TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
3ème chambre
1ère section
No RG 19/14230
No Portalis 352J-W-B7D-CRIIA
No MINUTE :
Assignation du :
05 décembre 2019
JUGEMENT
rendu le 11 mai 2023
DEMANDERESSES
SYNDICAT DU PIMENT D'[Localité 8] AOP
[Adresse 3]
[Localité 8]
[9]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentés par Me Emmanuel BAUD du PARTNERSHIPS JONES DAY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0001
DÉFENDERESSES
Madame [C], [H], [D] [P]
[Adresse 7]
[Localité 6]
représentée par Me Nadine GHORAYEB, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E1536
S.E.L.A.S. GUERIN et ASSOCIES ès qualité de mandataire judiciaire concernant Mme [P]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Défaillante
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUIS, Juge,
assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière
en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation
DEBATS
A l'audience du 07 mars 2023 tenue en audience publique, et par bulletin RPVA, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 11 mai 2023.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Réputé contradictoire
En premier ressort
EXPOSÉ DU LITIGE :
1. L'Institut National de l'Origine et de la Qualité (ci-après INAO), est un établissement public administratif dont le siège est à [Adresse 10], chargé de la mise en oeuvre des dispositions législatives et réglementaires relatives aux signes d'identification de la qualité et de l'origine. Ses attributions, définies à l'article L. 642-5 du code rural et de la pêche maritime, comprennent notamment la défense de ces signes.
2. Le Syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] regroupe les producteurs, transformateurs et conditionneurs de piment d'espelette ; il a obtenu en 2000 (décret du 29 mai 2000 relatif à l'appellation d'origine contrôlée "Piment d'Espelette" ou "Piment d'[Localité 8]-Ezpeletako Biperra") l'inscription du piment d'espelette comme appellation d'origine contrôlée. En 2002 (règlement no 1495/2002 de la commission du 21 août 2002), le piment d'espelette a été inscrit au «Registre des appellations d'origine protégées et des indications géographiques protégées» prévu au règlement (CEE) no 2081/92 du Conseil relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agri coles et des denrées alimentaires.
3. Le syndicat assure en outre la gestion, la promotion et la défense de l'appellation Piment d'[Localité 8]. Il est reconnu "organisme de défense et de gestion" de cette appellation et contribue à ce titre en vertu de l'article L642-22 du code rural et de la pêche maritime à la mission d'intérêt général de protection du nom de cette appellation.
4. Mme [C] ([S]) [P], retraitée depuis janvier 2021, exploitait depuis 2001 sous la forme d'une entreprise individuelle et sous le nom commercial "Biperduna", une activité agricole à [Localité 6] (64), de production de piment, ses parcelles étant identifiées pour la production d'AOP Piment d'[Localité 8]. Le bénéfice de l'AOP Piment d'[Localité 8] n'a pas été attribué à Mme [P] pour la saison 2018-2019. Elle a obtenu un nouveau certificat AOP pour la période du 1er octobre 2020 au 30 septembre 2023.
5. Par un jugement du 7 janvier 2019, le tribunal de grande instance de Bayonne a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de Mme [P] et désigné la SELAS Guerin et associés en qualité de mandataire judiciaire. Un plan de redresseemnt a été arrêté par jugement du 6 janvier 2020, prévoyant un apurement du passif sur dix ans et désigné la SELAS Guerin et associés en qualité de commissaire à l'exécution du plan.
6. Estimant que l'utilisation par Mme [P] du nom de domaine etlt;www.piment-espelette.infoetgt; pour la vente de piments et en particulier, en 2018, d'autres piments que ceux bénéficiant de l'AOP portait atteinte à l'appellation Piment d'[Localité 8], l'INAO a mis en demeure l'entreprise Biperduna, par une lettre du 6 mars 2018, de modifier son nom de domaine et de retirer de son site internet l'usage des signes de l'AOP "Piment d'[Localité 8]" et AB Agriculture Biologique.
7. Cette lettre étant restée sans réponse, l'INAO, auquel s'est joint le Syndicat du piment d'[Localité 8], ont de nouveau mis en demeure Mme [P] le 7 juin 2018 puis le 14 mai 2019.
8. Par actes d'huissier du 5 décembre 2019, l'INAO et le Syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] ont fait assigner Mme [P] devant le tribunal judiciaire de Paris, ainsi que la SELAS Guerin et associés, afin d'obtenir des mesures d'interdiction à son encontre.
9. Bien que régulièrement citée à une personne présente (Mme [R]), la Selas Guerin et associés n'a pas constitué avocat.
10. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 avril 2022, l'INAO et le Syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] demandent au tribunal, de :
- Dire qu'ils sont recevables et bien fondé en leur action ;
- Dire que le jugement à intervenir opposable à la SELAS Guérin et Associés ;
En conséquence,
- Dire que la réservation du nom de domaine www.piment-espelette.info, son usage et l'usage du terme "Espelette", associé à des mentions comme "type" ou "variété", à quelque titre que ce soit, en lien avec des piments n'ayant pas droit à l'AOP "Piment d'[Localité 8]" ou un site Internet présentant de tels produits par Mme [C] [P] portent atteinte à l'AOP "Piment d'[Localité 8]" ou "Piment d'[Localité 8]-Ezpeletako Biperra" ;
- Ordonner à Mme [C] [P], dans un délai de 10 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par infraction constatée, le tribunal se réservant le droit de liquider l'astreinte directement, de faire publier pendant un délai de deux mois, à compter de la signification du jugement, le résumé suivant du jugement à intervenir en page d'accueil du site "piment basque" qu'elle qu'en soit l'adresse URL, et notamment "piment-basque.info", dans un encart clairement lisible intitulé "publication judiciaire" : "Par jugement du [date] 2022, rendu à la demande de l'INAO et du Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP, le Tribunal judiciaire de Paris a reconnu Madame [C] [P] exerçant sous le nom commercial Biperduna responsable d'actes d'atteinte à l'AOP "Piment d'[Localité 8]" du fait de la réservation et l'usage du nom de domaine "piment-espelette.info", notamment en rapport avec des produits non éligibles à l'AOP » ;
- Ordonner à Mme [C] [P] de procéder à la radiation du nom de domaine www.piment- espelette.info dans un délai de 10 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, le Tribunal se réservant le droit de liquider l'astreinte directement ;
- Autoriser en tant que de besoin les Demandeurs à transmettre le jugement à intervenir à toute unité d'enregistrement de noms de domaine aux fins de faire procéer à la radiation du nom de domaine www.piment-espelette.info/ en lieu et place de Mme [C] [P] ;
- Dire que le tribunal sera compétent pour connaîre de la liquidation des astreintes qu'il aura ordonnés, conformément aux dispositions de l'article L.131-3 du code des procéures civiles d'exécution et que ces astreintes seront au bénéfice de l'ensemble des Demandeurs ;
- Condamner Mme [C] [P] à payer aux Demandeurs la somme globale de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procéure civile ;
- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant tout recours et sans constitution de garantie ;
- Condamner Mme [C] [P] aux entiers déens, dont distraction au profit de Me Emmanuel Baud, avocat au barreau de Paris, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
11. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 juin 2022, Mme [C] [P] demande au tribunal, de :
- Dire qu'elle est autorisée à utiliser le terme [Localité 8], puisqu'elle a désormais le droit d'utiliser cette AOP ;
- Débouter l'[9] et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de l'ensemble de leurs demandes ;
- Débouter l'[9] et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leur demande de « Dire et juger que la réservation du nom de domaine www.piment-espelette.info son usage et l'usage du terme « Espelette », associé à des mentions comme « type » ou « variété », à quelque titre que ce soit, en lien avec des piments n'ayant pas droit à l'AOP « Piment d'Espelette » ou un site Internet présentant de tels produits par Madame [P] portent atteinte à l'AOP « Piment d'[Localité 8] » ou « Piment d'Espelette-Ezpeletako Biperra » Mme [C] [P] n'exploitant plus ce nom de domaine, exploité par la société Biperduna leur demande est sans objet ;
- Débouter l'[9] et Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leur demande de « Ordonner à Madame [P], dans un délai de 10 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par infraction constatée, le Tribunal se réservant le droit de liquider l'astreinte directement, de faire publier pendant un délai de deux mois, à compter de la signification du jugement, le résumé suivant du jugement à intervenir en page d'accueil du site « piment basque » qu'elle qu'en soit l'adresse URL, et notamment « piment-basque.info », dans un encart clairement lisible intitulé « publication judiciaire» : « Par jugement du [date] 2022, rendu à la demande de l'INAO et du Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP, le Tribunal judiciaire de Paris a reconnu Madame [P] exerçant sous le nom commercial Biperduna responsable d'actes d'atteinte à l'AOP « Piment d'[Localité 8] » du fait de la réservation et l'usage du nom de domaine « piment-espelette.info », notamment en rapport avec des produits non éligibles à l'AOP », Mme [C] [P] n'exploitant plus ce nom de domaine, exploité par la société Biperduna leur demandes est sans objet et irrecevable ;
- Débouter l'[9] et Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leur demande concernant leur demande de radiation du site www.piment- espelette.info/ dans un délai de 10 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 1.000 euros par jours de retard, cette demande étant sans objet ; toute unité d'enregistrement de noms de domaine aux fins de faire procéder à la radiation du nom de domaine www.piment-espelette.info/ en lieu et place de Mme [P]. » ces demandes étant sans objet puisque Mme [C] [P] est retraitée et le nom de domaine exploité par la société Biperduna ;
- Débouter l'[9] et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leur demande «Dire et juger que le Tribunal sera compétent pour connaître de la liquidation des astreintes qu'il aura ordonnées, conformément aux dispositions de l'article L.131-3 du Code des procédures civiles d'exécution et que ces astreintes seront au bénéfice de l'ensemble desDemandeurs ;
- Débouter l'[9] et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leur demande de condamnation sous astreinte ;
- Débouter l'[9] et Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de publication du jugement et le dispositif à intervenir sur leurs propres sites Internet et à leur seule discrétion ;
- Débouter l'[9] et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leur demande de condamnation de Mme [C] [P] à leur verser la somme de 10.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
- Accorder les délais les plus larges possibles à Mme [C] [P] sur une période de 24 mois ;
- Débouter l'[9] et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leur demande d'exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant tout recours et sans constitution de garantie ;
- Débouter l'[9] et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leurs demandes de condamnations aux dépens.
12. L'instruction de l'affaire a été close par une ordonnance du 4 octobre 2022 et renvoyée à l'audience du 7 mars 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Sur la recevabilité de l'action
13. L'article L. 622-21 du code de commerce, applicable au redressement judiciaire par renvoi de l'article L. 631-14 du même code, dispose que le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant notamment à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent. Selon l'article L. 622-17 du code de commerce, les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance.
14. La règle de l'arrêt des poursuites individuelles, consécutive à l'ouverture d'une procédure collective constitue une fin de non-recevoir pouvant être proposée en tout état de cause dont le caractère d'ordre public impose au juge de la relever d'office. Sont soumises à la règle de l'arrêt des poursuites individuelles les actions tendant, sous couvert de l'exécution d'une obligation de faire, à obtenir le paiement d'une somme d'argent pour une cause antérieure à l'ouverture de la procédure.
15. Les créances nouvelles, nées après l'arrêté d'un plan de redressement du débiteur remis à la tête de ses biens, sont soumises au droit commun (Com. 26 oct. 2022, no 21-13.474, publié au Bulletin). En effet, à compter du jugement arrêtant le plan, il est mis fin à la période d'observation (article L. 626-1 du code de commerce) et le droit commun reprend en principe son empire. Concernant le « passif nouveau», né après l'adoption du plan, la loi de 1985 était muette ; la Cour de cassation en a déduit que « Les créances nées après le jugement arrêtant le plan de continuation de l'entreprise ne sont pas soumises aux dispositions de l'article 40 de la loi du 15 janvier 1985 », (devenu l'article L. 621-32du code de commerce : Cass. Com. 3 avril 1990, pourvoi no 88-19807, Bull. 1990, IV, no 113), et qu'« elles ne sont pas davantage soumises au régime des créances antérieures au jugement d'ouverture de la procédure collective » (Cass. Com. 17 septembre 2002, pourvoi no 99-15480).
16. En l'occurence, les demandes soumises par l'INAO et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] visent à obtenir la condamnation, sous astreinte, de Mme [P] à procéder à la radiation du nom de domaine etlt;www.piment-espelette.infoetgt; et à publier sur le site auquel renvoie ce nom de domaine le jugement à intervenir, à titre de réparation des atteintes qu'ils estiment avoir été portées à l'AOP piment d'[Localité 8].
17. Ce faisant, l'action des demandeurs, en ce qu'elle poursuit la fixation d'une astreinte provisoire pour contraindre à l'exécution d'obligations de faire qu'ils entendent voir mettre à la charge de Mme [P] par la présente décision, n'est pas soumise à l'arrêt des poursuites individuelles, dès lors que la créance poursuivie a son fait générateur dans la présente décision, postérieure au jugement arrêtant le plan de redressement, ce dont il résulte qu'elle est une créance de droit commun et que les deamndes sont recevables.
2 / Sur les atteintes à l'AOP [Adresse 11]
Moyens des parties
18. L'INAO et le le Syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] font valoir que Mme [P] a porté atteinte à l'AOP piment d'Espelette ou piment d'Espelette-Ezpeletako Biperra par la réservation du nom de domaine etlt;www.piment-espelette.infoetgt;, reprenant la dénomination exacte de l'AOP, qu'elle ne pouvait s'approprier, par l'exploitation de ce site pour vendre des produits ne bénéficiant pas de l'AOP et par l'usage du terme « [Localité 8] », associé à des mentions comme « type » ou « variété ».
19. Mme [P] fait quant à elle valoir qu'elle a réservé le nom de domaine litigieux de bonne foi et qu'il n'existe plus, ayant demandé sa radiation. Elle affirme avoir utilisé dès le début de l'année 2020 le nom de domaine etlt;www.piment-basque.infoetgt; et fait imprimer de nouvelles étiquettes avec ce nom de domaine, et invoque pour preuve un constat d'huissier du 11 janvier 2021. Elle ajoute que les mentions du site internet invoquées par les demandeurs comme portant atteinte à l'AOP ont été supprimées et qu'en tout état de cause aucune atteinte passée ne peut lui être reprochées dès lors qu'elle justifie avoir été adhérente du syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8], lui donnant le droit d'utiliser des étiquettes mentionnant l'AOP et qu'elle a obtenu le renouvellement de sa certification avant son départ à la retraite.
Appréciation du tribunal
20. L'article L 722-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que «Toute atteinte portée à une indication géographique en violation de la protection qui lui est accordée par le droit de l'Union européenne ou la législation nationale constitue une contrefaçon engageant la responsabilité de son auteur.
Pour l'application du présent chapitre, on entend par "indication géographique": (...)
c) Les appellations d'origine et les indications géographiques protégées en vertu du droit de l'Union européenne;
Sont interdits la production, l'offre, la vente, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation, le transbordement, l'utilisation ou la détention à ces fins de biens dont la présentation porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à une indication géographique.»
21. Les appellations d'origine protégée sont régies par le Règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil no1151/2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires (lequel a succédé aux règlements (CE) no 510/2006 du Conseil du 20 mars 2006 et (CEE) no 2081/92 du Conseil du 14 juillet 1992), pour les produits faisant partie du champ d'application de ce règlement (article 2). L'article 12.1 du règlement no1151/2012 dispose que "Les appellations d'origine protégées et les indications géographiques protégées peuvent être utilisées par tout opérateur commercialisant un produit conforme au cahier des charges correspondant."
22. L'article 13.1 du Règlement prévoit également que "1. Les dénominations enregistrées sont protégées contre :
a) toute utilisation commerciale directe ou indirecte d'une dénomination enregistrée à l'égard des produits non couverts par l'enregistrement, lorsque ces produits sont comparables à ceux enregistrés sous cette dénomination ou lorsque cette utilisation permet de profiter de la réputation de la dénomination protégée, y compris quand ces produits sont utilisés en tant qu'ingrédients;
b) toute usurpation, imitation ou évocation, même si l'origine véritable des produits ou des services est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d'une expression telle que «genre», «type», «méthode», «façon», «imitation», ou d'une expression similaire, y compris quand ces produits sont utilisés en tant qu'ingrédients;
c) toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l'origine, la nature ou les qualités essentielles du produit qui figure sur le conditionnement ou l'emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit concerné, ainsi que contre l'utilisation pour le conditionnement d'un récipient de nature à créer une impression erronée sur l'origine du produit;
d) toute autre pratique susceptible d'induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit."
23. Les considérants 18 et 29 du règlement no 1151/2012 énoncent que « (18) En ce qui concerne la protection des appellations d'origine et des indications géographiques, les objectifs spécifiques sont de garantir un revenu équitable pour les agriculteurs et les producteurs au vu des qualités et des caractéristiques d'un produit déterminé ou de son mode de production et de fournir des informations claires sur les produits possédant des caractéristiques spécifiques liées à l'origine géographique, de manière à permettre aux consommateurs de prendre leur décision d'achat en meilleure connaissance de cause.[...]
(29) Il y a lieu d'octroyer une protection aux dénominations incluses dans le registre, l'objectif étant de garantir leur bonne utilisation et de prévenir des pratiques pouvant induire le consommateur en erreur [...] »
24. Il est en l'occurrence constant que le piment d'espelette a été inscrit :
- par le règlement no1495/2002 du 21 août 2002 (ayant modifié le règlement no2400/96 de la commission, du 17 décembre 1996), au «Registre des appellations d'origine protégées et des indications géographiques protégées» prévu au règlement (CEE) no 2081/92 du Conseil relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires,
- par le décret du 29 mai 2000 en qualité d'appellation d'origine contrôlée "Piment d'Espelette" ou "[Adresse 12]".
25. Mme [P] a été habilitée à utiliser l'AOP piment d'[Localité 8] pour sa production de piments. Le renouvellement de cette habilitation lui a toutefois été refusé par l'organisme certificateur, la société Certisud, par une lettre du 20 mai 2019, lui notifiant en conséquence l'interdiction de faire usage de l'AOP piment d'[Localité 8] dans le cadre de ses activités. Elle affirme avoir été de nouveau habilitée à utiliser l'AOP piment d'[Localité 8] pour la saison 2020/2021 , ce qui n'est pas contesté par les demandeurs. Par une lettre du 10 mars 2021, Mme [P] a notifié son retrait de la filière de l'AOP piment d'[Localité 8].
26. Ainsi, en l'absence d'habilitation, Mme [P] ne pouvait utiliser à compter du 20 mai 2019 jusqu'à la saison 2020/2021 sous quelque forme que ce soit et dans quelque but que ce soit, la mention de l'AOP piment d'[Localité 8] pour la production concernée, ni après son retrait de la filière notifié le 10 mars 2021.
27. Il ressort néanmoins du procès-verbal du 30 septembre 2019, que Mme [P] a exploité le nom de domaine etlt;www.piment-espelette.infoetgt; pour promouvoir son activité et offrir à la vente sur ce site des produits comparables au piment d'[Localité 8], s'agissant de piments basques. En outre, Mme [P] a entretenu la confusion entre piment d'[Localité 8] et piment basque de nature à induire le consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé en erreur sur la véritable origine de ses produits. C'est ce qui ressort en particulier de la capture d'écran no29 du constat du 30 septembre 2019 sur laquelle ses produits sont présentés dans les termes suivants: "notre piment d'espelette aop, Gorria", "ce piment d'espelette gorria" ou encore "A Biperduna depuis 2001, pour la production du piment d'espelette aop (...)". En outre, la capture d'écran no45 du procès verbal du 30 septembre 2019 est une page du site internet qui fait la présentation du piment basque Gorria sur laquelle est indiqué : "Pour produire du piment d'[Localité 8] il faut utiliser la variété : piment basque Gorria".
28. Par ces agissements, violant les dispositions précitées et en particulier l'article 13.1 d du règlement no 1151/2012, Mme [P] a, alors qu'elle avait perdu son habilitation, tiré profit de la réputation découlant de la qualité des produits bénéficiant de l'AOP piment d'[Localité 8] et induit les consommateurs en erreur.
29. En outre, le site internet présentait à cette date également à la vente une "poudre de piment variété gorria type espelette" alors que l'article 13.1 b du règlement no 1151/2012 interdit d'utiliser l'AOP avec les expressions «genre», «type», «méthode», «façon», «imitation», ou une expression similaire.
30. Il est ainsi établi que Mme [P] a violé l'article 13 du règlement UE no 1151/2012 en faisant une exploitation commerciale de l'AOP piment d'[Localité 8] pour offrir à la vente des produits comparables aux produits couverts par l'AOP piment d'[Localité 8], en faisant usage de l'AOP piment d'[Localité 8] en l'accompagnant de l'expression "variété", qui est similaire à "genre" ou "type" et en donnant une indication fallacieuse sur l'origine de ses produits en affirmant produire du piment d'[Localité 8].
31. Il est également établi, par le procès-verbal de constat du 30 mars 2022, que Mme [P] a réservé le nom de domaine etlt;www.piment-espelette.infoetgt; , le 23 décembre 2005, ce qui est confirmé par la capture d'écran no51 du procès-verbal du 30 septembre 2019 relative aux mentions légales du site internet concerné qui indique "le site www.piment-espelette.info est la propriété de [S] [P] en sa totalité, ainsi que l'ensemble des droits y afférant".
32. La réservation d'un nom de domaine qui est la reprise de l'appellation d'origine protégée, à laquelle est ajoutée le terme "info", est de nature à induire le consommateur en erreur en laissant entendre qu'il s'agit d'un site d'information générale relative à l'AOP piment d'[Localité 8], alors que tel n'est pas le cas puisque Mme [P] n'est que l'un des producteurs éventuellement agréé à faire usage du signe dès lors que le leur production respecte le cahier des charges élaboré par le syndicat et homologué par les autorités administratives compétentes.
33. Force est ainsi de constater que la réservation de ce nom de domaine constitue un usage privatif contraire au principe d'usage collectif de l'AOP qui appartient à tous les producteurs habilités d'une région considérée et qu'un tel signe ne saurait être monopolisé par un seul opérateur (qu'il bénéficie ou non d'un agrément).
34. Le tribunal relève en outre que Mme [P] était infomée dès le 6 mars 2018 de la nécessité de modifier le nom de domaine de son site internet.
3/ Sur les mesures de réparation
Moyens des parties
35. L'INAO et le Syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] sollicitent qu'il soit enjoint sous astreinte à Mme [P] de procéder à la radiation du nom de domaine "www.piment-espelette.info" et à la publication sur le site internet "www.piment-basque.info" d'un résumé du jugement. Ils font valoir que le départ à la retraite de Mme [P] et la cessation des actes dont il est fait grief ne font pas obstacle à leurs demandes. Ils ajoutent que Mme [P] est toujours titulaire du nom de domaine litigieux qui redirige l'internaute vers le site internet "piment-basque.info" et invoquent à titre de preuve un constat d'huissier établi le 30 mars 2022.
36. Mme [P] fait valoir que les demandes de l'INAO et du syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] sont sans objet dans la mesure où elle est à la retraite depuis le début de l'année 2021 et que l'exploitation du site internet et des produits qui y sont commercialisés sont désormais le fait de l'EARL Biperduna. Elle ajoute, constat d'huissier à l'appui, qu'elle n'utilisait plus le nom de domaine etlt;www.piment-basque.infoetgt; depuis le début de l'année 2020 et avait modifié les étiquettes pour y supprimer toute référence à ce nom de domaine.
Appréciation du tribunal
37. Il ressort du procès verbal de constat d'huissier en date du 30 mars 2022 qu'à cette date une recherche avec les mots clés "piment-espelette.info" opérée dans le moteur de recherches Google faisait apparaître en premier résultat l'entreprise Biperduna et que l'activation du lien renvoyait sur une page présentant l'URL etlt;www.piment-basque.infoetgt;. En outre, la recherche du propriétaire du nom de domaine désignait "[S] [P]". Ainsi, le lien piment-espelette.info était encore actif à cette date.
38. Il y a donc lieu de faire droit à la demande de radiation du nom de domaine etlt;www.piment-espelette.infoetgt; selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision.
39. L'article 13.3 du Règlement no1151/2012 prévoit que "lesÉtats membres prennent les mesures administratives ou judiciaires appropriées pour prévenir ou arrêter l'utilisation illégale visée au paragraphe 1 d'appellations d'origine protégées ou d'indications géographiques protégées qui sont produites ou commercialisées sur leur territoire. (...)"
40. Aux termes de l'article L. 722-7 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle, "La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise.
Les mesures mentionnées aux deux premiers alinéas sont ordonnées aux frais de l'auteur de la contrefaçon".
41. Si la publication judiciaire apparaît nécessaire et proportionnée pour réparer le préjudice causé par l'atteinte à l'AOP piment d'[Localité 8] et par la confusion créée dans l'esprit des consommateurs, il ne peut être fait droit à la demande de condamnation de Mme [P] à la publication du présent jugement sur le site internet accessible à l'adresse etlt;www.piment-basque.infoetgt; du présent jugement, dès lors que ce site est désormais exploité par l'EARL Biperduna, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 22 septembre 2020 et à laquelle Mme [P] a cédé en janvier et septembre 2021 la majeure partie de ses parcelles dans le cadre de son départ à la retraite en janvier 2021. La demande de publication de l'INAO et du Syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] est par conséquent rejetée, étant rappelé que les décisions de justice étant publiques, la victime peut faire procéder à ses propres frais à toute mesure de publicité de la condamnation prononcée à son bénéfice, sous réserve de l'abus (Cass. Com., 18 octobre 2017, pourvoi no 15-27.136).
42. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure, Mme [P] sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à l'INAO et au syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8], la somme de 1.000 euros chacun par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
43. Nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, l'exécution provisoire sera ordonnée conformément aux dispositions de 515 du code de procédure civile dans sa version applicable au litige eu égard à la date de l'assignation ( antérieure au décret no2019-1333 du 11 décembre 2019).
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement par jugement réputé contradictoire, mis à disposition au greffe, et en premier ressort,
ORDONNE à Mme [C] ([S]) [P] de procéder à la radiation du nom de domaine etlt;www.piment-espelette.infoetgt;, en justifiant auprès de l'INAO et du syndicat de l'AOP Piment d'espelette de l'effectivité de ses démarches auprès des personnes concernées, et ce dans un délai de 30 jours à compter de la signification du présent jugement, puis sous astreinte de 200 euros par jour, qui courra pendant au maximum 180 jours ; ce délai de 30 jours étant le délai total pour que la suppression du nom de domaine soit effective, et non le délai pour engager les démarches nécessaires ;
AUTORISE l'INAO et le syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8], à défaut de radiation effective de ces noms de domaine dans un délai de 60 jours, à notifier le présent jugement à l'AFNIC ou toute autre unité d'enregistrement compétente, aux fins d'y procéder aux lieu et place de Mme [C] ([S]) [P] ;
REJETTE les autres demandes de l'INAO et du syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] ;
CONDAMNE Mme [C] [P] aux dépens, et autorise Me Emmanuel Baud, avocat au barreau de Paris, à recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Mme [C] [P] à payer à l'INAO et au syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] la somme globale de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procéure civile ;
ORDONNE l'exécution provisoire du jugement.
Fait et jugé à Paris le 11 mai 2023.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE