TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
3ème chambre
3ème section
No RG 19/07139 -
No Portalis 352J-W-B7D-CQC7L
No MINUTE :
Assignation du :
28 mai 2019,
16 et 28 avril 2021
JUGEMENT
rendu le 17 mai 2023 DEMANDEURS
Monsieur [E] [GU]
[Adresse 10]
[Localité 19]
S.A.R.L. PRODUCTIONS ALLELUIA - [E] [GU]
[Adresse 10]
[Localité 19]
S.A.R.L. TEME-EDITIONS PHONOGRAPHIQUES
[Adresse 10]
[Localité 19]
Madame [S] [Y] épouse [TB]
intervenante volontaire
[Adresse 21]
[Localité 20]
Madame [LL] [OA] épouse [X] intervenante volontaire
[Adresse 13]
[Localité 4]
Monsieur [Z] [A]
intervenant volontaire
[Adresse 1]
[Localité 9]
Madame [H] [A] épouse [V]
intervenante volontaire
[Adresse 2]
[Localité 9]
Monsieur [WL] [A]
intervenant volontaire
[Adresse 24]
[Localité 12]
Monsieur [ZA] [UI]
intervenant volontaire
[Adresse 11]
[Localité 16]
représentés par Maître Corinne POURRINET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0096
DÉFENDEURS
S.A.R.L. KCRAFT et CO
[Adresse 5]
[Localité 18]
représentée par Maître Sébastien HAAS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2251
S.A. FRANCE TELEVISIONS
[Adresse 14]
[Localité 18]
représentée par Maître Juan ZEDJAOUI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0631
Madame [H] [C]
[Adresse 6]
[Localité 15]
défaillant
Monsieur [G] [W]
[Adresse 8]
[Localité 17]
défaillant
Monsieur [WL] [TS]
[Adresse 3]
[Localité 15]
défaillant
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjoint
Linda BOUDOUR, juge
Arhtur COURILLON-HAVY, juge
assistés de Lorine MILLE, greffière,
DÉBATS
A l'audience du 18 janvier 2023 tenue en audience publique devant Jean-Christophe GAYET et Linda BOUDOUR, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir donné lecture du rapport, puis entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 19 avril 2023, puis prorogé au 17 mai 2023.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Réputé contradictoire
En premier ressort
___________________________
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
1. M. [E] [GU] est l'exécuteur testamentaire des droits d'auteur et droits voisins de [ZA] [KE] dit [N].
2. La société à responsabilité limitée (SARL) Productions Alléluia-[E] [GU], immatriculée au registre du commerce et des sociétés (RCS) de Paris le 20 décembre 1965 exerce une activité d'enregistrement sonore et d'édition musicale.
3. La SARL Teme-Éditions Phonographiques, immatriculée au RCS de Paris le 25 juin 1986 a pour activité l'acquisition et l'exploitation d'oeuvres musicales et artistiques.
4. La SARL Kcraft et Co produit et distribue des films et documentaires.
5. La société par actions (SA) France Télévisions est éditrice et productrice de chaînes télévisées généralistes.
6. Courant 2017, la SARL Kcraft et Co a souhaité produire un documentaire consacré à [ZA] [N] et exploitant les oeuvres dont M. [E] [GU] se prétend titulaire, alors que celui-ci s'était opposé à leur usage. Le documentaire, réalisé par M. [WL] [TS] et incluant une composition musicale de M. [AZ] [K], a été diffusé le 26 octobre 2018 sur la chaîne France 3, éditée par la SA France Télévisions.
7. Les 9 et 16 novembre 2018, M. [E] [GU], la société Productions Alléluia-[E] [GU] et la société Teme-Éditions Phonographiques ont mis en demeure les sociétés Kcraft et Co et France Télévisions de cesser la diffusion et l'exploitation du documentaire.
8. La SARL Kcraft et Co s'est opposée à la mise en demeure en contestant la titularité des droits des requérants.
9. Par actes d'huissier du 28 mai 2019, M. [E] [GU], la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et la société Teme-Éditions Phonographiques ont fait assigner les sociétés Kcraft et Co et France Télévisions et M. [TS] devant ce tribunal en contrefaçon de droits d'auteur.
10. Par assignations du 16 mars et du 28 avril 2021 enregistrées sous le numéro RG 21/6288, M. [E] [GU], la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et la société Teme-Éditions Phonographiques ont fait assigner Mme [H] [C] et M. [G] [W], en leurs qualités d'ayants droit des coauteurs des oeuvres litigieuses. Cette procédure a été jointe à la présente affaire par décision du juge de la mise en état du 27 mai 2021.
11. Par conclusions du 26 mai 2021, Mme [S] [Y], Mme [LL] [OA], M. [Z] [A], Mme [H] [A], M. [WL] [A] et M. [ZA] [UI], en leurs qualités d'ayants droit des coauteurs des oeuvres litigieuses, sont intervenus volontairement à la procédure, au soutien des prétentions des requérants.
12. M. [WL] [TS], assigné en personne par acte d'huissier du 28 mai 2019 n'a pas constitué avocat.
13. M. [G] [W], assigné en personne par acte d'huissier du 28 avril 2021 n'a pas constitué avocat.
14. Mme [H] [C], assignée par remise d'une copie de l'acte à l'étude de l'huissier le 16 mars 2021, après la vérification de son domicile et de l'absence de l'intéressée, n'a pas constitué avocat.
15. L'instruction a été close par ordonnance du 29 septembre 2022 et l'affaire fixée à l'audience du 18 janvier 2023 pour être plaidée.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
16. Dans leurs dernières conclusions au fond, notifiées par voie électronique le 29 juin 2022, M. [E] [GU] et les sociétés Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques ont demandé au tribunal, au visa des articles L.113-2, L.113-4, L.121-1, L.122-1, L.122-4, L.123-1, L.131-3, L.132-24, L.212-1, L.212-2, L.215-1, L.335-3 et L.335-4 du code de la propriété intellectuelle et de l'article 9 du code civil et au bénéfice de l'exécution provisoire, de :
- les déclarer recevables en leurs demandes, nonobstant l'absence de mise en cause de [AZ] [K] dans la présente instance
- les déclarer recevables en leurs demandes sur le fondement des dispositions de l'article L.113-3 du code de la propriété intellectuelle
- déclarer la société Productions Alléluia-[E] [GU] recevable en ses demandes, celle-ci justifiant de sa qualité d'éditeur et de ses droits, y compris d'adaptation audiovisuelle, sur les oeuvres musicales objet du présent litige intitulées : "Ma France", "Ma môme", "Deux enfants au soleil", "Nuit et brouillard", "Les yeux d'Elsa", "C'est beau la vie", "La fête aux copains", "Au bout de mon âge", "Nous dormirons ensemble", "Que serais-je sans toi ?", "Excusez-moi", "On ne voit pas le temps passer", "Hourrah", "400 enfants noirs", "Potemkine", "Tu es venu", "C'est si peu dire que je t'aime", "La Montagne", "A Santiago", "La délaissée", "Les demoiselles de magasin", "Ce qu'on est bien mon amour", "La matinée", "Un jour un jour", "J'entends, j'entends", "Le bilan", "Epilogue"
- déclarer la société Productions Alléluia-[E] [GU] recevable en ses demandes, nonobstant son adhésion à la SACEM
- déclarer la société Teme-Éditions Phonographiques recevable en ses demandes, celle-ci justifiant de sa qualité de producteur des vidéogrammes "[N] 85", "Star 90", et "[N] 95",
- déclarer M. [E] [GU] recevable à agir au titre de l'exercice du droit moral d'auteur et d'artiste interprète de [ZA] [N]
- déclarer que la société Kcraft et Co a porté atteinte aux droits exclusif de la société Productions Alléluia-[E] [GU], en procédant sans autorisation à l'adaptation audiovisuelle et à l'incorporation des 27 oeuvres musicales de [ZA] [N] ci-après listées, dont elle est l'éditeur, dans l'oeuvre documentaire intitulée "[ZA] [N], porteur d'espoir" : "Ma France", "Ma môme", "Deux enfants au soleil", "Nuit et brouillard", "Les yeux d'Elsa", "C'est beau la vie", "La fête aux copains", "Au bout de mon âge", "Nous dormirons ensemble", "Que serais-je sans toi ?", "Excusez-moi", "On ne voit pas le temps passer", "Hourrah", "400 enfants noirs", "Potemkine", "Tu es venu", "C'est si peu dire que je t'aime", "La Montagne", "A Santiago", "La délaissée", "Les demoiselles de magasin", "Ce qu'on est bien mon amour", "La matinée", "Un jour un jour", "J'entends, j'entends", "Le bilan", "Epilogue"
- condamner en conséquence la société Kcraft et Co à verser à la société Productions Alléluia-[E] [GU] 150 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice
- faire interdiction à la société Kcraft etCo de diffuser ou d'autoriser toute diffusion du documentaire litigieux tant qu'il intègrera les adaptations audiovisuelles illicites desdites oeuvres, sous astreinte du paiement de 1000 € par diffusion constatée ou par jour de mise à disposition en replay ou en vidéo à la demande du documentaire litigieux
- déclarer que la société Kcraft et Co a porté atteinte aux droits exclusif de la société Teme-Éditions Phonographiques, en reproduisant sans autorisation des extraits des enregistrements ci-après listés, dont elle est le producteur, dans l'oeuvre documentaire intitulée "[ZA] [N], porteur d'espoir" :
etgt; sept extraits du vidéogramme reproduisant l'émission "[N] 85" représentant [ZA] [N] en interview ou des vues d'Antraigues
etgt; un extrait de l'émission "Star 90" (1:45:34 à 1:45:54)
etgt; un extrait de la captation audiovisuelle de [ZA] [N] interprétant l'oeuvre musicale "Epilogue" tiré de l'émission "[N] 95" (1:50:05 à 1:51:05)
- condamner en conséquence la société Kcraft et Co à verser à la société Teme-Éditions Phonographiques 112 500 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice
- faire interdiction à la société Kcraft et Co de diffuser ou d'autoriser toute diffusion du documentaire litigieux tant qu'il intègrera lesdits enregistrements, sous astreinte du paiement de 1000 € par diffusion constatée ou par jour de mise à disposition en replay ou en vidéo à la demande du documentaire litigieux
- dire que les adaptations audiovisuelles de reproductions partielles des oeuvres de [ZA] [N] et leur incorporation dans le documentaire litigieux portent atteinte au droit moral de [ZA] [N],
- condamner en conséquence la société Kcraft et Co à verser à M. [E] [GU] 15 000 € en réparation du préjudice moral que ces atteintes lui ont causé es qualités de titulaire du droit moral sur les oeuvres de [ZA] [N]
- dire que la reproduction de nombreux extraits d'enregistrements sonores des interprétations chantées de [ZA] [N] associés à des images pour les illustrer, ainsi que de nombreux extraits de captations audiovisuelles de ses interprétations, portent atteinte au droit moral de [ZA] [N] en tant qu'artiste
- condamner la société Kcraft et Co à verser à M. [E] [GU] 15000 € en réparation du préjudice moral que ces atteintes lui ont causé es qualités de titulaire du droit moral sur les prestations d'artiste de [ZA] [N]
- dire que la société Kcraft et Co a porté atteinte au droit à l'image de M. [E] [GU] en reproduisant sans autorisation trois photographies et un extrait d'une captation audiovisuelle le représentant
- condamner la société Kcraft et Co à verser à M. [E] [GU] 5000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice
- ordonner à la société Kcraft et Co de supprimer les photographies représentant M. [E] [GU] dans le documentaire litigieux au plus tard dans le mois suivant le jugement à intervenir, ce sous astreinte du paiement de 1000 € par diffusion constatée ou par jour de mise à disposition en replay ou en vidéo à la demande du documentaire non modifié
- déclarer le jugement à intervenir commun à M. [WL] [TS] et à la société France Télévisions conformément aux dispositions de l'article 331 du code de procédure civile
- condamner la société la société Kcraft et Co à verser à chacun des requérants 5000 € HT, soit une somme totale de 15 000 € HT, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner la société Kcraft et Co aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Corinne Pourrinet en application de l'article 699 du code de procédure civile.
17. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 juin 2022, la SARL Kcraft et Co a conclu, au visa de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, des articles L.113-3, L.113-7, L.121-1, L.121-3, L.122-4, L.122-5, L.131-3, L.132-23, L.132-24, L.211-3, L.212-2, L.213-1, L.331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, des articles 699 et 700 du code de procédure civile, des articles 9, 102, 1240 du code civil à :
- avant toute défense au fond, sur les fins de non-recevoir :
etgt; prononcer les demandes de M. [E] [GU] et des sociétés les Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Editions Phonographiques irrecevables pour défaut de droit d'agir faute d'avoir mis en cause le coauteur du documentaire "[ZA] [N]", M. [AZ] [K] compositeur de la musique originale
etgt; prononcer les demandes de M. [E] [GU] au titre de la violation du droit moral de [ZA] [N] sur les oeuvres "Les Yeux d'Elsa", irrecevables pour défaut de droit d'agir faute d'avoir mis en cause les ayants droit de M. [I] [OA] en leur qualité d'ayant droit de [MC] [EW]
etgt; prononcer les demandes de la société Productions Alléluia-[E] [GU] au titre de la violation des droits d'adaptation des oeuvres musicales "Ma France", "Ma môme", "Deux enfants au soleil", "Nuit et brouillard", "C'est beau la vie", "La fête aux copains", "Au bout de mon âge", "Nous dormirons ensemble", "Que serais-je sans toi ?", "Excusez-moi", "On ne voit pas le temps passer", "Hourrah", "400 enfants noirs", "Potemkine", "La Délaissée", "Tu es venu", "C'est si peu dire que je t'aime", "La Montagne", "A Santiago", "Les demoiselles de magasin", "Ce qu'on est bien mon amour", "La matinée", "Un jour un jour", "J'entends, j'entends", et "Le bilan" irrecevables pour défaut de droit d'agir à défaut de démontrer sa qualité de titulaire des droits d'adaptation sur lesdites oeuvres
etgt; prononcer les demandes de la société Productions Alléluia-[E] [GU] au titre de la violation des droits de reproduction et de représentation des oeuvres musicales "Ma France", "Ma môme", "Deux enfants au soleil", "Nuit et brouillard", "Les yeux d'Elsa", "C'est beau la vie", "La fête aux copains", "Au bout de mon âge", "Nous dormirons ensemble", "Que serais-je sans toi ?", "Excusez-moi", "On ne voit pas le temps passer", "Hourrah", "400 enfants noirs", "Potemkine", "La Délaissée", "Tu es venu", "C'est si peu dire que je t'aime", "La Montagne", "A Santiago", "Les demoiselles de magasin", "Ce qu'on est bien mon amour", "La matinée", "Un jour un jour", "J'entends, j'entends", "Le bilan" et "Epilogue" irrecevables pour défaut de droit d'agir du fait de son adhésion à la SACEM et donc de l'apport à cette dernière des droits de reproduction et de représentation sur lesdites oeuvres
etgt; prononcer les demandes de la société Teme-Editions Phonographiques au titre des enregistrements "Star 90" et "[N] 95" irrecevables pour défaut de droit d'agir à défaut de démontrer sa qualité de producteur desdits enregistrements
etgt; prononcer les demandes de M. [E] [GU] au titre du droit moral d'auteur et d'artiste-interprète de [ZA] [N] irrecevables pour défaut du droit d'agir à défaut de démontrer une prorogation de sa mission d'exécuteur testamentaire
- au fond, sur les demandes de la société Productions Alléluia-[E] [GU], débouter la société Productions Alléluia-[E] [GU] de l'intégralité de ses demandes tendant à voir la société Kcraft et Co condamnée au titre de l'incorporation des oeuvres musicales "Ma France", "Ma môme", "Deux enfants au soleil", "Nuit et brouillard", "Les yeux d'Elsa", "C'est beau la vie", "La fête aux copains", "Au bout de mon âge", "Nous dormirons ensemble", "Que serais-je sans toi ?", "Excusez-moi", "On ne voit pas le temps passer", "Hourrah", "400 enfants noirs", "Potemkine", "La Délaissée", "Tu es venu", "C'est si peu dire que je t'aime", "La Montagne", "A Santiago", "Les demoiselles de magasin", "Ce qu'on est bien mon amour", "La matinée", "Un jour un jour", "J'entends, j'entends", "Le bilan" et "Epilogue" dans le documentaire "[ZA] [N]", cette incorporation ne constituant pas une adaptation audiovisuelle desdites oeuvres, mais une reproduction couverte par l'apport réalisé à la SACEM par les ayants droit et le contrat général de représentation conclu entre la société France Télévisions et la SACEM/SDRM
- à titre subsidiaire, débouter la société Productions Alléluia-[E] [GU] de ses demandes tendant à voir la société Kcraft et Co condamnée au titre de l'incorporation des oeuvres musicales "Ma France", "Ma môme", "Deux enfants au soleil", "Nuit et brouillard", "Les yeux d'Elsa", "C'est beau la vie", "La fête aux copains", "Au bout de mon âge", "Nous dormirons ensemble", "Que serais-je sans toi ?", "Excusez-moi", "On ne voit pas le temps passer", "Hourrah", "400 enfants noirs", "Potemkine", "La Délaissée", "Tu es venu", "C'est si peu dire que je t'aime", "La Montagne", "A Santiago", "Les demoiselles de magasin", "Ce qu'on est bien mon amour", "La matinée", "Un jour un jour", "J'entends, j'entends", "Le bilan" et "Epilogue" dans le documentaire "[ZA] [N]", cette incorporation étant couverte par le droit de citation prévu à l'article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle
- à titre infiniment subsidiaire, ramener le préjudice de la société Productions Alléluia-[E] [GU] au titre de la prétendue violation de son droit exclusif d'autoriser l'adaptation audiovisuelle à de plus justes proportions
- au fond, sur les demandes de la société Teme-Editions Phonographiques :
etgt; prendre acte du désistement de la société Teme-Editions Phonographiques au titre de ses demandes relatives à l'incorporation des enregistrements "Que ferais-je sans toi ?", "[N] 80" et "Banquet républicain"
etgt; débouter la société Teme-Editions Phonographiques de l'intégralité de ses demandes tendant à voir la société Kcraft et Co condamnée au titre de l'incorporation des extraits de l'enregistrement de "[N] 85" et, à titre subsidiaire dans l'hypothèse dans laquelle la société Teme-Editions Phonographiques serait déclarée recevable, de l'incorporation des extraits des enregistrements de "[N] 80", "Star 90" et "[N] 95", ces incorporations constituant des courtes citations échappant au monopole de la société Teme-Editions Phonographiques dans le respect de l'article L.211-3 du code de la propriété intellectuelle
- à titre subsidiaire, ramener le préjudice de la société Teme-Editions Phonographiques au titre de la prétendue violation de ses droits voisins à de plus justes proportions
- au fond, sur les demandes de M. [E] [GU]
etgt; débouter M. [E] [GU] de l'intégralité de ses demandes tendant à voir la société Kcraft condamnée au titre du droit moral d'auteur comme d'artiste de [ZA] [N] du fait de l'absence de démonstration d'une quelconque violation du droit moral et du fait de l'abus de droit constitué par ses demandes
etgt; débouter M. [GU] de ses demandes tendant à voir la société Kcraft et Co condamnée au titre d'une prétendue violation de son droit à l'image
- à titre infiniment subsidiaire, débouter M. [GU] et les sociétés Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Editions Phonographiques de l'intégralité de leurs demandes en raison du juste équilibre à trouver entre les droits de M. [GU] et des sociétés Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Editions Phonographiques d'une part, et les droits fondamentaux de liberté d'expression des coauteurs du documentaire et de droit à l'information du public
- à titre reconventionnel, condamner solidairement M. [GU] et les sociétés Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Editions Phonographiques à verser à la société Kcraft et Co 150 000 euros en réparation de son préjudice du fait de leurs agissements fautifs.
- en toutes hypothèses :
etgt; débouter M. [GU] et les sociétés Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Editions Phonographiques de l'intégralité de leurs demandes
etgt; débouter M. [GU] et les sociétés Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Editions Phonographiques de leurs demandes relatives à l'interdiction de diffusion sous astreinte et à l'article 700 du code de procédure civile
etgt; condamner solidairement M. [GU] et les sociétés Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Editions Phonographiques à verser à la société Kcraft et Co 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
18. Selon ses écritures signifiées par voie électronique le 17 mai 2022, la SA France Télévisions demande au tribunal, au visa des article 1032, 1842, 1843 du code civil, des articles L.113-3, L.131-3 et L.215-1 du code de la propriété intellectuelle, des articles 31 et 122 du code de procédure civile, de :
- déclarer la société Productions Alléluia-[E] [GU] irrecevable dans ses demandes en contrefaçon des droits d'auteur attachés aux chansons suivantes de [ZA] [N] : "Ma France", "Ma môme", "Deux enfants au soleil", "Nuit et brouillard", "Les yeux d'Elsa", "C'est beau la vie", "La fête aux copains", "Au bout de mon âge", "Nous dormirons ensemble", "Que serais-je sans toi ?", "Excusez-moi", "On ne voit pas le temps passer", "Hourrah", "400 enfants noirs", "Potemkine", "La Délaissée", "Tu es venu", "C'est si peu dire que je t'aime", "La Montagne", "A Santiago", "Les demoiselles de magasin", "Ce qu'on est bien mon amour", "La matinée", "Un jour un jour", "J'entends, j'entends", "Le bilan" et "Epilogue"
- déclarer la société Teme-Editions Phonographiques irrecevable dans ses demandes en contrefaçon des droits d'auteur et des droits voisins attachés aux supports et oeuvres suivants : le phonogramme intitulé "Que serais-je sans toi ?" produit en 1980, le vidéogramme intitulé "[N] 80", le vidéogramme intitulé "[N] 85", le vidéogramme intégré dans l'émission télévisée "[N] 95", l'émission télévisée "Star 90", le film d'un banquet républicain tenu en 1997
- déclarer M. [E] [GU] irrecevable dans ses demandes en contrefaçon des droits moraux d'auteur et des droits voisins attachés aux interprétations de [ZA] [N] reproduites dans le documentaire "[ZA] [N], porteur d'espoir" produit par la société Kcraft et Co, et aux chansons suivantes : "Ma môme", "Deux enfants au soleil", "Les yeux d'Elsa", "C'est beau la vie", "La fête aux copains", "Au bout de mon âge", "Nous dormirons ensemble", "Que serais-je sans toi ?", "Excusez-moi", "On ne voit pas le temps passer", "Hourrah", "400 enfants noirs", "Potemkine", "C'est si peu dire que je t'aime", "La Délaissée", "Ce qu'on est bien mon amour", "La matinée", "Un jour un jour", "J'entends, j'entends" et "Epilogue"
- déclarer que la société France Télévisions s'associe aux demandes formées par la société Kcraft et Co à l'encontre de M. [E] [GU], la société Productions Alléluia-[E] [GU] et la société Teme-Editions Phonographiques
- débouter M. [E] [GU], la société Productions Alléluia-[E] [GU] et la société Teme-Editions Phonographiques de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions
- condamner solidairement M. [E] [GU], la société Productions Alléluia-[E] [GU] et la société Teme-Editions Phonographiques - et à titre subsidiaire, la société Kcraft et Co - à payer à la société France Télévisions 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de la présente instance, qui pourront être recouvrés par Maître Juan-Carlos Zedjaoui.
MOTIFS DU JUGEMENT
I - Sur la recevabilité des demandes de M. [GU]
Moyens des parties
19. La SA France Télévisions soutient que l'action de M. [GU] est irrecevable, sa qualité d'exécuteur testamentaire ayant expiré faute de prorogation et celle fondée sur la seule divulgation des oeuvres posthumes étant inapplicable, faute de divulgation de toute oeuvre dans le documentaire litigieux. Elle ajoute que M. [GU] n'ayant pas été investi des droits moraux d'artiste-interprète de [ZA] [N], il ne saurait s'appuyer valablement sur le mandat de négociation que lui ont confié les héritiers. Elle excipe, également, de l'irrecevabilité de ses demandes au titre d'une atteinte au droit moral faute d'identifier les extraits d'enregistrements sonores et de captations audiovisuelles les fondant.
20. La SARL Kcraft et Co conclut dans les mêmes termes et précise que le testament olographe du 21 août 2007 de [ZA] [N] a investi sa veuve, Mme [R] [GD], de l'exercice des droits patrimoniaux et moraux des droits d'auteur et droits voisins de [ZA] [N], du fait de l'expiration de la mission d'exécuteur testamentaire de M. [GU].
21. M. [E] [GU] et les SARL Productions Alleluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques opposent que l'action du premier n'est pas fondée sur sa qualité d'exécuteur testamentaire de droit commun, mais en tant qu'exécuteur artistique et titulaire de l'exercice du droit moral de [ZA] [N] ainsi qu'en tant que mandataire exclusif de ses héritiers. Ils précisent que tant le testament authentique du 27 janvier 2003 que le testament olographe du 21 août 2007 le désignent pour l'ensemble des droits d'auteur et droits voisins et pour l'ensemble des oeuvres de [ZA] [N], de même que le mandat que lui ont confié les héritières.
Réponse du tribunal
I.1 - S'agissant de la qualité à agir de M. [GU]
22. L'article 31 du code de procédure civile prévoit que "l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé".
23. L'article 122 du même code dispose que "constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée".
24. En application de l'article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle, le droit au respect du nom, de la qualité et de l'oeuvre d'un auteur est transmissible à cause de mort à ses héritiers et son exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires.
25. Selon l'article L.121-2 du même code, "l'auteur a seul le droit de divulguer son oeuvre. Sous réserve des dispositions de l'article L.132-24, il détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci.
Après sa mort, le droit de divulgation de ses oeuvres posthumes est exercé leur vie durant par le ou les exécuteurs testamentaires désignés par l'auteur. A leur défaut, ou après leur décès, et sauf volonté contraire de l'auteur, ce droit est exercé dans l'ordre suivant : par les descendants, par le conjoint contre lequel n'existe pas un jugement passé en force de chose jugée de séparation de corps ou qui n'a pas contracté un nouveau mariage, par les héritiers autres que les descendants qui recueillent tout ou partie de la succession et par les légataires universels ou donataires de l'universalité des biens à venir.
Ce droit peut s'exercer même après l'expiration du droit exclusif d'exploitation déterminé à l'article L.123-1".
26. L'article 1014 du code civil prévoit que "tout legs pur et simple donnera au légataire, du jour du décès du testateur, un droit à la chose léguée, droit transmissible à ses héritiers ou ayants cause".
27. Aux termes de l'article 1032 du code civil, "la mission de l'exécuteur testamentaire prend fin au plus tard deux ans après l'ouverture du testament sauf prorogation par le juge".
28. À l'exclusion du droit de divulgation, le droit moral de l'auteur est régi par les règles ordinaires de la dévolution successorale et celles de la validité des testaments (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 11 janvier 1989, no87-11.976 ; même chambre, 28 mai 2015, no14-14.506).
29. Au cas présent, il résulte d'une attestation notariée (pièce des demandeurs no2) que par testament authentique du 27 janvier 2003, [ZA] [N] a institué M. [GU] en tant qu'exécuteur testamentaire en ces termes : "je désigne pour exécuteur testamentaire (exécuteur artistique) Monsieur [E] [GU] pour tous les aspects liés à mon Droit d'auteur et tous droits voisins en particulier le droit de divulgation. J'investis également Monsieur [E] [GU] de l'exercice des attributs de mon droit moral d'auteur sur l'ensemble de mes oeuvres. Je lui confère mission de faire assurer partout et en toutes circonstances le respect de mon nom, de ma qualité et de mes oeuvres et de divulguer, au moment où il le jugera opportun et selon les modes qu'il avisera, les oeuvres que je laisserais achévées à mon décès (...)". La même attestation mentionne qu'aux "termes du testament sus relaté, ainsi que d'un testament olographe en date du 21 août 2007, il a été précisé que toutes les prérogatives conférées par les présentes à Monsieur [E] [GU] seront exercées, à défaut de celui-ci ou à son décès, par "mon épouse [R], à défaut de celui-ci ou à son décès par [JN] [P], à défaut successivement mes nièces ([J] [KE], [BL] [T], [NJ] [F]) par ordre d'âge (la plus âgée d'abord)".
30. Ainsi, [ZA] [N] a institué M. [E] [GU] en qualité d'exécuteur testamentaire de son droit moral d'auteur, y compris celui portant sur son droit d'artiste-interprète, dès lors que le testament vise "tous les aspects" du droit d'auteur et "tous droits voisins".
31. Toutefois, les termes de ce testament instituent, par la mention "J'investis également Monsieur [E] [GU] de l'exercice des attributs de mon droit moral d'auteur sur l'ensemble de mes oeuvres", M. [GU], comme légataire du droit moral de [ZA] [N].
32. Dès lors, M. [E] [GU] est recevable en ses demandes, peu important qu'il les ait improprement fondées sur sa qualité d'exécuteur testamentaire du droit moral d'artiste et artiste-interprète de [ZA] [N], non sur sa qualité de légataire de ce droit.
I.2 - S'agissant du caractère indistinct des demandes de M. [GU]
33. Il résulte de l'article 768 du code de procédure civile que les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
34. La SA France Télévisions expose dans la partie discussion de ses conclusions (page 16) que "le demandeur invoque une atteinte au droit moral résultant de "nombreux extraits" d'enregistrements sonores et de captations audiovisuelles sans pour autant prendre le soin d'identifier les extraits en cause, ce qui prive le Tribunal de la possibilité de se prononcer sur ses demandes" et demande dans le dispositif de "déclarer M. [E] [GU] irrecevable dans ses demandes en contrefaçon des droits moraux d'auteur et des droits voisins attachés aux interprétations de [ZA] [N]".
35. Toutefois, d'une part, la société France Télévisions ne vise aucune disposition au soutien de son allégation, d'autre part, il résulte des conclusions de M. [GU] qu'il vise à plusieurs reprises les extraits du documentaire litigieux qu'il argue de contrefaçon par atteinte au droit moraux d'auteur et d'artiste-interprète de [ZA] [N], notamment page 31 quarante-sept extraits des chansons litigieuses avec le minutage correspondant dans le documentaire litigieux, page 32 dix-neuf extraits minutés associés à des images et page 34 vingt-sept extraits minutés.
36. Par conséquent, la demande des sociétés France Télévisions et Kcraft et Co tendant à voir M. [GU] déclaré irrecevable à agir au titre du droit moral d'auteur et d'artiste-interprète de [ZA] [N] sera rejetée.
II - Sur le défaut de mise en cause des coauteurs
Moyens des parties
37. La société Kcraft et Co reproche aux demandeurs de n'avoir pas mis en cause le compositeur des musiques du documentaire litigieux alors qu'ils ont mis en cause le réalisateur afin de lui rendre le jugement commun, non plus que les ayants droit du coauteur de la composition de la chanson "Les yeux d'Elsa", arguée de contrefaçon.
38. La SA France Télévisions estime que le statut d'ayants droit de plusieurs des coauteurs des chansons de [ZA] [N] n'est pas établi par les demandeurs, rendant les demandes au titre des chansons concernées irrecevables.
39. M. [E] [GU] et les SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques assurent, d'une part, que la mise en cause du compositeur de la musique du documentaire litigieux n'est pas nécessaire, dès lors que leurs demandes ne sont pas dirigées contre lui, mais exclusivement contre l'exploitant et le diffuseur d'une oeuvre de collaboration seconde, d'autre part, que l'ensemble des ayants droit des oeuvres de collaboration de [ZA] [N] ont bien été mis en cause.
Réponse du tribunal
40. L'article L.113-3 du code de la propriété intellectuelle prévoit que "l'oeuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs.
Les coauteurs doivent exercer leurs droits d'un commun accord.
En cas de désaccord, il appartient à la juridiction civile de statuer.
Lorsque la participation de chacun des coauteurs relève de genres différents, chacun peut, sauf convention contraire, exploiter séparément sa contribution personnelle, sans toutefois porter préjudice à l'exploitation de l'oeuvre commune".
II.1 - S'agissant du défaut de mise en cause du coauteur du documentaire litigieux
41. La recevabilité de l'action engagée par l'auteur de l'oeuvre première et dirigée exclusivement à l'encontre de l'exploitant d'une oeuvre de collaboration arguée de contrefaçon n'est pas subordonnée à la mise en cause de l'ensemble des coauteurs de celle-ci (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 11 décembre 2013, pourvoi no12-25.974).
42. Il s'en déduit que l'absence de mise en cause de M. [AZ] [K], dont il n'est pas contesté qu'il est coauteur du documentaire litigieux pour en avoir composé la musique, est sans incidence sur la recevabilité des demandes, dès lors qu'aucune demande n'est dirigée contre lui.
43. Ce moyen sera, en conséquence, écarté.
II.2 - S'agissant du défaut de mise en cause des ayants droit des coauteurs des chansons de [ZA] [N]
44. Il résulte de l'article L.113-3 du code de la propriété intellectuelle que la recevabilité de la demande d'un coauteur agissant en justice pour la défense de ses droits patrimoniaux est subordonnée à la mise en cause des coauteurs de l'oeuvre (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 5 décembre 1995, no93-13.559).
45. Toutefois, c'est seulement lorsque l'action a été engagée par le coauteur d'une oeuvre de collaboration pour la défense de ses droits patrimoniaux qu'est exigée, à peine d'irrecevabilité, la mise en cause des autres auteurs de l'oeuvre (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 4 octobre 1988, no86-19.272, pour une application plus récente de ce principe Cour de cassation, 1ère chambre civile, 22 mars 2012, no10-18.491).
46. S'agissant de la défense de ses droits moraux, un coauteur peut agir seul, mais à la condition que sa contribution puisse être individualisée (en ce sens Cour de cassation, 1re chambre civile, 21 mars 2018, no17-14.728).
47. S'agissant des demandes au titre des droits moraux et patrimoniaux des chansons de [ZA] [N] dont la recevabilité est contestée, les demandeurs versent aux débats :
- la déclaration de succession de feu [KV] [Y], coauteur de la chanson "Ma môme", de laquelle il ressort que Mme [S] [Y] épouse [TB] en est la seule héritière (pièce des demandeurs no44)
- une attestation de notoriété du 8 octobre 2004 suite au décès de [M] [A], coauteur des chansons "La fête aux copains" et "Potemkine", de laquelle il ressort que viennent à sa succession : sa veuve, Mme [XT] [IB], et ses enfants, Mme [H] [A] et MM. [Z] et [WL] [A] (pièce des demandeurs no47)
- un courrier du 16 octobre 2020 du notaire en charge de la succession de feue [HK] [D], dite [FM], coauteure de la chanson "C'est beau la vie", duquel il ressort qu'elle détenait des droits dans la succession de feue [U] [B], coauteure de la même chanson et une attestation de notoriété du 28 septembre 2020 suite au décès de [HK] [D] de laquelle il ressort que Mme [H] [C] en est la seule héritière (pièces des demandeurs no48 et 49)
- un acte de notoriété du 17 octobre 2005 suite au décès de [O] [MT], veuve de [MC] [OA], dont il n'est pas contesté qu'il est le coauteur de la chanson "Les yeux d'Elsa", de laquelle il ressort que viennent à sa succession ses deux enfants, Mme [LL] [OA] épouse [X] et [I] [OA], lui-même décédé le [Date décès 7] 2021, selon un extrait d'un site internet non précisé (pièces des demandeurs no55 et 58)
- un testament olographe du 2 juin 2001 de [O] [MT] mentionnant que "par ailleurs, il est bon de noter qu'elle seule [i.e. Mme [LL] [OA] épouse [X]] est susceptible, à l'avenir, d'assurer la suite de son défunt père auprès des sociétés d'auteurs et éditeurs et vérifier la bonne exécution des contrats passés dans ce domaine"(pièce des demandeurs no57)
- un courrier du 10 juin 2022 de Mme [LL] [OA] épouse [X] transmettant à M. [GU] deux des pièces précitées et mentionnant qu'elle est "seule gestionnaire des droits de son père" (pièce des demandeurs no59).
48. Ainsi, la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] justifie suffisamment que les droits de feu [KV] [Y] au titre de la chanson "Ma môme" ont été dévolus à Mme [Y] qui est dans la cause.
49. En revanche, elle ne justifie pas de la mise en cause de Mme [XT] [IB] au titre des droits patrimoniaux des chansons "La fête aux copains" et "Potemkine" ou que Mme [H] [A] et MM. [Z] et [WL] [A] en aient hérité.
50. De même, elle ne justifie pas que Mme [H] [C] serait seule héritière des droits de feue [U] [B], la mention selon laquelle [HK] [D] détiendrait des droits dans la succession de celle-ci étant insuffisante à cet égard. La mise en cause de l'ensemble des ayants droit de feue [U] [B] n'est, de ce fait, pas démontrée.
51. Il ne résulte pas, non plus, des pièces produites que [I] [OA] serait décédé sans succession et le testament olographe du 2 juin 2001 de [O] [MT] est insuffisant à démontrer qu'elle a pu transmettre à Mme [LL] [OA] épouse [X] l'ensemble des droits patrimoniaux de son défunt mari en l'absence de disposition particulière à la succession de celui-ci. La seule intervention de Mme [LL] [OA] épouse [X] au soutien de l'action de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] au titre des droits patrimoniaux de la chanson "Les yeux d'Elsa" est, dès lors, insuffisante à établir l'intervention de l'ensemble des ayants droit de [MC] [OA] dit [EW].
52. En conséquence, la SARL Production Alléluia-[E] [GU] sera déclarée irrecevable en ses demandes au titre des droits patrimoniaux des chansons "La fête aux copains", "Potemkine", "C'est beau la vie" et "Les yeux d'Elsa".
53. Par ailleurs, il n'est pas contesté que les demandes de M. [GU] se fondent exclusivement sur le droit moral de [ZA] [N].
54. À cet égard, s'agissant de la chanson "Les yeux d'Elsa", les contrats de cession et d'édition produits aux débats mentionnent "poème d'[L] - musique [ZA] [N] et [MC] [EW]", en sorte que la contribution de [ZA] [N] à sa composition musicale n'est pas séparable de celle de [MC] [OA] dit [EW], outre que cette contribution n'est pas explicitée par M. [GU] (pièces des demandeurs 5.23 à 5.23 ter).
55. Dès lors, de même que pour les droits patrimoniaux relatifs à cette oeuvre, les demandeurs ne démontrent pas que le seul attrait à l'instance de Mme [LL] [OA] suffit à établir l'intervention de l'ensemble des ayants droit de [MC] [OA] dit [EW].
56. S'agissant des droits moraux des chansons "La fête aux copains"et "Potemkine", les contrats de cession et d'édition produits mentionnent "paroles de [M] [A] musique de [ZA] [N]". La contribution de [ZA] [N] à ces chansons est, de ce fait, séparable de celle de [M] [A].
57. Ainsi, la circonstance que la mise en cause de Mme [XT] [IB] ou les droits de Mme [H] [A] et MM. [Z] et [WL] [A] au titre des droits moraux des chansons "La fête aux copains" et "Potemkine" ne soit pas établis est sans incidence sur la recevabilité des demandes de M. [GU] à ce titre.
58. En conséquence, M. [GU] sera déclaré irrecevable à agir au titre du droit moral de la chanson "Les yeux d'Elsa" et le surplus de la fin de non-recevoir des sociétés Kcraft et Co et France Télévisions relative à la titularité des droits moraux de [ZA] [N] exercés par M. [GU] sera rejetée.
III - Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de titularité de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] sur les droits patrimoniaux d'auteur des chansons litigieuses
Moyens des parties
59. La SA France Télévisions considère que la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] n'est pas titulaire des droits patrimoniaux d'auteur de quatorze des vingt-sept chansons de [ZA] [N] dans la mesure où les contrats de cession et d'édition de ces chansons sont antérieurs à la date de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Elle ajoute que la cession de fonds de commerce intervenue en 2013 et alléguée par les demandeurs n'est pas versée aux débats et concerne un fonds de commerce de production audiovisuelle, non d'édition musicale, outre que ce moyen n'est pas soumis à la prescription quinquennale. Par ailleurs, selon elle, la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] ne justifie pas s'être fait céder les droits d'adaptation audiovisuelle des vingt-sept chansons qu'elle revendique, rendant ses demandes à ce titre irrecevables.
60. La SARL Kcraft et Co conclut qu'au regard des pièces versées, la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] est recevable à exciper de sa qualité d'éditeur, mais qu'à l'exception des oeuvres "Épilogue" et "Les yeux d'Elsa", elle ne justifie d'aucune cession du droit d'adaptation audiovisuelle, alors que cette demanderesse prétend que l'incorporation des oeuvres musicales dans le documentaire litigieux constitue une adaptation audiovisuelle illicite.
61. M. [E] [GU] et les SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques répondent que les contrats de cession et d'édition conclus antérieurement à l'immatriculation de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] lui ont été apportés lors de l'acquisition d'un fonds de commerce du 28 juin 2013. Ils avancent que les défenderesses ne sont pas recevables à discuter de la capacité de cette requérante à conclure ces contrats qui n'ont jamais été contestés par les auteurs concernés ou leurs ayants droit, outre qu'elles ne sont plus recevables à le faire plus de cinquante-cinq ans après leur conclusion. Ils objectent que les contrats de cession produits incluent le droit d'adaptation audiovisuelle, dont le caractère distinct n'a été imposé qu'à compter du 1er janvier 1986, les deux contrats postérieurs le prévoyant.
Réponse du tribunal
III.1 - S'agissant de la cession des droits patrimoniaux d'auteur des chansons litigieuses à la SARL Productions Alléluia-[E] [GU]
62. L'article 1842 du code civil prévoit que "les sociétés autres que les sociétés en participation visées au chapitre III jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation.
Jusqu'à l'immatriculation, les rapports entre les associés sont régis par le contrat de société et par les principes généraux du droit applicable aux contrats et obligations".
63. Selon l'article L.210-6 du code de commerce, "les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. La transformation régulière d'une société n'entraîne pas la création d'une personne morale nouvelle. Il en est de même de la prorogation.
Les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société".
64. En l'occurrence, la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] verse aux débats une attestation notariée du 28 juin 2013 de laquelle il ressort que cette société a acquis de M. [GU] "un fonds de commerce de production audiovisuelle connu sous le nom de Productions musicales Alléluia [E] [GU] exploité à [Localité 25] (...)" (pièce des demandeurs no36). Ce fonds de commerce inclut "l'intégralité des contrats d'édition conclus par le cédant relatés dans le catalogue éditorial ci-annexé (...)" (pièce des demandeurs no50). Elle produit également les quatorze contrats de cession conclus par [ZA] [N] et ses coauteurs avec "les Productions Alléluia ([E] [GU])" portant sur les chansons "Ma môme", "Deux enfants au soleil", "Nuit et brouillard", "C'est beau la vie", "La fête aux copains", "Au bout de mon âge", "Nous dormirons ensemble", "Que serai-je sans toi ?", "On ne voit pas le temps passer", "Hourrah", "400 enfants noirs", "C'est si peu dire que je t'aime", "La montagne", "J'entends, j'entends" (pièces des demandeurs no5.1 à 5.13).
65. La SARL Productions Alléluia-[E] [GU] justifie, par ces pièces, qu'elle est titulaire des droits patrimoniaux d'auteur des quatorze chansons litigieuses et, par conséquent, recevable à agir en contrefaçon de ces droits.
III.2 - S'agissant des droits d'adaption audiovisuelle des vingt-sept chansons litigieuses
66. L'article 31 de la loi no57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, applicable aux contrats conclus entre le 15 mars 1957 et le 31 décembre 1985, prévoit que "les contrats de représentation et d'édition définis au III de la présente loi doivent être constaés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d'exécution.
Dans tous les autres cas, les dispositions des articles 1341 à 1348 du code civil sont applicables.
La transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et à la durée.
Lorsque des circonstances spéciales l'exigent, le contrat peut être valablement conclu par échange de télégrammes, à condition que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité conformément aux termes du troisième alinéa du présent article".
67. Ce même article 31 de la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, dans sa rédaction issue de la loi no85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d'auteur et aux droits d'artiste-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle, applicable aux contrats conclus entre le 1er janvier 1986 et le 3 juillet 1992 dispose que "les contrats de représentation, d'édition et de production audiovisuelle définis au III de la présente loi doivent être constatés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d'exécution.
Dans tous les autres cas, les dispositions des articles 1341 à 1348 du code civil sont applicables.
La transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et à la durée.
Lorsque des circonstances spéciales l'exigent, le contrat peut être valablement conclu par échange de télégrammes, à condition que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité conformément aux termes du troisième alinéa du présent article.
Les cessions portant sur les droits d'adaptation audiovisuelle doivent faire l'objet d'un contrat écrit sur un document distinct du contrat relatif à l'édition proprement dite de l'oeuvre imprimée.
Le bénéficiaire de la cession s'engage par ce contrat à rechercher une exploitaion du droit cédé conformément aux usages de la profession et à verser à l'auteur, en cas d'adaptation, une rémunération proportionnelle aux recettes perçues".
68. Sans avoir à prouver son titre, toute personne qui exploite une oeuvre a qualité et intérêt pour poursuivre en contrefaçon un tiers qui ne revendique aucun droit sur elle ; en outre, le principe d'interprétation stricte qui gouverne les cessions de droits d'auteur ne concerne que les rapports de l'auteur et du cessionnaire (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 19 octobre 2004, no02-16.057).
69. En l'occurrence, les chansons "Ma France", "Ma môme", "Deux enfants au soleil", "Nuit et brouillard", "C'est beau la vie", "La fête aux copains", "Au bout de mon âge", "Nous dormirons ensemble", "Que serais-je sans toi ?", "Excusez-moi", "On ne voit pas le temps passer", "Hourrah", "400 enfants noirs", "Potemkine", "La Délaissée", "Tu es venu", "C'est si peu dire que je t'aime", "La Montagne", "A Santiago", "Les demoiselles de magasin", "Ce qu'on est bien mon amour", "La matinée", "Un jour un jour", "J'entends, j'entends", "Les yeux d'Elsa", "Le bilan" et "Epilogue" ont fait l'objet de contrats d'édition et de cession de droits patrimoniaux d'auteur conclus entre le 15 novembre 1960 et le 15 octobre 2001 au profit de la société Productions Alléluia ([E] [GU]), aux droits de laquelle vient la SARL productions Alléluia-[E] [GU] (pièces des demandeurs no5.1 à 5.21).
70. La demande fondée sur l'absence de titularité des droits d'adaption audiovisuelle des vingt-sept chansons litigieuses sera, en conséquence, rejetée.
IV - Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] faute de titularité des droits d'adaptation
Moyens des parties
71. La SA France Télévisions estime que l'adhésion de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] à la société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) a pour conséquence de la rendre irrecevable à agir au titre des droits qu'elle y a apportés, tandis que sa propre adhésion l'autorise à utiliser les oeuvres appartenant au répertoire de la SACEM. Elle ajoute qu'en l'absence de toute transformation des chansons utilisées pour illustrer le documentaire litigieux, la qualification d'adaptation audiovisuelle de leur insertion, même partielle, est exclue.
72. La SARL Kcraft et Co soutient, également, que l'adhésion de cette demanderesse à la SACEM ne lui permet pas de s'opposer à la reproduction des oeuvres musicales dans le documentaire litigieux, dès lors que ces oeuvres n'ont subi aucune modification. Elle argue que la rémunération de cette demanderesse et des ayants droit de [ZA] [N] est intervenue étant donné qu'elle a procédé à la déclaration des oeuvres reproduite à la SACEM.
73. M. [E] [GU] et les SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques considèrent que l'adhésion à la SACEM de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] n'inclut pas le droit d'adaption audiovisuelle et que l'incorporation dans une oeuvre composite, tel le documentaire litigieux, des vingt-sept chansons litigieuses relève de ce droit, dès lors qu'elles ne font pas l'objet d'une simple reproduction, mais d'une mise en image constituant une véritable adaptation. Ils font valoir que le législateur a fait de l'incorporation de l'oeuvre première dans l'oeuvre seconde un cas particulier supposant un accord de l'auteur ou de ses ayants droit ne relevant pas du droit de reproduction mécanique apporté à la SACEM, outre que le producteur de l'oeuvre audiovisuelle étant tiers au contrat conclu entre la SACEM et les éditeurs de services de télévision, il ne saurait produire d'effet à l'égard de la SARL Kcraft et Co.
Réponse du tribunal
74. Aux termes de l'article L.113-4 du code de la propriété intellectuelle, "l'oeuvre composite est la propriété de l'auteur qui l'a réalisée, sous réserve des droits de l'auteur de l'oeuvre préexistante".
75. En application de l'article L.321-1 du code de la propriété intellectuelle, "les organismes de gestion collective sont des personnes morales constituées sous toute forme juridique dont l'objet principal consiste à gérer le droit d'auteur ou les droits voisins de celui-ci pour le compte de plusieurs titulaires de ces droits, tels que définis aux livres Ier et II du présent code, à leur profit collectif, soit en vertu de dispositions légales, soit en exécution d'un contrat".
76. Il ressort de l'article 1er des statuts de la SACEM que "tout auteur, auteur-réalisateur ou compositeur admis à adhérer aux présents Statuts fait apport à la société, du fait même de cette adhésion, en tous pays et pour la durée de la société, du droit d'autoriser ou d'interdire l'exécution ou la représentation publique de ses oeuvres, dès que créées" et de l'article 2 que "du fait même de leur adhésion aux présents Statuts, les Membres de la société lui apportent, à titre exclusif et pour tous pays, le droit d'autoriser ou d'interdire la reproduction mécanique de leurs oeuvres telles que définies à l'article 1er ci-dessus, par tous moyens connus ou à découvrir".
77. En l'espèce, il n'est pas contesté et il ressort des vingt-sept contrats de cession des droits patrimoniaux d'auteur des vingt-sept chansons litigieuses que les droits de reproduction et de représentation en ont été apportés à la SACEM (pièces des demandeurs no5.1 à 5.23).
78. Il est également constant que la SA France Télévisions dispose d'un contrat général de représentation et de reproduction conclu le 15 juin 2012 avec la SACEM qui stipule que cette dernière l'autorise à utiliser "les oeuvres appartenant au répertoire de la SACEM (...) pour les besoins de la réalisation et de la diffusion des programmes compris dans les Services (...)" lesquels sont définis au paragraphe 2 du préambule comme désignant "les services de télévision France 2, France 3, (...)" (sa pièce no2).
79. Les demandeurs ne contestent pas plus que les différentes incorportations des vingt-sept chansons litigieuses de [ZA] [N] dans le documentaire "[ZA] [N]", diffusé le 26 octobre 2018 sur la chaîne France 3, l'ont été sans que lesdites chansons aient été altérées dans leurs paroles ou leurs musiques.
80. Or, l'incorporation de ces chansons, même de manière partielle, sans modification, en constitue une reproduction de chacune d'elle, non une adaptation, au contraire de ce que soutiennent les demandeurs.
81. Par ailleurs, il ressort de la déclaration effectuée par la SARL Kcraft et Co le 2 décembre 2018 que les redevances dues au titre des droits de reproduction d'auteur ont été réglées, peu important à cet égard que le règlement ait été opéré au titre du contrat liant la SA France Télévisions à la SACEM (sa pièce no13).
82. Dès lors, ces reproductions incorporées au documentaire litigieux ont été opérées avec l'accord de la SACEM et ne nécessitaient pas l'accord préalable de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU].
83. En conséquence, les demandes de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] fondées sur les droits patrimoniaux d'auteur des vingt-sept chansons de [ZA] [N] litigieuses seront rejetées.
V - Sur la recevabilité des demandes de la SARL Teme-Éditions Phonographiques
Moyens des parties
84. La SA France Télévisions avance que la SARL Teme-Éditions Phonographiques est irrecevable à agir au titre du phonogramme "Que serai-je sans toi ?" et des vidéogrammes qu'elle argue de contrefaçon, faute de reproduction du vidéogramme "[N] 80", faute de démontrer sa qualité de productrice des vidéogrammes "[N] 95", pour lequel le contrat produit ne permet pas l'identifier, et "Star 90", le droit acquis par cette défenderesse ne concernant que les séquences constituant le pendant de l'album "[ZA] [N] 91", non le reste de l'émission.
85. La SARL Kcraft et Co reprend ces mêmes moyens, exposant qu'elle a acquis le droit de reproduction des images du vidéogramme "[N] 80" auprès de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), ceux de reproduction du vidéogramme "Star 90" auprès de la société qui les détient, l'extrait utilisé échappant aux droits acquis par la SARL Teme-Éditions Phonographiques et que cette dernière ne justifie pas que l'extrait utilisé dans le documentaire litigieux serait celui du vidéogramme "[N] 95" sur lequel elle détient des droits.
86. M. [E] [GU] et les SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques répliquent que cette dernière justifie, par un contrat de coproduction, de ses droits sur le vidéogramme "[N] 85" reproduit dans le documentaire litigieux ainsi qu'il ressort des mentions du générique, par un autre contrat de coproduction, de ses droits sur le vidéogramme "Star 90", sans distinction entre les parties plateau et les interprétations des chansons de [ZA] [N], par un accord de cession, de ses droits sur le vidéogramme "[N] 95", utilisé par la SARL Kcraft et Co selon le conducteur de droits qu'elle a elle-même versé aux débats.
Réponse du tribunal
87. Aux termes de l'article L.215-1 du même code, "le producteur de vidéogrammes est la personne, physique ou morale, qui a l'initiative et la responsabilité de la première fixation d'une séquence d'images sonorisée ou non".
88. A titre liminaire, il sera relevé que la SARL Teme-Éditions Phonographiques fonde des demandes sur un vidéogramme intitulé "[N] 85", tandis que la SA France Télévisions oppose une fin de non-recevoir tirée de l'absence de droit que cette société détiendrait sur un vidéogramme "[N] 80".
89. De même, la SA France Télévisions maintient que les demandes de la SARL Teme-Éditions Phonographiques fondées sur le phonogramme "Que serais-je sans toi ?" sont irrecevables, alors que cette dernière a renoncé à cette demande (conclusions des demandeurs pages 22 et 35).
90. Ces moyens sont, dès lors, sans portée.
91. S'agissant des demandes de la SARL Teme-Éditions Phonographiques au titre des droits patrimoniaux du vidéogramme "Star 90" dont la recevabilité est contestée, celle-ci verse aux débats un contrat de coproduction avec la société Productions DMD du 16 juin 1992, dont la partie droite est tronquée, mentionnant en son article 3 que "la société Teme se voit reconnaître, sans limitation de temps et d'espace, le droit d'exploiter (...) de faire exploiter, en exclusivité et librement, sur tous supports (...), sous toutes formes (...) tout ou partie du film reproduisant l'interprétation par l'artiste des oeuvres composant l'album "[N] 91" (...) Par ailleurs la société Teme pourra, librement et sans restriction aucune, inclure le film vidéo, en tout ou partie, dans toute oeuvre audiovisuelle, de quelque durée que ce soit, que (...) ait trait ou non à l'artiste" (pièce des demandeurs no9).
92. Il en résulte qu'en application de ce contrat la SARL Teme-Éditions Phonographiques ne s'est vue attribuée que les droits d'exploitation portant sur "l'interprétation par l'artiste des oeuvres composant l'album "[N] 91" et seulement des droits de reproduction sur les autres parties du vidéogramme.
93. Or, il n'est pas contesté que le documentaire litigieux reproduit un extrait de vingt secondes du vidéogramme "Star 90" montrant [ZA] [N] arrivant sur le plateau de l'émission (conclusions des demandeurs page 35 et de la SARL Kcraft et Co page 20). Cet extrait n'est, de ce fait, pas inclus dans les droits d'exploitation acquis pas la SARL Teme-Éditions Phonographiques, mais dans ceux de la société Productions DMD.
94. En conséquence, la demande de la SARL Teme-Éditions Phonographiques fondée sur des droits d'exploitation sur les parties du vidéogramme "Star 90" autres que portant sur l'interprétation par [ZA] [N] des oeuvres composant l'album "[N] 91" sera rejetée.
95. S'agissant des demandes de la SARL Teme-Éditions Phonographiques au titre des droits patrimoniaux du vidéogramme "[N] 95" dont la recevabilité est contestée, celle-ci verse aux débats un contrat du 19 septembre 1994 avec la société Productions DMD intitulé "accord de cession de droits", signé des représentants des parties, mentionnant en objet que "la société DMD a souhaité produire une émission spéciale intitulée "[N] 95" (ci-après dénommée oeuvre dérivée) incluant "l'oeuvre primaire". Cette émission sera diffusée le 14 novembre sur France 2. (...) Teme donne son accord pour que l'oeuvre primaire soit incluse dans l'oeuvre dérivée. Cet accord est donné pour une diffusion unique de l'oeuvre dérivée, programmée le 14 octobre sur France 2 (...)" (pièce des demandeurs no10bis).
96. La SARL Teme-Éditions Phonographiques démontre par cette pièce qu'elle détient des droits d'exploitation d'une oeuvre primaire reproduite dans le vidéogramme "[N] 95".
97. Toutefois, cette oeuvre primaire n'est pas précisée dans le contrat du 19 septembre 1994 versé aux débats et la SARL Teme-Éditions Phonographiques n'appuie pas ses prétentions sur la contrefaçon de cette oeuvre primaire.
98. De plus, ni ce contrat du 19 septembre 1994, ni aucune pièce, n'établit que la SARL Teme-Éditions Phonographiques se soit vue attribuée les droits d'exploitation du vidéogramme "[N] 95".
99. Ainsi, la seule constatation que cette demanderesse détiendrait des droits sur une oeuvre primaire reproduite dans le vidéogramme "[N] 95" est insuffisante à justifier ses demandes sur le fondement de droits qu'elle détiendrait sur le vidéogramme "[N] 95" en lui-même.
100. En conséquence, la demande de la SARL Teme-Éditions Phonographiques sur le fondement du vidéogramme "[N] 95" sera rejetée.
VI - Sur l'atteinte aux droit moraux d'auteur et d'artiste-interprète
Moyens des parties
101. M. [E] [GU] et les SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques reprochent à la SARL Kcraft et Co d'avoir inclus les chansons litigieuses dans le documentaire litigieux sans l'accord préalable du titulaire des droits moraux d'auteur et d'artiste-interprète, en particulier faute d'autorisation pour la reproduction du phonogramme "Que serai-je sans toi ?", d'avoir porté atteinte à l'intégrité des chansons de [ZA] [N] en les exploitant par extraits, en dénaturant ainsi le sens, ou associées à des images étrangères à leur interprétation par l'auteur, ce qu'il avait toujours refusé. Ils estiment que l'atteinte au droit moral d'artiste-interprète est constituée par le caractère biographique du documentaire, auquel [ZA] [N] s'était toujours refusé. Ils contestent que la liberté d'expression ou de création artistique du réalisateur du documentaire litigieux puisse prévaloir sur la volonté de [ZA] [N] de s'opposer à toute biographie.
102. La SARL Kcraft et Co réfute toute atteinte aux droits moraux d'auteur et d'artiste-interprète estimant, au contraire que la volonté de [ZA] [N] était de voir son oeuvre diffusée au plus grand nombre, participant à de nombreuses émissions de radio et de télévision dans lesquelles il a dévoilé sa vie et expliqué son oeuvre. Elle assure avoir obtenu le droit de reproduire le phonogramme "Que serai-je sans toi ?" par sa déclaration à la SACEM et que M. [GU] ne démontre pas que son utilisation constituerait une atteinte au droit moral de l'artiste. Elle avance que M. [GU] a autorisé une publication biographique contredisant ses conclusions et que son action n'est fondée que sur sa volonté de faire échec à toute concurrence à son propre documentaire. Elle invoque, subsidiairement, qu'à supposer établie l'atteinte aux droits moraux d'auteur, l'utilisation des oeuvres et enregistrements étaient nécessaires tant à la liberté de création du réalisateur du documentaire litigieux qu'au droit à l'information du public.
103. La SA France Télévision s'associe à ces moyens en défense, en particulier relativement à la volonté de [ZA] [N] quant à la diffusion de son oeuvre, et abonde dans le sens d'une invocation des droits moraux par M. [GU] pour des motifs étrangers à cette volonté. Elle ajoute que l'opposition de celui-ci à toute diffusion d'un documentaire consacré à un artiste majeur est de nature à entraver sa mission de service public.
Réponse du tribunal
104. En application du premier alinéa de l'article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle, "l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre".
105. L'article L.212-2 du même dispose de même que "l'artiste-interprète a le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation".
106. Au cas présent, s'agissant de l'atteinte au droit moral d'auteur de [ZA] [N] en raison de l'association de ses chansons à des visuels qui y sont étrangers et de leur reproduction sous forme d'extraits, M. [GU] n'établit pas que [ZA] [N] se soit opposé de son vivant au principe d'associer ses chansons à des images, non plus qu'à leur diffusion sous forme d'extraits. Il ne démontre pas, non plus, en quoi les images choisies par la SARL Kcraft et Co pour illustrer les chansons litigieuses les dénatureraient.
107. S'agissant de la reproduction du phonogramme "Que serai-je sans toi ?", la SARL Kcraft et Co établit qu'elle a été déclarée à la SACEM (sa pièce no13) et cette seule reproduction ne saurait constituer, par elle-même, une atteinte au droit moral de l'auteur dont M. [GU] est titulaire.
108. S'agissant de l'atteinte au droit moral d'artiste-interprète de [ZA] [N] en raison de son opposition à toute biographie, M. [GU] verse aux débats plusieurs pièces en ce sens. Ainsi, lors d'une interview au magazine Téléstar : "pourquoi refusez-vous que l'on écrive votre biographie ? Tout ce qu'il y a à retenir de moi, on le trouve dans mes textes. Le reste, c'est de l'anecdote. S'il en sort une, ce sera contre ma volonté" (pièce no40), "j'ai appris, en lisant ‘le Nouvel Obs', qu'une biographie de moi allait sortir. Elle a été écrite sans mon approbation (...) Je suis sollicité depuis plus de vingt ans par des éditeurs, des écrivains, des journalistes, et j'ai toujours refusé de répondre à ces demandes (...)" (pièce no42).
109. Pour autant, la SARL Kcraft et Co démontre qu'une biographie de [ZA] [N] a été publiée dans un numéro hors série du journal L'Humanité avec l'autorisation de M. [GU] (sa pièce no28), qu'une biographie a été publiée aux éditions Le Cherche Midi avec la contribution de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] (sa pièce no29 et la pièce no43 des demandeurs), que douze biographies ont paru entre 2008 et 2015 (sa pièces no24) et que [ZA] [N] a participé à de nombreuses émissions de télévisions, jusqu'au 5 janvier 2002 à tout le moins (pièce des demandeurs no40), au cours desquelles il n'est pas contesté qu'il a évoqué des épisodes de sa vie personnelle, en particulier de sa jeunesse pendant la deuxième guerre mondiale.
110. Il en résulte que le documentaire "[ZA] [N]" produit par la SARL Kcraft et Co, dont le visionnage opéré par le tribunal a permis de constater le caractère biographique illustré par des chansons de l'auteur et des témoignages de certains de ses proches, ne constitue pas une atteinte au droit moral d'auteur ou d'artiste-interprète de [ZA] [N].
111. En conséquence, les demandes de M. [GU] au titre de l'atteinte aux droits moraux d'auteur et d'artiste-interprète de [ZA] [N] seront rejetées.
VII - Sur la contrefaçon du vidéogramme "[N] 85"
Moyens des parties
112. M. [E] [GU] et les SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques prétendent que la SARL Kcraft et Co a reproduit sans autorisation des extraits du vidéogramme "[N] 85" sur lequel la SARL Teme-Éditions Phonographiques détient des droits, sans que cette reproduction, qui dépasse trois minutes, puisse constituer une courte citation.
113. La SARL Kcraft et Co excipe d'un droit de citation, la reproduction du vidéogramme "[N] 85" consistant en sept courts extraits pour un total de trois minutes d'une émission de quatre-vingt dix minutes, contestant le minutage opéré par les demandeurs et assurant que ces citations servent d'illustrations et d'informations aux séquences concernées.
114. La SA France Télévisions ne répond pas à cette demande.
Réponse du tribunal
115. En application de l'alinéa 2 de l'article L.215-1 du code de la propriété intellectuelle, "l'autorisation du producteur de vidéogrammes est requise avant toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l'échange ou le louage, ou communication au public de son vidéogramme".
116. Aux termes de l'article L.211-3 du même code, "les bénéficiaires des droits ouverts au présent titre ne peuvent interdire : (...) 3o Sous réserve d'éléments suffisants d'identification de la source : a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées (...)"
117. En premier lieu, si les demandeurs ont maintenu dans leur dispositif une demande de condamnation de la SARL Kcraft et Co aux droits que la SARL Teme-Éditions Phonographiques détiendraient sur "des vues d'Antraigues", ils ont renoncé à cette demande dans la partie discussion (leurs conclusions pages 24 et 35).
118. Cette demande n'étant soutenue par aucun moyen, elle sera rejetée.
119. En second lieu, s'agissant du vidéogramme "[N] 85", il ressort du documentaire litigieux que les cinq extraits d'interviews de ce vidéogramme (référencés 00:11:26, 00:14:58, 01:11:01, 01:38:42 et 01:41:32 dans les conclusions des demandeurs page 35 et leur pièce no6) n'ont pas pour objet d'apporter une critique, une polémique, un élément pédagogique, scientifique ou d'information relativement à l'oeuvre elle-même, c'est-à-dire le vidéogramme "[N] 85" en lui-même, mais se rapportent à plus globalement soit aux chansons qu'ils illustrent, soit à la vie de [ZA] [N], en sorte qu'ils ne répondent pas à la finalité de la courte citation autorisée.
120. La SARL Kcraft et Co et la SA France Télévisions ne contestant pas que ces cinq extraits du vidéogramme "[N] 85" ont été reproduits sans l'autorisation de la SARL Teme-Éditions Phonographiques qui en détient les droits patrimoniaux d'auteur, ils en constituent une contrefaçon.
VIII - Sur les mesures réparatrices de la contrefaçon
Moyens des parties
121. M. [E] [GU] et les SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques réclament l'indemnisation des extraits contrefaisants et l'interdiction de diffusion du documentaire tant qu'il intégrera ces extraits.
122. La SARL Kcraft et Co estime que l'étendue du préjudice allégué n'est pas démontrée compte tenu de la brève durée des extraits reproduits.
123. La SA France Télévisions ne répond pas à cette demande.
Réponse du tribunal
124. En application de l'article L.331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, "pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1o Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3o Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée".
125. L'article L.331-1-4 du même code ajoute que "en cas de condamnation civile pour contrefaçon, atteinte à un droit voisin du droit d'auteur ou aux droits du producteur de bases de données, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les objets réalisés ou fabriqués portant atteinte à ces droits, les supports utilisés pour recueillir les données extraites illégalement de la base de données et les matériaux ou instruments ayant principalement servi à leur réalisation ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée.
La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise.
Les mesures mentionnées aux deux premiers alinéas sont ordonnées aux frais de l'auteur de l'atteinte aux droits.
La juridiction peut également ordonner la confiscation de tout ou partie des recettes procurées par la contrefaçon, l'atteinte à un droit voisin du droit d'auteur ou aux droits du producteur de bases de données, qui seront remises à la partie lésée ou à ses ayants droit".
126. En l'espèce, la durée totale des cinq extraits contrefaisant du vidéogramme "[N] 85" reproduits dans le documentaire litigieux sont d'une durée totale de trois minutes et dix-neuf secondes.
127. Ces faits justifient la condamnation de la SARL Kcraft et Co à verser à la SARL Teme-Éditions Phonographiques 3000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la contrefaçon de ses droits patrimoniaux d'auteur.
128. Ils justifient, également, qu'interdiction soit faite à la SARL Kcraft et Co de diffuser ou d'autoriser toute diffusion du documentaire litigieux incluant ces cinq extraits du vidéogramme "[N] 85" sous astreinte dans les termes du dispositif.
IX - Sur la violation du droit à l'image de M. [GU]
Moyens des parties
129. M. [E] [GU] et les SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques font grief à la SARL Kcraft et Co d'avoir reproduit dans le documentaire litigieux trois photographies et un extrait audiovisuel représentant M. [GU] sans son autorisation, portant ainsi atteinte à son droit à l'image.
130. La SARL Kcraft et Co conteste toute atteinte au droit à l'image de M. [GU], les photographies et l'extrait reproduit dans le documentaire litigieux ayant fait l'objet antérieurement d'une diffusion, ont fait l'objet de versement de droits de reproduction et constituent une illustration du contenu auxquels ils se rattachent participant de sa liberté d'expression et d'information.
131. La SA France Télévisions ne répond pas à cette demande.
Réponse du tribunal
132. L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 prévoit que "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui".
133. L'article 10 de la même Convention dispose que "1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire".
134. L'article 9 du code civil pose en principe que "chacun a droit au respect de sa vie privée".
135. Il s'en déduit que la seule constatation de l'atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation (en ce sens Cour de cassation, 1re chambre civile, 5 novembre 1996, no94-14.798).
136. Toutefois, les droits au respect de la vie privée et à la liberté d'expression, revêtant, eu égard aux articles 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil, une identique valeur normative, font ainsi devoir au juge saisi de rechercher leur équilibre et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime (en ce sens Cour de cassation, 1re chambre civile, 9 juillet 2003, no00-20.289).
137. Le droit à l'information du public peut légitimer l'atteinte portée au droit à l'image de la personne représentée dès lors qu'il est nécessaire soit d'informer le public sur un événement d'actualité, soit de contribuer à un débat d'intérêt général, à la condition que l'image en cause présente un lien pertinent avec le sujet à illustrer, et sous réserve du respect de la dignité de la personne humaine (en ce sens Cour de cassation, 2ème chambre civile, 4 novembre 2004, no03-15.397).
138. De même, le juge doit rechercher un juste équilibre entre la liberté d'expression permettant celle de création et la protection des droits d'auteur (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 22 juin 2017, no15-28.467 et 16-11.759), ce dont il se déduit, également, une recherche de cet équilibre avec le droit au respect de la vie privée.
139. En l'occurrence, M. [GU] vise :
- une photographie le représentant en studio, en compagnie de [ZA] [N] à l'époque de leur recontre en 1959
- une photographie le représentant en studio, dix ans plus tard, en compagnie de [ZA] [N] et deux autres personnes
- une photographie le représentant prise au siège du journal L'Humanité à l'occasion de la sortie du DVD "[N] 85", en compagnie de [ZA] [N] et deux autres personnes
- un extrait audiovisuel le représentant aux côtés de [ZA] [N] lors d'un repas républicain donné à [Localité 22] en 1997.
140. Il établit que, par courriel du 21 janvier 2020, il s'est opposé à la reproduction d'une photographie le représentant aux côtés de [ZA] [N] à l'occasion de la parution d'une biographie de l'auteur et artiste aux éditions Le Cherche Midi (sa pièce no43).
141. La SARL Kcraft et Co ne conteste pas que ces photographies et cet extrait de vidéogramme ont été reproduits dans le documentaire litigieux sans avoir recueilli l'autorisation de M. [GU].
142. Elle prouve que :
- la photographie prise en 1959 représentant M. [GU] aux côtés de [ZA] [N] est diffusée sur internet sur le site etlt;[023].souvenir.monsite-orange.fretgt; (sa pièce no21)
- le droit de reproduction de la photographie le représentant en 1969 a été acquis auprès de l'association Mémoires d'Humanité (sa pièce no22)
- le droit de reproduction de la photographie le représentant prise au siège du journal L'Humanité à l'occasion de la sortie du DVD "[N] 85" a été acquis auprès de la société Parisienne de photographie (sa pièce no23)
- le droit de reproduction de l'extrait du banquet républicain d'Antraigues a été acquis auprès de la société France Télévisions Distribution et a été diffusé en 1997 sur la chaîne France 3 (sa pièce no18 et conclusions des demandeurs pages 5 et 24).
143. Ainsi, seules deux photographies et l'extrait de vidéogramme litigieux ont fait l'objet d'une diffusion publique antérieure.
144. Pour autant, il n'est pas contesté que l'image de M. [GU] n'a pas été fixée par surprise ou contre son gré lors des photographies ou du reportage ayant donné lieu au vidéogramme du banquet républicain de 1997. Ces fixations de l'image de M. [GU], prises dans un cadre professionnel ou lors d'événements publics, ne sont pas de nature à porter atteinte à sa dignité.
145. De même, il est constant que M. [GU] a joué un rôle important dans la carrière de [ZA] [N] dont il a été proche tout au long de sa vie, ce que son institution comme exécuteur testamentaire et légataire à titre particulier des droits moraux de [ZA] [N] confirme. L'évocation de la contribution de M. [GU] à la carrière de [ZA] [N] était, de ce fait, nécessaire à la réalisation du documentaire litigieux et justifie la reproduction de trois photographies et d'un extrait de vidéogramme le représentant aux côtés de l'artiste à différents moments de sa carrière.
146. Par ailleurs, il est également constant que [ZA] [N] est un chanteur français majeur de la deuxième moitié du 20ème siècle, en sorte que le choix de lui consacrer un documentaire biographique diffusé le 26 octobre 2018, relève tant de la liberté de création que de celle d'information du public.
147. Dès lors, l'atteinte au droit à l'image de M. [GU] se trouve légitimé et ses demandes à ce titre seront rejetées.
X - Sur le caractère abusif de l'action et le dénigrement
Moyens des parties
148. La SARL Kcraft et Co estime que le comportement des demandeurs lui a causé un préjudice d'image et de notoriété conséquent, faisant pression sur les ayants droit de [ZA] [N] pour les dissuader de participer au documentaire et la dénigrant auprès de ses partenaires commerciaux dans le seul but d'éliminer une oeuvre concurrente au projet de documentaire de M. [GU].
149. La SA France Télévisions soutient qu'en l'absence d'atteinte aux droits moraux de [ZA] [N], l'action de M. [GU] se fonde sur des motifs étrangers aux volontés de l'auteur et ne tend qu'à lui réserver un monopole en vue de la production de son propre film, caractérisant un abus de son droit à agir.
150. M. [E] [GU] et les SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques invoquent exercer leurs droits à la défense de la mémoire et des oeuvres de [ZA] [N] excluant tout caractère abusif de leur action.
Réponse du tribunal
151. L'article 1240 du code civil prévoit que "tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer".
152. En application de l'article 32-1 du code de procédure civile, "celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 € sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés".
153. Le droit d'agir en justice participe des libertés fondamentales de toute personne. Il dégénère en abus constitutif d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil lorsqu'il est exercé en connaissance de l'absence totale de mérite de l'action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l'autre partie à se défendre contre une action que rien ne justifie sinon la volonté d'obtenir ce que l'on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté (en ce sens Cour de cassation, 3ème chambre civile, 10 octobre 2012, no11-15.473).
154. Même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre, peut constituer un acte de dénigrement. Cependant, lorsque l'information en cause se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, cette divulgation relève du droit à la liberté d'expression, qui inclut le droit de libre critique, et ne saurait, dès lors, être regardée comme fautive, sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 11 juillet 2018, no17-21.457 et chambre commerciale, 26 septembre 2018, no17-15.502).
155. En l'espèce, au titre du dénigrement, la SARL Kcraft et Co appuie ses prétentions sur :
- un courriel de l'Institut national de l'audiovisuel du 23 avril 2020 en réponse à M. [GU], duquel il résulte que le directeur juridique de cet institut reconnaît une erreur dans une autorisation donnée relativement au vidéogramme "[N] 80" (pièce des demandeurs no27)
- le courrier de mise en demeure adressé à la SA France Télévisions par l'avocat des demandeurs le 16 novembre 2018, mentionnant la mise en demeure précédente par courrier du 9 novembre de la SARL Kcraft et Co (pièces des demandeurs no18 et 19).
156. Toutefois, ces pièces reprennent les moyens et arguments développés par les demandeurs et ne comportent aucun qualificatif inutilement péjoratif à l'endroit de la SARL Kcraft et Co.
157. Elle ne produit aucune pièce tendant à démontrer que M. [GU] aurait fait pression sur les proches de [ZA] [N] pour les dissuader de participer au documentaire litigieux.
158. Sa demande en réparation sur le fondement du dénigrement, sera, en conséquence rejetée.
159. Par ailleurs, la seule circonstance qu'une partie des demandes présentées par M. [GU] et les SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques soient admises exclut tout abus.
160. La demande à ce titre de la SARL Kcraft et Co sera, en conséquence, rejetée.
XI - Sur les dispositions finales
XI.1 - S'agissant des dépens
161. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie.
162. Selon l'article 699 du même code, "les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.
La partie contre laquelle le recouvrement est poursuivi peut toutefois déduire, par compensation légale, le montant de sa créance de dépens".
163. M. [GU], la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et la SARL Kcraft et Co étant parties perdantes, les dépens seront partagés par moitié entre elles, avec droit pour l'avocat de la SARL Teme-Éditions Phonographiques de recouvrer ceux dont il a fait l'avance sans recevoir provision.
XI.2 - S'agissant de l'article 700 du code de procédure civile
164. L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.
165. En équité la SARL Kcraft et Co, partie condamnée aux dépens, sera dispensée de condamnation à ce titre.
166. En équité, les demandes à ce titre de M. [GU], de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et de la SA France Télévisions seront rejetées.
XI.3 - S'agissant de l'exécution provisoire
167. Aux termes de l'article 515 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable à la date de l'assignation, "hors les cas où elle est de droit, l'exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d'office, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi.
Elle peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation".
168. Eu égard aux termes du jugement, l'exécution provisoire, nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, sera ordonnée.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal,
DÉCLARE M. [E] [GU] irrecevable à agir au titre du droit moral de la chanson "Les yeux d'Elsa";
REJETTE le surplus des demandes des sociétés France Télévisions et Kcraft et Co tendant à voir M. [GU] déclaré irrecevable à agir au titre des droits moraux d'artiste et d'artiste-interprète de [ZA] [N] ;
REJETTE la demande de la SARL Kcraft et Co fondée sur le défaut de mise en cause du coauteur de la musique du documentaire litigieux;
REJETTE la demande des sociétés France Télévisions et Kcraft et Co fondée sur l'absence de titularité de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] sur les droits d'adaption audiovisuelle des vingt-sept chansons litigieuses ;
DÉCLARE la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] irrecevable à agir au titre des droits patrimoniaux d'auteur des vingt-sept chansons litigeuses dont [ZA] [N] est auteur ou coauteur ;
DÉCLARE la SARL Teme-Éditions Phonographiques irrecevable à invoquer des droits d'exploitation sur les parties du vidéogramme "Star 90" autres que portant sur l'interprétation par [ZA] [N] des oeuvres composant l'album "[N] 91" et en ses demandes sur le fondement du vidéogramme "[N] 95" ;
CONDAMNE la SARL Kcraft et Co à payer trois mille euros (3000 €) à la SARL Teme-Éditions Phonographiques à titre de dommages et intérêts en réparation de la contrefaçon des droits patrimoniaux d'auteur du vidéogramme "[N] 85" ;
INTERDIT à la SARL Kcraft et Co de diffuser ou d'autoriser toute diffusion du documentaire "[ZA] [N]" incluant les cinq extraits du vidéogramme "[N] 85" litigieux dans le délai de deux mois suivant le présent jugement puis sous astreinte de deux cents euros (200 €) par jour de retard qui courra au maximum pendant cent quatre-vingt jours ;
DÉBOUTE M. [E] [GU] de ses demandes en contrefaçon des droits moraux d'auteur et d'artiste-interprète de [ZA] [N], de ses demandes relatives à l'atteinte à son image et en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE la SARL Teme-Éditions Phonographiques de ses demandes en contrefaçons du vidéogramme "des vues d'Antraigues" et en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE la SARL Kcraft et Co de ses demandes en réparation au titre du dénigrement et de l'abus de procédure et en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE la SA France Télévisions de ses demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉCLARE le jugement commun à M. [WL] [TS] ;
CONDAMNE M. [E] [GU] et la SARL Productions Alléluia-[E] [GU], d'une part et la SARL Kcraft et Co, d'autre part, à la moitié des dépens avec droits pour Maître Corinne Pourrinet, avocat au barreau de Paris, de recouvrer ceux dont elle a fait l'avance sans recevoir provision;
ORDONNE l'exécution provisoire.
Fait et jugé à Paris le 17 mai 2023
La greffière Le président