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25/05/2023 | FRANCE | N°22/14935

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0196, 25 mai 2023, 22/14935


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 22/14935
No Portalis 352J-W-B7G-CYTGM

No MINUTE :

Assignation du :
26 décembre 2022

ORDONNANCE DE REFERE MAINLEVÉE
rendue le 25 mai 2023
DEMANDERESSE

Société THE PHANTOM COMPANY
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Me Xavier CARBASSE de l'AARPI BEYLOUNI CARBASSE GUENY VALOT et VERNET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0098

DEFENDERESSES

Société META PLATFORMS INC
[Adresse 1]
[Localité 5]
CALIFORNIA [Localit

é 5] (USA)

Société INSTAGRAM LLC
[Adresse 1]
[Localité 5]
CALIFORNIA [Localité 5] (USA)

Société META PLATFORMS IRELAND LTD
[Adresse 2]
[Adresse 2] ...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 22/14935
No Portalis 352J-W-B7G-CYTGM

No MINUTE :

Assignation du :
26 décembre 2022

ORDONNANCE DE REFERE MAINLEVÉE
rendue le 25 mai 2023
DEMANDERESSE

Société THE PHANTOM COMPANY
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Me Xavier CARBASSE de l'AARPI BEYLOUNI CARBASSE GUENY VALOT et VERNET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0098

DEFENDERESSES

Société META PLATFORMS INC
[Adresse 1]
[Localité 5]
CALIFORNIA [Localité 5] (USA)

Société INSTAGRAM LLC
[Adresse 1]
[Localité 5]
CALIFORNIA [Localité 5] (USA)

Société META PLATFORMS IRELAND LTD
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 6]

représentées par Me Pauline DEBRÉ du LLP LINKLATERS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0030

MAGISTRAT

Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
assistée de Madame Caroline REBOUL, Greffière

DEBATS

A l'audience du 27 mars 2023, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 11 mai 2023. Le délibéré a été prorogé au 25 mai 2023.

ORDONNANCE

Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

1. Facebook est un service de réseau social qui permet à ses utilisateurs de créer leurs propres profils et de se connecter les uns aux autres au moyen de leurs ordinateurs personnels ou appareils mobiles. L'accès au service requiert de l'utilisateur une inscription préalable et l'acceptation des conditions générales du service.

2. Instagram est un service de partage de photos et de vidéos qui permet à ses utilisateurs de consulter et commenter les publications d'autres utilisateurs au moyen de leurs ordinateurs personnels ou appareils mobiles. De la même manière, l'accès au service requiert de l'utilisateur une inscription préalable et l'acceptation des conditions générales du service.

3. Les services facebook et Instagram sont exploités en Europe par la société Meta Platforms Ireland, tandis que la société Meta Platforms Inc. est titulaire des marques "facebook" et la société Instagram Llc est titulaire des marques "Instagram".

4. La société de droit français The Phantom Company (antérieurement Phantombuster) conçoit, exploite et commercialise des logiciels. Elle propose en particulier à ses clients des logiciels dénommé "Phantoms" d'extraction de données (en vue de leur réutilisation commerciale) et de publication automatisée de contenus (aux fins d'accroître artificiellement le nombre de vue d'un compte) et ce, sur diverses plateformes telles qu'Instagram et Facebook.

5. Invoquant la violation de leurs droits sui generis de producteur de bases de données et de marques, les sociétés Meta Platforms Inc, Meta Platforms Ireland et Instagram Llc ont sollicité et obtenu, par une ordonnance du 22 novembre 2022, l'autorisation de faire procéder à des opérations de saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Phantombuster. Les opérations se sont déroulées le 29 novembre 2022.

6. Par actes d'huissiers du 26 décembre 2022, la société The Phantom Company a fait assigner en référé les sociétés Meta Platforms Inc, Meta Platforms Ireland et Instagram Llc afin d'obtenir la mainlevée de la saisie-contrefaçon ainsi que la rétractation de l'ordonnance l'ayant autorisée.

7. Dans ses dernières conclusions notifiées le 9 mars 2023, la société The Phantom Company demande au juge des référés de :
- PRONONCER la mainlevée de la saisie-contrefaçon opérée le 29 novembre 2022 sur Ordonnance rendue le 22 novembre 2022 par le Président du Tribunal judiciaire de Paris sur le fondement du droit sui generis du producteur de base de données des sociétés Meta Platforms Inc., Instagram Llc et Meta Platforms Ireland Ltd ;
- PRONONCER la rétractation de l'Ordonnance rendue le 22 novembre 2022 par le Président du Tribunal judiciaire de Paris sur le fondement du droit des marques des sociétés Metaplatforms Inc., Instagram Llc et Meta Platforms Ireland Ltd ;
- PRONONCER la nullité des actes subséquents notamment en exécution de l'ordonnance du 22 novembre 2022, à savoir des opérations de saisie-contrefaçon conduites par Maitre [I] [N] le 29 novembre 2022 ;
- ORDONNER la restitution à la société The Phantom Company de tous les éléments saisis lors des opérations de saisie-contrefaçon réalisées par le commissaire de justice [I] [N] le 29 novembre 2022 et placés sous séquestre ;
- DEBOUTER les sociétés Meta Platforms Inc., Instagram Llc et Meta Platforms Ireland Ltd de l'ensemble de leurs demandes ;
À titre subsidiaire,
- ORDONNER une mesure d'expertise judiciaire pour préserver la confidentialité des éléments d'information pouvant être divulgués dans le cadre de la levée du séquestre ;
En tout état de cause,
- CONDAMNER les sociétés Meta Platforms Inc., Instagram Llc et Meta Platforms Ireland Ltd aux entiers dépens ;
- CONDAMNER les sociétés Meta Platforms Inc., Instagram Llc et Meta Platforms Ireland Ltd à verser à The Phantom Company la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

8. Par leurs conclusions notifiées le 22 mars 2023, les sociétés Meta Platforms Inc, Meta Platforms Ireland et Instagram Llc demandent quant à elles au juge des référés de :
À titre principal,
? Rejeter la demande de rétractation partielle à l'encontre de l'ordonnance afin de saisie contrefaçon du 22 novembre 2022 en ce qu'elle mal fondée ;
? Rejeter la demande de mainlevée à l'encontre de la saisie-contrefaçon du 29 novembre 2022 en ce qu'elle mal fondée ;
? Rejeter l'ensemble des demandes pécuniaires formées par la société The Phantom Company ;
? Confirmer l'ordonnance contestée dans son intégralité ;
? Ordonner la mainlevée du séquestre provisoire et une mesure d'expertise, et désigner pour y procéder tout expert informatique de son choix, avec pour mission de :
- Se faire remettre par Maître [I] [N], commissaire de justice, dans le délai de
quinze (15) jours suivant la signification de l'ordonnance à intervenir, une copie de l'ordonnance sur requête du 22 novembre 2022 et du procès-verbal de ses opérations du 29 novembre 2022, ainsi que l'ensemble des éléments saisis et placés sous séquestre provisoire ;
- Réunir un cercle de confidentialité constitué uniquement, pour les Requérantes, de leurs avocats et d'un expert technique désigné par les avocats et, pour The Phantom Company, de ses avocats et d'une personne techniquement compétente, qu'elle soit interne ou externe à The Phantom Company, étant précisé que toutes ces personnes (les « Membres ») signeront un accord de confidentialité concernant les opérations menées lors de l'expertise ;
- Recueillir les explications des avocats des parties et se faire remettre toutes pièces qui s'avéreraient nécessaires à l'exécution de sa mission ;
- Ouvrir le séquestre provisoire, procéder à son examen en présence des Membres, et identifier:
(a) les codes sources des Produits Incriminés (tels que définis dans l'ordonnance) ;
(b) le diagramme de l'infrastructure de The Phantom Company ;
- examiner le diagramme de l'infrastructure et les codes sources et, dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission, opérer les codes sources des Produits Incriminés, dans des conditions permettant de ne pas porter atteinte, dans la mesure de ce qui est raisonnablement possible, à l'intégrité et à la confidentialité des données des utilisateurs des plateformes Facebook et Instagram, afin de déterminer les traitement et méthodes mis en oeuvre par lesdits codes sources en vue d'extraire et/ou d'entrer des données sur les plateformes Facebook et Instagram, identifier la manière dont les Produits Incriminés interagissent avec les plateformes Facebook et Instagram, le type de données programmées pour extraire et/ou saisir sur lesdites plateformes, et l'endroit où les données extraites sont livrées et, plus généralement, afin de fournir, au tribunal saisi au fond, des explications techniques sur la façon dont les Produits Incriminés interagissent avec les données et les bases de données Facebook et Instagram ;
? Dire qu'il lui en sera référé de toute difficulté de nature en particulier à compromettre le démarrage, l'avancement ou l'achèvement des opérations ;
? Dire que l'expert sera saisi et accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 232 et suivants du code de procédure civile,
? Dire que conformément aux dispositions de l'article 269 du code procédure civile, la provision à valoir sur la rémunération de l'expert sera fixée ultérieurement après que l'expert aura pris connaissance des éléments à analyser et évalué le coût de son intervention ;
? Dire que l'expert devra rendre son rapport au greffe de la 3ème chambre civile, 1ère section du tribunal judiciaire de Paris dans un délai de six (6) mois suivants la signification de l'ordonnance à intervenir ;
? Ordonner à la société The Phantom Company de remettre aux sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram LLC, dans le délai d'un (1) mois à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir, et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de l'expiration de ce délai :
- le volume et le type de données entrées et/ou extraites des plateformes Facebook et Instagram à l'aide des Produits Incriminés;
- les adresses IP utilisées par The Phantom Company pour fournir les Produits Incriminés, ainsi que leur lieu d'hébergement, l'identification et la localisation des serveurs mettant en oeuvre les Produits Incriminés et stockant les données extraites par les Produits Incriminés, ainsi que l'identification et la localisation des clients de The Phantom Company ;
- les revenus générés par The Phantom Company grâce à l'utilisation des Produits Incriminés ou, à défaut, si une telle ventilation est impossible, les revenus générés par l'ensemble des services proposés par The Phantom Company ;
- le nombre de clients ayant souscrit aux Produits Incriminés ou, à défaut, si une telle ventilation est impossible, le nombre de clients ayant souscrit aux services proposés par The Phantom Company ;
- toutes informations relatives aux plateformes Facebook et Instagram et qui sont en lien
avec l'activité de la société The Phantom Company ;
à l'exception de toute reproduction, même partielle, de tous codes source ou codes objet des Produits Incriminés ;
A titre subsidiaire,
? Ordonner l'ensemble des mesures sollicitées à titre principal, sauf en ce qu'elles concernent la remise d'informations sous astreinte aux sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram LLC ;
? Ordonner à la société The Phantom Company de remettre à l'expert désigné au paragraphe précédent, dans le délai d'un (1) mois à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir, et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de l'expiration de ce délai :
- le volume et le type de données entrées et/ou extraites des plateformes Facebook et Instagram à l'aide des Produits Incriminés;
- les adresses IP utilisées par The Phantom Company pour fournir les Produits Incriminés, ainsi que leur lieu d'hébergement, l'identification et la localisation des serveurs mettant en oeuvre les Produits Incriminés et stockant les données extraites par les Produits Incriminés, ainsi que l'identification et la localisation des clients de The Phantom Company ;
- les revenus générés par The Phantom Company grâce à l'utilisation des Produits Incriminés ou, à défaut, si une telle ventilation est impossible, les revenus générés par l'ensemble des services proposés par The Phantom Company ;
- le nombre de clients ayant souscrit aux Produits Incriminés ou, à défaut, si une telle ventilation est impossible, le nombre de clients ayant souscrit aux services proposés par The Phantom Company ;
- toutes informations relatives aux plateformes Facebook et Instagram et qui sont en lien avec l'activité de la société The Phantom Company ;
? Ordonner à l'expert désigné de mettre en oeuvre la mission complémentaire suivante, dans les mêmes conditions et sous les mêmes formes que celles prévues dans les demandes formées à titre principale :
- Revoir les documents et informations remis et recueillir les observations des Membres afin de retenir toutes informations utiles à la preuve de la contrefaçon alléguée, quant à son origine, sa consistance et son étendue ;
- Se faire remettre toutes pièces complémentaires qui s'avéreraient nécessaires à l'exécution de sa mission ;
En tout état de cause,
? Condamner la société The Phantom Company aux entiers dépens de l'instance ;
? Condamner la société The Phantom Company à payer à chacune des sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram LLC la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

9. A l'audience du 27 mars 2023, les parties ont confirmé les termes de leurs écritures.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Moyens des parties

10. La société The Phantom Company soutient en premier lieu que les seuls producteurs de bases de données ici ne pourraient être que les sociétés de droit américain Meta Platforms Inc et Instgram Llc, la société Meta Platforms Ireland n'ayant été constituée que postérieurement au lancement du réseau social Facebook, et n'ayant pu de ce fait prendre aucune "initiative" dans la constitution de la base invoquée. Aussi, la société Meta Platforms Inc., non plus que la société Instragm Llc, n'ayant son siège au sein de l'Union européenne, aucune d'elles ne peut selon elle solliciter la protection de leurs investissements par les dispositions des articles L. 341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle.

11. La société The Phantom Company ajoute que la société Meta Platforms Ireland ne justifie d'aucun investissement individualisé en vue de la constitution, la vérification ou encore la présentation d'une quelconque base de données, tandis que les réseaux Facebook et Instagram ne répondent en aucun cas selon elle aux conditions d'une base de données au sens des dispositions du code de la propriété intellectuelle. Elle soutient que ce sont en effet les utilisateurs de chaque réseau social qui l'alimentent en données, et non les défenderesses, et qu'il n'est pas possible d'accéder à partir d'un mot clef à l'un des éléments du réseau. La société The Phantom Company en déduit que les sociétés requérantes étaient dépourvues de qualité à solliciter une mesure de saisie-contrefaçon sur le fondement du droit sui generis de producteur de base de données.

12. La société The Phantom Company soutient encore que les requérantes n'ont pas présenté au juge des requêtes la preuve de l'extraction d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle de leur supposée base de données. Elle en déduit que, pour ce motif encore, la mainlevée de la mesure sera ordonnée.

13. La société The Phantom Company conclut enfin au caractère disproportionné des mesures lesquelles ont, selon elle, porté atteinte à leurs secrets d'affaires. Elle ajoute qu'il lui aurait de toute façon été impossibe d'accéder aux demandes entérinées par l'ordonnance le temps des opérations de saisie vu notamment la masse des informations sollicitées et leur imprécision.

14. Les sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc concluent quant à elles à leur parfaite qualité à solliciter les mesures, les sociétés Meta Platforms Inc. Et Instagram Llc, sur le fondement de l'atteinte à leurs marques et la société Metat Platforms Ireland, en qualité de coproducteur des bases de données Facebook et Instagram en Europe. Elles décrivent leurs activités sur ce territoire ces éléments étant selon elles suffisants à ce stade, la question du caractère substantiel de ses investissements relevant du fond de cette affaire.

15. Elles ajoutent avoir soumis au juge des requêtes les éléments qui leur étaient raisonnablement accessibles, tandis qu'elles n'avaient pas à prouver l'atteinte pour obtenir la mesure qui avait précisément pour but de la démontrer.

16. Les sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc ajoutent que la société The Phantom Company est particulièrement mal venue à critiquer la proportion et en particulier l'atteinte à des secret d'affaires par une mesure qu'elle a refusé d'exécuter.

17. A titre reconventionnel, les sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc demandent au juge des référés d'ordonner à la société The Phantom Company de leur remettre les éléments qu'elles avaient été autorisées à saisir, dans le cadre d'une expertise et, éventuellement, d'un cercle de confidentialité.

Appréciation du juge des référés

18. Selon l'article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle, le producteur d'une base de données, entendu comme la personne qui prend l'initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d'une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d'un investissement financier, matériel ou humain substantiel. L'article L. 341-2 du même code précise que sont admis au bénéfice du présent titre : 1o Les producteurs de bases de données, ressortissants d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, ou qui ont dans un tel Etat leur résidence habituelle ; (...).

19. Ces dispositions réalisent la transposition en droit interne de la directive 96/9/CE du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données dont l'article 1er précise que l'on entend par «base de données» : un recueil d'oeuvres, de données ou d'autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou d'une autre manière. L'article 7 de la directive prévoit que la protection peut être cédée ou transférée.

20. Interprétant les dispositions précitées de la directive, la Cour de justice de l'Union européenne rappelle contamment que l'objectif poursuivi par le législateur de l'Union à travers l'institution d'un droit sui generis est de stimuler la mise en place de systèmes de stockage et de traitement de données afin de contribuer au développement du marché de l'information dans un contexte marqué par une augmentation exponentielle du volume de données générées et traitées chaque année dans tous les secteurs d'activités (arrêt du 19 décembre 2013, Innoweb, C-202/12, point 35 ; arrêt du 3 juin 2021, CV Online Lativia, C-762-19, point 23). S'agissant des conditions sous lesquelles la base de données est susceptible d'être protégée, la Cour juge que la protection d'une base de données ne se justifie qu'à la condition que l'obtention, la vérification ou la présentation du contenu de cette base attestent un investissement substantiel du point de vue qualitatif ou quantitatif ( arrêt du 19 décembre 2013, Innoweb, C-202/12, point 22 ; arrêt du 3 juin 2021, CV Online Lativia, C-762-19, point 24). L'investissement dans l'obtention du contenu d'une base de données concerne les moyens consacrés à la recherche d'éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base, à l'exclusion des moyens mis en oeuvre pour la création même d'éléments (arrêt du 9 novembre 2004 The British Horseracing Board e.a., C-203/02, point 31 ; arrêt du 9 novembre 2004 Fixtures Marketing, C-338/02, point 24 ; arrêt du 3 juin 2021, CV Online Lativia, C-762-19, point 25). La notion d'investissement lié à la vérification du contenu de la base de données doit être comprise comme visant les moyens consacrés, en vue d'assurer la fiabilité de l'information contenue dans ladite base, au contrôle de l'exactitude des éléments recherchés, lors de la constitution de cette base ainsi que pendant la période de fonctionnement de celle-ci (arrêt du 9 novembre 2004 The British Horseracing Board e.a., C-203/02, point 34 ; arrêt du 3 juin 2021, CV Online Lativia, C-762-19, point 25). L'investissement dans la présentation du contenu de la base de données comprend les moyens visant à conférer à ladite base sa fonction de traitement de l'information, à savoir ceux consacrés à la disposition systématique ou méthodique des éléments contenus dans cette base ainsi qu'à l'organisation de leur accessibilité individuelle (arrêts du 9 novembre 2004, Fixtures Marketing, C-338/02 et C-444/02, points 27 et 43 ; arrêt du 3 juin 2021, CV Online Lativia, C-762-19, point 26).

21. Les plateformes développées par les défenderesses sont en l'occurrence constituées de données, en particulier les données personnelles de leurs utilisateurs (état civil, identité de leurs amis, leur famille, désignation de leurs centres d'intérêts, ou encore de leur activité professionnelle, etc...) ces données, peu important qu'elles ne les créent pas, étant agencées de manière systématique, propre à chaque plateforme et, s'agissant de réseaux sociaux, de manière à pouvoir rechercher un utilisateur, notamment, au moyen de mots-clefs, y compris depuis le moteur de recherche de la société Google.

22. Facebook et Instagram apparaissent ainsi susceptibles d'être qualifiées de "bases de données" au sens des dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle et de la directive 96/9.

23. La société Meta Platforms Ireland est la seule parmi les défenderesses à avoir son siège au sein de l'Union européenne. Elle emploie près de 2500 personnes, dispose de datacenters, et réalise un chiffre d'affaires annuel de l'ordre de 80 milliards d'euros de recettes publicitaires grâce aux 420 millions d'utilisateurs européens des plateformes.

24. Aussi, même en supposant que la société Meta Platforms Ireland n'effectue pas elle-même la vérifcation et la présentation des bases de données en cause, il apparaît raisonnable de penser qu'elle contribue aux investissements à ces fins et a minima qu'elle participe à la recherche de données d'utilisateurs en Europe.

25. Il en résulte qu'indépendamment de la question de savoir si elle y contribue de manière substantielle du point de vue qualitatif ou quantitatif, qui sera vérifié au fond ainsi que le relèvent à juste titre les sociétés défenderesses, la société Meta Platforms Ireland, qui a son siège au sein de l'Union européenne, apparaît recevable à solliciter ici la protection des bases de données Fabebook et Instagram.

26. Force est en outre de constater que cette société, qui n'avait pas à démontrer l'atteinte à ses bases (à savoir l'extraction, par transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle de leur contenu) puisqu'il s'agissait précisément de l'objet de la mesure, a fourni les éléments de preuve raisonnablement accessibles étayant ses allégations quant à une telle atteinte (article 6.1 de la directive 2004/48) constitués ici de procès-verbaux de constats réalisés sur le site de la société The Phantom Company lesquels ont démontré :
- un usage abondant des marques des requérantes, en particulier, sous leurs formes semi-figuratives, dans des conditions excédant largement la référence nécessaire (même en supposant que l'activité de la demanderesse à la rétractation soit licite),
- la mise à la disposition de sa clientèle de logiciels d'extraction de données tels que "Instagram multiple hashtag collector", "Facebook group member export", "Instagram follower collector", "Instagram following collector", "Instagram hashtag search export", "Instagram post scraper", etc ... et au total 21 outils d'extraction de données diverses des plateformes des requérantes.

27. Les sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc étaient donc en droit de faire rechercher :
- le volume des données extraites de leurs plateformes et les moyens précis mis en oeuvre par la société The Phantom Company pour y parvenir, aux fins de démontrer une extraction, par transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de leurs bases, ainsi que la réutilisation, par la mise à la disposition du public de la totalité ou d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base, quelle qu'en soit la forme ;
- le volume de la clientèle dirigée vers ces services grâce à l'usage potentiellement contrefaisant de leurs marques et la documentation s'y rapportant.

28. En effet, selon l'article L. 343-1 du code de la propriété intellectuelle, l'atteinte aux droits du producteur de bases de données peut être prouvée par tous moyens. A cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en vertu du présent titre est en droit de faire procéder par tous huissiers, assistés par des experts désignés par le demandeur, sur ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, des supports ou produits portant prétendument atteinte aux droits du producteur de bases de données, soit à la saisie réelle de ces supports ou produits ainsi que de tout document s'y rapportant. La juridiction peut ordonner, aux mêmes fins probatoires, la description détaillée ou la saisie réelle des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer les supports ou produits portant prétendument atteinte aux droits du producteur de bases de données, ainsi que de tout document s'y rapportant. L'ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux supports, produits, matériels et instruments mentionnés aux deuxième et troisième alinéas en l'absence de ces derniers. (...) La mainlevée de la saisie peut être prononcée selon les modalités prévues par les articles L. 332-2 et L. 332-3.

29. Aux termes de l'article L. 332-2, dans un délai fixé par voie réglementaire, le saisi ou le tiers saisi peuvent demander au président du tribunal judiciaire de prononcer la mainlevée de la saisie ou d'en cantonner les effets, ou encore d'autoriser la reprise de la fabrication ou celle des représentations ou exécutions publiques, sous l'autorité d'un administrateur constitué séquestre, pour le compte de qui il appartiendra, des produits de cette fabrication ou de cette exploitation. Le président du tribunal judiciaire statuant en référé peut, s'il fait droit à la demande du saisi ou du tiers saisi, ordonner à la charge du demandeur la consignation d'une somme affectée à la garantie des dommages et intérêts auxquels l'auteur pourrait prétendre.

30. En outre, la demande de mainlevée ne tendant ni à la rétractation ni à l'annulation de l'autorisation de pratiquer une saisie-contrefaçon, mais à la cessation pour l'avenir des effets de la saisie effectuée en vertu de cette autorisation, le juge saisi d'une telle demande doit en apprécier les mérites en tenant compte de tous les éléments produits devant lui par les parties, y compris ceux qui ont été recueillis au cours des opérations de saisie-contrefaçon. (Cass. Com., 7 juillet 2021, pourvoi no 20-22.048)

31. Il y a lieu ici de rejeter la demande de mainlevée de la saisie-contrefaçon ce d'autant que le saisi a refusé ici de respecter les termes de l'ordonnance, ainsi que le démontre le procès-verbal de saisie contrefaçon.

32. La demande de rétractation de l'ordonnance ayant autorisé les mesures est de la même manière rejetée.

33. Il est fait droit à la demande de mainlevée du séquestre provisoire selon les modalités prévues au dispositif de la présente décision.

34. La demande de production de pièces complémentaires et d'expertise dans le cadre d'un cercle de confidentialité présentée à titre reconventionnel par les sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc est également rejetée, une telle demande excédant l'office du juge des référés, limité à la mainlevée des mesures, une telle demande relevant du juge de la mise en état par l'application combinée des articles L. 343-1-1 du code de la propriété intellectuelle et 789 du code de procédure civile.

35. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société The Phantom Company supportera les dépens et sera condamnée à payer aux sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc la somme totale de 15.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA JUGE DES RÉFÉRÉS,

REJETTE la demande de mainlevée de la saisie-contrefaçon du 29 novembre 2022 diligentée à la requête des sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc ;

REJETTE la demande de rétractation de l'ordonnance afin de saisie contrefaçon du 22 novembre 2022 rendue à la requête des sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc ;

REJETTE les demandes d'expertise et de production forcée de pièces présentées par les sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc ;

ORDONNE la mainlevée du séquestre provisoire et la remise des éléments saisis le 29 novembre 2022 par Maître [N] aux sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc ;

DIT toutefois que l'accès aux pièces et éléments saisis est limité aux personnes suivantes :
- Deux personnes physiques salariées des sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc nommément désignées ;
- Les associés, collaborateurs et salariés du cabinet Linklaters ;
- l'expert de leur choix;

DIT que les membres du cercle de confidentialité s'engageront par écrit à conserver strictement confidentiels les documents transmis et à respecter les dispositions de l'article L. 153-2 du code de commerce ;

DIT que les documents confidentiels transmis ne peuvent et ne pourront jamais, sauf accord exprès des parties, être utilisés en dehors de l'instance pendante au fond devant le tribunal judiciaire de PARIS sous le no 23/00283;

CONDAMNE la société The Phantom Company aux dépens ;

CONDAMNE la société The Phantom Company à payer à chacune des sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que la présente décision n'est exécutoire qu'à l'expiration du délai d'appel ou après la décision de cette cour si un tel recours est exercé en ce qui concerne la mainlevée du séquestre.

Faite et rendue à Paris le 25 mai 2023.

LA GREFFIERE LA JUGE DES REFERES


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 22/14935
Date de la décision : 25/05/2023

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2023-05-25;22.14935 ?
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