TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
3ème chambre
1ère section
No RG 20/00140
No Portalis 352J-W-B7E-CRM23
No MINUTE :
Assignation du :
11 octobre 2019
JUGEMENT
rendu le 25 mai 2023
DEMANDERESSE
Société CAYAGO TEC GMBH
[Adresse 1]
[Adresse 1] (ALLEMAGNE)
représentée par Me Michel ABELLO de la SELARL LOYER et ABELLO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0049
DÉFENDERESSE
Société ACTIVIDAD NAUTICA BALEAR SL
C/ [Adresse 3]
[Adresse 3]
[Adresse 3] (ESPAGNE)
représentée par Me Dariusz SZLEPER de l'AARPI SZLEPER HENRY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0017
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUIS, Juge,
assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière
en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation
DEBATS
A l'audience du 07 mars 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 25 mai 2023.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
EXPOSÉ DU LITIGE
1. La société de droit allemand Cayago Tec GmbH, qui fait partie du groupe Cayago, expose être spécialisée dans la production et la commercialisation d'engins aquatiques à propulsion électrique. Elle fait valoir qu'elle a développé un scooter marin intitulé "Seabob" fonctionnant à l'énergie électrique permettant à son utilisateur de se mouvoir dans l'eau à une vitesse entre 13 et 20 km/h, selon les modèles, et jusqu'à une profondeur de 40 mètres, pendant 50 à 60 minutes.
2. Depuis sa sortie initiale en 2005, le Seabob a été constamment amélioré, la gamme comportant aujourd'hui le modèle F5, en trois versions (F5, F5 S et F5 SR).
3. La société Cayago GmbH est titulaire des dessins et modèles communautaires no002077206-0001, 002077206-0002, 002077206-0003 et 002077206-0004 désignant des appareils de sport, et des marques verbales de l'Union européenne "Seabob-jet" et "Seabob" no004199089 et 004198826 enregistrées en classes de produits 9 et 12 pour désigner notamment, dans cette dernière classe, les moyens de transport sur/sous l'eau. Le modèle communautaire no002077206-0004 a été cédé à la société Cayago Tec GmbH selon une publication du 24 octobre 2018.
4. La société de droit autrichien Cayago GmbH était également titulaire des brevets européens EP 2 945 854 B1 (ci-après EP 854) et EP 2 945 856 B1 (ci-après EP 856), déposés le 23 décembre 2013 sous priorité d'une demande allemande DE 102013100544 du 18 janvier 2013. La publication de leur enregistrement est intervenue le 21 février 2018. Ils ont été cédés à la société Cayago Tec GmbH, selon inscription à l'INPI du 2 septembre 2019. Ils sont maintenus en vigueur par le paiement des annuités.
5. La société Seajet, devenue Iaqua, est une société de droit chinois, spécialisée dans le développement, la fabrication et la commercialisation d'appareils nautiques. Elle a conçu trois gammes de scooters sous-marins : "Stingray", en 2018, "Divejet" en 2019 et "Seadart", sorti au début de l'année 2020. Elle a également déposé un modèle européen sous les no 006611570-0001 et 006611570-0002 dont la validité a été reconnue par une décision de la division d'annulation de l'EUIPO le 17 mai 2021.
6. La société de droit espagnol Actividad Nautica Balear S.L. a pour activité déclarée la vente en gros et au détail, la réparation de véhicules à moteur et de motocycles à moteur. Elle exerce ses activités sous le nom commercial Toymaster. Elle distribue, en Europe, certains produits de la société Iaqua, en particulier sur son site internet http://toymaster.eu/en/products/iaqua.
7. Par décision du 29 octobre 2018, confirmée le 2 août 2019, le tribunal de Düsseldorf a fait interdiction, à titre provisoire, à la société Seajet, d'utiliser, d'offrir ou faire offrir au sein de l'Union Européenne le produit Stingray au motif que ce produit contrefait de façon plausible le modèle communautaire no002077206-0004.
8. Informée de ce que la société Actividad Nautica Balear entendait présenter le modèle Divejet au salon du Yachting Festival de [Localité 2], la société Cayago Tec GmbH a été autorisée, par ordonnance sur requête du 6 septembre 2019, à faire pratiquer une saisie-contrefaçon réelle et descriptive sur le stand tenu par la société. Les opérations de saisie-contrefaçon se sont déroulées le 11 septembre 2019.
9. Par acte du 11 octobre 2019, la société Cayago Tec GmbH a fait assigner la société Actividad Nautica Balear devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon des brevets EP 854 et EP 856 et de son modèle européen no 002077206-0004.
10. La société Cayago Tec GmbH indique avoir également découvert que les sociétés Eclypse et Riviera First proposent également à la vente le produit Divejet. Elle les a fait assigner par acte du 17 février 2020 devant le tribunal judiciaire de Paris. L'affaire a été enrôlée sous le numéro RG 20/02896 et n'a pas été jointe à la présente procédure. Par ordonnance du 18 novembre 2021, le juge de la mise en état a fait interdiction provisoire aux sociétés Eclypse et Riviera First de continuer à commercialiser les modèles Divejet et Seadart au motif qu'ils contrefont de manière vraisemblable les revendications des deux brevets dont la société Cayago Tec GmbH est titulaire.
11. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 avril 2022, la société Cayago Tec GmbH demande au tribunal de :
- La déclarer recevable et bien fondée en ses demandes ;
- Débouter la société Actividad Nautica Balear SL en toutes ses demandes, fins et conclusions;
- Dire et juger qu'en important, en détenant, en offrant en vente et en commercialisant les engins Divejet de marque iAqua, quelle que soit la version, la société Actividad Nautica Balear SL s'est rendue coupable de contrefaçon des revendications 1 à 6 et 8 du brevet EP 2 945 854 ;
- Dire et juger qu'en important, en détenant, en offrant en vente et en commercialisant les engins Divejet de marque iAqua, quelle que soit la version, la société Actividad Nautica Balear SL s'est rendue coupable de contrefaçon des revendications 1 à 3, 5 et 8 du brevet EP 2 945 856 ;
- Dire et juger qu'en important, en détenant, en offrant en vente et en commercialisant les engins Stingray de marque iAqua, la société Actividad Nautica Balear SL s'est rendue coupable de contrefaçon du modèle communautaire 002077206-0004 ;
- Ecarter des débats les pièces no6, no7 et no8 communiqués par la société Actividad Nautica Balear SL par bordereau du 24 juin 2021, pour violation du contradictoire.
En conséquence,
- Faire interdiction à la société Actividad Nautica Balear SL d'importer, d'exporter, de fabriquer, d'utiliser, d'offrir en vente, de vendre et de transborder, sur tout le territoire français tout produit contrefaisant les revendications 1 à 6 et 8 du brevet EP 2 945 854, et notamment les engins Divejet de marque iAqua, quelle que soit la version, directement ou indirectement par toute personne physique ou morale interposée, sous astreinte de 15.000 euros par infraction constatée à compter d'un délai de 15 jours de la signification du jugement à intervenir ;
- Faire interdiction à la société Actividad Nautica Balear SL d'importer, d'exporter, de fabriquer, d'utiliser, d'offrir en vente, de vendre et de transborder, sur tout le territoire français tout produit contrefaisant les revendications 1 à 3, 5 et 8 du brevet EP 2 945 856, et notamment les engins Divejet de marque iAqua, quelle que soit la version, directement ou indirectement par toute personne physique ou morale interposée, sous astreinte de 15.000 euros par infraction constatée à compter d'un délai de 15 jours de la signification du jugement à intervenir ;
- Faire interdiction à la société Actividad Nautica Balear SL d'importer, d'exporter, de fabriquer, d'utiliser, d'offrir en vente, de vendre et de transborder, sur tout le territoire français tout produit contrefaisant le modèle communautaire 002077206-0004, et notamment les engins Stingray de marque iAqua, quelle que soit la version, directement ou indirectement par toute personne physique ou morale interposée, sous astreinte de 15.000 euros par infraction constatée à compter d'un délai de 15 jours de la signification du jugement à intervenir ;
- Ordonner que les produits reconnus comme produits contrefaisants soient rappelés des circuits commerciaux et écartés définitivement de ces circuits, aux fins de destruction devant huissier de justice, aux frais de la société Actividad Nautica Balear et sous astreinte de 15.000 euros par infraction constatée à compter d'un délai de 15 jours de la signification du jugement à intervenir;
- Ordonner à la société Actividad Nautica Balear, sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai de 15 jours suivant la signification du jugement à intervenir, de lui communiquer:
- les nom et adresse des fabricants, sous-traitants, distributeurs, fournisseurs des produits contrefaisants,
- l'état comptable certifié du nombre de produits contrefaisants fabriqués, importés, commercialisés, livrés, reçus et/ou commandés,
- le prix d'achat et le prix de vente des produits contrefaisants, qui ont été importés, détenus et/ou vendus depuis temps non prescrit,
- le nombre de produits importés, et/ou détenus et/ou vendus depuis temps non prescrit
- les bordereaux de livraison attestant du nombre de produits contrefaisants qui ont été livrés,
- l'état comptable certifié des stocks des produits contrefaisants,
- le chiffre d'affaires et la marge brute certifiés, réalisés par la société sur la vente des produits contrefaisants,
Étant précisé que les informations fournies devront être certifiées exactes et exhaustives par le commissaire aux comptes de la société.
- Renvoyer l'affaire à la mise en état pour les conclusions des parties sur l'évaluation du préjudice, tenant compte des informations communiquées en exécution du droit à l'information;
- S'entendre le Tribunal se réserver la liquidation des astreintes ordonnées ;
- Condamner la société Actividad Nautica Balear SL à lui payer la somme globale de 50.000 euros, par provision, au titre du préjudice commercial et au titre du préjudice moral.
Pour le surplus,
- Ordonner la publication de l'intégralité du jugement à intervenir, aux frais exclusifs de la société Actividad Nautica Balear SL, sous la forme d'un document PDF accessible par un lien hypertexte situé sur la page d'accueil du site Internet de la société Actividad Nautica Balear SL http://toymaster.eu/en/, le titre du lien, traduit dans toutes les langues du site Internet, étant :
" Le Tribunal Judiciaire de Paris a jugé que la société ACTIVIDAD NAUTICA BALEAR SL/ TOYMASTER a commis des actes de contrefaçon des droits de la société CAYAGO TEC GMBH sur ses brevets EP 2 945 854 et EP 2 945 856 en important, détenant, et offrant en vente et vendant des produits DIVEJET de marque IAQUA " dans une police de taille 20 au moins, pendant 6 mois, dans un délai de huit jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
- Condamner la société Actividad Nautica Balear SL à verser la somme de 100.000 euros à la société Cayago Tec GmbH en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les frais de saisie-contrefaçon (frais d'huissier et d'expert et d'achat des produits saisis) et d'expertise, quitte à parfaire outre les dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Michel Abello, Avocat aux offres de droit ;
- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir, sauf pour les mesures de publication.
12. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 juin 2022, la société Actividad Nautica Balear SL demande au tribunal de :
A titre principal,
- Prononcer la nullité du modèle communautaire no 002077206-0004 et juger qu'une fois le jugement définitif, il sera inscrit sur les registres de l'EUIPO par la partie la plus diligente.
- Prononcer la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 11 septembre 2019 et des procès-verbaux de constat et d'expertise subséquents.
En conséquence,
- Débouter la société Cayago Tec GmbH de toutes ses demandes;
- Interdire à la société Cayago Tec GmbH de communiquer, invoquer, utiliser et de manière générale de faire état et de se prévaloir du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 11 septembre 2019 et des actes subséquents auprès de la clientèle, ainsi que dans le cadre de procédures judiciaires qu'elle a pu engager sur le fondement des brevets EP 2 945 854 et EP 2 945 856, et cela sous astreinte de 500.000 euros par acte commis par Cayago Tec GmbH, passé le délai des deux semaines après la signification du jugement à intervenir;
- Dire que dans le même délai, la société Cayago Tec GmbH devra informer les juridictions devant lesquelles elle a déjà fait état du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 11 septembre 2019 et des actes subséquents, de leur annulation par jugement à intervenir, et cela sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard, passé le délai des deux semaines après la signification du jugement à intervenir;
A titre subsidiaire,
- Dire et juger que la société Cayago Tec GmbH n'apporte pas la preuve de ce que l'appareil Divejet contrefait les revendications 1 à 6 et 8 du brevet EP 2 945 854, ni les revendications 1 à 3, 5 et 8 du brevet EP 2 945 856;
- Dire et juger que l'appareil saisi Stingray ne contrefait pas le modèle communautaire no 002077206-0004.
A titre infiniment subsidiaire,
- Débouter la société Cayago Tec GmbH de sa demande de provision de 50.000 euros au titre de son prétendu préjudice;
- Débouter la société Cayago Tec GmbH de toutes ses demandes, et notamment de ses demandes en réparation de son prétendu préjudice et autres mesures réparatrices;
En toute hypothèse,
- Condamner la société Cayago Tec GmbH à payer à la société défenderesse Actividad Nautica Balear S.L la somme de 40.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Cayago Tec GmbH aux entiers dépens qui pourront être recouvrés directement par Me Dariusz Szleper, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
13. L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance du 5 juillet 2022 et renvoyée à l'audience du 7 mars 2023.
MOTIFS
Sur la demande tendant à ce que les pièces no6, 7 et 8 produites par les défendeurs soient écartées des débats
Moyens des parties
14. La société Cayago Tec GmbH expose que la société Actividad Nautica Balear S.L. a communiqué, par un bordereau du 17 juin 2021, neuf nouvelles pièces numérotées 3.3 à 3.7 et 5 à 8. Elle souligne toutefois que les pièces 6, 7 et 8 ne sont pas évoquées dans le corps des conclusions, si bien qu'elle est dans l'impossibilité d'en débattre et demande à ce qu'elles soient écartées des débats.
Appréciation du tribunal
15. Les pièces ayant été communiquées contradictoirement, il n'y a pas lieu de les écarter des débats sur le fondement des dispositions de l'article 16 du code de procédure civile. Cette demande doit être rejetée.
Sur la validité du modèle communautaire no 002077206-4
Moyens des parties
16. La société Actividad Nautica Balear soutient que le modèle communautaire no 002077206-0004, dont est titulaire la société Cayago Tec GmbH, est nul pour deux motifs:
- Pour défaut de nouveauté en premier lieu, dans la mesure où la société Cayago Tec GmbH aurait elle-même divulgué un appareil de sport dénommé "Seabob VX2 / F7 " en 2005, soit sept ans avant la date de dépôt du modèle communautaire no 002077206-0004, alors qu'il est identique dans la mesure où il ne s'en distingue que par des détails fonctionnels insignifiants et difficilement perceptibles. La société estime que la forme hydrodynamique futuriste rappelant une navette spatiale se retrouve en tout point dans le modèle litigieux. Elle soutient que les lignes et les angles sont identiques, que la forme ovale du cockpit se retrouve ainsi que les couleurs. Les différences, qui répondent à des considérations fonctionnelles de sécurité et de stabilité, sont, selon elle, purement fonctionnelles et demeurent insignifiantes.
- Pour défaut de caractère individuel en second lieu, dans la mesure où l'impression globale produite par le modèle de la société Cayago Tec GmbH sur l'utilisateur averti, qui utilise habituellement des appareils de sport nautique, ne diffère pas de celle que produit l'antériorité Seabob F7 puisque toutes les caractéristiques essentielles de celui-ci sont reprises sans qu'elles ne soient soumises à une contrainte technique. La seule différence, insignifiante selon elle, par rapport à la présentation générale de l'appareil, réside dans la forme des poignées qui ont une fonction purement technique, alors que la liberté du créateur, qui n'est soumis à aucune norme ou règlementation particulière, est, en l'espèce, relativement importante.
17. La société Cayago Tec GmbH rappelle tout d'abord que le Tribunal de Düsseldorf, saisi de la même antériorité, a jugé ce modèle juridiquement valable, au même titre que l'EUIPO sur recours de la société iAqua.
Elle soutient ensuite que le modèle est nouveau faute d'antériorité de toute pièce. L'antériorité présente selon elle une forme plate surmontée d'un dôme arrondi nettement détaché sur le dessus de la coque tandis que le modèle protégé se distingue par une forme montante de la partie supérieure s'étendant jusqu'au cockpit. Elle ajoute que l'apparence des poignées est fortement divergente, ce qui ne permet pas de retenir le caractère imperceptible des différences, mais permet au contraire de souligner des différences visuelles fortes.
Elle ajoute enfin que le modèle présente un caractère propre. Rappelant que ne sont exclues de la protection que les caractéristiques qui sont exclusivement imposées par une fonction technique, elle souligne que l'apparence de ces poignées n'est pas uniquement dictée par une telle fonction, leur forme étant harmonieusement incorporée dans la coque de l'appareil et qu'elles présentent un caractère également ornemental. Or, la forme des poignées est une différence majeure avec l'antériorité Seabob F7 qui ne peut pas échapper à l'attention de l'utilisateur averti. La société ajoute que la forme générale du modèle est très différente et produit une impression globale différente sur l'utilisateur averti permettant de retenir un caractère propre.
Appréciation du tribunal
18. L'article 24 du règlement CE no6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 dispose qu'un « dessin ou modèle communautaire enregistré est déclaré nul sur demande introduite auprès de l'Office, conformément à la procédure prévue aux titres VI et VII, ou par un tribunal des dessins ou modèles communautaires à la suite d'une demande reconventionnelle dans le cadre d'une action en contrefaçon ».
19. L'article 25 du même règlement, précise que : « un dessin ou modèle communautaire ne peut être déclaré nul que :
a) Si le dessin ou modèle ne répond pas à la définition visée à l'article 3, point n'a) ;
b) s'il ne remplit pas les conditions fixées aux articles 4 à 9 ; [?] »
c) si, en vertu d'une décision de justice, le titulaire ne possède pas le droit au dessin ou modèle communautaire au sens de l'article 14. [?]
Sur la nouveauté du modèle
20. Aux termes des dispositions de l'article 4 point 1. du règlement CE no6/2002 précité, « la protection d'un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n'est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel. »
21. L'article 5 du règlement CE no6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 dispose que :
« 1. Un dessin ou modèle est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué au public: (...)
b) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement du dessin ou modèle pour lequel la protection est demandée ou, si une priorité est revendiquée, la date de priorité.
2. Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants ».
22. Il est constant que la nouveauté d'un modèle s'apprécie par comparaison globale entre le modèle tel qu'il est déposé et le modèle antérieurement divulgué qui est opposé, tous deux pris dans leur ensemble constitué par la combinaison de leurs éléments caractéristiques, et non par l'examen de chacun des éléments qui les composent pris isolément.
23. Seule l'identité entre le modèle et la création divulguée, qui découle de l'absence de différences ou de l'existence de différences insignifiantes révélées par cet examen global, est destructrice de nouveauté et il appartient à celui qui conteste la nouveauté du modèle de rapporter la preuve du contenu et de la date certaine de la divulgation de l'antériorité qu'il oppose.
24. En l'espèce, il convient de se référer au modèle déposé par la société Cayago GmbH le 20 juillet et enregistré le 10 septembre 2012, étant rappelé qu'il a été cédé à la société Cayago Tec GmbH et renouvelé le 3 mai 2017, à savoir :
25. Il s'agit, selon la société Cayago Tec GmbH, d'un appareil de sport nautique présentant: "une conception plate, avec une proue s'élargissant, entièrement arrondie et évoquant la pointe d'une navette spatiale, la forme montante de la partie supérieure s'étendant jusqu'au cockpit, le tracé continu, rectiligne des lignes, qui confèrent un aspect harmonieux et souple. La forme des poignées intégrées dans la forme carénée de la proue et évoquant une rambarde, avec le même angle entre les branches".
26. La défenderesse produit, à titre d'antériorité, un ancien produit de la société Cayago, le Seabob VX2/F7, divulgué en 2005, ainsi que cela ressort du catalogue de vente de la société pour cette année, soit antérieurement à l'enregistrement du modèle communautaire discuté.
27. En l'espèce, il ressort de l'examen des modèles opposés qu'ils diffèrent non seulement s'agissant de la forme de la partie supérieure, qui est composée d'un dôme arrondi formant une bosse, surmonté par un écran rond sur le produit Seabob F7 tandis que le modèle discuté présente une forme montante de la partie supérieure, plus harmonieuse, mais encore s'agissant des poignées de commande. En effet, le modèle Seabob F7 possède des poignées verticales qui évoquent des manettes de jeu vidéo tandis que le modèle protégé se voit doter de poignées arrondies intégrées à la coque, dont il épouse la forme incurvée. Ces différences ne sont ni insignifiantes ni imperceptibles.
28. Le modèle Seabob F7 ne constitue donc pas une antériorité de toutes pièces destructrice de nouveauté du modèle communautaire dont est titulaire la société Cayago Tec GmbH.
29. Les deux autres antériorités succintement évoquées par la société Toymaster en page 16 de ses conclusions, à savoir le brevet US 5878687 déposé le 1er avril 1996 et la demande de brevet DE 102004049615 déposée le 12 octobre 2004, ne divulguent que des figures en 2D et des coupes internes qui ne permettent pas d'établir, avec la précision requise pour l'analyse, l'existence d'antériorités de toutes pièces.
30. Par conséquent, il y a lieu de considérer que le modèle communautaire no002077206-4 est nouveau. La demande de nullité sur ce fondement ne peut donc prospérer.
Sur le défaut de caractère individuel
31. Aux termes des dispositions de l'article 4 point 1. du règlement CE no6/2002 précité, « la protection d'un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n'est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel. »
32. L'article 6 du règlement CE no6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 dispose que :
« 1. Un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l'impression globale qu'il produit sur l'utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public: [?]
b) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité.
2. Pour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle ».
33. Il est constant que l'examen du caractère individuel doit être effectué de manière globale, en tenant compte du degré d'attention de l'utilisateur averti, se définissant comme doté non d'une attention moyenne, mais d'une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré, de l'importance respective qu'il y a lieu d'accorder aux différentes caractéristiques des dessins ou modèles comparés et, enfin, du degré de liberté du créateur qui varie selon la nature du produit.
34. Il importe également de prendre en considération le degré de liberté du créateur, dont il faut rappeler que le TFUE a indiqué dans une décision du 12 mars 2014 (affaire T-315/12 §67) que « plus la liberté du créateur dans l'élaboration d'un dessin ou modèle est grande, moins des différences mineures entre les dessins ou modèles comparés suffisent à produire une impression globale différente sur l'utilisateur averti. À l'inverse, plus la liberté du créateur dans l'élaboration d'un dessin ou modèle est restreinte, plus les différences mineures entre les dessins ou modèles comparés suffisent à produire une impression globale différente sur l'utilisateur averti ».
35. Enfin, si l'article 8 du règlement 6/2002 dispose qu'un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l'apparence d'un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique, la CJUE rappelle, dans une décision C395/16 du 8 mars 2018, que "cette fonction (doit être) le seul facteur ayant déterminé ses caractéristiques".
36. L'utilisateur averti s'entend d'un consommateur qui pratique des sports nautiques, utilise et a de l'intérêt pour les appareils de sport nautique, secteur des produits concernés. Il est doté d'un certain degré de connaissance et son attention est assez élevée, étant sensible aux détails du produit et à son aspect hydrodynamique.
37. La société défenderesse se prévaut de la même antériorité que celle d'ores et déjà présentée dans le cadre du moyen tiré de l'absence de nouveauté, à savoir le modèle Seabob F7 divulgué en 2005 par la société Cayago.
38. Or, ainsi qu'il a été précédemment souligné, l'examen des deux modèles conduit à relever des différences importantes. Elles sont de nature à créer chez l'utilisateur averti une impression visuelle d'ensemble distincte.
39. Cela tient, en premier lieu, à la ligne générale des deux produits dont les profils sont différents: le modèle antérieur invoqué, plus anguleux, présente un dôme proéminent qui surmonte la coque et est par ailleurs doté d'un creux en dessous de la marche latérale très visible. Le modèle protégé, à la ligne plus harmonieuse, présente au contraire un aspect général plus plat et linéaire, avec, certes, une forme montante à l'avant, mais qui s'insère plus naturellement dans la ligne globale du produit. Il ne comprend pas, par ailleurs, de renfoncement sous la marche latérale. En outre, les poignées, dont il a été souligné précédemment la grande différence, n'ont pas une forme exclusivement dictée par leur fonction technique. Si elles doivent permettre à l'utilisateur d'avoir une bonne prise en main du produit pour le manoeuvrer, leur forme, qui s'apparente à celle d'une manette de jeu vidéo dans le modèle de 2005, et qui suit les lignes arrondies du carrénage dans le second, répondent bien à une préoccupation au moins partiellement esthétique et ornementale.
40. Au regard de ces éléments, il y a lieu de dire que le modèle communautaire no002077206-4 présente un caractère individuel et de rejeter la demande de nullité.
Sur la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon, des procès-verbaux de constat et des expertises subséquents
Moyens des parties
41. La société Actividad Nautica Balear soutient que les opérations de saisie-contrefaçon, les procès-verbaux de constat et le rapport d'expertise consécutifs sont nuls. Elle soutient que:
- Les opérations de saisie-contrefaçon ont été diligentées sur la base d'un titre, le modèle communautaire no 002077206-0004, qui est nul ;
- L'huissier de justice et le conseil en propriété industrielle de la demanderesse l'assistant, Mme [E], ont outrepassé leurs missions respectives en démontant, dans un lieu différent du stand, dans la continuité des opérations de saisie-contrefaçon, l'appareil Divejet saisi, alors que l'ordonnance sur requête du 6 septembre 2019, qui ne prévoyait que des manipulations et prises de vues, n'autorisait ni l'huissier de justice à effectuer un constat de démontage de l'appareil, ni le conseil en propriété industrielle à réaliser une expertise;
- Il s'agit d'un détournement de la procédure de saisie-contrefaçon, le procès-verbal de démontage se rattachant nécessairement aux opérations de saisie et constituant un second procès-verbal de saisie-contrefaçon;
- Les objets saisis par l'huissier de justice n'étaient pas des produits du commerce destinés à être vendus en France mais des prototypes; or, elle est en droit de faire respecter son secret industriel;
Enfin, elle reproche à la société Cayago Tec GmbH de ne pas avoir communiqué la traduction des brevets au tribunal et de ne pas les lui avoir notifiés traduits avant les opérations de saisie-contrefaçon, ceci étant de nature à rompre l'égalité des armes.
42. La société Cayago Tec GmbH répond que :
- La saisie-contrefaçon a été ordonnée sur la base du modèle communautaire mais également des brevets EP 854 et EP 856 dont la validité n'est pas contestée. Elle doit donc être déclarée valide, même si le modèle devait être annulé;
- Le Président du tribunal ayant rendu l'ordonnance a uniquement supprimé la possibilité de procéder au démontage des produits sur le lieu de la saisie, ce qui ne peut s'interpréter en une interdiction générale de procéder au démontage sur tout autre lieu une fois la saisie terminée ce qui reviendrait à priver le saisissant de tout moyen de preuve de la reproduction des deux brevets qui ont pour objet la motorisation du véhicule qui n'est accessible qu'en démontant le produit ;
- Le procès-verbal de constat sur le démontage est distinct et indépendant des opérations de saisie-contrefaçon qui ont été clôturées à 13h50 sur le lieu de la saisie. Le constat porte sur le démontage de l'exemplaire saisi et remis au saisissant et a été effectué par les salariés de la société Cayago Tec GmbH, sans que l'huissier ne prenne part aux opérations de démontage qui se sont par ailleurs déroulées en l'absence du conseil en propriété industrielle;
- La société défenderesse s'est vantée de la vente à venir des produits et de leur exposition dans un salon ouvert au public, ce qui vient contredire toute allégation contraire;
- Elle conclut que la communication d'une traduction d'un brevet doit être sollicitée et qu'il n'existe aucune obligation de signifier une traduction des brevets avant la saisie-contrefaçon.
Appréciation du tribunal
43. En l'espèce, la société Cayago tec GmbH a sollicité puis obtenu le 6 septembre 2019 du président du tribunal de grande instance de Paris, une ordonnance de saisie-contrefaçon l'autorisant à faire procéder par tout huissier de justice compétent, à la saisie réelle et descriptive de produits Iaqua argués de contrefaçon des brevets européens et EP 2 945 854 et EP 2 945 856 et du modèle européen 002077206-0004, sur le stand tendu par la société Actividad Nautica Balear au sein du salon du Yachting Festival à Cannes.
44. Les opérations de saisie-contrefaçon se sont déroulées le 11 septembre 2019 et un procès-verbal a été dressé par Me [J] [T], huissier de justice à [Localité 5]. Me [T] a saisi, dans le cadre des opérations, deux modèles Divejet (un gris et un rouge) et le modèle Stingray qui ont été placés sous scellés.
45. Puis la société Cayago Tec GmbH a fait dresser par Me [T], le même jour, un procès-verbal de constat de démontage d'un des deux modèles Divejet saisis sur le salon dans le cadre des opérations de saisie-contrefaçon, en l'occurrence le modèle NEO+ de couleur grise.
46. En premier lieu, il importe de souligner que la saisie-contrefaçon a été ordonnée sur la base de trois titres de propriété industrielle, dont il n'est pas discuté qu'ils étaient valides au jour de son prononcé. Au terme de la présente décision, le modèle communautaire no002077206-0004 est déclaré valable si bien que l'ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon sur son fondement , ainsi que sur la base de deux autres titres de propriété industrielle, les brevets européens no EP 2 945 854 et EP 2 945 856, ne peut être remise en cause de ce seul fait.
47. Ensuite, si l'ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon n'a pas autorisé l'huissier de justice à procéder aux découpes/ montage et démontage des produits allégués de contrefaçon sur le lieu de la saisie, s'agissant d'un salon exposé à la vue du public, cette mention n'est pas de nature à priver la société requérante de la possibilité d'y procéder en dehors de ce contexte précis et sous réserve que toutes les garanties soient prises pour assurer la traçabilité du produit.
48. En effet, un raisonnement contraire priverait le requérant de la possibilité de rapporter une preuve de la contrefaçon, dont il faut rappeler qu'elle peut être rapportée par tout moyen, étant par ailleurs souligné que la requête, à laquelle il a été fait droit, précisait que la saisie réelle devait justement permettre à la requérante d'accéder aux parties non visibles de l'appareil.
49. La société Cayago Tec GmbH pouvait tout à fait, sans requérir d'autorisation judiciaire supplémentaire, soumettre à analyse les produits régulièrement appréhendés dans le cadre de la saisie-contrefaçon dont un exemplaire, mis sous scellé, lui a été remis, à condition, pour préserver la force probante de ladite analyse, de garantir l'intégrité du produit en procédant au démontage en présence constante de l'huissier de justice chargé de briser puis de reconstituer les scellés.
50. Le procès-verbal de constat dressé par Me [T], huissier de justice, n'est donc pas une saisie-contrefaçon déguisée. Il demeure distinct de celui de la saisie-contrefaçon. Le procès-verbal de saisie-contrefaçon mentionne que les opérations de Me [T] se sont terminées à 13h50, tandis que le procès-verbal de constat produit en pièce 6.4 par la demanderesse mentionne des opérations se déroulant en l'étude de Me [T] et débutant à 16h30.
51. En outre, si Me [T] constate les opérations de démontage, la société défenderesse n'indique pas à quel moment ce dernier serait intervenu activement dans les opérations de démontage. Quant au conseil en propriété industrielle de la société Cayago Tec GmbH, Mme [E], sa présence ne ressort pas du procès-verbal de constat critiqué. Seuls étaient présents, à ce stade, M. [G], ingénieur salarié de la société Cayago Tec et Mme [Y], commerciale salariée. L'analyse de Mme [E] est tout autant indépendante de la saisie-contrefaçon elle-même; n'étant pas une expertise judiciaire, seule sa force probante peut être appréciée par le tribunal.
52. La société a encore fait procéder à des opérations d'expertise par M. [V] de la société Volvara le 6 septembre 2021 sur le produit saisi Divejet rouge. La preuve de la contrefaçon pouvant être rapportée par tout moyen, la société CayagoTec GmbH était en droit de faire procéder à une expertise amiable du produit saisi, sous réserve, là encore, de prendre toutes mesures pour assurer la traçabilité et préserver la valeur probante de l'analyse. Au cas d'espèce, Me [L], huissier de justice à [Localité 6], est intervenu pour constater l'intégrité des scellés, les briser et les apposer à nouveau à l'issue des opérations d'expertise, et en a dressé procès-verbal daté du 6 septembre 2021. Aucune atteinte à l'intégrité du produis n'est démontrée.
53. Il ressort par ailleurs du procès-verbal de saisie-contrefaçon que les produits Divejet saisis par l'huissier de justice étaient présents sur le salon et exposés au public, la société ayant par ailleurs, avant l'ouverture des portes de l'évènement, annoncé la commercialisation à venir des produits en France et ouvert des pré-commandes surla page du réseau social Facebook de Toymaster. Il ne s'agit donc pas de prototypes couverts par le secret industriel.
54. Enfin, il importe de rappeler qu'en vertu des dispositions de l'article L. 614-7 du code de la propriété intellectuelle, c'est le texte du brevet européen rédigé dans la langue de procédure devant l'Office Européen des brevets qui fait foi, sa traduction en français ne devant être fournie qu'à la demande du prétendu contrefacteur ou de la juridiction saisie. Dès lors, la société défenderesse ne peut utilement invoquer ce défaut de communication spontanée de la traduction, étant souligné qu'elle n'a pas engagé de référé-rétractation et n'invoque aucun grief.
55. La société Actividad Nautica Balear SL sera déboutée de sa demande tendant à voir annuler le procès-verbal de saisie-contrefaçon et les procès-verbaux de constat et expertises subséquents.
Sur la contrefaçon
Sur la contrefaçon du modèle communautaire no 002077206-4
Moyens des parties
56. La société Cayago Tec GmbH soutient que le modèle Stingray, en ce qu'il est une copie quasi-servile du modèle protégé dont il reproduit l'apparence, constitue la contrefaçon de son modèle communautaire no002077206-4.
En réponse au moyen tiré du fait que le produit aurait été en transit en France et qu'aucune contrefaçon ne serait caractérisée sur le territoire français, la société Cayago Tec GmbH invoque la règlementation applicable au transit douanier, qui impose une déclaration, inexistante au cas d'espèce. Elle conclut que l'importation sur le territoire français est ainsi caractérisée, aucun document n'établissant que le produit avait vocation à être livré à [Localité 4], comme l'allègue la défenderesse.
Elle estime, au contraire de la société défenderesse, que le modèle Stingray produit une impression globale semblable à celle que produit le modèle enregistré dans la mesure où l'ensemble de ses caractéristiques est reproduit, la contrefaçon s'appréciant au regard des ressemblances et non des différences.
57. La société Actividad Nautica Balear S.L. estime en premier lieu qu'aucune contrefaçon n'est établie en France dans la mesure où le produit n'était pas exposé à la vue du public lors du salon, mais qu'il était en transit vers un Etat tiers à l'Union Européenne, à savoir la principauté de [Localité 4]. Rappelant les dispositions de l'article 19 du règlement no6/2002, elle expose que le stockage de ce produit n'était pas illicite alors qu'il avait été auparavant vendu à un tiers domicilié en dehors du territoire de protection du modèle communautaire.
Elle conteste en second lieu, toute contrefaçon dans la mesure où le modèle Stingray présente, selon elle, de nombreuses différences notables avec le modèle protégé si bien que l'impression visuelle globale produite diffère. Elle soutient que la forme hydrodynamique des appareils est dictée par une fonction technique ainsi que par des contraintes fonctionnelles et s'avère banale pour ce type de produit. Elle ajoute que l'appareil se distingue très fortement du modèle protégé au regard du tracé des lignes, des angles qui divergent, des motifs et associations de couleurs. Les poignées ont, selon elle, de la même manière, une fonction strictement technique et se retrouvent dans de nombreuses antériorités.
Appréciation du tribunal
58. L'article 10 du règlement (CE) Nº 6/2002 du conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires, « Étendue de la protection » dispose que « 1. La protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'utilisateur averti une impression visuelle globale différente.
2. Pour apprécier l'étendue de la protection, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle ».
59. L'article 19 de ce même règlement intitulé « Droits conférés par le dessin ou modèle communautaire » énonce que : « 1. Le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l'utiliser et d'interdire à tout tiers de l'utiliser sans son consentement. Par utilisation au sens de la présente disposition, on entend en particulier la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation ou l'utilisation d'un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins. [?]
60. Aux termes des dispositions de l'article L. 515-1 du code de la propriété intellectuelle, « toute atteinte aux droits définis par l'article 19 du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur ».
61. Il convient de rappeler que la contrefaçon d'un modèle s'apprécie au regard des caractéristiques protégées telles que déterminées par les seules reproductions graphiques ou photographiques contenues dans le certificat d'enregistrement. Elle s'apprécie par rapport aux ressemblances et non par rapport aux différences.
62. Dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé le 11 septembre 2019, Me [T], huissier de justice, indique que: "des caisses en plastique sont entreposées sur le stand. La marque "toymaster" apparaît sur un élément de mobilier. Je fais ouvrir les boîtes et constate la présence d'un modèle Stingray non mentionné plus tôt par Monsieur [K]. Il m'indique que cet exemplaire a été vendu à M. [F] [S] et qu'il était en attente de livraison. Il n'était pas destiné à être présenté durant le salon. Il m'est déclaré par l'avocate de M. [K] que le stand est le seul lieu de stockage de la société et c'est pourquoi il était présent et non destiné à l'exposition. [...] Je procède ci-après à la description du modèle Stingray contenu dans la boîte en présence de Mme [E]: il s'agit d'un engin de type Stingray. Le nom n'apparaît pas sur la partie haute de la coque. Une notice est présente dans la boîte et mentionne ce nom. Il est floqué au nom [S]. Les poignées sont disposées à l'avant de l'engin, de part et d'autre de l'écran. Elles sont munies chacune d'un bouton et d'une manette (photos 27 à 29). Je renverse l'engin afin d'observer sa sous-face. Je constate la présence d'ouvertures, au travers de la coque inférieure, de couleur noire, lesquelles débouchent à l'intérieur de la coque (photos 30 et 31). Les ouvertures sont de dimensions et de formes différentes. A l'arrière, je constate une ouverture de forme ronde au milieu et deux ouvertures latérales. Je peux apercevoir, au travers des ouvertures latérales, l'intérieur de l'engin et une partie de couleur rouge (photos 32 et 33). Je prends une photo de l'intérieur depuis la partie du milieu, à l'arrière. Je peux apercevoir des pales à travers l'ouverture centrale (photo 34)". Les photographies sont annexées au procès-verbal de saisie-contrefaçon et l'huissier de justice a, conformément aux termes de l'ordonnance, saisi le modèle Stingray contre le paiement du prix demandé et a apposé des scellés.
Photos annexées au procès-verbal de
saisie-contrefaçon (28-25-29 et 32)
63. S'il ressort de ce procès-verbal que le produit Stingray n'était pas exposé sur le stand, à la vue du public, il était néanmoins bien présent sur le salon, et la société défenderesse ne justifie nullement avoir régularisé une déclaration douanière de produit en transit. De même, aucune pièce de nature à justifier de la vente ou de la commande de l'appareil par un client étranger qui devait être livré n'est versée aux débats par la société Actividad Nautica Balear au soutien de ses allégations. Ses propos sont tout au contraire démentis par M. [R] [X], manager digital de M.[F] [S], dans un email adressé le 24 septembre 2019 à la société Cayago, dans lequel il conteste avoir acquis et être propriétaire de l'engin, dont il ignorait jusqu'à la présence à [Localité 2]. Ces arguments ne sont donc pas de nature à écarter la caractérisation d'une importation du produit en France, étant rappelé que la société Iaqua a fait l'objet d'une ordonnance d'interdiction provisoire en Union Européenne rendue par le Tribunal de Düsseldorf le 29 octobre 2018 et confirmée le 2 août 2019 portant précisément sur le modèle de la gamme Stingray.
64. Or, le modèle saisi reproduit les mêmes caractéristiques que le modèle communautaire de la société Cayago Tec GmbH, tant en ce qui concerne la forme assez plate avec un élargissement de la proue, une forme montante de la partie supérieure et un tracé plutôt rectiligne des lignes, la présence de trois orifices à la poupe avec une hélice, que la forme des poignées, intégrées dans la proue, et de forme arrondie Les différents modèles qui ont pu être examinés dans le cadre de la présente affaire et la variété de lignes retenues, démontre que le profil de ces engins n'est pas imposé par des contraintes fonctionnelles telles qu'elles rendraient nécessaire, pour une bonne hydrodynamie, d'adopter très exactement la ligne suivie par le modèle de la société Cayago.
65. La différence de tracé de lignes en V allant de la partie supérieure de la machine à la poupe sur le modèle Stingray, qui diffèrerait d'un tracé plus parallèle sur le modèle Stingray, n'apparait pas de nature, à la supposer établie, à modifier l'impression globale d'ensemble que peut en avoir l'utilisateur averti. La bande, les logos et les couleurs, qui viennent agrémenter le produit fini pour le personnaliser sont indifférents, les ressemblances soulignées étant de nature à produire sur l'utilisateur averti une impression visuelle similaire au modèle de la société Cayago Tec GmbH.
66. Il y a donc lieu de retenir que le produit Stingray reproduit le modèle communautaire no002077206-0004 de la société Cayago Tec GmbH.
Sur la contrefaçon des brevets
Moyens des parties
67. La société Cayago Tec GmbH expose en premier lieu que le modèle Divejet de la marque Iaqua reproduit littéralement les revendications 1 à 6 et 8 du brevet EP 2 945 854 et se prévaut, au soutien de sa démonstration, tant du procès-verbal de saisie-contrefaçon, que du procès-verbal de constat de démontage et du rapport d'expertise de la société Volvaria.
La société estime qu'il ressort de ces pièces que le produit litigieux comporte bien une coque, que l'eau entre par la sous-face de la coque, traverse le volume de la chambre et sort par l'ouverture ronde à l'arrière. La présence de ce canal d'écoulement est selon elle corroborée par le constat de démontage. Elle ajoute que le modèle Divejet comprend un dispositif d'accélération d'eau commandé par un moteur, qui se trouve dans le canal d'écoulement et qu'il est doté d'un espace de mise en eau en communication avec l'environnement extérieur par le biais d'ouvertures d'entrée d'eau et de sortie d'eau pour la production d'un écoulement dans l'espace de mise en eau pendant la conduite. La dernière caractéristique de la première revendication est, selon elle, également reproduite, puisque le canal d'écoulement est bien dans l'espace de mise en eau et délimite deux zones partielles l'une contre l'autre par sections. La revendication no1 est, selon elle, intégralement reproduite.
La société Cayago Tec GmbH note ensuite que la boîte de couleur bleue, dont la présence a été relevée dans la coque du modèle Divejet, est un module électrique (électrique de commande), situé dans l'espace de mise en eau, si bien que les revendications 2 et 3 sont reproduites.
Elle ajoute que, dans la mesure où le modèle Divejet comporte une coque présentant une partie supérieure et une partie inférieure amovibles, constituant l'enveloppe de l'engin, entre lesquelles l'espace de mise en eau est formé, les revendications 4 et 5 sont tout autant reproduites. Enfin, le modèle comporte des ouvertures d'entrée d'eau à l'avant et de sortie d'eau à l'arrière, et le canal d'écoulement délimite bien deux zones partielles et comporte les batteries si bien que les revendications no 6 et 8 sont reproduites.
68. La société Cayago Tec GmbH expose ensuite que le modèle Divejet de la marque Iaqua reproduit également de manière littérale les revendications 1 à 3, 5 et 8 du brevet EP 2 945 856 et en veut à nouveau pour preuve tant le procès-verbal de saisie-contrefaçon, que le procès-verbal de constat de démontage et le rapport d'expertise de la société Volvaria.
Elle considère qu'il ressort de ces éléments de preuve la présence, sur le modèle Divejet,d'une coque avec une partie inférieure et une partie supérieure, de poignées de commande, d'éléments de manoeuvre montés sur les poignées de commande, d'un canal d'écoulement affecté à la coque, d'un dispositif d'accélérateur d'eau et d'un moteur électrique avec deux batteries disposées des deux côtés du plan longitudinal médian courant dans la direction longitudinale de la coque. Elles se trouvent ainsi dans l'espace entre les deux parties de la coque à savoir la chambre de mise en eau qui peut être traversée par de l'eau et en contact avec l'environnement par les ouvertures à l'avant, sur le dessous de la partie inférieure de la coque, et par les ouvertures à l'arrière. Elle note une troisième ouverture en zone de poupe. La reproduction de la revendication no1 est acquise selon elle.
Elle note que les batteries sont disposées, au moins par endroit, des deux côtés du canal d'écoulement, de façon symétrique par rapport au plan longitudinal médian du modèle, si bien que les revendications 2 et 3 du brevet sont reproduites. Il en est de même selon elle de la revendication no5. Les accumulateurs sont disposés de manière démontable. Enfin, les côtés du canal d'écoulement sont plus étendus que la longueur des batteries, ce qui permet d'y apposer des accumulateurs d'énergie de tailles différentes. La revendication no8 est, selon elle, reproduite.
69. En réponse aux moyens de non-contrefaçon soulevés par la société Actividad Nautica Balear, la société Cayago Tec GmbH se prévaut du rapport d'expertise Volvaria qui conclut à l'absence d'étanchéité interne entre l'avant et l'arrière du produit Divejet. Elle invoque également le procès-verbal de traçabilité du 3 septembre 2021, la forme hydrodynamique des entrées et sorties d'eau, le test de mise en eau et le démontage du produit qui ne révèlent aucun cloisonnement interne étanche. Elle rappelle que le rapport d'expertise amiable n'encourt aucune annulation, et qu'il n'est pas démontré que le produit Divejet ait pu être dégradé dans le bureau de l'huissier de justice instrumentaire, ni détruit lors du démontage qui a eu lieu après l'analyse. La société Cayago se prévaut également de la note du professeur [I], spécialiste de la mécanique des fluides pour étayer le défaut de sérieux des critiques de la défenderesse et conclut à l'écoulement de l'eau lors de la conduite, les engins ayant été conçus pour créer un écoulement d'eau. Quant à la fonction de refroidissement des composants, elle estime que cela est difficilement contestable dans la mesure où les batteries sont situées, pour parties, dans les espaces de mise en eau.
70. Enfin, la société Cayago Tec GmbH estime démontrer la contrefaçon dans la mesure où la société Actividad Nautica Balear a importé en France, offerts à la vente et commercialisés au cours du Yachting Festival de [Localité 2], les modèles Divejet, qui étaient proposés en précommande sur son site internet et sur le réseau social facebook.
71. La société Actividad Nautica Balear conclut à l'absence de preuve de la contrefaçon. Rappelant en premier lieu la nullité des opérations de saisie-contrefaçon, qui prive la société Cayago Tec GmbH de la preuve de la contrefaçon qu'elle allégue, elle soutient que les revendications principales des deux brevets ne sont pas reproduites dans le produit Divejet et qu'il n'y a, en tout état de cause, pas eu de proposition à la vente de ce produit en France.
72. Elle soutient que la revendication no1 des deux brevets, dont il est demandé l'application prévoit, pour se distinguer d'antériorités qui divulguent déjà la présence d'eau dans une chambre de mise à eau, la production d'un courant d'eau dans l'espace de mise en eau pendant la conduite impliquant: "une entrée de l'eau dans l'espace de mise en eau par les ouvertures d'entrée d'eau, la traversée de l'eau, la sortie par les ouvertures de sortie d'eau disposées smétriquement des deux cîtés de la sortie de faisceau". Or, elle considère que l'architecture et la structure interne du modèle Divejet ne permet pas la création d'un tel courant d'eau entre les ouvertures situées dans la zone de proue du véhicule et celles situées dans la zone de sa poupe. Elle en veut notamment pour preuve la présence de pièces métalliques à l'extrémité des batteries qui entrent en contact avec de la mousse ainsi que de blocs de mousse destinés à bloquer toute possibilité de création de masses d'eau en mouvement. Elle ajoute que les ouvertures situées à l'arrière du véhicule ne sont pas des ouvertures de sortie d'eau comme le soutient la société Cayago, mais d'entrée d'eau (sert de ballast).
73. Elle critique ensuite le rapport d'expertise produit par la société Cayago Tec GmbH daté du 13 septembre 2021. Outre le fait qu'il viole, selon elle, les termes de l'ordonnance sur requête délivrée par le président du tribunal judiciaire, elle souligne les vices méthodologiques de l'analyse rendant inopérant les essais effectués par le technicien. Elle s'interroge sur les conditions de conservation du prototype dans le bureau de l'huissier de justice instrumentaire et estime qu'en procédant à un second démontage, la société a dégradé le produit. Elle ajoute que les conditions réelles d'exploitation de l'engin n'ont pas été reproduites puisque l'appareil n'a pas été mis dans l'eau, en état de marche, l'utilisation d'un tuyau ne pouvant aboutir à des résultats fiables. Sur le fond, elle considère que le premier essai fait abstraction de la pression d'arrêt, notant que la pression et l'eau et la gravité ont été orientés selon l'axe de l'écoulement et que les veines fluides, dans l'expérimentation, étaient entourées d'air et non d'eau. Quant au 2ème essai, elle souligne que l'engin a été placé en suspension, en position horizontale retournée, non naturelle, aucun paramètre technique n'étant au demeurant précisé.
Elle conteste ensuite les constatations résultant des essais unilatéraux du technicien. Elle souligne que l'absence d'étanchéité interne, de même que la preuve que l'eau pénètre à l'intérieur de la coque sont insuffisants à démontrer que l'eau circule à la manière d'un courant et qu'elle remplit sa fonction de refroidissement. Elle conclut à l'absence de démonstration de la contrefaçon.
74. Elle soutient enfin que le produit Divejet qui a été saisi est un prototype qui n'était pas destiné à la commercialisation en France. Soulignant que l'huissier de justice n'a fait aucune constatation en ce sens lors des opérations de saisie-contrefaçon, elle relève que ses produits n'ont jamais été offerts à la vente sur le territoire français car elle ne bénéficie que d'un contrat de distribution que pour l'Espagne, l'Allemagne et l'Autriche.
Appréciation du tribunal
Présentation des brevets EP 2 945 854 (EP 854) et EP 2 945 856 (EP 856)
Présentation du brevet EP 2 945 854:
75. L'invention est, selon les termes de la description, relative à un véhicule nautique composé d'une coque qui présente un canal d'écoulement ou à laquelle un canal d'écoulement est associé, dans lequel un dispositif d'accélération d'eau commandé par un moteur, en particulier une hélice, est associé au canal d'écoulement.
76. La description du brevet EP854, citant le document DE 10 2004 049 615 A1, décrit le véhicule de l'art antérieur, usuellement utilisé comme planche de plongée. Il présente un système de poignées qui permet à l'utilisateur de s'aggriper tandis qu'il fait reposer une partie de son buste sur la face supérieure de la coque. A l'intérieur de la coque se trouve un canal d'écoulement dans lequel une hélice, entraînée par un moteur électrique lui-même alimenté par une batterie (accumulateur), est insérée.
77. Il est ensuite exposé, dans la description du brevet, deux problèmes techniques et les inconvénients des solutions jusque-là apportées dans le véhicule de l'art antérieur:
- Il est expliqué, en premier lieu, qu'au cours de l'utilisation de l'engin, les batteries et le moteur dégagent de la chaleur qui doit être évacuée afin d'assurer un fonctionnement continu et fiable de la machine. Pour ce faire, les accumulateurs sont installés dans un boîtier en aluminium, en contact thermoconducteur, installé et verrouillé dans un réceptacle prévu dans la coque. De ce fait, la face inférieure du boîtier en aluminium est en contact avec l'écoulement d'eau, ce qui permet l'évacuation de la chaleur. De même, le moteur, pour assurer son refroidissement, est placé à l'intérieur du canal d'écoulement. Cela suppose que le canal soit suffisamment grand pour compenser l'occultation provoquée par le moteur électrique, qui restreint la place d'écoulement libre. Cela influe sur la taille du véhicule nautique.
- Il est exposé, en second lieu, que pour pouvoir effectuer des déplacements sur et sous l'eau, un équilibre de poids précis doit être trouvé pour que l'engin puisse flotter sans sombrer: une portance trop faible fait sombrer le véhicule et une portance trop importante l'empêche de passer rapidement d'un déplacement en surface à un déplacement en plongée. Compte-tenu du poids des composants électriques, la coque du véhicule doit donc contenir un flotteur suffisamment grand ce qui influe également sur la taille et donc sur la dynamique de conduite du produit.
En résumé, le véhicule nautique connu de l'art antérieur présente une certaine taille, puisqu'il faut, d'une part, placer le moteur dans le canal d'écoulement pour être refroidi sans pour autant compromettre la circulation de l'eau et que, d'autre part, la coque doit comporter un flotteur suffisamment volumineux pour garantir une portance optimale. Ces paramètres influent sur la dynamique de conduite de l'engin.
78. Le brevet EP 854 entend améliorer ces paramètres en proposant un véhicule nautique offrant une dynamique de conduite élevée tout en permettant un fonctionnement sûr. Ce but est atteint, selon le brevet, par la présence, dans la coque, d'un espace de mise en eau en communication avec l'environnement par le biais d'ouvertures de passage d'eau, en particulier d'ouvertures d'entrée et de sortie d'eau. Cet espace de mise en eau présente, selon les termes de la description, une composante de masse variable qui permet d'influer sur le poids du véhicule marin. Ainsi, lorsqu'il fonctionne, l'espace d'eau se remplit. Lors de la plongée, l'air se vide, ce qui permet à l'engin une plongée rapide. Lorsqu'il sort de l'eau, l'espace de mise en eau se vide. Une variante permet de prévoir également qu'au moins un module électrique est disposé dans cet espace.
79. Le brevet contient une revendication indépendante no1 et des revendications dépendantes no2 à 11. Les revendications 1 à 6 et 8 du brevet EP 854 qui sont opposées par la société Cayago Tec GmbH sont les suivantes :
Revendication 1.
a) Véhicule marin présentant une coque (10), qui présente un canal d'écoulement(60) ou à laquelle un canal d`écoulement (60) est associé, dans lequel un dispositif d'accélération d'eau commandé par un moteur, en particulier une hélice, est associé au canal d'écoulement (60) caractérisé en ce que la coque (10) présente en outre un espace de mise en eau, en communication avec l'environnement par le biais d'ouvertures d'entrée d'eau et de sortie d'eau (35, 33) pour la production d'un écoulement dans l'espace de mise en eau pendant la conduite et en ce que le canal d'écoulement (60) s'étend dans la zone de l'espace de mise en eau et délimite deux zones partielles l'une contre l'autre par sections dans l'espace de mise en eau.
Revendication 2.
Véhicule marin selon la revendication 1 ou 2, caractérisé en ce qu'au moins un module électrique est disposé dans l'espace de mise en eau.
Revendication 3.
Véhicule marin selon la revendication 1 ou 2, caractérisé en ce que le module électrique est une électronique de commande (40), un moteur électrique (50) et/ou un accumulateur d'énergie (70).
Revendication 4.
Véhicule marin selon une des revendications 1 à 3, caractérisé en ce que la coque (10) présente une partie supérieure (20) et une partie inférieure (30), entre lesquelles l'espace de mise en eau est formé et en ce que la partie supérieure et/ou la partie inférieure (20, 30) forment par sections l`enveloppe externe de la coque (10).
Revendication 5.
Véhicule marin selon une des revendications 1 à 4, caractérisé en ce que la partie inférieure (30) est reliée de manière amovible avec la partie supérieure (20).
Revendication 6.
Véhicule marin selon une des revendications 1 à 5, caractérisé en ce que la coque (10) forme au moins une ouverture d`entrée (35) dans la zone de la proue (11) et au moins une ouverture de sortie (33) dans la zone de la poupe (12). [?]
Revendication 8.
Véhicule marin selon une des revendications 1 à 7, caractérisé en ce que le canal d'écoulement (60) délimite deux zones partielles l'une contre l'autre au moins par sections dans l'espace de mise en eau et en ce qu'un module électrique (accumulateur d'énergie (70) est disposé dans chacune des zones partielles.
80. Le brevet comporte des figures qui illustrent la chambre, située entre la partie inférieure et la partie supérieure de l'engin, qui est connexe à l'environnement via des ouvertures de passages d'eau et des ouvertures de sortie d'eau (sur la figure no1 ci-dessous reproduite, les points 33 et 35). Cela permet un flot dans la chambre de mise en eau lorsque le véhicule se déplace. Par ailleurs, le canal d'écoulement s'étend dans la région de la chambre de mise en eau délimitant de cette manière deux sous-régions de la chambre chacune ayant une ouverture de sortie d'eau.
81. Les figures du brevet sont les suivantes:
Pésentation du brevet EP 2 945 856:
82. L'invention est également relative à un véhicule nautique ayant une coque présentant un canal d'écoulement ou à laquelle un canal d'écoulement est associé, dans lequel un dispositif d'accélération d'eau, en particulier une hélice, est associé. Il est spécifié que le moteur est raccordé à un accumulateur d'énergie, c'est-à-dire une batterie.
83. Le brevet indique que le véhicule de ce genre, dans l'art antérieur, présente, d'après le document DE 10 2004 049 615 B4, une coque qui forme une surface plane sur laquelle un utilisateur peut poser au moins partiellement son buste. La coque possède deux poignées avec des éléments de commande qui permettent de régler la puissance du dispositif moteur, lequel entraîne une hélice. L'hélice est disposée dans un canal d'écoulement et forme dans la région de la face inférieure du véhicule une ouverture d'aspiration par laquelle l'eau de l'environnement est aspirée. L'eau est accélérée dans le canal d'écoulement par l'hélice et rejetée à l'arrière comme avec une propulsion à jet. L'hélice est entraînée par un moteur électrique qui est raccordé par des câbles d'alimentation à un accumulateur d'énergie. L'accumulateur d'énergie est placé dans un boîtier qui est installé à l'extérieur, dans un réceptacle situé à l'avant de la coque. De tels véhicules nautiques sont en partie utilisés comme planches de plongée avec lesquelles les utilisateurs effectuent des plongées sur de longues distances. La sécurité de fonctionnement et le confort de conduite sont importants, en particulier quand les véhicules nautiques sont utilisés en pleine mer.
84. L'invention propose un véhicule nautique du même type que celui précédemment décrit mais qui se caractérise par un haut niveau de confort de l'utilisateur. Ce but est atteint, selon le brevet, en installant deux accumulateurs d'énergie dans la coque, des deux cotés du plan longitudinal médian courant dans la direction longitundinale de la coque. Ainsi, non seulement la sécurité du fonctionnement de l'appareil est améliorée car la présence de deux accumulateurs d'énergie permet de pallier la défaillance éventuelle d'une batterie, mais encore le fait de les disposer des deux côtés du plan permet de mieux répartir les masses et d'assurer une meilleure stabilité de conduite. La description précise que les accumulateurs d'énergie, par exemple des accumulateurs électriques, produisent de la chaleur dissipée. Pour prévenir une surchauffe des accumulateurs et donc une panne prématurée, il est prévu qu'outre le canal d'écoulement, une chambre de mise en eau pouvant être traversée par l'eau est disposée dans la coque et que les accumulateurs d'énergie sont disposés au moins par endroits dans la chambre de mise en eau, ce qui permet aux accumulateurs d'énergie d'évacuer au moins une partie de leur chaleur dans l'eau de circulation.
85. Cet espace de logement, dans lequel sont placés les composants électriques, à savoir l'électronique de commande, le moteur et les accumulateurs, est en communication avec l'environnement par le biais d'ouvertures de passage d'eau. Les ouvertures de passage d'eau sont formées dans la partie inférieure. Elles sont configurées comme des ouvertures d'entrée d'eau dans la région de la proue et comme des ouvertures de sortie d'eau dans la région de la poupe. L'espace de logement forme ainsi une chambre de mise en eau. Dès que le véhicule est mis dans l'eau, cette chambre est remplie d'eau qui pénètre par les ouvertures de passage d'eau. Dès que le véhicule est mis en marche, un courant est produit dans la chambre de mise en eau. L'eau y pénètre par les ouvertures d'entrée d'eau. L'eau traverse la chambre de mise en eau et baigne les modules électriques contenus dans la chambre. L'eau absorbe alors la puissance dissipée des modules électriques et refroidit ceux-ci. Après avoir traversé la chambre de mise en eau, l'eau en sort par les ouvertures de sortie d'eau qui sont disposées symétriquement des deux côtés de la sortie de faisceau.
86. Le brevet comprend 8 revendications, la revendication 1 est indépendante et les revendications 2 à 8 sont dépendantes. Les revendications 1,2,3, 5 et 8 du brevet EP 856 sontles suivantes:
Revendication no1:
a) Véhicule nautique comprenant une coque (10), qui est constituée d'une partie supérieure (20) et d'une partie inférieure (30), la partie supérieure (20) étant munie de deux poignées de commande (14), qui sont disposées des deux côtés de la coque (10), et auxquelles un utilisateur peut s'agripper, le Véhicule nautique pouvant être commandé à l'aide d'éléments de manoeuvre montés sur les poignées de commande (14), la coque (10) présentant un canal d'écoulement (60), ou un canal d`écoulement (60) étant affecté à la coque (10), un dispositif accélérateur d'eau motorisé, en particulier une hélice (52), étant affecté au canal d`écoulement (60) et le moteur (50) étant raccordé à un accumulateur d'énergie (70),
b) caractérisé en ce que deux accumulateurs d'énergie (70) sont montés dans la coque (10), les accumulateurs d'énergie (70) étant disposés des deux côtés du plan longitudinal médian courant dans la direction longitudinale de la coque (10),
c) en ce que, outre le canal d'écoulement (60), une chambre de mise en eau, pouvant être traversée par l'eau, est disposée dans la coque (10),
d) et en ce que les accumulateurs d'énergie (70) sont disposés au moins par endroits dans la chambre de mise en eau,
e) en ce que la chambre de mise en eau est, par des ouvertures de passage d'eau, en liaison avec l'environnement, les ouvertures de passage d'eau étant réalisées dans la partie inférieure (30) et étant conçues dans la zone de la proue (11) comme des ouvertures d'entrée d'eau (35), et dans la zone de la poupe (12), comme des ouvertures de sortie d'eau (33).
Revendication no2:
Véhicule nautique selon la revendication 1, caractérisé en ce que les accumulateurs d'énergie (70) sont, au moins par endroits, disposés des deux côtés du canal d'écoulement (60).
Revendication no3:
Véhicule nautique selon l'une des revendications 1 ou 2, caractérisé en ce que l'accumulateur d'énergie (70) est disposé symétriquement par rapport au plan longitudinal médian. [?]
Revendication no5:
Véhicule nautique selon l'une des revendications 1 à 4, caractérisé en ce que la coque (10) comprend la partie supérieure (20) et la partie inférieure (30), pouvant être raccordée à celle-ci d'une manière interchangeable, des évidements (21) destinés aux accumulateurs d`énergie (70), dans lesquels les accumulateurs d'énergie (70) sont disposés d'une manière démontable, étant formés dans l'espace entouré par la partie supérieure (20) et par la partie inférieure (30). [?]
Revendication no8:
Véhicule nautique selon l'une des revendications 1 à 7, caractérisé en ce que la coque (10) présente des évidements (21) pour deux accumulateurs d'énergie (70) pouvant être montés dans la coque (10), les évidements (21) étant conçus de telle sorte qu'il soit possible d'y fixer au choix des accumulateurs d'énergie (70) ayant des tailles différentes.
87. Le brevet comporte également des figures permettant d'illustrer la présence des batteries électriques dans les réceptables, qui peuvent être disposés dans les sous-régions de l'espèce ou chambre de mise en eau délimités par le canal d'écoulement.
Sur la contrefaçon des brevets
88. Il sera observé, à titre préalable, que la validité des brevets n'est pas discutée.
89. L'article L. 613-3 du code de la propriété intellectuelle interdit, sans l'autorisation du breveté,
"a) La fabrication, l'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, l'importation, l'exportation, le transbordement, ou la détention aux fins précitées du produit objet du brevet ; [...]"
90. L'article L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que "Toute atteinte portée aux droits du propriétaire du brevet, tels qu'ils sont définis aux articles L. 613-3 à L. 613-6, constitue une contrefaçon.
La contrefaçon engage la responsabilité civile de son auteur.[...]"
91. Conformément aux termes de l'ordonnance sur requête rendue le 6 septembre 2019, Me [J] [T], huissier de justice à [Localité 5], s'est rendu sur le stand de la société Actividad Nautica Balear SL au sein du Yachting Festival à [Localité 2] le 11 septembre 2019. Dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon qu'il a dressé, il constate que des engins Iaqua Divejet sont présentés au public et procède à la description d'un de ces appareils en ces termes:
"ce produit est déjà ouvert et la partie mécanique était présentée au public (et visible, ouvert). Il n'y a pas eu de démontage lors des opérations. [...] l'engin est composé d'une partie inférieure de couleur noire (coque inférieure) + un plateau de couleur rouge, à l'intérieur de l'engin, posé sur la partie inférieure et d'une coque supérieure orange et noire avec des poignées, un tableau de bord (écran). Je précise que le plateau rouge supporte des éléments. Les poignées sont équipées d'un bouton et d'une manchette chacune. [...] Je constate que les poignées sont situées de part et d'autre de l'écran, sur chaque bord longitudinal de l'engin. La coque inférieure est munie d'une ouverture ronde pour permettre l'insertion de la partie de l'enfin munie de l'hélice [...] Je constate que, de part et d'autre de cette ouverture ronde, deux ouvertures vers l'intérieure de la partie inférieure de la coque. A l'intérieur de la partie inférieure de la coque, sur le plateau rouge, je constate deux cylindres de couleur verte en métal placés de part et d'autre du volume contenant l'hélice. Il m'est déclaré par M. [K] que "ces cylindres sont les batteries de l'engin". M. [K] me désigne le moteur électrique. Il est situé dans l'axe médian de l'engin, entre le volume contenant l'hélice et une boîte de couleur bleue. M. [K] me précise que l'hélice est en fait une roue à aube ("impeller"). Il ajoute que l'eau entre la sous-face de la coque inférieure, traverse le volume de la chambre contenant l'impeller et sort par l'ouverture ronde située à l'arrière. [...] Je constate qu'une boîte de couleur bleue est présente à l'intérieur de la coque, à l'avant. M. [K] déclare que "cette boîte contient l'électronique (circuits imprimés) de l'engin" et la "boîte bleue est en aluminium marin". Il ajoute que des connecteurs de la boîte sont reliés aux poignées de commande, à la batterie, à l'écran, aux lumières et toutes les parties du divejet. Ces connecteurs sont amovibles. En sous-face de la coque inférieure, je constate la présence d'ouverture de l'extérieur vers l'intérieur, au travers de la coque, en matière plastique. Je prends une photo de la partie inférieure de la coque."
92. S'agissant de la revendication no1 des deux brevets EP 854 et EP 856, il ressort des termes du procès-verbal de saisie-contrefaçon précité que l'engin Divejet litigieux comporte bien une coque composée d'une partie supérieure et d'une partie inférieure ainsi que deux poignées de commande qui permettent de manoeuvrer l'engin. Cette description permet également d'établir l'existence d'un canal d'écoulement, ce qui est corroboré par le procès-verbal de démontage du produit, dressé le 19 septembre 2019 par Me [T], qui constate en page 8 que "ce volume est en matière plastique noire et est positionné au milieu de l'engin, dans la longueur de celui-ci . Ce volume est manifestement creux. Je peux voir par les ouvertures extérieures la présence d'une hélice à l'intérieure de cette partie". Le procès-verbal de saisie-contrefaçon permet ainsi de retenir la présence d'un dispositif d'accélération d'eau associé à ce canal, par l'existence d'une hélice et d'un moteur relié à des batteries, le tout également visible sur les photographies annexées à l'acte. Le procès-verbal de démontage précité en décrit la présence en page 9. Enfin, la délimitation de deux zones partielles, l'une contre l'autre par sections, dans l'espace de mise en eau, délimitées par le canal d'écoulement, apparaît clairement sur les photographies jointes au procès-verbal de saisie-contrefaçon (no6), ce qui est conforté par le procès-verbal de démontage en page 10, qui fait état de"la présence de deux cylindres de couleur verte situés de part et d'autre du "canal d'écoulement" jusqu'à hauteur du moteur.
93. En revanche, la société Actividad Nautica Balear S.L. estime que la société Cayago Tec succombe à démontrer l'existence d'un courant d'eau à l'intérieur de la coque, circulant entre les ouvertures avant et arrière et servant notamment à refroidir les éléments électriques de l'engin, si bien que la reproduction des revendications no1 des deux brevets ne serait pas établie.
94. Au soutien de sa démonstration, la société Cayago Tec produit tout d'abord un rapport d'expertise amiable réalisé par M. [V] de la société Volvaria le 13 septembre 2021.
95. La contrefaçon pouvant être prouvée par tout moyen, il importe de rappeler qu'un rapport d'expertise amiable peut valoir à titre de preuve dès qu'il est soumis à la libre discussion des parties (Cass. 1re Civ., 24 septembre 2002, pourvoi no 01-10.739, Bull. 2002, I, no 220 ), ce qui est le cas en l'espèce, les sociétés ayant été à même d'en débattre contradictoirement.
96. A la lecture des pièces produites, rien ne permet, en premier lieu, d'établir que le produit Divejet NEO+ soumis à l'expertise amiable, aurait été conservé dans des conditions de nature à remettre en cause son intégrité ou qu'il aurait été dégradé pendant son temps de conservation. En effet, il ressort du procès-verbal de constat dressé le 3 septembre 2021 par Me [T], huissier de justice, qu'il a conservé l'engin sous scellés dans son bureau personnel depuis sa saisie le 11 septembre 2019, qu'il en a été, depuis cette date, le gardien exclusif et qu'il a veillé à son intégrité. En outre, il est ajouté, dans le procès-verbal de constat dressé par Me [D] [L], huissier de justice à [Localité 6], le 6 septembre 2021, présent sur les lieuxde l'expertise, que les scellés posés par Me [T] était intacts à la livraison du produit pour analyse, qu'ils ont été brisés pendant le cours de l'expertise puis apposés de nouveau, si bien que l'intégrité du produit soumis à analyse de même que sa traçabilité sont au contraire bien démontrées.
97. En page 2 du rapport, il est précisé que les tests se sont déroulés en deux temps: il a été, dans un premier temps, procédé à des essais de remplissage par diverses ouvertures présentes dans la coque du produit Divejet afin d'observer les écoulements. A cette fin, l'engin a été placé, toujours sous scellés donc intègre, dans différentes positions afin de déterminer l'existence ou non d'une barrière interne étanche, maintenu dans les différentes positions grâce à une grue d'atelier. L'eau a été injectée à l'aide d'un tuyau d'arrosage à faible pression. Puis, dans un second temps, après bris des scellés, il a été procédé à un démontage du produit.
98. Interrogé par la société Cayago Tec GmbH sur l'existence d'une barrière hermétique à l'intérieur de la coque qui empêcherait l'écoulement de l'eau, comme l'allègue la société défenderesse, M.[V] procède à plusieurs essais de circulation d'eau en mettant l'engin proue vers le haut, puis proue vers le bas, puis en position horizontale avec la coque inférieure vers le haut. Il sera d'ores et déjà souligné que s'agissant d'un engin utilisé notamment dans le cadre de plongée sous-marine, rien n'empêche qu'il puisse se trouver, dans le milieu aquatique, dans ces différentes positions, y compris à l'envers.
99. Dans les trois hypothèses décrites, il est constaté, dans le rapport soumis aux débats, que l'eau ressort: par le bas de l'engin, autour du tunnel de propulsion (qui n'est donc pas étanche) et par les ouvertres latérales, lorsqu'elle est injectée par les ouvertures situées vers l'avant (page 6), par les ouvertures avant lorsque l'eau est injectée par les ouvertures arrières, et par l'arrière, autour du tunnel de propulsion et en deux endroits par l'avant, lorsque l'eau est injectée par les ouvertures avant en position horizontale. Les vidéos de ces essais sont versées aux débats et ont pu être consultées par le tribunal qui constate l'abondance de l'écoulement de l'eau dans les divers hypothèses. L'absence de cloisonnement étanche entre l'avant et l'arrière de l'engin est également confirmée par le démontage du produit (page 9 du rapport d'expertise amiable).
100. La société Actividad Nautica Balear S.L., qui se prévaut d'une note technique remise le 5 janvier 2022 par le gérant de la société Optifluides, critique les conditions dans lesquelles ces tests ont été réalisés pour leur dénier toute force probante, et affirme que l'appareil ne se comporte pas de même manière à l'air libre que dans son milieu naturel, c'est à dire immergé, et qu'il faut prendre en compte la "pression d'arrêt" ou encore "la gravité", "l'écart de masses volumique et de viscosité", l'absence de simulation numérique ou de toutes données relatives à la pression de l'eau notamment.
101. En réponse à ces affirmations, la société Cayago produit aux débats une note de M. [C] [I], ingénieur, professeur en mécanique des fluides et auteur de plusieurs ouvrages sur ce thème. Sa note est réalisée avec un accès au produit Divejet (en présence de Me [A], Huissier de justice, qui a constaté le caractère intact des scellés posés par Me [L], les a brisées afin que le professeur puisse effectuer les mesures avant de les replacer) ainsi que la possibilité de consulter les notes techniques produites en défense.
102. Rappelant que l'engin est conçu pour se mouvoir dans l'eau, M. [I] conclut que les arguments avancés par la société société Actividad Nautica Balear S.L . et les notes qu'elle produit ne lui semblent pas convaincants: il souligne que "la pression d'arrêt ne peut en aucun cas empêcher la production d'un écoulement lorsque l'engin est immergé et en mouvement: au contraire, la conception de l'engin est faite pour utiliser cette pression d'arrêt pour produire un écoulement", il ajoute que "la gravité, qui joue un rôle différent lorsque l'engin est immergé, ne peut pour autant avoir pour effet d'empêcher l'établissement d'un écoulement entre les ouvertures avant et arrière", il précise que "même si les essais Volvaria ne reproduisent pas toutes les forces visqueuses, ceci n'a pas d'importance dès lors que ces forces ne peuvent avoir qu'un effet mineur sur l'écoulement par rapport aux pressions dynamiques". Il note ensuite que les solutions employées pour les tests sont suffisantes, les opérations complémentaires suggérées par la défenderesse étant coûteuses, compliquées et disproportionnées. Il ajoute que "les tests réalisés par la société Volvaria montrent clairement que ce blocage n'existe pas. Le chemin d'écoulement a d'ailleurs été matérialisé au moyen d'un filin et il a été montré que ce filin pouvait glisser à l'intérieur de l'engin et qu'il n'y avait pas de tortuosité" (page 16).
103. Cette note vient conforter les conclusions du rapport d'expertise de la société Volvaria et apparaît ainsi d'une force probante supérieure aux pièces produites en défense. En effet, M. [I] constate que "les ouvertures d'entrée d'eau, qui ont une géométrie qui s'apparente à celles des prises d'air affleurantes installées sur des véhicules automobiles ou sur quelques prototypes d'avions à réaction" sont faites pour récupérer la pression d'arrêt: il écrit que "les prises d'eau situées à l'avant de l'engin ont une forme qui leur permet de récupérer la pression dynamique et l'utiliser pour permettre à l'écoulement de s'établir entre ces prises d'eau et les ouvertures arrières" (page 8). Il importe de souligner que la forme hydrodynamique des entrées d'eau étaient déjà soulignée par le rapport d'expertise amiable précité. Il ajoute que "lors de la conduite de l'engin, la pression au niveau des ouvertures avant est nécessairement plus forte que celle au niveau des ouvertures arrière. Ce différentiel de pression favorise donc la production d'un écoulement". Enfin, après avoir effectué des mesures sur l'appareil, il note que "le débit capté par les prises d'eau peut donc être évacué par les ouvertures situées au culot". Il conclut que "toutes les conditions sont réunies pour que l'écoulement entre les ouvertures avant et arrière, constaté hors de l'eau par la société Volvaria, se produise également lors de la conduite de l'engin sous l'eau sous l'effet des pressions dynamiques associées à son mouvement." Il sera d'ailleurs observé qu'il ressort des photographies produites que les ouvertures d'entrée d'eau à la proue sont orientées vers l'avant, avec une différence de niveau et que des sillons sont présents pour guider le sens du flux vers l'intérieur.
104. Enfin, la fonction de refroidissement des éléments électriques ne peut être décemment discutée, puisqu'elle résulte tant de la circulation de l'eau caractérisée que des stries bien visibles sur les batteries.
105. Au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer qu'est établie la reprise, sur l'appareil Divejet litigieux, des revendications principales no1 des deux brevets en cause.
106. Les autres revendications dépendantes des deux brevets ne font pas, formellement, l'objet de discussion.
107. La société Cayago Tech GmbH établit, s'agissant du brevet EP 2 945 854, qu'il ressort bien de la description réalisée par Me [T] dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 11 septembre 2019, dont les éléments sont repris au §49, et des photographies jointes, que le véhicule Divejet comprend un module électrique disposé dans l'espace de mise en eau, composé d'une électronique de commande, un moteur et une ou plusieurs batteries, ce qui permet de retenir la reproduction des revendications no2 et 3, que le modèle de la société Actividad Nautica Balear comprend une coque avec une partie supérieure et inférieure amovible, dans laquelle est formée un espace de mise en eau, que cela forme l'enveloppe externe, ce qui permet de retenir la reproduction des revendications dépendantes 4 et 5. Enfin, ladite description permet de retenir la reproduction des revendications 6 et 8, en ce que le modèle Divejet comprend bien une partie inférieure de coque avec des ouvertures d'entrée d'eau à l'avant (zone de la proue) et des ouvertures de sortie d'eau à l'arrière (zone de la poupe) et qu'un canal d'écoulement délimite deux zones partielles dans lesquelles sont disposées les batteries.
108. De même, la société Cayago Tec GmbH procède à la même démonstration, s'agissant des revendications 2, 3, 5, et 8 du brevet EP 2 945 856. Il ressort ainsi de la description réalisée par Me [T] dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 11 septembre 2019, dont les éléments sont repris au §49, et des photographies jointes, que les batteries sont disposées de part et d'autre du canal d'écoulement de façon symétrique par rapport au plan longitudinal médian du modèle Divejet, si bien que les revendications no2 et 3 se retrouvent dans le modèle litigieux, que le modèle comporte bien une coque avec une partie supérieure et une partie inférieure fixées de manière interchangeable (avec des vis), comportant, ainsi qu'en témoignent en particulier les photographies, des évidements destinés aux batteries de l'appareil qui peuvent être démontées, ce qui permet de retenir la reproduction de la revendication no5. Enfin, Me [T] note bien que les évidements sont plus longs que les batteries, ce qui permet de retenir que des batteries de tailles différentes peuvent être installées. La reproduction de la revendication no8 est acquise.
109. Au regard de l'ensemble de ces considérations, il y a lieu de dire que les revendications no 1 à 6 et 8 du brevet EP 2 945 854 et les revendications no1 à 3 et 5 et 8 du brevet EP 2 945 856 sont reproduites par l'engin Divejet de marque Iaqua.
110. Or, il ressort du procès-verbal de saisie contrefaçon dressé le 11 septembre 2019 par Me [T] que, sur le stand tenu par la société défenderesse au Yachting Festival de [Localité 2], "des engins iaqua sont présentés au public". Il s'agit de modèles Divejet.
111. Par ailleurs, la société Cayago Tec GmbH produit aux débats plusieurs captures d'écran de la page Facebook de Toymaster, nom commercial sous lequel la société Actividad Nautica Balear exerce son activité :
- une première publication datée du 24 août 19h10, indiquant la possibilité de pré-commander le nouveau Iaqua2 - scooter de plongée de haute technologie version/génération UE, à partir de 3.999 euros, soulignant la possibilité de récupérer la commande en France, assortie de vidéos de l'engin;
- une deuxième, certes non datée mais faisant référence au festival du yachting à [Localité 2] en 2019, invitant les consommateurs à les interroger sur leurs offres spéciales de lancement en Europe, faisant référence aux débuts du divejet Iaquat (nouveau design) sur le marché français/UE, la photographie d'une page du catalogue des produits étant également publiée en dessous de la publication, représentant quatre modèles de la gamme Divejet avec leurs prix;
- une troisième publication du 13 septembre 9h44, invitant à venir visiter leur stand au Yachting festival et se vantant d'avoir déjà vendu à plusieurs clients commerciaux, marchands et clients privés "qui ont sagement choisi le meilleur choix, à partir de 3.999 euros" contredisant par là-même les dires de la société Actividad Nautica Balear dans la présente instance sur le caractère de prototype non commercialisé des produits Divejet.
112. Il ressort suffisamment de ces éléments que la société Actividad Nautica Balear a commis, en France, des actes d'importation, d'offre, de mise dans le commerce et de vente des produits Divejet, contrefaisant ainsi les deux brevets de la société Cayago Tec GmbH en leurs revendications précitées.
Sur la réparation de la contrefaçon
Moyens des parties
113. La société Cayago Tec GmbH demande tout d'abord au tribunal d'ordonner des mesures d'interdiction et de rappel des circuits commerciaux, invoquant le droit exclusif d'exploitation résultant de ses titres de propriété industrielle.
Elle sollicite ensuite la mise en oeuvre d'un droit d'information afin de disposer des éléments nécessaire à la détermination de son entier préjudice. Dans cette attente, elle demande au tribunal de lui accorder, au regard des éléments dont elle dispose déjà, une provision de 30.000 euros à valoir sur ses dommages-intérêts en réparation du préjudice commercial qu'elle a subi, rappelant le prix moyen des produits et estimant à au moins dix le nombre de produits vendu. Elle invoque également une perte de gains puisqu'il s'agit d'autant de clients qu'elle ne pourra pas satisfaire.
Elle sollicite par ailleurs une provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice moral à hauteur de 20.000 euros, justifié selon elle par la banalisation des technologies qu'elle a brevetées et de son modèle communatuaire, entraînant selon elle une diminution de la valeur patrimoniale de ses actifs, une atteinte à sa réputation. Elle souligne que la défenderesse a participé au salon en dépit du contentieux les opposant, et qu'elle vend les produits à un prix largement inférieur aux siens ce qui a pour conséquence de capter une partie de clientèle.
Elle demande enfin une mesure de publication judiciaire afin de diffuser largement l'information dans la mesure où la société défenderesse était présente sur un salon attirant une clientèle internationale.
114. En réponse, rappelant que la société demanderesse ne peut obtenir réparation que d'un dommage commis sur le territoire français, la société Actividad Nautica Balear estime que la société Cayago ne démontre pas l'existence d'un préjudice puisque les produits prétendument contrefaits étaient des prototypes qui n'ont pas été vendus mais qui étaient seulement présents sur le salon. Quant au préjudice moral, elle soutient que la société Cayago ne peut y prétendre, à défaut de démontrer que ses produits sont connus du public français.
Elle estime qu'en l'absence d'acte de commercialisation, aucune mesure d'interdiction ne peut être prononcée et qu'en tout état de cause, elle estime l'astreinte injustifiée.
Pour le même motif, les demandes de rappel des produits et de leur destruction sont selon elle sans objet. Elle estime de la même manière la demande de droit d'information infondée. Elle conclut au rejet de la demande de publication.
Appréciation du tribunal
- Sur les mesures d'interdiction et de rappel des circuits commerciaux
115. Aux termes de l'article L. 513-4 du code de la propriété intellectuelle, "Sont interdits, à défaut du consentement du propriétaire du dessin ou modèle, la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation, le transbordement, l'utilisation, ou la détention à ces fins, d'un produit incorporant le dessin ou modèle".
L'article L. 521-1 du même code, applicable conformément à l'article L. 522-1 du même code aux modèles communautaires, prévoit que "Toute atteinte portée aux droits du propriétaire d'un dessin ou modèle, tels qu'ils sont définis aux articles L. 513-4 à L. 513-8, constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur".
116. Les modalités de réparation des atteintes aux dessins et modèles sont prévues par l'article L. 521-7 du code de la propriété intellectuelle: "Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée."
117. L'article L. 521-8 du même code dispose que " En cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les produits reconnus comme produits contrefaisants, les matériaux et instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée.
La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise.
Les mesures mentionnées aux deux premiers alinéas sont ordonnées aux frais du contrefacteur."
118. Par ailleurs, en matière de brevet d'invention, aux termes de l'article L. 615-7-1 du code de la propriété intellectuelle, "en cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les produits reconnus comme produits contrefaisants et les matériaux et instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée.
La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise.
Les mesures mentionnées aux deux premiers alinéas sont ordonnées aux frais du contrefacteur".
119. L'article 3 de la directive 2004/48/CE du parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, dispose :
"1. Les États membres prévoient les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par la présente directive. Ces mesures, procédures et réparations doivent être loyales et équitables, ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses et ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés.
2. Les mesures, procédures et réparations doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d'obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif."
120. La contrefaçon étant établie, il y a lieu de la faire cesser en ordonnant les mesures d'interdiction qui s'imposent. Par ailleurs, les pré-commandes et la vente de produits Divejet ressortent des publications de la société Actividad Nautica Balear sur la page du réseau social facebook de Toymaster; aussi sera-t-il fait droit également à la demande portant sur le rappel des circuits commerciaux avec destruction des produits, dans les termes prévus au dispositif de la présente décision.
Sur la demande de provision à valoir sur dommages-intérêts, la demande au titre du droit d'information et la demande de publication
121. L'article L. 521-7 du code de la propriété intellectuelle, applicable en matière de contrefaçon d'un modèle communautaire, dispose que "pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée."
122. L'article L. 615-7 du code de la propriété intellectuelle dispose que :
"Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée ;
2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
« Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée".
123. En application de l'article L. 615-5-2 du même code, "si la demande lui en est faite, la juridiction saisie au fond ou en référé d'une procédure civile prévue au présent titre peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des produits argués de contrefaçon qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits argués de contrefaçon ou qui fournit des services utilisés dans de prétendues activités de contrefaçon ou encore qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services .La production de documents ou d'informations peut être ordonnée s'il n'existe pas d'empêchement légitime".
124. En l'espèce, il ressort du procès-verbal de saisie-contrefaçon que, sur le stand du salon Yachting Festival de [Localité 2], il a été trouvé un exemplaire du produit Stingray ainsi que quatre exemplaires du produit Divejet. Il ressort par ailleurs des publications facebook que des précommandes ont été ouvertes pour le modèle Divejet et que des commandes de ce produit, dont la société précise dans ces mêmes publications qu'ils peuvent être livrés en France, ont pu être passées, sans toutefois que le détail ne soit fourni. La société Cayago Tec GmbH est donc bien fondée en sa demande de dédommagement d'un préjudice résultant du manque à gagner et du bénéfice du contrefacteur s'agissant des produits Divejet. En revanche, seule est établie l'importation du produit Stingray, si bien qu'il n'y a pas lieu à dommages-intérêts sur ce point.
125. La société Cayago Tec GmbH démontre le prix catalogue des modèles Divejet, affichés entre 3.999 euros et 8.999 euros, étant au demeurant souligné que l'huissier de justice, dans le cadre des opérations de saisie-contrefaçon, a réglé la somme de 27.551 euros (5.511 euros pour chacun des produits Divejet) en contrepartie de la saisie réelle des modèles. La société n'ayant pas communiqué d'élément pertinent de nature à permettre la fixation du préjudice de la société demanderesse, il y a lieu d'allouer à cette dernière une somme provisionnelle de 15.000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice économique.
126. Il est par ailleurs démontré que la société Actividad Nautica Balear vend ses produits moins cher que la société Cayago Tec GmbH, qui vend ses produits entre 7.845 euros et 14.565 euros, ce qui est de nature à capter une partie de sa clientèle et qu'elle a, en reproduisant les revendications précitées, banalisé l'apport techniques des brevets dont est titulaire la demanderesse ainsi que son modèle. La société est donc bien fondée en sa demande d'indemnisation d'un préjudice moral, qui sera fixé provisionnellement à la somme de 20.000 euros.
127. La société Actividad Nautica Balear n'a pas communiqué ses comptes ni une information sur son chiffre d'affaire, ni d'informations permettant d'établir précisément la perte subie et le gain manqué. Un droit d'information apparaît nécessaire sur ces points. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que la société défenderesse est distributeur des produits de la société Iaqua; il apparaît donc également nécessaire, de lui enjoindre de communiquer les informations concernant le nombre de produits importés, commercialisés, livrés en France, reçus, commandés ainsi que leur prix, l'état de son stock ainsi que les informations relatives aux éventuels distributeurs, puisqu'il ressort de ses publications sur facebook l'existence de contrats avec des partenaires commerciaux. Cette mesure concerne tant les produits Stingray que Divejet. En revanche, dans un souci de proportionnalité, il n'apparaît pas utile de solliciter la communication des informations concernant le fabricant, ou ni le nombre de produits fabriqués, puisqu'elle n'est que distributeur.
128. Les parties seront renvoyées à la détermination amiable du préjudice qui ne serait pas déjà indemnisé par le présent jugement ou, à défaut d'accord, par le tribunal saisi par nouvelle assignation. Il n'y a pas lieu de renvoyer l'affaire à la mise en état.
129. Enfin, dans la mesure où les produits contrefaisants ont été présentés sur un salon faisant l'objet d'une importante couverture médiatique et fréquenté par de nombreux visiteurs internationaux, et compte-tenu du contexte judiciaire de l'affaire, il sera fait droit à la demande de publication judiciaire dans les termes du dispositif de la décision.
Sur les demandes annexes
130. Succombant, la société Actividad Nautica Balear S.L sera condamnée aux dépens de l'instance dont distraction au profit de Me Abello, avocat, sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
131. Supportant les dépens (qui incluent les frais de saisie-contrefaçon et d'achat des scooters), la société Actividad Nautica Balear S.L sera condamnée à payer à la société Cayago Tec GmbH la somme de 90.000 euros, incluant les frais exposés pour les procès-verbaux de constat(qui n'ont pas la nature de dépens : Civ. 2e, 12 janv. 2017, 16-10123), pour l'expertise amiable.
132. L'exécution provisoire, compatible avec la nature de l'affaire, sera ordonnée à l'exception des mesures de publication.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL,
DIT n'y avoir lieu à écarter des débats les pièces no6, 7 et 8 communiquées par la société Actividad Nautica Balear S.L. par bordereau du 24 juin 2021;
DÉBOUTE la société Actividad Nautica Balear S.L. de sa demande de nullité du modèle communautaire no 002077206-0004 dont est titulaire la société Cayago Tec GmbH;
DÉBOUTE la société Actividad Nautica Balear SL de sa demande de nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 11 septembre 2019 et des procès-verbaux de constat et des expertises subséquents;
FAIT INTERDICTION à la société Actividad Nautica Balear SL, directement ou indirectement par personne physique ou morale interposée, d'utiliser, d'importer, d'offrir en vente, de vendre sur le territoire français:
- tout produit contrefaisant les revendications 1 à 6 et 8 du brevet EP 2 945 854 et notamment les engins Divejet de la marque Iaqua,
- tout produit contrefaisant les revendications 1 à 3, 5 et 8 du brevet EP 2 945 856 et notamment les engins Divejet de la marque Iaqua,
- tout produit contrefaisant les le modèle communautaire no002077206-0004 et notamment les engins Stingray de la marque Iaqua,
sous astreinte de 15.000 euros par infraction constatée à compter de l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la signification de la présente décision et courant pendant un délai d'un an;
ORDONNE que les produits Divejet Iaqua reconnus comme étant contrefaisants soient rappelés et écartés des circuits commerciaux aux fins de destruction en présence d'un huissier de justice, aux frais de la société Actividad Nautica Balear, dans un délai de 30 jours suivant la signification de la décision, puis sous astreinte de 500 euros par jour de retard qui courra pendant 180 jours ;
CONDAMNE la société Actividad Nautica Balear SL payer à la société Cayago Tec GmbH la somme provisionnelle de 35.000 euros (trente-cinq mille euros) en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon;
ORDONNE à la société Actividad Nautica Balear, sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé un délai de 30 jours à compter de la signification de la présente décision et courant pendant un délai de 180 jours, de communiquer à la société Cayago Tec GmbH, les informations suivantes, étant précisé que les informations financières devront être certifiées par l'expert-comptablede la société:
- les nom et adresses des distributeurs des produits contrefaisants;
- l'état comptable certifié du nombre de produits contrefaisants importés, commercialisés, livrés, reçus et/ou commandés en France depuis 2018, ainsi que leur prix d'achat et de vente;
- le nombre de de produits contrefaisants importés et/détenus et/ou vendus depuis 2018;
- les bordereaux de livraison attestant du nombre de produits contrefaisants qui ont été livrés en France;
- l'état comptable certifié des stocks des produits contrefaisants;
- le chiffre d'affaires et la marge brute certifiés, réalisés par la société sur la vente des produits contrefaisants en France depuis 2018.
RENVOIE les parties à la détermination amiable du préjudice qui ne serait pas déjà indemnisé par le présent jugement ou, à défaut d'accord, par le tribunal saisi par nouvelle assignation ;
ORDONNE à la société Actividad Nautica Balear S.L. de permettre la lecture de l'intégralité du jugement par le moyen d'un lien hypertexte dans une bannière exclusivement dédiée devant figurer sur la page d'accueil de son site Internet https://toymaster.eu/en/, et mentionnant le titre suivant: "le tribunal judiciaire de Paris a jugé que la société Actividad Nautica Balear SL / Toymaster a commis des actes de contrefaçon des droits de la société Cayago Tec GmbH sur ses brevets EP 2 945 854 et EP 2 945 856 en important, détenant , offrant en vente et vendant des produits Divejet de marque Iaqua", traduit dans les langues du site internet et ce, pendant une durée de trois mois, ces dispositifs d'accès et de lecture devant être créés dans un délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision et sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai, courant pendant une durée de trois mois au maximum;
DIT n'y avoir lieu à se réserver le contentieux de la liquidation de l'astreinte;
REJETTE les demandes plus amples ou contraires;
CONDAMNE la société Actividad Nautica Balear S.L aux dépens de l'instance (incluant les frais de saisie-contrefaçon et d'acquisisition des produits) dont distraction au profit de Me Abello, avocat;
CONDAMNE la société Actividad Nautica Balear S.L. à payer à la société Cayago Tec GmbH la somme de 90.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, incluant les frais de constat d'huissier de justice;
ORDONNE l'exécution provisoire de la décision, sauf en ce qui concerne la mesure de publication.
Fait et jugé à Paris le 25 mai 2023
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE