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22/09/2023 | FRANCE | N°21/02398

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0196, 22 septembre 2023, 21/02398


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 21/02398
No Portalis 352J-W-B7F-CTZ7W

No MINUTE :

Assignation du :
21 Janvier 2021

JUGEMENT
rendu le 22 Septembre 2023
DEMANDERESSE

FONDATION DES SCIENCES DU PATRIMOINE
[Adresse 2]
[Localité 5]

représentée par Maître Sophie VIARIS DE LESEGNO de la SELEURL SVL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0166

DÉFENDERESSES

Madame [O] [X]
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maître Olivier BOYER de la SEP DOLFI M

ISSIKA MINCHELLA SICSIC ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #W0011

S.A. TALLANDIER ÉDITIONS
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Maît...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 21/02398
No Portalis 352J-W-B7F-CTZ7W

No MINUTE :

Assignation du :
21 Janvier 2021

JUGEMENT
rendu le 22 Septembre 2023
DEMANDERESSE

FONDATION DES SCIENCES DU PATRIMOINE
[Adresse 2]
[Localité 5]

représentée par Maître Sophie VIARIS DE LESEGNO de la SELEURL SVL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0166

DÉFENDERESSES

Madame [O] [X]
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maître Olivier BOYER de la SEP DOLFI MISSIKA MINCHELLA SICSIC ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #W0011

S.A. TALLANDIER ÉDITIONS
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Maître Renaud LE GUNEHEC de la SCP NORMAND et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0141

Copies délivrées le :
- Maître VIARIS DE LESEGNO #L166 (ccc)
- Maître BOYER #W11 (exécutoire)
- Maître LE GUNEHEC #P141 (exécutoire)COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Anne BOUTRON, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assistés de Monsieur Quentin CURABET, Greffier

DEBATS

A l'audience du 01 Juin 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile.

Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 22 septembre 2023

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

1. La Fondation des Sciences du Patrimoine (ci-après FSP), fondée par cinq établissements publics ([8], [7], [6], les universités de [Localité 9] et [Localité 5]) et créée par arrêté du 24 janvier 2013, a pour objet de "concourir par tous moyens au développement et à la réalisation de programmes de recherche, de valorisation et de formations dans le domaine des sciences du patrimoine culturel".

2. Mme [O] [X] est une historienne spécialiste du XVIIIème siècle. Elle est l'auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels Louis XVI (Fayard, 1985), Marie-Antoinette (Fayard, 1991), Marie-Antoinette, la dernière reine (Gallimard, 2000), Marie-Antoinette, journal d'une reine (Robert Laffont, 2002), L'Affaire du collier (Fayard, 2004), Marie-Antoinette - Correspondance (1770-1793) (Tallandier, 2005), C'était Marie-Antoinette (Fayard, 2006), Marie-Antoinette, Un destin brisé (RMN, 2006) et Marie-Antoinette, telle qu'ils l'ont vue (Omnibus, 2014).

3. La SA Tallandier éditions est une société d'édition.

4. La FSP a soutenu en 2014 un projet intitulé Recherches sur l'extraction et l'exploitation des tracés sous-jacents dans les manuscrits anciens : application aux lettres de Marie-Antoinette et désigné sous Rex, portant sur l'analyse et le décryptage de correspondances échangées entre la reine Marie-Antoinette et le comte Axel de Fersen, dont l'État français est propriétaire et dont plusieurs passages ont été caviardés afin de rendre leur lecture impossible.
Ce projet a été poursuivi par les Archives nationales, le Centre de recherches sur la conservation et le laboratoire Dypas (Rex II).

5. Par lettre du 27 novembre 2018, la FSP a confié à la société Electron libre productions la réalisation d'un documentaire destiné à présenter ce travail, en révélant les méthodes et techniques d'analyse utilisées et en dévoilant certains extraits des passages inédits des correspondances précitées lesquels devaient rester confidentiels.

6. Par contrat du 20 novembre 2019, la société Electron libre productions a confié à Mme [X] l'écriture du scénario de ce documentaire. Celui-ci a été diffusé à la télévision pour la première fois le 13 septembre 2020.

7. Indiquant avoir découvert en septembre 2020, que la société Tallandier éditions prévoyait de publier, le 1er octobre 2020, un ouvrage de Mme [X] intitulé Le grand amour de Marie-Antoinette – Lettres secrètes de la reine et du comte de Fersen intégrant des passages inédits, pour partie issus d'un document confié à la société Electron libre productions pour la réalisation du documentaire, la FSP a assigné Mme [X] et son éditeur devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de suspension de la publication pour atteinte à ses droits d'exploitation d'une oeuvre posthume.
Par ordonnance du 30 septembre 2020, le juge des référés a rejeté la demande.

8. Par actes signifiés le 21 janvier 2021, la FSP a fait assigner Mme [X] et la société Tallandier éditions devant le tribunal judiciaire en réparation du préjudice résultant d'agissements parasitaires.

9. Par ordonnance du 8 juillet 2022, le juge de la mise en état a rejeté les demandes d'annulation des assignations, de communication de pièces ainsi que la demande de communication de pièces formée par la FSP et a renvoyé au tribunal les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité et d'intérêt à agir soulevées par les défendeurs.

10. Dans ses dernières conclusions signifiées le 1er mars 2023, la Fondation des sciences du patrimoine demande au tribunal de :
- condamner in solidum Mme [X] et la société Tallandier éditions à lui payer la somme de 50.000 euros en réparation de son préjudice patrimonial et celle de 30.000 euros au titre de son préjudice moral ;
- interdire à la société Tallandier éditions de commercialiser et diffuser l'ouvrage de Mme [X] intitulé Le grand amour de Marie-Antoinette – Lettres secrètes de la reine et du comte de Fersen, sous astreinte ;
- lui enjoindre de procéder au rappel de l'ouvrage, sous astreinte, ou alternativement ordonner l'insertion sur divers supports d'un encart mentionnant que cet ouvrage ne constitue pas la publication officielle des résultats du projet scientifique Rex et a été publié sans son autorisation, ni validés scientifiquement ;
- ordonner la publication du jugement à intervenir ;
- condamner in solidum Mme [X] et la société Tallandier éditions aux dépens, dont distraction au profit de la SELARL SVL Avocat, et à lui payer la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

11. Dans ses dernières conclusions signifiées le 30 mars 2023, Mme [X] demande au tribunal de constater le défaut de qualité et d'intérêt à agir de la FSP.
Sur le fond, elle conclut au débouté de l'ensemble des demandes de la Fondation des Sciences du Patrimoine et sa condamnation à lui verser une somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à sa réputation et à son image et une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

12. Dans ses dernières conclusions signifiées le 28 février 2023, la société Tallandier éditions demande au tribunal de déclarer la FSP irrecevable en son action ou, à défaut, de la débouter de l'ensemble de ses demandes.
A titre reconventionnel, elle demande sa condamnation à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l'article 1240 du code civil, à raison du caractère téméraire et abusif de l'action et celle de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SCP Normand et Associés.

13. L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 avril 2023.

MOTIVATION

I . Sur les fins de non recevoir

14. La FSP fait valoir que :
- elle a qualité à agir, la réalisation du documentaire entrant dans son objet social statutaire ;
- elle a un intérêt à agir du fait de la révélation des résultats confidentiels du projet Rex II dans une forme non validée scientifiquement en y associant son nom et obtenus en violation d'une clause de confidentialité et de son droit exclusif de divulgation.

15. Mme [X] fait valoir qu'une fondation ne peut exercer une action dans l'intérêt commun de ses membres puisqu'elle n'a, juridiquement, que des fondateurs et, s'agissant de la défense d'un intérêt collectif, celui-ci doit entrer strictement dans l'objet social de la fondation et dans l'oeuvre d'intérêt général qu'elle exerce alors que la présente action est étrangère à son objet social et n'a été intentée que dans l'intérêt particulier de Mme [T], qui devait publier un ouvrage concurrent au sien.

16. La SA Tallandier éditions soutient les mêmes moyens estimant que la présente action, qui vise à entraver la publication d'un ouvrage de librairie écrit par une historienne, est incompatible avec les missions et l'objet statutaire de la FSP, censée mettre les résultats de ses recherches à disposition des enseignants, des chercheurs et du public, ce qui est le cas du projet Rex II dont les résultats étaient destinés à être rendus publics.

Sur ce,

17. En application des articles 30 et 31 du code de procédure civile, l'action, qui est le droit pour l'auteur d'une prétention d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée, est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
L' article 18, alinéa 1, de la loi du 23 juillet 1987 dispose qu'une fondation est "l'acte par lequel une ou plusieurs personnes physiques ou morales décident l'affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d'une oeuvre d'intérêt général et à but non lucratif."

18. Au termes des statuts de la FSP du 18 juin 2018 a été créée pour "favoriser l'émergence de la science du patrimoine et contribuer au lien entre recherches, formation et usages publics du savoir" et son objet a été rappelé au point 1 supra.

19. La FSP a la capacité juridique, et notamment celle d'ester en justice, depuis la date du décret qui l'a créée, de sorte qu'elle a qualité à agir.

20. Il est démontré qu'elle a soutenu et financé les travaux du projet Rex II dans le cadre de son objet et que la présente action est en lien avec l'utilisation des résultats de ce projet de recherche. Le fait qu'elle poursuive une mission d'intérêt général à but non lucratif de diffusion et de valorisation des résultats de ses recherches dans l'intérêt du public n'interdit nullement qu'elle souhaite garder la maîtrise et la primeur de la révélation des résultats des recherches et poursuivre en justice un usage qu'elle estime illicite de ces résultats.
Elle justifie donc de son intérêt à agir.

21. Les fins de non recevoir sont donc écartées.

II . Sur la demande de rejet de la pièce no38 de la demanderesse

22. Mme [X] soutient que la pièce adverse no 38 (contrat conclu entre elle et la société Electron libre productions) doit être écartée car le juge de la mise en état a rejeté la demande de production forcée et l'a jugée inutile à la solution du litige, de sorte qu'il s'agit d'une violation de cette décision.
La SA Tallandier éditions s'associe à la demande, quoique cette clause ne la concerne pas.

23. La FSP fait valoir qu'il était de son intérêt de connaître les gains de Mme [X] dans le cadre de ce contrat, raison pour laquelle elle a demandé la communication intégrale de cet acte au juge de la mise en état et que celui-ci n'a pas interdit la production de cet acte.

Sur ce,

24. La FSP a produit le contrat liant Mme [X] et la société Electron libre productions et comportant une clause de confidentialité des informations portée à sa connaissance pour la réalisation du documentaire sur le projet Rex.

25. La circonstance que le juge de la mise en état ait refusé sa production forcée ne justifie aucunement le rejet de cette pièce. Aucun autre motif n'étant soutenu, il y a lieu de rejeter la demande.

III . Sur la demande principale

26. La FSP fait valoir que :
- la jurisprudence sanctionne au titre du parasitisme l'appropriation du résultat du travail intellectuel ou des efforts de recherche d'autrui et le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un préjudice ;
- en publiant un ouvrage reprenant le fruit des recherches inédites et confidentielles du projet Rex, tels qu'il apparaissait dans le document confidentiel communiqué lors de la réalisation du documentaire et en violant délibérément une clause de confidentialité, Mme [X] et la société Tallandier éditions ont indûment profité des recherches de la fondation et de ses efforts d'investissement, réalisant des économies substantielles, pour obtenir un avantage commercial propre ;
- cette divulgation fait référence à la FSP et au projet REX (pages 11-12 et 241-242 de l'ouvrage, référence au décaviardage sur la quatrième de couverture et durant les campagnes de promotion) pour publier des résultats non validés scientifiquement et avant la divulgation officielle qu'elle comptait faire et donne ainsi l'apparence d'être cette divulgation officielle qui avait été annoncée le 6 juin 2020 ;
- les défenderesses ont ainsi supplanté les publications officielles qui étaient parallèlement en cours tant par la publication de l'ouvrage à paraître aux éditions Michel Lafon au mois d'octobre 2021 et lors des journées interdisciplinaires annoncées pour les 21 et 22 janvier 2021 ;
- toute la valeur commerciale de l'oeuvre litigieuse réside dans la révélation des passages inédits permise grâce au projet Rex ;
- l'exception de la courte citation ne peut être invoquée, faute de divulgation du projet au moment de la publication de l'oeuvre litigieuse ;
- les défenderesses ont dénaturé son travail en ce que l'ouvrage litigieux reprend des passages inédits du document confidentiel qui ont été corrigés par la suite, certains passages sont associés au projet Rex alors qu'ils n'en sont pas tirés, et certains passages raturés ou caviardés sont omis ;
- la clause de confidentialité est valide et proportionnée ;
- elle a réalisé de nombreux investissements financiers, humains et intellectuels ;
- les agissements fautifs des défenderesses lui ont causé un préjudice économique consistant dans un gain manqué causé par la divulgation des passages inédits, alors que le plan de communication et de divulgation des résultats scientifiques était une phase importante du projet de recherche, et un préjudice moral.

27. Mme [X] soutient que :
- aucun parasitisme économique ne peut avoir été subi, puisque la mission de la FSP est de faciliter la consultation des données et archives ;
- la reproduction incriminée ne porte que sur quelques phrases minimes, la plupart des documents ayant déjà été publié antérieurement : parmi les 1.335 signes de la correspondance non déjà publiés, 123 avaient été révélés dans le cadre de la communication de novembre 2015 du projet Rex, 181 avaient été publiés dans un article du Monde en juin 2020, 141 dans un article de Télérama en juin 2020 et 121 dans le cadre du documentaire, avant la parution de son livre ;
- elle n'a pas cherché à se placer dans le sillage de la FSP, ayant elle-même une renommée suffisante, et ne l'a citée que dans une volonté de citer ses sources, sans laisser entendre avoir participé aux recherches ;
- il ne peut y avoir parasitisme si le prétendu parasite démontre qu'il a lui-même réalisé des investissements réels et sérieux en relation, ce qui est le cas ;
- on ne saurait lui reprocher la violation de son obligation de confidentialité, nulle au demeurant comme ayant un objet trop large, par la communication de quelques phrases décaviardées dans le cadre du projet Rex après la diffusion du documentaire et la FSP est irrecevable à s'en plaindre, n'en étant pas bénéficiaire ;
- il n'existe pas de dénaturation des résultats du projet, puisqu'il ne s'agit que de quatre modifications minimes ;
- l'article L. 311-2 al 4 du code des relations entre le public et l'administration prévoit que "Le droit à communication ne s'exerce plus lorsque les documents font l'objet d'une diffusion publique", ce qui est le cas en l'espèce ;
- elle n'est pas de mauvaise foi, la divulgation ayant eu lieu après la diffusion du documentaire et dans l'ignorance du projet de publication de Mme [T], dont il n'est d'ailleurs pas démontré qu'il s'agisse de la divulgation officielle des résultats du projet Rex ;
- les préjudices allégués ne sont pas caractérisés et les mesures d'interdiction et de publication demandées sont disproportionnées.

28. La SA Tallandier éditions conclut que :
- le fait de citer ses sources, ce que Mme [X] a très clairement fait par un hommage appuyé aux auteurs du projet Rex, démontre l'absence de volonté de se placer dans le sillage ou d'emprunter la notoriété d'autrui ;
- les passages "décaviardés" ne constituent qu'une infime partie du livre de Mme [X] (10 pages sur 384, 2430 signes sur les 250.000 de la seule correspondance) ;
- elle ne connaissait pas l'existence d'une clause de confidentialité et le projet Rex n'était aucunement confidentiel ;
- ni les investissements, ni le préjudice de la Fondation des Sciences du Patrimoine ne sont démontrés ;
- la dénaturation alléguée n'est pas réelle et la FSP, étroitement associée à la réalisation du documentaire, a accepté la divulgation de ces résultats qu'elle juge aujourd'hui "non validés scientifiquement" ;
- l'interdiction du livre serait disproportionnée au regard de la mise en balance de l'intérêt économique défendu avec la liberté académique protégée par l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur ce,

29. La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité édicté par l'article 1240 du code civil, consiste dans des agissements s'écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans les activités économiques et régissant la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre opérateur, parasitaires ou encore, ceux constitutifs d'actes de dénigrement ou de désorganisation d'une entreprise.

30. Le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (Com., 10 juillet 2018, pourvoi no16-23.694).

31. Le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage (Ass. plén, 6 octobre 2006, pourvoi no05-13.255, publié).

32. L'article 14 du contrat liant Mme [X] à la société Electron libre productions du 20 novembre 2019 stipule : "L'Auteur s'engage à une obligation stricte et absolue de confidentialité sur le principe et les modalités du présent contrat, ainsi que sur tous événements, actes, documents et plus généralement tous éléments d'informations dont il aurait connaissance en relation directe ou indirecte avec la préparation, la production et ou la diffusion du Programme, le contenu du Programme, ses participants et intervenants divers. Cette obligation de confidentialité sera applicable tant pendant la durée du présent contrat qu'après le terme de celui-ci et ce, pour une durée de 5 (cinq) ans.
Tout manquement à l'obligation de confidentialité ci-dessus serait susceptible d'engager la responsabilité de l'auteur ; l'obligation de confidentialité précitée est une condition essentielle et déterminante du présent contrat."

33. La FSP démontre que Mme [X] a reproduit, dans son ouvrage, des extraits de lettres qu'elle avait nécessairement obtenus dans le cadre de son contrat avec la société Electron libre productions, certains passages n'ayant jamais été publiés, ni dans le documentaire, ni dans des publications antérieures, et d'autres ayant été modifiés ultérieurement.
Or, elle était tenue à une obligation de confidentialité de tous les éléments d'information portés à sa connaissance dans le cadre de la réalisation de ce documentaire. Il est indifférent à cet égard que cette clause n'ait pas été directement conclue au bénéfice de la FSP dès lors que c'est bien elle qui avait expressément demandé la confidentialité des éléments remis pour la réalisation du documentaire.

34. La FSP invoque le non respect de la clause de confidentialité uniquement pour caractériser les "agissements déloyaux et parasitaires commis" qui sont le fondement exclusif de ses demandes et n'invoque aucun préjudice résultant de la seule violation de l'engagement de confidentialité souscrit par Mme [X] auprès de la société Electron libre production.

35. Les articles L.311-1, 1, L. 321-1 et L. 323-1 du code des relations entre le public et l'administration, la réutilisation des informations publiques est soumise à la condition que ces dernières soient achevées, ne soient pas altérées, que leur sens ne soit pas dénaturé et que leurs sources et la date de leur dernière mise à jour soient mentionnées, et peut donner lieu au paiement d'une redevance.

36. La FSP invoque ces textes mais ne forme aucune prétention sur leur fondement.

37. La FSP établit avoir effectué des investissements à l'appui du projet Rex II : son conseil d'administration a ainsi décidé de l'octroi d'un financement de 55.000 euros en juillet 2017.
Le prestige des fondateurs de la FSP caractérise sa notoriété.

38. Le livre de Mme [X] est un ouvrage de vulgarisation historique qui narre les relations de la reine Marie-Antoinette et du comte de Fersen, dans le contexte historique des années 1774 à 1793, décrit de façon très circonstanciée, et reproduit leur correspondance.
Dans son avant-propos (pages 11 et 12 de la première édition) puis dans l'introduction des textes intégraux des lettres (pages 241 et 242) ainsi que sur la quatrième de couverture, Mme [X] évoque le "décaviardage" de passages de ces lettres par "une collaboration inédite entre les Archives nationales, la Fondation des sciences de Patrimoine et le Centre de recherche sur la conservation", en citant nommément les différents intervenants à cette recherche.
L'ouvrage n'a ainsi aucunement pour objet de présenter les résultats du projet Rex. Au contraire, s'agissant des ratures de ces lettres, il indique "on s'intéressa plus à cette énigme qu'au contenu politique de ces lettres qui est pourtant d'une importance capitale pour comprendre la politique menée par le couple royal" (pages 241).
La FSP ne saurait être suivie lorsqu'elle soutient que "toute sa valeur commerciale réside dans la révélation des passages inédits permise grâce au projet REX".

39. Le grand amour de Marie-Antoinette – Lettres secrètes de la reine et du comte de Fersen, livre historique dépourvu d'illustrations de 375 pages couvrant la période de 1774 à 1793, est bien différent des travaux de la FSP de valorisation du patrimoine et plus particulièrement, s'agissant du projet Rex, de l'extraction et l'exploitation des tracés sous-jacents dans les manuscrits anciens.
Il suffit à cet égard de le comparer au livre que la FSP présente comme la divulgation officielle des résultats du projet Rex, intitulé Marie-Antoinette et Axel de Fersen – Correspondance secrète, paru en octobre 2021, qui comporte 279 pages très abondamment illustrées, offrant 17 pages de développements sur le projet Rex et se concentrant sur la correspondance échangée en 1791 et 1792, pour observer qu'il existe une nette différence de nature et d'objet entre le travail de Mme [X] et celui de la FSP.

40. Si Mme [X] a pu tirer un bénéfice de la divulgation du projet Rex, en ce que cet événement d'actualité lui a permis de publier un nouveau livre sur un de ses sujets de prédilection dans un contexte d'intérêt renforcé du public, cette divulgation avait déjà eu abondamment lieu par la diffusion du documentaire télévisé précité et de différents articles de presse, sans faute de sa part.
En revanche, les passages inédits qu'elle a reproduits dans sa deuxième partie ne sont aucunement mis en exergue et n'ont apporté aucune plus-value au livre querellé.

41. Les faits de parasitisme allégués ne sont donc pas constitués.
Au surplus, il n'est pas démontré de préjudice personnel, direct et certain de la FSP, en l'absence de risque de confusion dans l'esprit du public ou d'entrave à la publication ultérieure des résultats du projet.

42. Il y a donc lieu de rejeter l'ensemble des demandes de la FSP, toutes fondées sur le grief de parasitisme.

IV . Sur les demandes reconventionnelles en dommages-intérêts

43. Mme [X] fait valoir qu'elle a subi une atteinte à son image et à sa renommée du fait de la présente procédure qui est abusive.

44. La SA Tallandier éditions invoque également une action fondée sur des moyens artificiels et témoigne, après le rejet de la demande en référé, d'un acharnement judiciaire fautif.

45. La FSP ne conclut pas sur ces demandes.

Sur ce,

46. L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Le droit d'agir en justice dégénère en abus lorsqu'il est exercé en connaissance de l'absence totale de mérite de l'action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l'autre partie à se défendre contre une action ou un moyen que rien ne justifie sinon la volonté d'obtenir ce que l'on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté.

47. Le fait que la FSP succombe dans ses demandes et qu'elle ait agi au fond après le rejet d'une demande en référé fondée sur les droits d'exploitation d'oeuvres posthumes ne suffisent pas à caractériser un abus dans l'exercice de ses droits.

48. Il y a lieu de rejeter les demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive.

V . Dispositions finales

49. La FSP, qui succombe, est condamnée aux dépens et à payer à Mme [X] ainsi qu'à la SA Tallandier éditions la somme de 4.000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Déboute la Fondation des Sciences du Patrimoine de l'ensemble de ses demandes ;

Déboute Mme [O] [X] de sa demande reconventionnelle ;

Déboute la SA Tallandier éditions de sa demande reconventionnelle ;

Condamne la Fondation des Sciences du Patrimoine aux dépens de l'instance, qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile par la SCP Normand et associés ;

Condamne la Fondation des Sciences du Patrimoine à payer à Mme [O] [X] la somme de 4.000 euros au titre de la de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la Fondation des Sciences du Patrimoine à payer à la SA Tallandier éditions la somme de 4.000 euros au titre de la de l'article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 22 Septembre 2023

Le Greffier La Présidente
Quentin CURABET Irène BENAC


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 21/02398
Date de la décision : 22/09/2023

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2023-09-22;21.02398 ?
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