La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/07/2023 | FRANCE | N°20/10369

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0196, 20 juillet 2023, 20/10369


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 20/10369
No Portalis 352J-W-B7E-CTBIH

No MINUTE :

Assignation du :
12 octobre 2020

JUGEMENT
rendu le 20 juillet 2023
DEMANDEUR

Monsieur [S] [M]
[Adresse 1]
[Localité 3]

représenté par Me Antoine CHÉRON de la SELARL ACBM, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2536

DÉFENDERESSE

S.A. EDITIONS GALLIMARD
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentée par Me Laurent MERLET de l'AARPI ARTLAW, avocat au barreau de PARIS, vestiaire

#P0327

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUI...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 20/10369
No Portalis 352J-W-B7E-CTBIH

No MINUTE :

Assignation du :
12 octobre 2020

JUGEMENT
rendu le 20 juillet 2023
DEMANDEUR

Monsieur [S] [M]
[Adresse 1]
[Localité 3]

représenté par Me Antoine CHÉRON de la SELARL ACBM, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2536

DÉFENDERESSE

S.A. EDITIONS GALLIMARD
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentée par Me Laurent MERLET de l'AARPI ARTLAW, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0327

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUIS, Juge,

assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière

en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation.

DEBATS

A l'audience du 13 février 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 11 mai 2023.
Le délibéré a été prorogé en dernier lieu au 20 juillet 2023.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

1. Monsieur [S] [M] se présente comme enseignant chercheur et directeur d'études à l'Ecole des [5], ayant pour principaux sujets de recherche l'anthropologie historique et l'histoire de la religion islamique, notamment au Moyen-Orient.

2. La société Editions Gallimard est une maison d'édition française fondée en 1911.

3. Le 7 mars 2018, M. [S] [M] et la société Editions Gallimard ont conclu un contrat d'édition et de cession des droits d'exploitation d'un ouvrage provisoirement intitulé "Les origines tragiques de la culture islamique"

4. La société Editions Gallimard indique avoir constaté que l'un des chapitres de l'ouvrage constituait, selon elle, la reprise quasi servile d'un article écrit par M. [S] [M] intitulé "Aux origines de l'enseignement en Islam", publié en 2014 dans la revue Studia Islamica éditée par les Editions Brill.

5. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 février 2020 réitérée le 5 mars 2020, la société Editions Gallimard a résilié le contrat d'édition du 7 mars 2018 et mis en demeure M. [S] [M] de rembourser les avances perçues.

6. Par courriel du 23 février 2020, M. [S] [M] a contesté les manquements qui lui étaient reprochés.

7. Le 16 avril 2020 et le 13 mai 2020, M. [S] [M] a mis en demeure la société Editions Gallimard de procéder à la publication de l'ouvrage sous sa forme imprimée et numérique dans un délai de 6 mois et sollicité l'indemnisation de son préjudice.

8. Le 18 mai 2020, la société Editions Gallimard a de nouveau sollicité le remboursement de l'avance versée à M. [S] [M].

9. Par acte du 12 octobre 2020, M. [S] [M] a assigné la société Editions Gallimard devant le tribunal judiciaire de Paris en exécution forcée du contrat d'édition sollicitant notamment la publication de l'oeuvre.

10. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 mai 2022, M. [S] [M] demande au tribunal de :
A titre principal,
- Juger que la société Editions Gallimard a fait défaut à ses obligations au titre du contrat d'édition conclu avec M. [S] [M] ;
- Ordonner à la société Editions Gallimard de procéder à la publication de l'oeuvre « Les origines tragiques de la culture islamique » de M. [S] [M] conformément aux stipulations contractuelles, dans un délai de 3 mois à compter de la signification du jugement à intervenir et ce sous astreinte de 500€ par jour de retard ;
- Se réserver la liquidation de l'astreinte ;
A titre subsidiaire,
- Prononcer la résolution judiciaire du contrat d'édition conclu le 7 mars 2018 entre M. [S] [M] et la société Editions Gallimard et portant sur l'oeuvre « Les origines tragiques de la culture islamique » à compter du 16 avril 2020 et ce, sans restitution des sommes déjà versées à Monsieur [S] [M] dans le cadre de ce contrat ;
- Constater la résiliation du contrat d'édition conclu le 7 mars 2018 entre M. [S] [M] et la société Editions Gallimard à compter du 16 avril 2021 en application de l'article V dudit contrat ;
En conséquence,
- Ordonner la restitution de tous les documents originaux, et notamment les manuscrits, transmis par M. [S] [M] à la société Editions Gallimard et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la signification du jugement à intervenir ;
- Se réserver la liquidation de l'astreinte ;
En tout état de cause,
- Juger qu'en méconnaissant son obligation de publier l'oeuvre « Les origines tragiques de la culture islamique » conformément au contrat d'édition conclu le 7 mars 2018, la société Editions Gallimard a engagé sa responsabilité contractuelle ;
- Débouter la société Editions Gallimard de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions y compris de sa demande d'interdiction portant sur la conclusion reproduite en pièce adverse no7 ;
En conséquence,
- Condamner la société Editions Gallimard à verser à M. [S] [M] la somme de 46.402 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'il a subi ;
- Condamner la société Editions Gallimard à verser à M. [S] [M] la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner la société Editions Gallimard aux entiers dépens, en ce compris le procès-verbal de constat d'huissier dressé le 19 mars 2020 par Maître [U] [C], soit la somme de 429, 20 euros, dont distraction faite au profit de Maître Chéron.

11. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 mai 2022, la société Editions Gallimard demande au tribunal de :
- A titre principal, prononcer la nullité du contrat d'édition du 7 mars 2008, le consentement de la société Editions Gallimard ayant été vicié ;
- A titre subsidiaire, dire et juger que M. [S] [M] a gravement manqué à ses obligations contractuelles et ce faisant :
*constater la résolution unilatérale du contrat du 7 mars 2018 à compter de la mise en demeure la société Editions Gallimard du 15 février 2020 ;
*à tout le moins prononcer sa résolution judiciaire à compter de la date qu'il plaira au Tribunal de fixer ;
- Très subsidiairement, constater que le contrat d'édition du 7 mars 2018 a été résilié de plein droit à l'initiative de M. [S] [M] le 16 octobre 2020 ;
Ce faisant et en tout état de cause :
- Débouter M. [S] [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Le condamner à restituer à la société Editions Gallimard la somme de 2 000 euros perçue à titre d'à-valoir ;
- Lui interdire d'exploiter sous quelque forme que ce soit, et de céder à qui que ce soit, tout ou partie de la conclusion reproduite dans l'ouvrage dans sa version de juin 2019 acceptée en juillet 2019 (correspondant à la pièce no7) ;
- Ecarter l'exécution provisoire ;
- Condamner M. [S] [M] à payer à la société Editions Gallimard la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de l'AARPI Artlaw.

12. L'instruction a été close par ordonnance du 28 juin 2022 et l'affaire plaidée à l'audience du 13 février 2023.

SUR CE

1o) Sur la nullité du contrat pour vice du consentement

a. Sur l'erreur

Moyens des parties

13. La société Editions Gallimard soutient que l'originalité du manuscrit constitue une qualité essentielle de sa prestation, tacitement convenue, en considération de laquelle elle a accepté de s'engager à publier l'ouvrage. Elle a été, selon son argument, victime d'une erreur sur la substance en recevant un manuscrit composé en partie d'une reprise d'un article publié dans la revue Studia Islamica des éditions Brill.
14. M. [S] [M] conteste l'existence d'une erreur ayant vicié le consentement de la société Gallimard. Il soutient qu'aucune clause du contrat d'édition du 7 mars 2018 ne prévoit expressément que l'oeuvre "Les origines tragiques de la culture islamique" devait être originale voire nouvelle de toute pièce ce qui, d'après lui, aurait été en outre une obligation impossible à respecter puisque les principaux sujets de recherche de M. [S] [M] sont l'anthropologie historique et l'histoire de la religion islamique.

Appréciation du tribunal

15. Aux termes de l'article 1130 du Code civil "l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. / Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné".

16. Selon l'article 1131 du même code "les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat".

17. Selon l'article 1132 du même code "l'erreur de droit ou de fait, à moins qu'elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu'elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant".

18. Selon l'article 1133 du même code "les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté. / L'erreur est une cause de nullité qu'elle porte sur la prestation de l'une ou de l'autre partie. / L'acceptation d'un aléa sur une qualité de la prestation exclut l'erreur relative à cette qualité".

19. Il convient de rappeler que l'erreur s'apprécie au moment de la formation du contrat (en ce sens Cass. Civ. 3ème, 24 novembre 2016, no 15-26.226 ; Cass. Civ. 1ère, 26 octobre 1983, no 82-13.560).

20. En l'espèce, demanderesse à la nullité, la société Editions Gallimard a la charge de prouver l'erreur sur les qualités essentielles dont elle se prévaut. En outre, elle doit établir qu'une telle erreur a été déterminante de son consentement.

21. Sont versés aux débats des échanges de courriels entre M. [S] [M] et M. [Y] [V] de la société Editions Gallimard préalablement à la conclusion du contrat. Ils établissent que M. [M] propose un manuscrit à l'éditeur le 16 novembre 2017 et lui transmet une autre version le 26 janvier 2018 (Pièce no 4 Gallimard). Ces manuscrits ne sont toutefois pas versés aux débats à l'exception de la conclusion de la version du 26 janvier 2018.

22. Il résulte de l'article I du contrat du 7 mars 2018 que "Monsieur [S] [M] cède à la société Editions Gallimard (...) le droit exclusif d'exploiter la propriété littéraire sur l'ouvrage de sa composition qui a pour titre provisoire "Les origines tragiques de la culture islamique".
23. Deux manuscrits ultérieurs des 19 novembre et 27 novembre 2019 sont versés aux débats.

24. Le courrier de Monsieur [V] du 19 décembre 2017 indique qu'il est "impressionné par l'originalité de l'angle d'analyse" mais distingue bien "huit petits ouvrages", correspondant aux chapitres, souhaitant que soit renforcé le fil directeur de l'ouvrage dans son ensemble.

25. Au moment de la conclusion du contrat, il n'est ainsi pas démontré que la croyance de la société Gallimard était de disposer d'un manuscrit entièrement original comme elle le soutient. En outre, il n'est pas démontré que la réalité du projet transmis, qui n'est pas versé aux débats, incluait à cette date le chapitre II litigieux dont la publication antérieure est soutenue.

26. Il ressort de ces circonstances que l'erreur alléguée par la société Gallimard n'est pas établie. Le moyen est écarté.

b. Sur le dol

Moyens des parties

27. La société Editions Gallimard fait valoir qu'elle a été victime de manoeuvres dolosives de la part de M. [S] [M] qui, selon elle, lui a dissimulé intentionnellement la reprise d'un article précédemment publié. Selon son argument, Monsieur [M] connaissait le caractère déterminant de l'originalité du manuscrit pour elle.

28. Monsieur [S] [M] réplique qu'il n'a pas trompé la société Editions Gallimard qui n'a jamais exigé que le manuscrit soit original ou nouveau. Selon lui, aucune intention dolosive n'est caractérisée.

Appréciation du tribunal

29. Aux termes de l'article 1137 du Code civil "le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manoeuvres ou des mensonges. / Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie. / Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation.".

30. Ainsi qu'il précède, l'état des manuscrits transmis par Monsieur [M] avant la conclusion du contrat n'est pas établi, ceux-ci n'étant pas versés aux débats.

31. Il ressort des échanges produits par la société Editions Gallimard que l'originalité ou la nouveauté du manuscrit ne sont évoqués que pour l'angle d'analyse.

32. Monsieur [S] [M] mentionne les Editions Brill dans un courriel à destination de M. [Y] [V] dès le 19 décembre 2017 (Pièce no 3 Gallimard) sans que l'objet de cette mention ne soit explicité.

33. Ces circonstances apparaissent insuffisantes à démontrer l'existence des manoeuvres dolosives dont la société Gallimard se prévaut.

34. La société Editions Gallimard sera en conséquence déboutée de ses demandes en nullité du contrat du 7 mars 2018 pour vices du consentement et de restitution subséquente.

35. 2o) Sur l'exécution et la résiliation du contrat d'édition du 7 mars 2018

Moyens des parties

36. La société Editions Gallimard soutient avoir résolu le contrat d'édition du 7 mars 2018 par courrier du 20 février 2020 dans lequel elle dit que la reprise des passages précédemment publiés dans la revue Studia Islamica l'exposait à des poursuites judiciaires pour contrefaçon et que le statut de membre du comité de rédaction de cette revue de Monsieur [M] ne pouvait pas écarter ce risque. Selon elle, les manquements de M. [S] [M] à ses obligations d'exclusivité et de garantie conformément à l'article L. 132-8 du code de la propriété intellectuelle et le manque de transparence et de bonne foi justifient la rupture du contrat d'édition du 7 mars 2018. Elle fait également valoir que les difficultés rencontrées pour obtenir des réponses sur les incohérences dans les notes de bas de page et la titularité des droits de M. [M] sur l'article lui ont fait perdre confiance en l'auteur de façon totale et définitive. Subsidiairement, la société Editions Gallimard soutient les manquements graves de M. [S] [M] au contrat d'édition, justifient la résolution du contrat et la restitution de l'avance versée.

37. Monsieur [S] [M] soutient que les manquements qui lui sont reprochés ne sont pas suffisamment graves pour justifier la résiliation du contrat d'édition. S'agissant de la reprise d'un article antérieurement publié, il soutient que les publications sont différentes et qu'en qualité de directeur de publication de la revue il est habilité à autoriser la publication de l'oeuvre auprès d'un autre éditeur. M. [S] [M] conteste que les incohérences dans les notes de bas de page résultent d'une absence de diligence de sa part qui s'expliquerait par la suppression d'un chapitre. Il ajoute que la société Editions Gallimard ne lui a laissé aucun délai pour procéder à l'exécution de son obligation et que l'urgence justifiant la résolution immédiate n'est pas caractérisée. Subsidiairement, M. [S] [M] demande que soit prononcée la résolution du contrat à compter du 16 avril 2020, date de la mise en demeure de publier l'ouvrage, sans restitution des avances perçues par M. [S] [M] compte tenu du préjudice subi par ce dernier.

Appréciation du tribunal

38. Selon l'article 1224 du code civil : "la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice."

39. L'article 1226 du code civil dispose que : "le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. / La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat. / Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent. / Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution".

40. Selon l'article 1227 du code civil "la résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice".

41. L'article 1228 du même code précise que "le juge peut, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l'exécution du contrat en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts".

42. Aux termes de l'article L. 132-8 du code de la propriété intellectuelle que "l'auteur doit garantir à l'éditeur l'exercice paisible et, sauf convention contaire, exclusif du droit cédé. Il est tenu de faire respecter ce droit et de le défendre contre toutes atteintes qui lui seraient portées."

43. Il résulte de l'article I du contrat du 7 mars 2018 que "Monsieur [S] [M] cède à la société Editions Gallimard (...) le droit exclusif d'exploiter la propriété littéraire sur l'ouvrage de sa composition qui a pour titre provisoire "Les origines tragiques de la culture islamique". (...) L'auteur cède à Gallimard le droit exclusif d'imprimer, publier, reproduire et vendre ledit ouvrage sous forme d'éditions de tous formats, ordinaires, illustrées, de luxe ou populaires, à tirage limité ou non et sur tous supports. (...) L'auteur garantit à Gallimard la jouissance entière et libre de toute servitude des droits cédés, contre tous troubles, revendications et évictions quelconques".

44. Par courriel de l'éditeur du 30 janvier 2020, Monsieur [M] est informé par la société Editions Gallimard de la "grande proximité" entre le chapitre II de l'ouvrage intitulé "Naissance d'une éducation scolaire" avec l'article "Aux origines de l'enseignement de l'Islam" publié en 2014 dans la revue Néerlandaise "Studia Islamica" éditée par les Editions Brill. Le courrier demande si d'autres passages de l'ouvrage reproduisent d'autres sources. Le courrier indique qu'il convient, pour publier l'ouvrage, de disposer des droits ou d'obtenir l'autorisation de l'éditeur de la revue pour être en conformité avec la législation.

45. Un second courrier du 20 février 2020 prononce la résiliation unilatérale du contrat par la société Editions Gallimard. Elle reproche à Monsieur [M] de n'avoir pas été diligent en indiquant la source de quatre notes et d'avoir fait des remarques par renvois à des pages inexistantes sauf dans une précédente version de son manuscrit. Surtout, ces renvois incertains et le texte du chapitre II de l'ouvrage génèrent chez elle un doute, selon le courrier, sur d'autres reprises d'anciens articles dans le manuscrit ce qui méconnaitrait son droit à la jouissance paisible, au caractère inédit de l'ouvrage et l'exposerait à des poursuites en contrefaçon.

46. Par courriels du 23 février 2020 et du 27 février 2020 Monsieur [M] dit qu'il détient les droits sur l'article publié en 2014 et que la société Brill ne les détient pas. Il communique un contrat du 24 avril 2019 conclu avec la société Brill. Il précise que cet acte fixe ses droits sur les publications faites dans la revue "Studia Islamica". Il dit "ma confusion provient du fait que j'étais sûr de mes droits sur l'article. D'aucune façon je n'ai cherché à cacher quoi que ce soit et encore moins à nuire".

47. Monsieur [M] met en demeure la société Editions Gallimard de publier l'ouvrage les 16 avril et 13 mai 2020. La société Editions Gallimard refuse par courrier du 18 mai 2020 précisant que sa résiliation est consécutive au manquement, par Monsieur [M], d'une "obligation essentielle" du contrat.

48. Il est établi par la comparaison des deux articles (pièces Gallimard 13 et 19) que la majorité du contenu de l'article a été repris dans le chapitre II de l'ouvrage à l'identique, n'étant que légèrement retravaillé.

49. En l'état des pièces produites, Monsieur [M] n'a pas informé l'éditeur de ce que le contenu de ce chapitre reprenait un article précédemment écrit ni que les droits sur cet article étaient détenus par un tiers.

50. A supposer que le rapport juridique entre Monsieur [M] et la société Brill sur l'article "Aux origines de l'enseignement de l'Islam" publié en 2014, soit déterminé ou reproduits par ce contrat, il sera constaté que cet acte attribue à la société Editions Brill les droits d'exploitation de cet article.

51. En s'abstenant de signaler la reprise, dans le manuscrit à publier, d'un article précédent dont il avait cédé les droits d'exploitation à un tiers, l'auteur a toutefois manqué gravement à son obligation d'exécuter le contrat de bonne foi.

52. Cette circonstance justifie de prononcer la résiliation du contrat à compter du 1er mars 2020.

53. Il ne peut donc pas être fait droit à la demande de Monsieur [M] tendant à la publication de l'ouvrage alors que le contrat est résilié et, qu'au surplus en l'absence d'accord des Editions Brill, cette publication pourrait être qualifiée de contrefaçon comme le rappelle la société Editions Gallimard.

54. L'avance consentie à Monsieur [M] devra être remboursée et il sera condamné en conséquence.

55. Il sera ordonné à la société Editions Gallimard de lui restituer les manuscrits de l'ouvrage qui seraient encore en sa possession.

3o) Sur l'interdiction d'exploiter la version définitive de la conclusion

Moyens des parties

56. La société Editions Gallimard fait valoir que M. [Y] [V], chargé de l'édition de l'ouvrage "Les origines tragiques de la culture islamique", aurait intégralement restructuré et reformulé, si ce n'est entièrement rédigé la dernière version de la conclusion de l'ouvrage, ce qui justifie qu'il soit considéré comme coauteur du texte.

57. M. [S] [M] réplique que la défenderesse n'apporte aucun élément permettant de démontrer que M. [Y] [V] serait à l'origine de telles modifications, au contraire, M. [S] [M] affirme être à l'origine des deux versions de la conclusion de son oeuvre. Il soutient que M. [Y] [V] n'est pas un spécialiste de l'histoire de la culture islamique et que les modifications, qui restent à démontrer, ne pourraient porter que sur la forme et non sur le fond.

Appréciation du tribunal

58. L'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que "la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée."

59. L'alinéa 1er de l'article L. 113-2 du code de la propriété intellectuelle définit l'oeuvre de collaboration comme celle à laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques.

60. Il ressort des échanges de courriels intervenus entre les parties que le 16 juin 2019 M. [S] [M] a fait parvenir à M. [Y] [V] la conclusion, que ce dernier lui a envoyé une "version alternative" le 18 juin 2019 en précisant "tout est de vous, mais l'ordre est différent". Le 21 juin 2019, M. [S] [M] envoyait de nouveau le manuscrit et indiquait avoir "bien tenu compte de votre restructuration de la conclusion" (Pièce Gallimard no 5).

61. La société Editions Gallimard produit une version de la conclusion du 26 janvier 2018 (Pièce no6 Gallimard ), et une version de juin 2019 qui serait celle retravaillée par M. [Y] [V] (Pièce Gallimard no7).

62. Le jour auquel la version de juin 2019 a été établie n'étant pas précisé, rien n'indique qu'il s'agirait de celle proposée par M. [Y] [V]. La société Editions Gallimard, demanderesse a la charge de la preuve qu'elle ne rapporte donc pas.

63. La conclusion ne peut donc être qualifiée d'oeuvre de collaboration.

64. Au surplus, il n'est pas justifié de faire interdiction à Monsieur [M] de publier ladite conclusion alors qu'il n'a entrepris aucun acte en ce sens.

65. Par conséquent, la société Gallimard sera déboutée de sa demande d'interdiction d'exploitation et de cession de tout ou partie de la conclusion dans sa version de juin 2019.

4o) Sur les demandes accessoires

66. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, M. [S] [M] supportera les dépens et sera condamné à payer à la société Editions Gallimard la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

67. L'exécution provisoire qui est de droit conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile n'a pas lieu d'être écartée.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL,Statuant publiquement par mise à disposition au greffe contradictoirement et en premier ressort,

PRONONCE la résiliation du contrat du 7 mars 2018 liant la société Editions Gallimard à Monsieur [S] [M] à compter du 1er mars 2020,

CONDAMNE M. [S] [M] à payer à la société Editions Gallimard la somme de 2 000 euros au titre de la restitution de l'à-valoir prévu par le contrat,

ORDONNE à la société Editions Gallimard de restituter les originaux de l'ouvrage visé au contrat du 7 mars 2018,

REJETTE le surplus,

CONDAMNE M. [S] [M] à verser à la société Editions Gallimard la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [S] [M] aux dépens,

DIT n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 20 juillet 2023.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 20/10369
Date de la décision : 20/07/2023

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2023-07-20;20.10369 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award