TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
3ème chambre
1ère section
No RG 19/14616
No Portalis 352J-W-B7D-CRKMA
No MINUTE :
Assignation du :
12 décembre 2019
JUGEMENT
rendu le 25 mai 2023
DEMANDERESSE
S.A.S. SKIN'UP
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Sonia-Maïa GRISLAIN du Cabinet GRISLAIN AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #A0035 et Me Karine ETIENNE de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant
DÉFENDERESSE
S.A. LANAFORM LANA ALLPEAK
[Adresse 4]
[Localité 3] (BELGIQUE)
représentée par Me Benjamin MAY de la SELARL ARAMIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0186
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUIS, Juge,
assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière
en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation.
DEBATS
A l'audience du 28 février 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 25 mai 2023.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
EXPOSÉ DU LITIGE :
1. La société Skin'up, créée en 2005, se présente comme un laboratoire innovant ayant pour activité la conception et le développement d'articles cosméto-textiles dont la fibre textile est imprégnée de principes actifs cosmétiques et végétaux micro-encapsulés qu'elle commercialise en France et à l'international sous la marque Skin'Up.
2. Cette société est titulaire d'un brevet français no FR 2 999 613, ci-après FR 613, déposé le 19 décembre 2012 et délivré le 30 décembre 2016 intitulé "Matériau textile imprégné de principes actifs et comprenant des particules de céramique" qu'elle a acquis auprès de Mme [N] [U] le 23 décembre 2018. La cession a été inscrite au registre national des brevets le 20 septembre 2019. L'invention porte sur un matériau textile imprégné d'au moins un principe actif cosmétique ou pharmaceutique caractérisé en ce qu'il comprend au moins une particule de céramique.
3. La société de droit belge Lanaform Lana AllPeak, ci-après Lanaform, créée en 1975, a pour activité la fabrication et la commercialisation de produits de bien-être, de santé et de beauté ; elle commercialise notamment des textiles gainants et amincissants.
4. La société Skin'Up indique avoir fait constater par huissier de justice que la société Lanaform offrait à la vente notamment sur les sites internet accessibles aux adresses etlt;www.lanaform.cometgt; et etlt;www.lanaform.fretgt;, et les sites internet de distributeurs, des produits dénommés "Cosmetex legging 40", "Panty Puissance 5" et "Secret Slim" reproduisant, selon elle, les revendications du brevet FR 613.
5. Par une lettre recommandée du 24 janvier 2018, la société Skin'Up a mis en demeure la société Lanaform de cesser toute fabrication, offre en vente et commercialisation des produits portant selon elle atteinte à son brevet FR 613. La société Lanaform lui a répondu par une lettre du 2 mars 2018 que les revendications du brevet FR 613 étaient nulles pour défaut d'activité inventive.
6. Par acte d'huissier du 12 décembre 2019, la société Skin'Up a fait assigner la société Lanaform devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon des revendications 1, 7 et 8 du brevet FR 613.
7. En cours de procédure, la société Skin'Up a déposé une requête en limitation auprès de l'INPI qui a été acceptée le 13 juillet 2021 et publiée au registre national des brevets le 15 juillet suivant.
8. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 20 mai 2022, la société Skin'Up demande au tribunal de :
- La Dire recevable et bien fondée dans son action, y faisant droit;
- Débouter la société Lanaform de ses demandes, fins et prétentions ;
- Dire que le brevet FR 2 999 613 pris dans ses revendications telles que limitées 1, 7 et 8 est valable comme nouveau, faisant preuve d'activité inventive et suffisamment décrit;
- Dire que le produit Cosmetex Legging 40 reproduit les caractéristiques des revendications 1, 7 et 8 du brevet FR 2 999 613 ;
- Dire que le produit Secret Slim / Panty Puissance 5-Textile Minceur reproduit les caractéristiques des revendications 1, 7 et 8 du brevet FR 2 999 613 ;
- Dire que la société LANAFORM en offrant à la vente et commercialisant, sur le territoire français, des articles cosméto-textile tels que le legging Cosmetex legging 40 et le Secret Slim / Panty Puissance 5 - Textile Minceur, commet des actes de contrefaçon au préjudice de la société SKIN' UP titulaire et exploitant du brevet FR 2 999 613 ;
- Faire injonction à la société Lanaform de cesser et lui interdire pour l'avenir de fabriquer, importer, détenir, offrir à la vente,notamment sur ses sites internet marchands www.lanaform.com et www.lanaform.fr et/ou commercialiser, en France, les produits Cosmetex legging 40 et Secret Slim / Panty Puissance 5 - Textile Minceur, et plus généralement tout article de sa gamme de produits minceur et/ou anticellulite, et tout produit qui reproduirait les revendications 1,7 et 8 du brevet FR 2 999 613, sous astreinte de 500€ par infraction constatée, une infraction s'entendant de la fabrication, importation, détention, offre en vente, vente d'un article contrefaisant, et par jour de retard, à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- Faire injonction à la société Lanaform de communiquer, au titre du droit à l'information, tous documents comptables certifiés par un expert-comptable permettant de déterminer la masse contrefaisante et les quantités exactes de produits incriminés fabriqués, commandés, importés, reçus, livrés, et vendus par elle en France, le chiffre d'affaires réalisé ainsi que la marge pratiquée et les bénéfices associés, au cours des 5 dernières années précédant la date de la signification de l'assignation, puis au cours de chaque année suivante jusqu'à la clôture de la procédure, sous astreinte de 500€ par jour de retard, passé un délai de 8 jours après la signification du jugement à intervenir ;
- Prononcer le rappel des circuits commerciaux et la destruction, aux frais avancés de la société Lanaform, de tous les stocks de produits contrefaisants, ainsi que de l'ensemble des supports commerciaux représentant lesdits produits, ce par constat d'huissier, sous astreinte de 500€ par produit et par jour de retard, à compter d'un délai de 30 jours après le prononcé du jugement à intervenir ;
- Allouer à la société Skin'Up une somme de 250.000€ à titre de dommages et intérêts réparant l'atteinte portée à ses droits sur le brevet FR 2 999 613 et son préjudice moral;
- Allouer à la société Skin'Up une somme provisionnelle de 800.000€ à titre de dommages et intérêts réparant le préjudice économique causé par les actes de contrefaçon, somme à parfaire après communication des documents comptables permettant de justifier de l'intégralité de la masse contrefaisante, des gains manqués et pertes subies.
Subsidiairement,
- Dire que les allégations mensongères et trompeuses tenues par la société Lanaform dans sa communication et sur ses emballages sont de nature à modifier le comportement économique du consommateur, et constituent des pratiques commerciales trompeuses ;
- Ordonner la cessation des actes de pratiques commerciales trompeuses, sur tous supports y inclus sites Internet en France, sous astreinte de 1.500 € par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir, chaque infraction étant constituée par l'offre en vente et/ou la commercialisation et/ou la promotion de produits sous les mentions trompeuses tenant notamment au fait que le produit est doté d'une fibre intelligente à base de cristaux de céramique et de millions de microcapsules à base de nouveaux principes actifs cosmétiques, que les microcapsules sont à base de principes actifs cosmétiques et pas autre chose, qu'il a une action sur le long terme grâce à sa fibre intelligente, et encore qu'il a une action anticellulite grâce à la combinaison entre la fibre céramique 3D et le complexe cosmétique à base d'algues marines et des vertus amincissantes dans les réductions centimétriques annoncées ;
- Allouer à la société Skin'Up une somme provisionnelle de 200.000€ à titre de dommages et intérêts réparant le préjudice économique causé par les pratiques commerciales trompeuses, somme à parfaire après communication des documents comptables de Lanaform permettant d'évaluer l'entier préjudice subi ;
En tout état de cause,
- Convoquer les parties à la prochaine audience utile du tribunal judiciaireafindevoir statuersurl'évaluationdéfinitivedupréjudicecauséàla société Skin'Up ;
- Se réserver la liquidation des astreintes ordonnées ;
- Ordonner la publication judiciaire du jugement à intervenir, en extraits, sur la page d'accueil des sites Internet de la société Lanaform dont les adresses sont https://www.lanaform.com et https://www.lanaform.fr pour une durée de six mois à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- Ordonner la publication judiciaire du jugement à intervenir, en extraits, dans trois revues ou journaux professionnels, au choix de la société Skin'Up et aux frais de la société Lanaform, dans la limite de 2.500 € HT par publication ;
- Condamner la société Lanaform à payer à la société Skin'Up la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Dire que l'exécution provisoire est de droit ;
- Condamner la société Lanaform aux entiers frais et dépens, distraits auprès de Maître [X] [T], en ce inclus les frais de signification et constat d'huissier et honoraires afférents dûment justifiés, sur son affirmation de droit.
9. Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 juin 2022, la société Lanaform demande au tribunal de :
A titre principal :
- La Déclarer recevable en ses écritures, fins et prétentions.
- Prononcer la nullité des revendications 1, 7 et 8 du brevet français FR 2 999 613 pour défaut de nouveauté, d'activité inventive et/ou d'insuffisance de description.
En conséquence,
- Ordonner la notification de la décision à intervenir, une fois devenue définitive, par les bons soins de madame ou monsieur le greffier ou de la partie la plus diligente, a monsieur le directeur de l'institut national de la propriété industrielle en vue de son inscription sur le registre national des brevets ;
- Juger que la transcription de ladite décision, une fois devenue définitive, pourra être effectuée sur présentation d'une copie exécutoire.
A titre subsidiaire, si, par extraordinaire, le tribunal retenait la validité de tout ou partie des revendications 1, 7 et 8 du brevet FR'613,
- Juger que la contrefaçon des revendications 1, 7 et 8 du brevet FR 2 999 613 n'est pas établie ;
- Débouter la société Skin'Up de ses demandes a l'encontre de la société Lanaform en contrefaçon du brevet FR 2 999 613.
En toute hypothèse,
- Débouter la société Skin'Up de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions vis-à-vis de la société Lanaform ;
- Condamner la société Skin'Up à verser à la société Lanaform la somme de 80 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Skin'Up aux entiers dépens.
10. L'instruction de l'affaire a été close par une ordonnance du 5 juillet 2022 et plaidée à l'audience du 28 février 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1o) Présentation du brevet FR 2 999 613
11. La description de ce brevet enseigne dès sa 1ère ligne que l'invention concerne un matériau textile imprégné de principes actifs, dont la libération, par exemple dans la peau, est améliorée et contrôlée. A la ligne 32 (1ère page), la description précise que, depuis les années 1990, de multiples applications de textiles imprégnés permettant le relargage ou l'admnistration de principes actifs ont été développées.
12. En page 2, lignes 12 et suivantes, la description indique, qu'afin de permettre le relargage des principes actifs dont est imprégné le matériau textile, et plus précisément la libération dans la peau de ces principes actifs, il est connu de les encapsuler. Ainsi, des matériaux textiles imprégnés de principes actifs micro-encapsulés ont été mis au point de manière à pouvoir libérer les principes actifs lors du contact de ces matériaux textiles avec la peau. La micro-encapsulation permet la fixation des principes actifs sur le textile par l'intermédiaire des microcapsules, lesquelles sont ensuite brièvement décrites.
13. Le fascicule relève ensuite (page 2 lignes 25 et s.) les inconvénients de ces techniques connues (matériau textile simplement imprégné de principes actifs micro-encapsulés). Ainsi, la rupture de la membrane de la microcapsule n'est pas toujours bien maîtrisée et peut en particulier n'être que partielle, de même que la diffusion du principe actif dans la peau peut ne pas se réaliser dans des conditions excellentes.
14. L'invention propose de remédier à ces inconvénients au moyen d'un matériau textile imprégné d'au moins un principe actif, caractérisé en ce qu'il comprend en outre au moins une particule de céramique (page 3, lignes 13 et s.).
15. La description précise ensuite (page 4) qu'on entend par particule de céramique, dans le cadre de l'invention, des particules obtenues par transformation d'un mélange d'argile, de matière minérale, de terres rares et de métaux précieux, porté à très haute température, de l'ordre de 1000oC ou plus. En d'autres termes, il s'agit de silicates, dont l'arrangement dépend des conditions chimiques de leur formation. La au moins une particule de céramique comprend avantageusement au moins un oxyde choisi dans le groupe constitué de AI203, Fe203, Cr203, SiO2, MgO, ZrO2, MnO2, Co203, Y203, pris seul ou en mélanges de ceux-ci. De manière préférée, il sagit des oxydes suivants MnO2 ou Co203 ou encore d'un mélange de ces deux oxydes. De manière préférée, la au moins une particule de céramique comprend au moins 10% en poids de MnO2. En effet, cet oxyde est particulièrement préféré car il contribue de manière significative à l'émissivité des particules de céramique.
16. La description rappelle (page 4, lignes 34 et s.) que les particules de céramique ont la particularité d'émettre et de réfléchir des rayons infrarouges lointains. Cette émission de rayonnement infrarouge est consécutive à l'absorption de chaleur par les particules de céramique. La chaleur provient de l'environnement proche des particules de céramiques. Ainsi, lorsque le matériau se présente sous la forme d'un vêtement porté par un utilisateur, les particules de céramique emmagasinent la chaleur produite par le corps humain : elles absorbent cette énergie et la restituent dans les longueurs d'onde de l'infrarouge lointain. Et, lorsque ces particules ne peuvent plus absorber de chaleur, elles la renvoient directement à la surface de la peau provoquant alors une légère augmentation de la température corporelle.
17. Selon la description (page 5, lignes 18 et s.), la chaleur émise, non seulement amplifie le processus de rupture des membranes des microcapsules renfermant le principe actif, mais favorise également la pénétration du principe actif dans la peau.
18. Le brevet se compose de 10 revendications, seules étant opposées la revendication principale 1 et les revendications dépendantes 7 et 8 du brevet FR 613 (tel que limité en 2021) :
1. Matériau textile imprégné d'au moins un principe actif microencapsulé et comprenant en outre au moins une particule de céramique, ledit matériau textile comprenant des fibres, des fils et/ou des filaments qui ont été imprégnés du au moins un principe actif, caractérisé en ce qu'il comprend en outre des fibres, des fils et/ou des filaments dans lesquels a été dispersée la au moins une particule de céramique et en ce que le principe actif est choisi parmi les principes actifs pharmaceutiques ou cosmétiques.
7. Matériau textile selon l'une quelconque des revendications 1 à 6, caractérisé en ce que le principe actif est choisi dans le groupe constitué par les principes actifs amincissants, rafraîchissants ou hydratants , les vitamines liposolubles et leurs dérivés, les polyphénols, les stylbènes, les catéchines, la vanilline, l'indol, les huiles essentielles d'agrumes, de lavande, du menthol, Fluvastatin, Ketoprofen, Verapamil, Atenolol, Griseofulvin, Ranitidine, les huiles végétales, le beurre de karité, les aminoglucosides, les antibiotiques, les hormones peptidiques, les agents anti-allergiques, antimycotiques, cytostatiques, les sels minéraux, les oligo-éléments, les acides aminés, les peptides, les protéines, les vitamines hydrosolubles, les polyols, les arômes.
8. Article de vêtement constitué totalement ou partiellement du matériau textile selon l'une quelconque des revendications 1 à 7, ledit article de vêtement étant choisi dans le groupe constitué par les gants, les chaussants, les sous-vêtements, les bas, les collants, les corsaires.
2o) Sur la validité du brevet contestée en défense
Moyens des parties sur le défaut de nouveauté
19. La société Lanaform fait valoir que les documents FR 2 967 573 (D3) (a), US2001/0046826 (D4) (b) et KR200336512 (D8) sont des antériorités de toute pièce et, partant, que la revendication 1 du brevet FR 613 n'est pas nouvelle. Elle soutient ainsi que l'utilisation du kit cosmétique de la demande FR 2 967 573 divulgue toutes les caractéristiques de la revendication 1 du brevet FR 613 et en particulier, un article textile, une formulation topique comprenant un actif cosmétique, l'encapsulation de l'actif cosmétique, et l'association de dioxyde de titane/sulfate de métal alcalin/alumino-silicate, le dioxyde de titane TiO2 qui sont des particules de céramique.
20. Selon la société Lanaform, le brevet FR 613 est de la même manière dépourvu de nouveauté au regard de la demande de brevet US2001/0046826 qui divulgue des particules de substances actives, pharmaceutiques ou cosmétiques, contenues dans des microcapsules (notamment de céramiques) qui imprègnent les fils d'un matériau textile et permettent la libération des substances actives par contact avec la peau du porteur, soit toutes les caractéristiques du brevet FR 613.
21. La société Lanaform invoque encore au titre du défaut de nouveauté la demande de brevet US2001/0046826 qui enseigne le recours à des particules de substances actives, pharmaceutiques ou cosmétiques, contenues dans des microcapsules (notamment de céramiques) qui imprègnent les fils du matériau textile et permettent la libération des substances actives par contact avec la peau du porteur, soit à nouveau toutes les caractéristiques du brevet FR 613.
22. La société Lanaform soutient enfin que l'ensemble des caractéristiques du brevet FR 613 est divulgué par le brevet KR200336512 qui porte sur des bas et culottes, chargés d'un mélange de parfums, de fleurs et de fruits, dont les fibres de parfum sont parfumées par l'ajout d'un liquide directionnel aux microcapsules et fixées de façon innombrable aux fibres et qui comprennent une composition antidérapante composée d'un mélange de fil de coton et de caoutchouc et notamment d'ocre céramique ou de minéral qui émet un rayonnement infrarouge lointain.
23. En ce qui concerne les revendications dépendantes 7 et 8, la société Lanaform soutient qu'elles sont elles aussi nulles pour défaut de nouveauté, car la description du brevet FR 573 précise que sont connus de l'état de la technique les textiles constitués de fibres capables de relarguer des principes actifs amincissants ou hydratants, des huiles essentielles, des vitamines et des produits désodorisants, tandis que tous les documents FR 2 967 573, US2001/0046826 et KR200336512 divulguent au moins l'un des articles de vêtements cités dans la revendication 8.
24. La société Skin'Up fait quant à elle valoir que la demande de brevet FR 2 967 573 ne divulgue pas un textile imprégné puisque le port du textile est consécutif à l'application d'une formulation comprenant au moins un principe actif appliquée sur la peau. Elle ajoute que la description de cette demande de brevet critique même l'utilisation des tissus imprégnés par des microcapsules.
25. Elle fait également valoir la demande de brevet US2001/0046826 divulgue des particules sphériques, qui peuvent être des particules de céramiques, qui sont fixées sur le textile au moyen d'une couche de liaison, et non pas dispersées dans les fibres, fils ou filaments comme cela est le cas dans le brevet FR 613, et que selon la revendication 9 ce sont les particules de céramiques, et non les principes actifs, qui sont microencapsulés.
26. La société ajoute que les parfums visés par le brevet KR200336512 ne peuvent pas être considérés comme des principes actifs et que ce document ne divulgue pas la micro-encapsulation d'un actif cosmétique.
27. La société Skin'Up soutient enfin que la nouveauté de l'objet de la revendication 1 étant acquise celle des revendications 7 et 8 l'est également.
Appréciation du tribunal
28. Selon l'article L. 611-10, I, du code de la propriété intellectuelle, sont brevetables, dans tous les domaines technologiques, les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle. L'article L. 611-11 du même code précise qu'une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique. L'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen. Est également considéré comme compris dans l'état de la technique le contenu de demandes de brevet français et de demandes de brevet européen ou international désignant la France, telles qu'elles ont été déposées, qui ont une date de dépôt antérieure à celle mentionnée au second alinéa du présent article et qui n'ont été publiées qu'à cette date ou qu'à une date postérieure.
29. Aux termes de l'article L. 613-25, un brevet est déclaré nul par décision de justice : a) Si son objet n'est pas brevetable aux termes des articles L. 611-10, L. 611-11 et L. 611-13 à L. 611-19.
30. L'élément de l'art antérieur est destructeur de nouveauté s'il renferme tous les moyens techniques essentiels de l'invention dans la même forme, le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique : l'antériorité, qui est un fait juridique dont l'existence, la date et le contenu doivent être prouvés par tous moyens par celui qui l'invoque, doit être unique et être révélée dans un document unique dont la portée est appréciée globalement.
31. La société défenderesse invoque en premier lieu un brevet français FR 2 967 573 de la société Rhodia Poliamida, dont la publication de la demande de délivrance est intervenue le 25 mai 2012, soit 7 mois avant le dépôt du brevet objet du présent litige. Ce brevet FR 573 est le document D3 du rapport de recherche et de l'avis écrit de l'examinateur de l'INPI du 28 octobre 2018 (Pièce Lanaform no4), qui l'avait mentionné comme destructeur de la nouveauté du brevet FR 613, avant de finalement délivrer le brevet.
32. Ce document D3 revendique la protection d'un "kit" comprenant l'application, sur la peau d'un utilisateur, d'un actif cosmétique, suivie de l'apposition d'un article textile constitué de fibres en polymère dont la matrice contient des charges minérales ayant des propriétés d'absorption et/ou d'émission dans la région infrarouge lointain 2-20 µm.
33. Comme le brevet FR'613, ce brevet enseigne dans sa partie descriptive que l'art antérieur connaît les fibres de polymères imprégnées d'actifs cosmétiques micro-encapsulés, mais sans revendiquer lui-même cette imprégnation en raison de ses inconvénients et en particulier la disparition des actifs après quelques lavages du matériau textile, et la quantité trop faible de principe actif pour observer un effet (page 4, ligne 3 de D3).
34. Au demeurant, l'imprégnation du matériau textile par les principes actifs micro-encapsulés ne figure pas dans la partie caractérisante de la revendication 1 du brevet FR 613.
35. Force est ainsi de constater que le brevet FR'573 (D3) divulgue les moyens techniques essentiels de l'invention objet du brevet FR'613, peu important qu'il ne les revendique pas. Il divulgue en effet la combinaison d'un matériau textile et d' une application sur la peau de principes actifs, les principes actifs pouvant être imprégnés dans le matériau textile, et le matériau textile comprenant également des particules de céramique au sens de ces deux brevets, le document FR'573 (D3) présentant le dioxyde de titane (TiO2), le sulfate de baryum (BaSO4) et la tourmaline comme préférés (page 12, ligne 5). La revendication 1 du brevet FR'613 se trouve ainsi entièrement divulguée par ce seul document, selon le même agencement et en vue du même résultat technique. Cette revendication est dès lors dépourvue de nouveauté.
36. Il en va de même des revendications dépendantes suivantes, le brevet FR'573 (D3) décrivant l'usage des actifs cosmétiques amincissants et notamment l'huile essentielle de lavande, ainsi que la vitamne C (page 7, ligne 1 et s.), expressément mentionnés dans la revendication no7 du brevet FR'613 ; ce document divulgue encore la forme du matériau textile, puisqu'il indique qu'il s'agira avantageusement d'un vêtement, de préférence un collant, un pantalon, un bermuda (page 13, ligne 31), de sorte que la revendication no8 se trouve elle aussi dépourvue de nouveauté.
37. Il y a donc lieu d'annuler les revendications 1, 7 et 8 opposées du brevet FR'613.
38. Les demandes fondées sur la contrefaçon de ce brevet ne peuvent donc qu'être rejetées.
3o) Sur les pratiques commerciales trompeuses
Moyens des parties
39. A titre susbsidiaire, la société Skin'Up soutient que les allégations de la société Lanaform relatives à la composition de ses produits et/ou l'effet technique ne sont pas exactes et conduisent à tromper le consommateur sur les qualités et/ou caractéristiques essentielles des produits et altèrent substantiellement le comportement du consommateur au détriment société Skin'Up dont la clientèle se détourne.
40. La société Lanaform soutient que la contrefaçon de brevet et les pratiques commerciales trompeuses ne répondent pas aux mêmes conditions, ces dernières supposant la démonstration de comportements contraires aux exigences de la diligence professionnelle et de l'altération substantielle du comportement du consommateur. Elle fait valoir qu'il n'y aurait tromperie du consommateur que si les produits n'avaient strictement aucun effet amincissant, ce que ne prouve pas la société Skin'Up, qui n'établit pas par ailleurs une altération substantielle du comportement du consommateur.
Appréciation du tribunal
41. L'article L. 121-1 du code de la consommation prévoit que "Les pratiques commerciales déloyales sont interdites. Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service. (...) Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 (...)"
42. Selon l'article L. 121-2 du code de la consommation, "Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes : (...) 2o Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants : (...) b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition,(...)"
43. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice interprétant l'article 6, paragraphe 1, de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, dont les dispositions ci-dessus du code de la consommation réalisent la transposition en droit interne (point 47 de l'arrêt du 15 mars 2012, [P] et [Y], C-453/10 ; point 42 de l'arrêt du 19 septembre 2013, CHS Tour Services, C-435/11 ; point 34 de l'arrêt du 19 décembre 2013, [J] [L] srl, C-281/12), qu'une pratique commerciale est considérée comme trompeuse pour autant que l'information soit trompeuse (c'est à dire fausse) et qu'elle soit susceptible d'amener le consommateur à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise en l'absence d'une telle pratique.
44. Sont ici incriminées par la société Skin'up les mentions suivantes figurant sur le site Internet de la société Lanaform selon lequelles le produit Cosmetex leggings serait "doté d'une fibre intelligente à base de cristaux de céramique et de millions de microcapsules à base de nouveaux principes actifs cosmétiques, le Cosmetex legging agit de manière instantanée et pour une durée illimtée (...) L'efficacité est garantie jusuq'à 30 lavages".
45. Force est de constater qu'il n'est pas démontré que l'affirmation selon laquelle la présence des cristaux de céramique agit de manière permanente et que l'imprégnation de principes actifs perdure au-delà de 30 lavages des leggings est mensongère. Surtout, ces allégations n'apparaissent pas susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique d'un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé à l'égard des leggings commercialisés par la société Lanaform, ce consommateur étant habitué, dans le secteur des cosmétiques, aux commentaires excessivement laudatifs.
46. Les demandes de la société Skin'Up fondées sur les pratiques commerciales trompeuses sont donc rejetées.
47. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société Skin'up supportera les dépens et sera condamnée à payer à la société Lanaform la somme de 60.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
48. Nécessaire et compatible avec la nature de la décision, il y a lieu d'en ordonner l'exécution provisoire conformément aux dispositions de l'article 515 du code de procédure civile dans sa version applicable au présent litige eu égard à la date de l'assignation, sauf en ce qui concerne la transcription au RNB (article L. 613-27 du code de la propriété intellectuelle).
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
DÉCLARE NULLES les revendications 1, 7 et 8 du brevet français FR 2 999 613 de la société Skin'Up;
DIT que la présente décision, une fois passée en force de chose jugée, sera transmise à l'INPI, à l'initiative de la partie la plus diligente aux fins d'inscription au registre national des brevets ;
REJETTE les demandes de la société Skin'Up fondées sur la contrefaçon du brevet FR 2 999 613 et sur des pratiques commerciales trompeuses ;
CONDAMNE la société Skin'Up aux dépens ;
CONDAMNE la société Skin'Up à payer à la société Lanaform la somme de 60 000 par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision sauf en ce qui concerne la transcription au RNB.
Fait et jugé à Paris le 25 mai 2023.
LA GREFIERE LA PRESIDENTE