TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
3ème chambre
1ère section
No RG 22/14118
No Portalis 352J-W-B7G-CYMFF
No MINUTE :
Assignation du :
24 novembre 2022
JUGEMENT
rendu le 25 mai 2023
DEMANDERESSE
Association QUALIFELEC (Association Professionnelle et Technique de Qualification des Entreprises du Génie Electrique, Energétique et Numérique)
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Charlotte ABATI de la SELARL AYRTON AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1289
DÉFENDEUR
Monsieur [K] [B]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Défaillant
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUIS, Juge,
assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière
DEBATS
En application de l'article L212-5-1 du code de l'organisation judiciaire, la procédure s'est déroulée sans audience.
Avis a été donné à l'avocat que la décision serait rendue le 25 mai 2023 par mise à disposition au greffe.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Réputé contradictoire
En premier ressort
Exposé du litige
1. L'association Qualifelec (association professionnelle et technique de qualification des entreprises du génie électrique, énergétique et numérique), créée en 1955 sous l'impulsion des pouvoirs publics et de représentants de la filière électrique, a pour mission, notamment, la promotion de la qualité des prestations des professionnels de l'électricité par l'attribution, à la demande des entreprises de ce secteur, de qualifications "Qualifelec". L'association est accréditée par le Cofrac en tant qu'organisme de qualification et expose que sa mission est de permettre aux particuliers, aux maîtres d'oeuvre et aux bureaux d'études, de choisir en toute confiance le professionnel électricien compétent et adapté à leurs besoins pour sécuriser l'exécution de leurs travaux.
2. L'association est titulaire de la marque semi-figurative collective française "QE Qualifelec" no1609713, déposée le 13 février 1990 et régulièrement renouvelée pour désigner les produits et services des classes 9,11, 35, 37, 38 et 42 (et en particulier en classe 9 les appareils pour la recharge d'accumulateurs électriques pour véhicules) :
3. M. [K] [B] est entrepreneur individuel, inscrit au répertoire Sirene sous le no50035863500042 ; il exerce à [Localité 4] sous l'enseigne "Domotique rénovation" l'activité principale de "travaux d'installation électrique dans tous locaux" (pièce no9). Il propose en particulier des services d'installation de bornes de recharge de véhicules électriques (IRVE).
4. Une ordonnance de référé opposant ces deux parties a d'ores et déjà été rendue le 15 novembre 2022 faisant "interdiction à M. [K] [B] de faire usage dans la vie des affaires, de quelque manière que ce soit, pour identifier les services d'installations électriques qu'il propose et en particulier les services de pose d'infrastructures de recharge des véhicules électriques, de tout signe reproduisant ou imitant la marque semi-figurative collective française no1609713, sous astreinte de mille euros (1000 €) par infraction constatée, c'est à dire par usage du signe "QE Qualifelec", courant à l'expiration d'un délai de dix jours suivant la signification de la présente décision et pendant cent quatre-vingts jours".
5. Conformément aux dispositions de l'article L. 716-4-6 dernier alinéa du code de la propriété intellectuelle et par acte d'huissier du 24 novembre 2022, l'association Qualifelec a fait assigner M. [B] à l'audience du 14 mars 2023 devant ce tribunal en contrefaçon de sa marque.
6. Bien que régulièrement cité par dépôt de l'acte à l'étude de l'huissier, les vérifications confirmant le domicile du défendeur (présence du nom et de l'enseigne sur la boîte aux lettres et confirmation par le voisinage), M. [B] n'a pas comparu. A l'audience d'orientation du 14 mars 2023, en accord avec le conseil de l'association Qualifelec, il a été procédé conformément aux dispositions de l'article 778 dernier alinéa du code de procédure civile ; l'instruction a été close et, la demanderesse ayant déposé son dossier, a été informée que la décision serait rendue le 25 mai 2023 par les magistrats de la 3ème chambre / 1ère section.
7. Aux termes de son assignation, l'association Qualifelec demande au tribunal, au visa des articles L. 716-4, L. 716-4-6, L. 713-2 et L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle de :
? Constater que M. [B] a reproduit la marque collective nationale semi-figurative Qualifelec no1609713, propriété de l'association Qualifelec et a ainsi commis des actes de contrefaçon de marque dans les termes des articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 716-4 du code de la propriété intellectuelle
En conséquence :
? Condamner M. [B] à payer à l'association Qualifelec la somme de 30.000€ à titre de dommages intérêts.
? Interdire à M. [B] la poursuite des actes de contrefaçon sous astreinte de 1.000e par infraction constatée et sur tout support, après un délai de 3 jours à compter de la signification du jugement à intervenir.
? Ordonner la publication du jugement à intervenir, aux frais de M. [B], dans deux revues laissées au choix de Qualifelec.
? Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.
? Condamner M. [B] à payer une somme de 3.000€ à l'association Qualifelex au titre de l'article 700 du code de la procédure civile, outre les entiers dépens de la procédure.
MOTIFS
8. A titre liminaire, il est rappelé que selon l'article 472 du code de procédure civile, lorsque le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit à la demande que s'il l'estime régulière, recevable et bien fondée.
1) Sur la contrefaçon de marque
Moyens de la demanderesse :
9. L'association Qualifelec fait valoir que M. [B] a procédé à une utilisation frauduleuse de sa marque semi-figurative collective, ce dernier ayant procédé à une reproduction servile de la marque sur au moins deux certificats transmis à des clients.
Appréciation du tribunal :
10. Selon l'article L. 715-6 (auparavant L. 715-1) du code de la propriété intellectuelle, "Une marque collective est une marque ainsi désignée lors de son dépôt et propre à distinguer les produits ou les services des personnes autorisées à l'utiliser en vertu de son règlement d'usage."
11. L'article L. 715-7 du même code prévoit que "Peut déposer une marque collective toute association ou tout groupement doté de la personnalité morale représentant des fabricants, des producteurs, des prestataires de services ou des commerçants, ainsi que toute personne morale de droit public.
Le dépôt d'une demande d'enregistrement de marque collective est accompagné d'un règlement d'usage. Toute modification ultérieure du règlement d'usage est portée à la connaissance de l'Institut national de la propriété industrielle."
12. En vertu de l'article L.713-2 du code de la propriété intellectuelle : "Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :
1o D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;
2o D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque."
13. L'expression « usage dans la vie des affaires », qui figure dans la disposition précitée, implique que les droits exclusifs conférés par une marque ne peuvent en principe être invoqués par le titulaire de cette marque que vis-à-vis des opérateurs économiques et, en conséquence, que dans le contexte d'une activité commerciale (CJUE, 12 juillet 2011, C-324/09, L'Oréal e.a., point 54 ; CJUE, 30 avril 2020, C-772/18, A c/ B, point 23).
14. Aux termes de l'article L.716-4 du même code, "l'atteinte portée au droit du titulaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Constitue une atteinte aux droits attachés à la marque la violation des interdictions prévues aux articles L.713-2 à L.713-3-3 et au deuxième alinéa de l'article L.713-4".
15. En l'espèce, l'association Qualifelec justifie ici de ses droits sur la marque collective française no1609713, par la production du certificat d'enregistrement de la marque délivré par l'INPI et ses déclarations de renouvellement effectuées les 8 octobre 2009 et 13 février 2020. Cette marque désigne de nombreux produits et services en rapport avec les travaux électriques du bâtiment et, en particulier, les services de construction, d'installation et de réparation d'appareils électriques. Sont également produites les "Règles de fonctionnement" relatives à la marque collective "QE Qualifelec".
16. Il est en outre constaté que M. [B] a transmis à au moins deux clients des faux certificats de qualification professionnelle (pièces Qualifelec no 5 et 12), reproduisant à l'identique la marque "QE Qualifelec" et ce, pour désigner des services de pose d' "infrastructures de recharge véhicule électrique", alors même que cet entrepreneur individuel ne bénéficie d'aucune certification.
17. Cette reproduction de la marque à l'identique pour désigner, dans la vie des affaires (cet usage visant pour elle à obtenir des marchés), des services au moins pour partie identiques à ceux figurant à l'enregistrement, caractérise la contrefaçon par reproduction de la marque no1609713. Il sera donc fait interdiction à M. [B], dans les termes du dispositif de la présente décision, de faire usage, de quelque manière et sous quelque support que ce soit, pour désigner son activité, de tout signe reproduisant ou imitant cette marque.
2) Sur les mesures indemnitaires et réparatrices
Moyens de la demanderesse :
18. L'association Qualifelec demande réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon. Elle prétend que celle-ci a porté atteinte à son image de fiabilité et à la légitimité de sa qualification à l'égard des entreprises bénéficiant réellement de l'usage de sa marque. De plus, par les actes de contrefaçon commis, M. [B] a détourné à son profit les investissements publicataires réalisés par la demanderesse.
Appréciation du tribunal :
19. Aux termes de l'article L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle :
"Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée."
20. Le tribunal saisi d'une demande indemnitaire pour des faits de contrefaçon doit se prononcer au regard des critères énoncés par l'article L.716-4-10 alinéa 1 du code de la propriété intellectuelle, sauf à être saisi par la partie lésée d'une demande d'indemnisation forfaitaire prévue au second alinéa du même article (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 6 décembre 2016, no 15-16.304).
21. L'article L.716-4-11 du même code prévoit qu'en cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les produits reconnus comme produits contrefaisants, les matériaux ou instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée. La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise. Ces mesures sont ordonnées aux frais du contrefacteur.
22. L'association subit en l'occurrence un préjudice moral d'atteinte au crédit de sa certification et de sa marque. En réparation, M. [B] sera condamné à lui payer la somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts.
23. Il sera fait droit aux demandes d'interdiction selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision.
24. Il sera également fait droit à la demande de publication de la présente décision.
25. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, M. [B] sera condamné aux dépens, ainsi qu'à payer à l'association Qualifelec la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
26. Il n'y a pas de motif au cas présent pour écarter l'exécution provisoire, qui est de droit conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile, sauf en ce qui concerne la publication compte tenu des effets irréversibles d'une telle mesure.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL
DIT qu'en reproduisant le signe sur les certificats de qualification des 11 février 2022 portant le no07322 et 12 janvier 2022 portant le no07442, M. [K] [B] a commis des actes de contrefaçon de la marque semi-figurative collective française "QE Qualifelec" no1609713 ;
FAIT INTERDICTION à M. [K] [B] de faire usage dans la vie des affaires, de quelque manière et sous quelque support que que ce soit, pour identifier les services d'installations électriques qu'il propose et en particulier les services de pose d'infrastructures de recharge des véhicules électriques, de tout signe reproduisant ou imitant la marque semi-figurative collective française no1609713, sous astreinte de mille euros (1.000 €) par infraction constatée, c'est à dire par usage non autorisé du signe "QE Qualifelec", courant à l'expiration d'un délai de dix jours suivant la signification de la présente décision et pendant cent quatre-vingts (180) jours ;
CONDAMNE M. [K] [B] à payer à l'association Qualifelec la somme de 1.500 euros en réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon de marque collective ;
AUTORISE la publication du présent jugement, une fois passé en force de chose jugée, aux frais de M. [K] [B] mais dans la limite de 5.000 euros HT, dans deux revues laissées au choix de l'association Qualifelec ;
CONDAMNE M. [K] [B] aux dépens ;
CONDAMNE M. [K] [B] à payer à l'association Qualifelec la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de plein droit par provision, sauf en ce qui concerne la mesure de publication.
Fait et jugé à Paris le 25 mai 2023
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE