de la partie descriptive du brevet, l'invention se rapporte au domaine des poulies, et plus particulièrement des poulies permettant la déviation d'un cordage.

13. Ce même paragraphe désigne le brevet US675306 (délivré en 1901) comme état de la technique le plus proche ; ce document divulgue une poulie constituée d'un réa monobloc comprenant deux faces longitudinales opposées, un évidement central transversal, et une surface extérieure concave formant une gorge annulaire prévue pour dévier un cordage, l'évidement central et la surface extérieure concave étant fixes l'un par rapport à l'autre, une tige de fixation du réa, traversant l'évidement central du réa, la tige de fixation étant en contact direct avec l'évidement central. (Cf ci-dessous les figures de ce brevet US / pièce no13 de la société Ropeye)

14. Les paragraphes suivants [0002] à [0004] décrivent ensuite les types de poulie présentes sur le marché. Le premier type de poulie est le réa avec cordage passant dans l'évidement central du réa. Ces réas à faible friction offrent un rapport solidité/poids/prix à toute épreuve, car il n'y a pas de pièce en rotation. La résistance au frottement est obtenue uniquement par la fibre du cordage et celle qui sert à fixer le réa. Ce produit est de plus en plus présent sur les bateaux de course au large car il est un gage de fiabilité. Son inconvénient majeur est qu'il augmente énormément les frottements du cordage qui passe en son centre, et de ce fait il faut beaucoup d'énergie pour manoeuvrer le cordage. Le deuxième type de poulie comprend un réa à billes, c'est-à-dire une poulie avec un réa tournant par l'intermédiaire d'un roulement à billes. Ce réa à billes offre un très faible coefficient de frottement. Ce type de poulie est très efficace et permet de réaliser des systèmes de démultiplication d'efforts complexes. L'inconvénient de ces poulies est qu'elles coûtent chères lorsqu'elles sont prévues pour de fortes charges. Elles demandent également de l'entretien et une vérification régulière en raison de la présence du roulement à billes. Un autre inconvénient est que si l'axe, les faces latérales ou le point d'accroche viennent à casser, alors la liaison est rompue entre le cordage et le point d'accroche et il en résulte des dommages collatéraux pour le système dans son ensemble. De plus, la performance des poulies à billes conçues pour des fortes charges sont également lourdes. Par exemple dans le domaine nautique, cet inconvénient est néfaste à la performance d'un bateau.

15. Le but de la présente invention est de pallier ces inconvénients et de proposer une poulie améliorée réduisant les frottements du cordage à dévier tout en ayant une forte résistance à la charge, pour un poids réduit.(paragraphe [0005])

16. Aux fins de l'invention, et selon le paragraphe [0006], l'invention propose une poulie comprenant :
- un réa monobloc comprenant deux faces longitudinales opposées, un évidement central transversal, et une surface extérieure concave formant une gorge annulaire prévue pour dévier un cordage, l'évidement central et la surface extérieure concave étant fixes l'un par rapport à l'autre,
- un cordage de fixation du réa, traversant l'évidement central du réa, le cordage de fixation étant en contact direct avec l'évidement central,
- un élément écarteur agencé pour écarter le cordage de fixation des faces longitudinales du réa.

17. La figure 2 ci-dessous représente une vue en perspective de l'invention selon un premier mode de réalisation :

18. Selon les paragraphes [0033] à [0035], le réa (11) est monobloc. La poulie (10) comprend également un cordage de fixation (17) du réa (11). Une partie du cordage de fixation (17) traverse l'évidement central (14) du réa (11). Le cordage de fixation (17) s'étend, dans l'évidement central (14), sensiblement selon l'axe A. Le cordage de fixation (17) peut être monobrin. Alternativement, le cordage de fixation (17) peut être multibrin. Dans l'exemple représenté (ce-dessus), le cordage de fixation (17) comprend deux brins (18) et (19) qui s'étendent de part et d'autre des deux faces longitudinales (12) et (13) du réa (11). La poulie (10) comprend un élément écarteur (20) qui est agencé pour écarter latéralement le cordage de fixation (17) des faces longitudinales (12) et (13) du réa (11). Lorsque le réa (11) tourne, il frotte sur le cordage de fixation (17). La présence de l'élément écarteur (20) permet de réduire ce frottement.

19. Les paragraphes [0040] et [0041] précisent que dans la variante où le cordage de fixation (17) du réa (11) forme une boucle sans fin, le cordage de fixation (17) se referme sur lui-même au moyen de deux ganses (26) et (27) formées par le cordage de fixation (17) et disposées de part et d'autre de l'évidement central (14). L'élément écarteur (20) est agencé pour recevoir les deux ganses (26) et (27) et pour permettre une fixation de la poulie (10) en traversant les deux ganses (26) et (27). A cet effet, l'élément écarteur (20) comprend une ouverture (28) permettant à un élément extérieur de traverser les deux ganses (26) et (27). Dans l'exemple représenté, cet élément extérieur est un cordage (29) permettant de fixer la poulie (10).

20. Le brevet comporte 20 revendications, seules étant opposées les revendications 1, 2, 4, 5, 6, 8, 9 et 20, libellées comme suit :

1. Poulie comprenant :
? un réa (11) monobloc comprenant deux faces longitudinales (12, 13) opposées, un évidement central (14) transversal, et une surface extérieure concave formant une gorge annulaire (15) prévue pour dévier un cordage (16), l'évidement central (14) et la surface extérieure concave (15) étant fixes l'un par rapport à l'autre,
? un cordage de fixation (17) du réa (11), traversant l'évidement central (14) du réa (11), le cordage de fixation (17) étant en contact direct avec l'évidement central (14),
? un élément écarteur (20) agencé pour écarter le cordage de fixation (17) des faces longitudinales du réa (11).

2. Poulie selon la revendication 1, caractérisée en ce que l'élément écarteur (20) comprend deux extrémités (22, 23) transversalement en saillie par rapport aux faces longitudinales (12, 13) du réa (11), les deux extrémités (22, 23) en saillie étant agencées pour recevoir en appui le cordage de fixation (17).

4. Poulie selon l'une des revendications précédentes, caractérisée en ce que le cordage de fixation (17) s'écarte du réa (11) en suivant deux directions (31, 32), une de chaque coté du réa (11), en ce que les deux directions (31, 32) forment entre elles un angle (a) compris entre 10o à 180o, et de préférence entre 80o à 120o.

5. Poulie selon l'une des revendications précédentes, caractérisée en ce que l'élément écarteur (20) comprend une gorge d'orientation (34) du réa (11), la gorge d'orientation (34) étant prévue pour coiffer au moins une partie du réa (11).

6. Poulie selon l'une des revendications précédentes, caractérisée en ce que le cordage de fixation (17) comprend deux brins (18, 19) traversant l'évidement central (14) du réa (11).

8. Poulie selon l'une quelconque des revendications 6 ou 7, caractérisée en ce que le cordage de fixation (17) forme une boucle sans fin, en ce que l'élément écarteur (20) est agencé pour recevoir deux ganses (26, 27) formées par le cordage de fixation (17) de part et d'autre de l'évidement central (14) et pour permettre une fixation de la poulie (10) en traversant les deux ganses (26, 27).

9. Poulie selon l'une quelconque des revendications 1 à 5, caractérisée en ce que le cordage de fixation (17) comprend au moins deux brins (75) traversant l'évidement central (14) du réa (11) et en ce que les au moins deux brins (75) sont jointifs.

20. Poulie selon l'une des revendications précédentes, caractérisée en ce que l'élément écarteur (66) comprend au moins une rainure (67) dans laquelle le réa (11) est glissé.

2o) Sur la contrefaçon du brevet EP 3 016 848

Moyens des parties

21. La société Ino-Rope soutient que la revendication 1 est entièrement reproduite par la poulie U-Block, s'agissant d'un réa monobloc relié à un cordage de fixation traversant le réa en son centre, tandis que l'élément en forme de U inversé constitue selon elle un élément écarteur au sens du brevet, ce qui résulte selon elle du simple fait que l'angle entre les brins émergeant de part et d'autre du réa n'est pas nul. Elle ajoute que l'élément écarteur en forme du U inversé est agencé pour recevoir "en saillie" le cordage de fixation, selon un angle de 120o, reproduisant ainsi les revendications 2 et 4 du brevet. La demanderesse soutient encore que la partie inférieure du U inversé joue le rôle d'une "gorge d'orientation" au sens du brevet (qui évite au réa de sortir de sa position par rapport au cordage : voir paragraphe [0043] de la description). La société Ino-Rope fait également valoir que le cordage de fixation des poulies U-Block comporte 2 brins jointifs et 2 ganses, de sorte que les revendications 6, 8 et 9 du brevet sont selon elle reproduites. La société Ino-Rope conclut sa démonstration en indiquant que la poulie X-Block reproduit la rainure de la revendication 20 du brevet.

22. La société Ino-Rope ne propose pas de démonstration de la contrefaçon du brevet français, précisant que celui-ci est rédigé en termes identiques au brevet européen.

23. La société Ropeye soutient que l'élément en forme de U inversé n'a pas pour fonction d'écarter les brins du cordage de fixation du réa, mais de les guider de manière parallèle autour du réa. La revendication principale no1 n'étant pas reproduite, elle en déduit que les caractéristiques suivantes ne le sont pas. Elle précise à toutes fins que le cordage de fixation ne vient pas "en saillie" c'est à dire au dessus de l'élément prétendument écarteur (le U inversé), mais passe à l'intérieur de l'élément en U, puisque sa finalité n'est pas d'écarter le cordage mais au contraire de le guider de manière parallèle autour du réa. La revdnication 2 n'est donc pas reproduite, pas plus que la revendication 4 (l'angle compris entre 10 et 120o), non plus que la revendication 8 (le cordage de fixation est agencé pour entourer, "ganser", l'élément écarteur puisqu'il le traverse). La société Ropeye soutient encore que les éléments en U inversé de ses poulies ne comportent aucune gorge d'orientation destinée à bloquer les mouvements du réa par rapport au cordage de fixation, de sorte qu'est exclue toute reproduction de la revendication 5. La société Ropeye expose enfin que la pièce en anneau de sa poulie X-Block ne saurait nullement être regardée comme une "rainure" au sens de la revendication 20 du brevet qui concerne les dispositifs à réas multiples positionnés côte à côte, ce qui n'est pas le cas de la poulie X-Block.

24. Se joignant aux moyens soulevés par la société Ropeye, la société Harken France fait valoir que les poulies U-Block et X-Block ne reproduisent en aucun cas les caractéristiques essentielles des brevets Ino-Rope.

Appréciation du tribunal

25. Selon l'article L. 614-9 du code de la propriété intellectuelle, les droits définis aux articles L. 613-3 à L. 613-7, L. 615-4 et L. 615-5 du présent code peuvent être exercés à compter de la date à laquelle une demande de brevet européen est publiée conformément aux dispositions de l'article 93 de la Convention de Munich. L'article L. 613-3 prohibe, à défaut de consentement du propriétaire du brevet : a) La fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'utilisation, l'importation, l'exportation, le transbordement, ou la détention aux fins précitées du produit objet du brevet (...).

26. La contrefaçon s'apprécie par rapport aux ressemblances et elle est réalisée lorsque les moyens constitutifs essentiels de l'invention revendiquée, se retrouvent dans le produit incriminé (Cass. Com., 23 novembre 2010, pourvoi no 09-15.668 : "ayant fait ressortir que l'isolation d'un fragment d'ARN correspondant à l'ADN complémentaire contenu dans le -J19 constitue un élément essentiel de l'invention et que le kit incriminé ne permettait pas cette isolation, la cour d'appel a pu (...) statuer comme elle a fait") ou lorsque toutes les étapes comprises dans la revendication sont reproduites (Cass. Com. 3 avril 2012, pourvoi no10-21.084).

27. Il est en l'occurrence constaté que les poulies U-Block et X-Block litigieuses comprennent bien un réa monobloc avec un évidement central, ainsi qu'un cordage de fixation traversant l'évidement central, ce qui correspond aux 2 premières caractéristiques de la revendication 1 du brevet.

28. En revanche, elles ne comportent aucun "élément écarteur" au sens du brevet, c'est à dire conçu pour écarter le cordage de fixation des faces longitudinales du réa monobloc, correspondant à la 3ème caractéristique de la revendication 1 du brevet. Voir ci-dessous les poulies U-Block et X-Block :

29. Il apparaît en effet que la pièce en forme de U inversé située au dessus du réa monobloc a au contraire pour fonction d'éviter que le cordage de fixation s'écarte du réa, ainsi que le démontrent au demeurant les schémas figurant dans les conclusions de la demanderesses elle-même : voir ci-dessous ceux de la page 20 de ces dernières conclusions no5 comparant la figure 2 du brevet et la poulie U-Block de la société Ropeye et dans lesquels le cordage de fixation est matérialisé en rose.

30. Il en résulte que la revendication 1 n'est pas reproduite par les poulies conçues par la société Ropeye. Il en va nécessairement de même s'agissant des revendications toutes dépendantes suivantes 2, 4, 5, 6, 8, 9 et 20 du brevet EP 3 016 848.

31. A titre surabondant, il est relevé que le cordage de fixation de la poulie U-Block ne vient pas "en saillie" c'est à dire au dessus de l'élément prétendument écarteur (le U inversé), mais passe à l'intérieur de l'élément en U, puisque sa finalité n'est pas d'écarter le cordage mais au contraire de le guider de manière parallèle autour du réa. La revendication 2 n'est donc pas reproduite, pas plus que la revendication 4 (l'angle compris entre 10 et 120o), non plus que la revendication 8 (le cordage de fixation est agencé pour entourer, "ganser", l'élément écarteur puisqu'il le traverse). Les éléments en U inversé des poulies U-Block ne comportent en outre aucune "gorge d'orientation" destinée à bloquer les mouvements du réa par rapport au cordage de fixation, cette caractéritique n'ayant de sens que si le U inversé était un élément écarteur, ce qui n'est pas le cas, de sorte qu'est exclue toute reproduction de la revendication 5. La pièce en anneau de sa poulie X-Block ne saurait nullement être regardée comme une "rainure" au sens de la revendication 20 du brevet qui concerne les dispositifs à réas multiples positionnés côte à côte, ce qui n'est pas le cas de la poulie X-Block.

32. Les demandes fondées sur la contrefaçon des brevets EP 3 016 848 et FR 3 008 084 (conformément aux dispositions de l'article L. 614-13 du code de la propriété intellectuelle s'agissant de ce dernier) sont rejetées (mesures d'interdiction de commercialisation des poulies U-Block et X-Block, paiement de dommages-intérêts en réparation des préjudices matériel et moral subis, destruction des produits, publication de la décision).

3o) Sur la nullité du brevet EP 3 016 848

Moyens des parties

33. La société Ropeye soutient à cet égard que l'ensemble des caractéristiques de la revendication 1 du brevet EP 3 016 848 se retrouve dans les poulies de la société Calligo Marine divulguées en février 2011, lesquelles comportent un élément écarteur situé au-dessus du réa et plus large que lui de sorte que le cordage de fixation s'en écarte selon un angle de plus de 10o selon elle. Elle en déduit que ces poulies antériorisent toutes les caractéristiques essentielles de la revendication principale no1 laquelle se trouve dépourvue de nouveauté, de même que les revendications 3, 4, 8 et 9. Elle ajoute que la vidéo mise en ligne sur la plateforme YouTube le 22 août 2011 détruit de la même manière la nouveauté des mêmes revendications du brevet. La société Ropeye soutient encore que la personne du métier serait parvenue à l'invention revendiquée par la combinaison du brevet US 675306 de [U] [D] du 25 octobre 1900 avec le brevet Karver du 12 novembre 2007 (FR 2 923 451), ou encore avec le brevet Karver FR 2 945 603, ou enfin avec le brevet Harken US 6305669.

34. La société Harken France s'associe aux moyens de nullité des brevets opposés.

35. La société Ino-Rope conclut au rejet de la demande reconventionnelle soulignant que l'ensemble des documents invoqués par la société Ropeye a déjà été soumis à l'Office européen des brevets qui a rejeté son opposition et a maintenu le brevet tel que délivré.

Appréciation du tribunal

36. Selon l'article L. 614-12, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle, la nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l'un quelconque des motifs visés à l'article 138, paragraphe 1, de la Convention de Munich. Aux termes de l'article 138 (1) de la Convention, le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un État contractant, que si : a) l'objet du brevet européen n'est pas brevetable en vertu des articles 52 à 57 (...). Aux termes de l'article 52 (1), les brevets européens sont délivrés pour toute invention dans tous les domaines technologiques, à condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible d'application industrielle.

37. Selon l'article 54, (1) une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique. (2) L'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet européen par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen. (3) Est également considéré comme compris dans l'état de la technique le contenu de demandes de brevet européen telles qu'elles ont été déposées, qui ont une date de dépôt antérieure à celle mentionnée au paragraphe 2 et qui n'ont été publiées qu'à cette date ou à une date postérieure.

38. En application de ces dispositions, il est constamment jugé que l'élément de l'art antérieur n'est destructeur de nouveauté que s'il renferme tous les moyens techniques essentiels de l'invention dans la même forme, le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique, de sorte que la nouveauté d'une invention ne peut être ruinée que par une antériorité de toutes pièces qui implique une identité d'éléments, de forme, d'agencement, de fonctionnement et de résultat technique. (Cass. Com., 27 mars 2019, pourvoi no17-23.136 ; Cass. Com., 17 mai 2023, pourvoi no19-25.509)

39. Selon l'article 56 de la Convention, une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique. Si l'état de la technique comprend également des documents visés à l'article 54, paragraphe 3, ils ne sont pas pris en considération pour l'appréciation de l'activité inventive.

40. Les éléments de l'art antérieur ne sont destructeurs d'activité inventive que si, pris isolément ou associés entre eux selon une combinaison raisonnablement accessible à la personne du métier, ils permettaient à l'évidence à cette dernière d'apporter au problème résolu par l'invention, la même solution que celle-ci.

41. Le tribunal ne peut que constater que la pièce "Colligo Dux" (pièce Ropeye no11) concerne un gréement dormant ("standing rigging") et non une poulie et n'enseigne en aucun cas un élément écarteur. Quant à la vidéo figurant par extraits dans la pièce no12 de la société Ropeye, il est constaté qu'elle divulgue une poulie accrochée à une potence au moyen d'un cordage de fixation traversant la poulie, mais aucun élément écarteur. Aucun de ces documents n'apparaît donc susceptible d'être regardé comme détruisant la nouveauté du brevet EP 3 016 848.

42. S'agissant du grief de défaut d'activité inventive, il est relevé que le brevet Saint John (pièce Ropeye no13) enseigne un réa monobloc relié au cordage de fixation par une tige traversant la partie centrale du réa. Il est désigné par le brevet EP 3 016 848 comme étant l'art antérieur le plus proche de l'invention. En aucun cas, toutefois, il ne met la personne du métier sur la voie de l'invention, tandis que les brevets Karver et Harken ne divulguent pas des éléments écarteurs mais des éléments de maintien.

43. Certes, le brevet Karver du 12 novembre 2007 (FR 2 923 451) évoque (page 3, lignes 15 et suivantes de ce document / pièce no14 de la société Ropeye) une fonction d'écartement de l'élément de maintien ("La pièce de maintien selon l'invention se présente comme un cavalier qui vient se positionner sur les joues de la structure de support, le bord des joues s'insérant dans les encoches ménagées dans la surface inférieure de la pièce. Pour se fixer sur les joues elle peut utiliser les trous disposés en périphérie desdites joues. L'invention propose différents moyens de fixation, par exemple par encliquetage (...). Une fois la pièce de maintien fixée sur la poulie, on installe le cordage de fixation en le passant tout d'abord dans un trou d'extrémité de la pièce, puis dans l'évidement central, dans le deuxième trou d'extrémité et en réunissant les deux brins. Ledit cordage peut par exemple être une manille textile adaptée à la poulie et à la pièce de maintien. La pièce de maintien selon l'invention résout les problèmes suivants:
- même si le cordage de fixation comprime les joues, celles-ci ne peuvent plus se resserrer car elles sont maintenues écartées par la partie de la surface inférieure de la pièce de maintien qui est comprise entre les deux encoches,
- par sa présence même, la pièce de maintien interdit au cordage circulant de sortir de l'espace compris entre les joues,
- la poulie ne peut plus tourner à l'intérieur de la boucle constituée par le cordage de fixation car celui-ci passe par les trous d'extrémité de la pièce de maintien qui est fixée sur la poulie."), mais la société Ropeye ne fait état d'aucun autre élément de l'état de la technique avec lequel combiner ce document, fût-ce les connaissances générales de la personne du métier (qui n'est d'ailleurs pas définie) pour parvenir, sans faire preuve d'activité inventive, à l'invention (hormis le brevet [D]). Le tribunal observe à cet égard que la personne du métier était même dissuadée de rechercher cet effet d'écartement, tous les brevets cités par la société Ropeye l'incitant au contraire à maintenir le cordage autour du réa (voir ci-dessous la figure 3 du brevet FR 2 923 451), comme le fait au demeurant la poulie U-Block.

44. La revendication principale no1 étant valable, il en résulte que les revendications dépendantes suivantes le sont également (Cass. Com., 27 janvier 2021, pourvoi no 18-17.063). La demande reconventionnelle aux fins d'annulation des revendications des brevets est rejetée.

4o) Sur les autres demandes

45. Aux termes des articles 1240 et 1241 du code civil, "Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer." et "Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence." Au visa de ces deux textes, il est constamment jugé que la liberté du commerce autorise tout acteur économique à attirer vers lui la clientèle de son concurrent. Aussi, l'imitation d'un concurrent n'est, en tant que telle, pas fautive, à moins que ne soient utilisés des procédés illicites ou contraires aux usages loyaux du commerce. A cet égard, les procédés consistant, par imitation des signes d'un concurrent, à créer dans l'esprit du public une confusion de nature à tromper la clientèle et la détourner, caractérisent des actes de concurrence déloyale. L'appréciation de la faute doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits en prenant en compte le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de l'imitation, l'ancienneté du signe imité, l'originalité ou la notoriété du signe copié. Il est en outre rappelé qu'en l'absence de tout droit privatif, le seul fait de commercialiser des produits identiques à ceux distribués par un concurrent n'est pas fautif (Cass. Com., 9 juin 2004, pourvoi no03-10.134 ; Cass. Com., 9 juillet 2002, pourvoi no00-19.575 ;Cass. Com., 9 mars 2010, pourvoi no 09-11.330). Le parasitisme se caractérise lui par le fait, pour un professionnel, de se placer dans le sillage d'un concurrent et de tirer profit, sans contrepartie, du fruit de ses investissements et de son travail ou de sa renommée – sans porter atteinte à un droit privatif –, en réalisant ainsi des économies considérées comme injustifiées. La jurisprudence définit le parasitisme économique comme "l'ensemble descomportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire particulier" (Cass. Com, 26 janvier 1999, pourvoi no96-22.457). L'exemple le plus classique de parasitisme se rencontre à propos des signes distinctifs de ralliement de la clientèle (nom commercial, marque, logo, slogan, enseigne, nom de domaine, produit "phare",...). Ni la concurrence déloyale, ni le parasitisme ne saurait toutefois avoir pour effet de, en dépit de l'absence de violation de droits privatifs, de reconstituer un monopole au mépris du principe de liberté du commerce et de l'industrie.

46. Au cas particulier, les poulies U-Block et X-Block de la société Ropeye ne peuvent être regardées comme des imitations des produits de la société Ino-Rope, qui ne font au demeurant l'objet d'aucune description distincte du brevet, susceptible de créer la confusion dans l'esprit de la clientèle. La demande subsidiaire de la société Ino-Rpe fondée sur la concurrence déloyale ne peuvent qu'être rejetées. Il en va de même de celles fondées sur un parasitisme en l'absence de démonstration des investissements que le parasitisme a pour objet de protéger ou même d'allégation que les poulies en question constituent un produit de ralliement de la clientèle.

47. La demande subsidiaire de la société Ino-Rope fondée sur la concurrence déloyale est donc rejetée.

48. Le fait de jeter le discrédit sur une entreprise constitue un dénigrement fautif, à moins que l'information donnée se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure (Cass. Civ. 1ère, 11 juillet 2018, pourvoi no 17-21.457, Bull. 2018, I, no 136 ; Cass. Civ. 1ère, 12 décembre 2018, pourvoi no 17-31.758 ; Cass. Com., 9 janvier 2019, pourvoi no 17-18.350 ; Cass. Com., 4 mars 2020, pourvoi no 18-15.651 ; Com., 4 novembre 2020, pourvoi no 18-23.757 ; Cass. Com., 28 juin 2023, pourvoi no 22-13.442 ).

49. En l'occurrence, il résulte des courriels versés aux débats par la société Ino-Rope en pièce no18 que ses courriels d'octobre 2016 avaient pour objet d'appeler l'attention des organisateurs du prix Dame 2016 du "Marine Equipements Trade Show" sur le fait que la poulie U-Blockde la société Ropeye, nommée pour ce prix, constituait une contrefaçon de ses brevets ("Their nominated product, "Ropeye X-Block", is a counterfeit product of our patented product."), ainsi que le permet d'ailleurs le règlement de ce salon.

50. Il n'est pas allégué que la société Ino-Rope aurait autrement diffusé son allégation lui conférant le caractère d'une information publique à destination notamment de la clientèle. Il en résulte que les conditions du dénigrement ne sont pas réunies. Cette demande reconventionnelle est rejetée.

51. La société Harken France enfin, qui ne caractérise pas autre chose qu'une mauvaise appréciation de ses droits par la société Ino-Rope, ni aucun préjudice distinct de la nécessité de se défendre réparé par d'autres dispositions de ce jugement, est débouté de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive. Il en est de même de la société Ropeye Oü.

52. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société Ino-Rope sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer aux sociétés Ropeye Oü et Harken France la somme de 10.000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

53. Nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, l'exécution provisoire de la présente décision est ordonnée conformément aux dispositions du code de procédure civile applicables lors de la délivrance de l'assignation (le 13 novembre 2017) selon les dispositions transitoires du décret no 2019-1333 du 11 décembre 2019.

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

REJETTE toutes les demandes de la société Ino-Rope fondées sur la contrefaçon de brevets et la concurrence déloyale ;

REJETTE les demandes reconventionnelles de la société Ropeye Oü et de la société Harken France aux fins d'annulation des brevets opposés, en dénigrement fautif et fondées sur un abus de procédure;

CONDAMNE la société Ino-Rope aux dépens dont distraction au profit de Me Guyard sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Ino-Rope à payer à chacune des sociétés Ropeye Oü et Harken France la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision.

Fait et jugé à Paris le 28 septembre 2023

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 17/16043
Date de la décision : 28/09/2023

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2023-09-28;17.16043 ?
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