TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
3ème chambre
3ème section
No RG 20/12771 -
No Portalis 352J-W-B7E-CTNDH
No MINUTE :
Assignation du :
3 septembre 2018
JUGEMENT
rendu le 27 septembre 2023
DEMANDERESSES
E.U.R.L. ELITE CONNEXION
[Adresse 2]
[Localité 6]
Madame [B] [V]
intervenante volontaire
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentées par Maître Anne-Laure MOYA-PLANA, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #C0176 et par Maître WEISSENBACHER de la SELARL FORWARD AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant, substitué par Maître Sébastien OLAZCUAGA, avocat au barreau de BORDEAUX
DÉFENDERESSE
S.A.R.L. VIEW6
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Maître Jérémy ARMET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0351
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjoint
Anne BOUTRON, vice-présidente
Linda BOUDOUR, juge
assistés de Lorine MILLE, greffière,
DÉBATS
A l'audience du 07 juin 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 27 septembre 2023.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
________________________________
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
1. La société Elite Connexion se présente comme une agence matrimoniale haut de gamme, créée en 2006 par Mme [B] [V], ancien mannequin connue sous le nom de [B] [V], qui en est la gérante, cette activité étant exploitée via le site internet www.elite connexion.com dont le nom de domaine est réservé depuis le 3 avril 2006.
2. La société Elite Connexion est titulaire de la marque verbale de l'Union européenne "[B]" no17961695 enregistrée le 26 septembre 2018 pour désigner les services des classes 35, 41 et 45 dont celui d'agence matrimoniale en classe 45.
3. La société View6, immatriculée depuis le 29 décembre 2009, exerce l'activité d'agence matrimoniale et propose ses services via le site internet [07].
4. Elle expose avoir découvert que la société View6 avait réservé les mots-clefs "Elite connexion" et "[B] [V]" sur les régies publicitaires des moteurs de recherche Google et Ask pour le déclenchement d'annonces promotionnelles conduisant vers le site Internet estherkeller.com, qu'elle a fait constater par huissier les 6 et 13 juillet 2018.
5. Par courrier du 16 juillet 2018, la société Elite Connexion a, par l'intermédiaire de son conseil, mis en demeure la société View6 de cesser toute atteinte aux signes "Elite connexion" et "[B] [V]".
6. Par courrier du 2 août 2018, le conseil de la société View6 a contesté toute réservation fautive desdits signes, ajoutant que la société View6 avait retiré les annonces sponsorisées litigieuses dès le 21 juillet 2018.
Procédure
7. Par acte du 3 septembre 2018, la société Elite Connexion a fait assigner la société VIEW6 devant le tribunal de commerce de Bordeaux en concurrence déloyale afin de faire cesser et d'obtenir réparation des atteintes aux signes "Elite connexion" et "[B] [V]".
8. En raison de demandes fondées sur une contrefaçon de marque, la juridiction consulaire bordelaise, après avoir reçu Mme [V] en son intervention volontaire, s'est, le 20 décembre 2019, déclarée incompétente au profit du tribunal de grande instance de Paris, devenu tribunal judiciaire, et a dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
9. Par ordonnance du 20 juillet 2021, le juge de la mise en état, saisi par la société View6, a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par celle-ci, l'a condamnée au paiement d'une amende civile de 1 500 euros et à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et renvoyé au fond le moyen tiré du défaut de qualité et d'intérêt à agir de la société Elite Connexion.
10. L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 septembre 2022 et l'affaire plaidée le 7 juin 2023.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
11. Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 mai 2022, la société Elite Connexion et Mme [V] demandent au tribunal de:
DIRE ET JUGER que la société VIEW6, par la réservation du signe « [B] » à titre de mot-clé, et son association à une annonce promotionnelle ne présentant ni dans son titre ni dans sa description le signe distinctif « [D] [N] », sur les régies publicitaires AdWords et Ask Sponsored Listings des moteurs de recherche Google et Ask, a créé un risque de confusion entre la société ELITE CONNEXION et la société VIEW6, et commis par là-même des actes de contrefaçon par reproduction de la marque verbale de l'Union européenne « [B] » no17961695, au préjudice de la société ELITE CONNEXION ;
DIRE ET JUGER que la société VIEW6, par la réservation des signes « ELITE CONNEXION » et « [B] [V] », et leur association à une annonce promotionnelle ne présentant ni dans son titre ni dans sa description le signe distinctif « [D] [N] », sur les régies publicitaires AdWords et Ask Sponsored Listings des moteurs de recherche Google et Ask, a créé un risque de confusion entre la société ELITE CONNEXION et la société VIEW6, et commis ainsi des actes de concurrence déloyale, au préjudice de la société ELITE CONNEXION ;
En conséquence ORDONNER la communication, sous astreinte de 10 000 € par jour de retard, à compter du mois suivant la signification du jugement à intervenir, le Tribunal se réservant le droit de liquider directement l'astreinte, des « analytics » certifiés de toutes les campagnes promotionnelles (certifiées comme étant exhaustives par les régies publicitaires des moteurs de recherche), pour tous les sites web de la société VIEW6 – au premier rang desquels estherkeller.com -, faisant état notamment des « impressions », des « clics » et des « conversions » relatifs à toutes les annonces déclenchées à partir de requêtes présentant en leur sein les signes « ELITE CONNEXION », « [B] » et/ou « [V] », et ce pour les régies publicitaires de tous les moteurs de recherches sur Internet – dont Google, Ask, Orange, Bing, Yahoo, Qwant, Lycos et Search Encrypt ;
DÉSIGNER tels experts informatique et comptable qu'il plaira au tribunal avec pour mission d'établir le manque à gagner de la société ELITE CONNEXION résultant de l'utilisation par la société VIEW6 de la marque verbale de l'Union européenne « [B] » no17961695, ainsi que des signes distinctifs « ELITE RENCONTRE » et « [B] [V] », à destination d'un public français, et ce pour les cinq années ayant précédé la délivrance de l'acte introductif d'instance et ce jusqu'au jour du jugement ;
CONDAMNER la société VIEW6 au paiement d'une indemnité à fixer au résultat de l'expertise ordonnée, en réparation du manque à gagner de la société ELITE CONNEXION ;
CONDAMNER la société VIEW6, dans l'attente du résultat de l'expertise ordonnée, au paiement d'une indemnité, à titre provisionnel, de 50 000 €, en réparation du manque à gagner de la société ELITE CONNEXION ;
CONDAMNER la société VIEW6 au paiement d'une indemnité de 30 000 €, en réparation des pertes subies par la société ELITE CONNEXION ;
CONDAMNER la société VIEW6 au paiement d'une indemnité de 20 000 €, en réparation du préjudice moral subi par Madame [B] [V] ;
ORDONNER à la société VIEW6 de cesser toute promotion de ses services d'agence matrimoniale par le déclenchement d'annonces promotionnelles créant un risque de confusion avec la marque verbale de l'Union européenne « [B] » no17961695, ainsi qu'avec les signes distinctifs « ELITE CONNEXION » et « [B] [V] », par le truchement des régies publicitaires de tous les moteurs de recherche sur Internet, et ce sous astreinte de 2 000 € par infraction constatée et par jour de retard, à compter de la signification du jugement à intervenir, le Tribunal se réservant le droit de liquider l'astreinte directement ;
ORDONNER la publication du jugement à intervenir, dans son intégralité ou par extraits, au choix de la société ELITE CONNEXION, dans 3 journaux ou publications professionnelles au choix de cette dernière, et aux frais avancés de la société VIEW6, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 3 000 € HT, soit la somme totale de 9 000 € HT ;
CONDAMNER la société VIEW6 au paiement de la somme de 15 000 € au profit de la société ELITE CONNEXION et de Madame [B] [V], au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNER la société VIEW6 aux entiers dépens.
12. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 juin 2022, la société View6 demande au tribunal de :
A titre préliminaire :
DECLARER irrecevable la société Elite Connexion en ses demandes pour défaut de qualité à agir et d'intérêt à agir compte tenu de ses prétentions et demandes fondées sur le nom patronymique « [B] [V] » et sur la marque « [B] » déposée le 26 septembre 2018 ;
DECLARER irrecevable Madame [B] [V] en ses demandes pour défaut d'intérêt à agir dans la mesure où elle ne justifie d'aucun préjudice distinct de celui de la société Elite Connexion ;
A titre principal : DEBOUTER la société Elite Connexion et Madame [B] [V] de l'ensemble de leurs demandes du fait de l'absence de faute caractérisant un acte de contrefaçon ou un acte parasitaire de la part de la société View 6 ;
A titre subsidiaire : DEBOUTER la société Elite Connexion et Madame [B] [V] de l'ensemble de leurs demandes du fait de l'absence de préjudice consécutif à l'utilisation des termes litigieux ;
A titre reconventionnel :
CONDAMNER solidairement la société Elite Connexion et Madame [B] [V] à payer à la société View 6 5000 € de dommages et intérêts en réparation des actes de dénigrements constatés à compter du 21 février 2022.
En tout état de cause :
CONDAMNER la société Elite Connexion, solidairement avec Madame [B] [V] à verser à la société View 6 la somme de 13 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNER la société Elite Connexion, solidairement avec Madame [B] [V], aux entiers dépens, y compris les éventuels frais d'exécution et le remboursement des procès verbaux de constat du 12 octobre 2018, du 7 octobre 2021 et 12 octobre 2021.
MOTIVATION
Sur les fins de non-recevoir soulevées par la société View6
Moyens des parties
13. La société View6 fait valoir le défaut de qualité et d'intérêt à agir de la société Elite Connexion relativement au grief d'atteinte au nom patronymique "[B] [V]" au motif que celle-ci ne dispose d'aucun droit sur les termes "[B] [V]", n'établit pas qu'un droit d'usage lui aurait été concédé et ne peut se substituer à Mme [V] pour obtenir réparation d'un éventuel préjudice. Elle conclut également à l'irrecevabilité des demandes de la société Elite Connexion au titre de la marque verbale de l'Union européenne "[B]" pour des faits antérieurs au 26 septembre 2018. Elle fait en outre valoir que Mme [V] n'a pas d'intérêt à agir dans la mesure où elle ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui de la société Elite Connexion.
14. La société Elite Connexion et Mme [V] soutiennent que celle-ci a consenti à sa société un droit d'usage sur son nom patronymique et font valoir que Mme [V] est intervenue volontairement à la procédure afin de régulariser cette fin de non-recevoir soulevée par la société View6.
Réponse du tribunal
15. Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile :
"L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé".
16. Selon l'article 122 du code de procédure civile :
"Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée".
17. En l'occurrence, aucune disposition ne réserve au titulaire du nom patronymique le droit d'agir en responsabilité délictuelle du fait de son utilisation par un tiers estimée comme fautive. Au demeurant et en tout état de cause, Mme [V], intervenue volontairement à la procédure, déclare avoir consenti à la société Elite Connexion, dont elle est la gérante, le droit d'user de son nom patronymique pour son activité commerciale et les articles de presse versés aux débats par les demanderesses (leurs pièces no3) établissent que la société Elite Connexion use de la notoriété, attestée par lesdits articles et au demeurant non contestée, du nom de Mme [B] [V] pour faire la promotion de ses services d'agence matrimoniale. Enfin, la société Elite Connexion fait valoir dans le cadre de son action en concurrence déloyale un préjudice propre tiré de l'usage non autorisé et à des fins commerciales par la société View6 du nom de Mme [V]. Elle dispose de ce fait d'un intérêt à agir. Il convient en conséquence d'écarter la fin de non recevoir de la société View6 tendant à déclarer irrecevable la société Elite Connexion en ses demandes pour défaut de qualité à agir et d'intérêt à agir compte tenu de ses prétentions et demandes fondées sur le nom patronymique « [B] [V] »".
18. La société View6 ne conteste pas par ailleurs la titularité de la société Elite Connexion sur la marque verbale de l'Union européenne [B] no17961695, de sorte qu'il n'y a pas non plus lieu de faire droit à la fin de non-recevoir de la société View6 résultant d'un prétendu défaut de qualité à agir et d'intérêt à agir de cette société sur le fondement de cette marque, étant précisé que le moyen de la société View6 tiré de la période de protection est une question de fond qui a vocation à être tranchée dans le cadre de l'analyse des actes de contrefaçon allégués.
19. Enfin, Mme [B] [V] a un intérêt à agir pour la protection de son nom, étant relevé en outre qu'aux termes du dispositif des écritures de l'intervenante volontaire, Mme [V] demande la réparation d'un préjudice moral qui lui est propre, de sorte que cette fin de non-recevoir soulevée par la société View6 sera également écartée.
Sur la contrefaçon de la marque verbale de l'Union européenne « [B] » no17961695
Moyens des parties
20. La société Elite Connexion et Mme [V] exposent que des recherches dans les moteurs Google et Ask avec les mots clés « agence matrimoniale [B] » et « agence matrimoniale [B] paris » font apparaître des annonces promotionnelles dirigeant les internautes vers le site internet [D] [N] (etlt;estherkeller.cometgt;) en créant un risque de confusion sur l'origine des services dans l'esprit des internautes.
21. La société VIEW6 fait valoir que les prétentions des demandeurs sont irrecevables, car les faits qui lui sont reprochés sont antérieurs au dépôt de leur marque de l'Union européenne. Elle ajoute que les termes « [B] » et "[B] [V]" ne sont plus réservés depuis le 21 juillet 2018 et que le déclenchement d'annonces ne résulte depuis cette date que de l'option de ciblage dit de la « requête large » dont elle ne saurait être déclarée responsable. Elle soutient également ne jamais avoir utilisé les services de la régie publicitaire Ask. Elle ajoute qu'il ne peut lui être reproché d'avoir réservé les mots clés "agence matrimoniale [Localité 6]" qui ne sont pas distinctifs. Elle affirme également que les internautes peuvent savoir que l'annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque du fait de la mention du nom de domaine [07] dans l'annonce sponsorisée et du renvoi par ce lien à son site internet, sans qu'aucune référence à Elite Connexion ou [B] [V] ne soit faite dans ses annonces promotionnelles.
Réponse du tribunal
22. L'article 9 du règlement 2017/1001 du 14 juin 2017 énonce que :
"1. L'enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit exclusif
2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque :
a) ce signe est identique à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée ;
b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque ;
c)ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d'une renommée dans l'Union et que l'usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l'Union européenne ou leur porte préjudice".
23. L'article 11 du même règlement précise que "le droit conféré par une marque de l'Union européenne est opposable aux tiers à compter de la date de publication de l'enregistrement de la marque".
24. Aux termes de l'article L. 717-1 du code de la propriété intellectuelle : "constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur la violation des interdictions prévues aux articles 9, 10, 13 et 15 du règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne".
25. La Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que les dispositions de l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 (qui sont reprises en substance par l'article 9, paragraphe 1, sous a), du règlement 40/94, ainsi que l'article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001), doivent être interprétées en ce sens que le titulaire d'une marque est habilité à interdire l'usage, sans son consentement, d'un signe identique à ladite marque par un tiers, lorsque cet usage a lieu dans la vie des affaires, est fait pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, et porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque (voir, notamment, arrêts du 11 septembre 2007, Céline, C-17/06, point 16, et du 18 juin 2009, L'Oréal e.a., C-487/07, point 58).
26. Selon la CJUE, la sélection de mots clés par un annonceur dans le cadre d'un service de référencement payant sur internet permettant de déclencher l'affichage de son annonce, constitue un usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services au sens de l'article 5, paragraphe 1, de la directive 89/104 (CJCE 23 mars 2010, Google France et Google, C-236/08 à C-238/08, points 51 et 52, 67 à 73)
27. Dans son arrêt Google précité, la CJUE a précisé que l'usage d'un signe identique à une marque d'autrui dans le cadre d'un service de référencement tel qu'«AdWords» n'est pas susceptible de porter atteinte à la fonction de publicité de la marque (point 98) et que la question de l'atteinte à la fonction d'indication d'origine de la marque dépend en particulier de la façon dont cette annonce est présentée (CJCE 8 juillet 2010 Portakabin C-558/08 points 34 et 35 rappelant les points 83, 84 89 et 90 de la jurisprudence Google et CJCE 22 septembre 2011Interflora, C-323/09 points 44 et 45).
28. La Cour de justice, a, par un arrêt rendu le 22 septembre 2011(Interflora, C-323/09, points 44 et 45), précisé, en ce qui concerne l'atteinte à la fonction d'indication d'origine de la marque au sens de l'article5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104, que:
« 44. La question de savoir s'il est porté atteinte à la fonction d'indication d'origine d'une marque lorsqu'est montrée aux internautes, à partir d'un mot clé identique à cette marque, une annonce d'un tiers, tel qu'un concurrent du titulaire de la marque, dépend en particulier de la façon dont cette annonce est présentée. Il y a atteinte à cette fonction lorsque l'annonce ne permet pas ou permet seulement difficilement à l'internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services visés par l'annonce proviennent du titulaire de la marque ou d'une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d'un tiers (arrêts précités Google France et Google, points 83 et 84, ainsi que Portakabin, point 34). En effet, dans une telle situation, qui est au demeurant caractérisée par la circonstance que l'annonce apparaît tout de suite après l'introduction de la marque en tant que mot de recherche et est affichée à un moment où la marque est, dans sa qualité de mot de recherche, également indiquée sur l'écran, l'internaute peut se méprendre sur l'origine des produits ou des services en cause (arrêt Google France et Google, précité, point 85).
45. Lorsque l'annonce du tiers suggère l'existence d'un lien économique entre ce tiers et le titulaire de la marque, il y a lieu de conclure qu'il y a atteinte à la fonction d'indication d'origine de cette marque. De même, lorsque l'annonce, tout en ne suggérant pas l'existence d'un lien économique, reste à tel point vague sur l'origine des produits ou des services en cause qu'un internaute normalement informé et raisonnablement attentif n'est pas en mesure de savoir, sur la base du lien promotionnel et du message commercial qui est joint à celui-ci, si l'annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque ou, bien au contraire, s'il est économiquement lié à celui-ci, il convient de conclure qu'il y a atteinte à ladite fonction de la marque (arrêts précités Google France et Google, points 89 et 90, ainsi que Portakabin, point 35). ».
29. Au cas présent, la société Elite Connexion est titulaire de la marque de l'Union européenne [B] no017961695 qui vise notamment en classe 45 les services d'agence matrimoniale. La protection de cette marque débutant avec la publication de son enregistrement le 18 février 2019, seuls les faits constatés à compter de cette date peuvent être pris en compte dans l'appréciation de la contrefaçon alléguée. Il est également constant que la société Elite Connexion n'a pas consenti à l'usage de sa marque précitée par la société View6 qui exploite sous le nom de domaine estherkeller.com un service d'agence matrimoniale identique au service désigné par cette marque [B].
30. Le procès-verbal de constat du 12 juin 2019 versé aux débats par les demanderesses (leur pièce no20) établit qu'une recherche avec les mots clés "agence matrimoniale [B] paris", sur le moteur de recherche Google déclenche l'apparition en première position d'une annonce portant l'intitulé "Agence matrimoniale à [Localité 6]/ Confidentialité / accompagnement" et présentant un lien vers le site [07], sous la mention "Annonce" caractéristique d'un référencement payant. Cette annonce précède un résultat intitulé "Elite connexion Agence Matrimoniale haut de..." correspondant à un résultat dit naturel, c'est-à-dire déterminé par le seul algorithme du moteur de recherche et ne résultant pas d'un référencement payant. Par ailleurs, la recherche par mots clés "agence matrimoniale paris", dépourvue du terme "[B]", déclenche en seconde position un résultat portant dans son intitulé notamment la mention "EstherKeller.com", également sous la mention "Annonce" caractéristique des référencements payants .
31. La réservation par la société View6 du mot "[B] ", identique à la marque dont la société Elite Connexion est titulaire, dans le cadre d'un référencement payant se déduit de la mention "annonce" caractéristique des référencements payants et du fait qu'une recherche avec les seuls mots clés "agence matrimoniale paris", dépourvue du terme "[B]" fait apparaître une annonce différente, en particulier en ce qu'elle contient la mention expresse "EstherKeller.com" dans son titre. Les constats d'huissier que la société View6 verse aux débats (ses pièces no5 et 31-1) des 12 octobre 2018 et 7 octobre 2021 ne permettent pas d'apporter la preuve contraire, comme elle le soutient.
32. Il est par ailleurs établi par le procès-verbal susvisé que l'emploi du signe [B] comme mot-clef a pour effet de déclencher l'apparition d'une annonce faisant la promotion de services identiques aux services d'agence matrimoniale visés en classe 45 pour lesquels la marque de la société Elite Connexion a été enregistrée ainsi que l'affichage d'un lien promotionnel dirigeant vers le site estherkeller.com de la société View6 dont il est constant qu'il est dédié aux services d'agence matrimoniale.
33. La sélection par la société View6 d'un signe identique à la marque de la société Elite Connexion en tant que mot-clef pour déclencher l'affichage de son annonce publicitaire constitue un usage dans la vie des affaires.
34. En outre, la façon dont est présentée l'annonce sponsorisée de la société View6 ne permet pas à l'internaute normalement informé et raisonnablement attentif, qui appartient au grand public au regard de la nature des services concernés, de savoir si les services proposés dans l'annonce sponsorisée de la société View6, déclenchée par les mots clés "agence matrimoniale [B] paris", proviennent du titulaire de la marque litigieuse ou d'une entreprise qui lui est économiquement liée. En effet, l'annonce sponsorisée de la société View6 ne mentionne à aucun moment le nom de l'agence matrimoniale qui propose ces services, l'adresse URL estherkeller.com n'étant pas à elle seule suffisante à établir l'origine des services ainsi proposés, à la différence de l'annonce déclenchée par les mots clés "agence matrimoniale paris" qui porte dans son titre la mention expresse "EstherKeller.com". De plus, l'annonce est affichée à un moment où la marque est, dans sa qualité de mot de recherche, également indiquée sur l'écran, circonstance retenue par la CJUE dans l'arrêt Interflora précité pour caractériser la difficulté de l'internaute à identifier l'origine des services proposés. Cette difficulté est ici également caractérisée par le fait que le signe [B] n'apparaît sur la page que dans le moteur de recherche et à aucun autre endroitde la page, et notamment pas dans le résultat dirigeant vers le site de la société Elite Connexion qui se trouve en deuxième position, en dessous de l'annonce promotionnelle de la société View6. Il résulte de ce qui précède une atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir l'identité d'origine des produits et services d'origine.
35. Ainsi, en réservant à titre de mot clé dans un service de référencement payant le signe"[B]", pour faire la promotion de services d'agence matrimoniale en permettant le déclenchement d'une annonce dont la présentation ne permet pas à un internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir que la société View6 est un tiers par rapport au titulaire de la marque [B], la société View6 a fait un usage dans la vie des affaires d'un signe identique à la marque de la société Elite Connexion pour désigner des services identiques, d'une manière portant atteinte à la fonction essentielle de la marque de garantie d'origine. La contrefaçon de la marque de l'Union européenne no17961695 est par conséquent caractérisée.
Sur les faits de concurrence déloyale opposés à la société View6
Moyens des parties
36. La société Elite Connexion fait valoir que la société VIEW6 a commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice par la réservation des mots clés "Elite Connexion" et « [B] [V] » sur les moteurs de recherche Google, Ask et Seekweb déclenchant une annonce promotionnelle du site estherkeller.com et sans que le titre, ni le descriptif de l'annonce ne fassent référence au signe « [D] [N] », créant ainsi un risque de confusion entre la société Elite Connexion et de la société View6. Elle ajoute que l'usage par la société View6 des termes « haut de gamme » et « rencontres sérieuses » qui sont fréquemment utilisés par la société Elite Connexion entretient également la confusion.
37. La société View6 fait valoir que les termes « Elite Connexion » et « [B] [V]» ne sont plus réservés depuis le 21 juillet 2018 et que le déclenchement d'annonces ne résulte depuis cette date que de l'option de ciblage dit de la « requête large » dont elle ne saurait être déclarée responsable. Elle soutient également ne jamais avoir utilisé les services des régies publicitaires Ask et Seekweb. Elle ajoute que la mention du signe « [D] [N] » au sein de l'URL affichée aux termes de l'annonce ([07]/agence/matrimoniale) exclut tout risque de confusion. Elle soutient également que les deux sociétés ne sont pas en situation de concurrence, n'ayant pas les mêmes cibles. Enfin, elle fait valoir l'absence de préjudice , affirmant n'avoir acquis aucun client pendant la période active des liens sponsorisés litigieux.
Réponse du tribunal
38. En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
39. La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un signe qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.
40. L'appréciation de la faute doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits en prenant en compte le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de l'imitation, l'ancienneté du signe imité, l'originalité ou la notoriété du signe copié.
41. Le démarchage de la clientèle d'autrui est licite s'il n'est accompagné d'un acte déloyal. Ainsi, le simple usage à titre de mots clefs de signes distinctifs de concurrent n'est pas en lui-même déloyal, encore faut-il qu'il en soit résulté un risque de confusion sur l'origine des produits commercialisés par les deux entreprises (Com, 29 novembre 2011, no10-26.969 ; Com., 29 janvier 2013, no11-24.713, 11-21.011).
42. Pour être accueillie, l'action en concurrence déloyale doit être fondée sur des actes distincts de ceux sanctionnés au titre de la contrefaçon (Cass com 16 déc. 2008, no07-17.092).
Sur l'utilisation de la dénomination sociale Elite Connexion à titre de mots clés
43. En l'espèce, la société en demande est immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris depuis le 1er juin 2015 sous la dénomination sociale " Elite Connexion".
44. La réservation par la société View6 du signe "elite connexion" à titre de mot-clé dans le cadre d'un service de référencement payant sur les moteurs de recherche Google, Ask et Orange est établi par la mention "annonce" accompagnant les résultats litigieux, caractéristique des annonces payantes. Comme relevé plus haut, les constats d'huissier que la société View6 verse aux débats (ses pièces no5 et 31-1) des 12 octobre 2018 et 7 octobre 2021 ne permettent pas d'apporter la preuve contraire.
45. Il ressort des procès-verbaux datés des 6 et 13 juillet 2018 (leurs pièces no8 et 9) qu'une recherche avec les mots clés "ELITE CONNEXION" sur le moteur de recherche Google déclenche en première position une annonce promotionnelle affichant l'URL [07] dirigeant vers la page du site internet [D] [N], sans que la dénomination sociale "Elite Connexion" n'apparaisse dans le titre, le texte ou l'adresse URL de l'annonce. Un internaute normalement informé et raisonnablement attentif ne peut en l'espèce se méprendre sur l'origine des services proposés par les annonces de la société View6 dans la mesure où apparaît immédiatement sous lesdites annonces promotionnelles, et donc sur la même page de résultats, un résultat présentant les services de la société Elite Connexion sous la mention de sa dénomination sociale tant dans le titre que dans le texte du résultat et de son URL elite-connexion.com. Le risque de confusion n'est pas davantage établi s'agissant de l'annonce constatée le 6 juillet 2018 dans la mesure où le texte commercial de l'annonce sponsorisée comporte la mention"[D] [N]", comme suit:"[D] [N] a bâti sa réputation sur l'excellence de son carnet d'adresse. Profils très sélectionnés. Prestation sur mesure (...)". Il en est de même de l'annonce déclenchée sur le moteur de recherche Ask avec les mots clés "agence matrimoniale elite connexion" telle que constatée par le procès verbal du 9 novembre 2018. La concurrence déloyale du fait de ces annonces n'est ainsi pas caractérisée.
46. Le constat établi le 13 juillet 2018 (pièce no9) montre également qu'une recherche avec les mots clés "ELITE CONNEXION" sur le moteur de recherche ASK déclenche en troisième position une annonce commerciale intitulée "Agence matrimoniale efficace - Rencontrez la bonne personne" affichant l'adresse sur internet [07] dirigeant vers la page d'accueil du site, sans que le nom [D] [N] ne soit mentionné dans le texte de l'annonce, et qui ne reprend par ailleurs aucun des termes de la dénomination sociale "Elite Connexion" que ce soit dans le titre, dans le texte de l'annonce ou dans l'adresse internet. Un internaute normalement informé et raisonnablement attentif ne peut pas non plus se méprendre sur l'origine des services proposés par cette annonce promotionnelle dans la mesure où apparaît sur la même page de résultat en première position des résultats naturels "le Vésinet : [B] [V] relooke chez [E]" mentionnant dans le texte d'accompagnement l'"agence matrimoniale "haut de gamme" Elite Connexion" alors de plus qu'apparaissent dans les annonces sponsorisées en deuxième et quatrième position des annonces commerciales portant chacune la mention du terme "Elite". Ici encore le risque de confusion n'est pas établi et la concurrence déloyale n'est pas caractérisée.
47. Par ailleurs, le procès verbal en date du 9 novembre 2018 (pièce no17) montre qu'une recherche avec les mots clés "agence matrimoniale elite connexion" sur le moteur de recherche Orange déclenche, en deuxième position des annonces payantes, une annonce comportant un lien dirigeant vers le site [D] [N] sans que ce signe n'apparaisse dans le titre ou le corps de l'annonce. Ici encore un internaute normalement informé et raisonnablement attentif ne peut pas confondre les services offerts par la société View6 sous le signe [D] [N] et ceux de la société Elite Connexion dans la mesure où l'annonce litigieuse apparaît en deuxième position des annonces payantes et qu'elle ne reprend pas la dénomination sociale Elite Connexion dans son titre, son texte ou son lien vers son adresse internet. Il en résulte que la concurence déloyale n'est pas caractérisée.
48. En outre, la société Elite Connexion est mal fondée à faire grief à la société View6 de l'usage des termes "haut de gamme" et "rencontres sérieuses" qui ne sauraient faire l'objet d'une quelconque appropriation pour les services d'agence matrimoniale.
49. Ainsi, la société Elite Connexion ne rapporte pas la preuve d'un usage déloyal par la société View6 de la dénomination sociale "Elite Connexion" et son action en concurrence déloyale pour les faits susvisés doit être rejetée.
Sur l'utilisation du nom patronymique "[B] [V]" à titre de mots clés
50. Ainsi que relevé plus haut, la société Elite Connexion use dans ses communications commerciales du nom patronymique de Mme [V], dont la notoriété est établie par les articles de presse versés aux débats (pièces des demandeurs no3) et n'est au demeurant pas contestée, Mme [V] ayant par ailleurs déclaré à la procédure lui avoir conféré le droit de faire usage de son nom patronymique à des fins commerciales.
51. La réservation par la société View6 des mots clefs "[B] [V]" dans le cadre d'un service de référencement payant sur les moteurs de recherche Google et Ask est ici encore établie par la mention "annonce" accompagnant les résultats litigieux, sans que les constats d'huissier que la société View6 verse aux débats (ses pièces no5 et 31-1) des 12 octobre 2018 et 7 octobre 2021 ne permettent pas d'apporter la preuve contraire.
52. Les constats d'huissier des 6 et 13 juillet 2018 (pièces no8 et 9 des demandeurs) montrent qu'une recherche avec les mots clés "[B] [V]" dans les moteurs de recherche Google et Ask déclenche en première position une annonce promotionnelle dirigeant vers le site internet [D] [N]. Un internaute raisonnablement attentif et normalement informé ne peut cependant se méprendre sur l'origine des services proposés par ces annonces de la société View6 dès lors, d'une part, que le nom de [B] [V] n'apparaît ni dans le titre, ni dans le texte, ni dans l'adresse internet des annonces payantes et que d'autre part, le premier résultat naturel, c'est-à-dire non promu par des achats de mots clés, déclenché par la requête dans les moteurs Ask et Google désigne "[B]" ou "[B] [V]" dans le titre ou dans le texte du résultat, le nom étant associé à la société Elite Connexion. Il en est de même s'agissant de l'annonce sponsorisée déclenchée sur le moteur de recherche Seekweb apparaissant sur le constat réalisé le 7 avril 2022 (leur pièce no26).
53. La société Elite Connexion sera en conséquence déboutée de sa demande fondée sur la concurrence déloyale.
Sur les mesures réparatrices
54. En vertu de l'article L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
"1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée."
55. Ces dispositions doivent être interprétées, d'une part, à la lumière du principe de réparation intégrale, en vertu duquel la partie lésée doit se trouver dans la situation qui aurait été la sienne en l'absence des faits litigieux, sans perte ni profit pour elle ; d'autre part, à la lumière de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur le respect des droits de propriété intellectuelle, qui prévoit à son article 13 §1 que les dommages et intérêts doivent être adaptés au préjudice que le titulaire du droit « a réellement subi du fait de l'atteinte ».
56. Il appartient à la partie demanderesse d'établir tant le principe du préjudice qu'elle invoque que le quantum des dommages et intérêts qu'elle sollicite : il n'appartient pas au tribunal de palier la carence du demandeur dans l'administration de la preuve de son préjudice.
Sur les demandes de la société Elite Connexion
57. La société Elite Connexion demande, pour lui permettre de déterminer son manque à gagner, la communication sous astreinte par la société VIEW6 de l'ensemble de ses rapports de type « analytics » faisant état des « clics » et des « conversions » relatifs aux annonces déclenchées à partir les mots-clés litigieux pour les régies publicitaires des moteurs de recherche Google et Ask sur les cinq années ayant précédé l'acte introductif d'instance et la désignation d'un expert informatique et comptable.
58. Cependant, la société Elite Connexion n'a produit aucun élément de nature à justifier ces demandes et il n'appartient pas au tribunal, par le prononcé de telles mesures, de palier sa carence dans l'adminstration de la preuve. En effet, il ne se déduit pas des actes de contrefaçon le principe d'un manque à gagner qui pourrait justifer à lui seul d'ordonner les mesures sollicitées, encore faut-il que soient rapportés des éléments de nature à attester de l'existence d'un tel préjudice, tel un détournement de clientèle, une baisse ou absence de hausse d'activité, ce que ne fait pas la société Elite Connexion. Ces demandes seront en conséquence rejetées.
59. La société Elite Connexion demande par ailleurs la condamnation de la société View 6 à lui payer à titre provisionnel les sommes de 50 000 euros au titre de son manque à gagner et 30 000 euros au titre de ses pertes subies. Ainsi qu'évoqué ci-dessus, le manque à gagner allégué n'étant aucunement établi dans son principe, sa demande de réparation à cet égard sera rejetée.
60. S'agissant des pertes subies, la société Elite Connexion fait valoir des investissements qu'elle aurait consentis pour la protection et la promotion du signe distinctif « Elite Connexion» sans cependant verser aux débats aucun élément à cet égard. Cependant, l'utilisation de la marque [B] à titre de mot clé pour déclencher une annonce promotionnelle portant atteinte à la fonction essentielle de la marque et dont il est constant qu'il a pour objet de permettre aux professionnels de s'attirer une clientèle a nécessairement causé à la société Elite Connexion, propriétaire de la marque de l'Union européenne, un préjudice résultant de la banalisation et de la dilution de la valeur et de la disctinctivité de sa marque qu'il convient d'indemniser à hauteur de 5.000 euros à titre provisionnel en réparation des pertes subies.
61. Il convient également de faire droit aux mesures d'interdiction selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision.
62. Le préjudice subi de la société Elite Connexion étant suffisamment réparé, la demande de publication de la présente décision sera rejetée.
Sur les demandes de Mme [V]
63. Mme [V] demande la condamnation de la société VIEW6 à lui payer une indemnité de 20.000 € en réparation de son préjudice moral, évoquant une atteinte à son image, sans cependant avoir exposé les moyens fondant une telle demande. En particulier, Mme [V] n'a pas caractérisé la faute de la société View6 à son égard de nature à justifier l'indemnisation réclamée. La demande de Mme [V] sera en conséquence rejetée.
Sur la demande reconventionnelle de la société View6 fondée sur le dénigrement
Moyens des parties
64. La société View6 soutient que les demanderesses ont commis des actes de dénigrement auprès de sa cliente justifiant leur condamnation à 5 000 euros en réparation de son préjudice.
65. La société Elite Connexion et Mme [V] n'ont pas répondu à cette demande.
Réponse du tribunal
66. En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
67. Le dénigrement est constitué lorsque les propos visent les produits, les services ou l'activité d'une entreprise et sont tenus dans le but d'inciter une partie de la clientèle de l'entreprise visée à s'en détourner. Le dénigrement est sanctionné sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil (en ce sensCour de cassation, chambre commerciale, 4 mars 2020, no18-15.651).
68. Au soutien de sa prétention, la société View6 verse aux débats un courriel du 18 février 2022 dans lequel elle indique à un de ses clients: "nous avons eu la courtoisie de vous proposer des photos de personnes de votre âge pour taire les propos médisants de [B] [V] à notre égard (rapportés par vos soins)", ainsi qu'un courriel daté du 21 février 2022 dans lequel elle écrit à une cliente "toutes mes excuses pour le retard, j'ai été très pris par mon travail et effectivement les propos négatifs de [B] [V] nécessitaient une clarification". Ces pièces sont insuffisantes à établir le dénigrement allégué en l'absence de pièces établissant l'existence des propos prétendument tenus.
69. La demande de la société View6 sera en conséquence rejetée.
Sur les frais du procès et l'exécution provisoire
70. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société View6 supportera les dépens et sera condamnée à payer à la société Elite connexion la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
71. Il convient par ailleurs de rejeter la demande de la société View6 présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la demande de remboursement des frais de constats d'huissier, ceux-ci n'ayant pas été judiciairement ordonnés (Cass, 2ème chambre civile, 12 janvier 2017, no16-10.123).
72. L'exécution provisoire qui est de droit conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile n'a pas lieu d'être écartée.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal :
Ecarte les fins de non recevoir soulevées par la société View6 ;
Condamne la société View6 à verser à la société Elite Connexion 5000 euros à titre provisionnel à titre de dommages et intérêts en réparation de la contrefaçon de la marque de l'Union européenne [B] no17961695 ;
Interdit à la société View6 la réservation du signe [B] à titre de mot clef dans le cadre de référencements payants sur tout moteur de recherche pour déclencher une annonce promotionnelle de ses services d'agence matrimoniale présentée de manière à créer un risque de confusion avec la marque verbale de l'Union européenne [B] no17961695, dans un délai de 15 jours à compter de la signification du présent jugement puis sous astreinte de 200 euros par jour de retard qui courra pendant 180 jours ;
Se réserve la liquidation de l'astreinte ;
Rejette la demande de la société Elite Connexion:
- en réparation d'actes de concurrence déloyale
- de communication de documents
- de désignation d'experts informatique et comptable;
- de publication du jugement à intervenir aux frais avancés de la société VIEW6
Rejette la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral de Mme [B] [V]
Rejette les demandes reconventionnelles de la société View6 en dénigrement et au titre des frais non compris dans les dépens,
Condamne la société View6 aux dépens
Condamne la société View6 à verser à la société Elite Connexion 5000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Fait et jugé à Paris le 27 septembre 2023
La greffière Le président