TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
3ème chambre
2ème section
No RG 21/12404
No Portalis 352J-W-B7F-CVG3M
No MINUTE :
Assignation du :
04 Octobre 2021
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 28 Avril 2023
DEMANDEUR
Monsieur [K] [T]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Maître Jean-louis LAGARDE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0127
DÉFENDERESSES
Fondation FONDATION DINA VIERNY – Musée [7]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Maître Pascal NARBONI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0700
S.A.S. DONOMA - intervenant volontaire
[Adresse 1]
[Localité 6]
Copies délivrées le :
- Maître Jean-louis LAGARDE,#D0127 - ccc
- Maître Pascal NARBONI, #E0700 - exécutoire
- Maître Orly REZLAN,#A0764 - exécutoirereprésentée par Maître Orly REZLAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0764MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge
assisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier
DÉBATS
A l'audience du 16 Mars 2023, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue, en dernier lieu, le 28 Avril 2023.
ORDONNANCE
Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Objet du litige au principal et procédure
1. M. [K] [T], photographe, reproche à la fondation Dina Vierny - musée [7] (la fondation) et à la société Donoma la reproduction, à l'occasion d'une exposition consacrée au dessinateur [F] [J] au musée [7] en 2021, d'une photographie de 1993 dont il est l'auteur et représentant celui-ci tenant une louche : d'abord en grand format à l'entrée de l'exposition, ensuite en couverture du fascicule d'accompagnement destiné aux enfants, dans le catalogue de l'exposition, et dans des supports de communication, le tout sans son accord, sans le créditer, et selon lui sans respecter l'intégrité de l'oeuvre, en violation de ses droits patrimoniaux et moraux d'auteur. Il réclame à ce titre 100 000 euros de dommages et intérêts à la fondation.
2. Il a assigné en contrefaçon la fondation, dans les locaux de laquelle a eu lieu l'exposition, le 4 octobre 2021. La société Donoma, organisatrice de cette exposition, est intervenue volontairement le 20 avril 2022.
3. La fondation a soulevé par incident, le 11 mai 2022, une fin de non-recevoir tirée de ce qu'elle n'a pas organisé l'exposition, que le juge de la mise en état a renvoyée au tribunal.
4. Par ailleurs, M. [T], qui avait vainement sommé la société Donoma de lui communiquer les tirages originaux ayant servi aux reproductions litigieuses, a demandé par conclusions d'incident du 13 octobre 2022 la communication d'un tirage original et de la facture d'agrandissement de l'exemplaire ayant été exposé.
5. Sur proposition du juge de la mise en état à l'audience d'incident du 24 novembre 2022, les parties ont accepté de rechercher une solution amiable à l'entier litige, mais ont expliqué le 15 février 2023 n'avoir pas pu trouver d'accord, et souhaiter plaider l'incident, ce qui a été fait à l'audience du 16 mars 2023.
Objet de l'incident
6. Dans ses dernières conclusions d'incident (2 mars 2023), M. [T] demande la communication sous astreinte :
- par la société Donoma, du tirage argentique de la photographie ayant servi aux reproductions litigieuses, et de la facture d'agrandissement de l'exemplaire exposé en grand format ;
- par les deux défenderesses, du nombre total de visiteurs de l'exposition, des recettes associées, du tirage du fascicule pour enfants, et de celui du catalogue ;
outre leur condamnation à lui payer chacune 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
7. Dans ses dernières conclusions d'incident (15 mars 2023), la fondation, qui s'en rapporte à prudence de justice quant aux demandes dirigées contre la société Donoma, estime sans objet les demandes dirigées contre elle, résiste à la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et réclame elle-même 2 000 euros à M. [T] à ce titre.
8. Dans ses dernières conclusions d'incident (15 mars 2023), la société Donoma résiste aux demandes de communication de la photographie, de la facture, du tirage du catalogue et du fascicule, et réclame elle-même à M. [T] 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Moyens des parties pour l'incident
9. M. [T] estime (en substance) que la personne responsable de la contrefaçon n'est pas la société Donoma, mais la veuve et la fille d'[F] [J], car l'agrandissement n'a pu être fait qu'avec le tirage original offert en 1993 à celui-ci, dont celles-là ont hérité ; que la communication du tirage original a (ainsi) pour but de prouver qu'elles étaient de mauvaise foi ; qu'au demeurant la société Donoma n'étant partie à l'instance que par une intervention volontaire, aucun lien juridique entre elle et lui n'est né de ce fait, et qu'il doit donc l'assigner. Il soutient, plus généralement, que le tirage original, qui contient un tampon au nom de l'auteur, est « vital pour trancher le litige », faisant référence à [S] [B] qui prouvait par ce moyen sa qualité d'auteur de certaines photographies. Il ajoute que cet original est signé au verso, et que la photographie publiée originellement en 1993, dans un livre consacré aux auteurs de bande-dessinée, était également signée. Il explique enfin que la facture d'agrandissement vise à identifier la personne ayant payé l'agrandissement.
10. Il fonde par ailleurs sa demande d'éléments chiffrés sur la nécessité de fixer une sanction proportionnée à la contrefaçon.
11. La fondation communique le nombre de visiteurs (payants et gratuits) de l'exposition, les recettes, et les éléments comptables correspondants. Elle soutient que la production du fascicule destiné aux enfants relevait de Donoma, mais qu'elle a obtenu la communication de courriels qu'elle produit à son tour aux débats et qui indiquent un tirage total de 30 000 exemplaires, sans qu'elle puisse confirmer le tirage définitif ; que le catalogue incombait également à la société Donoma, et qu'elle n'a pas d'information hormis l'achat par elle-même de 700 exemplaires. Elle en conclut que l'incident est privé d'objet à son égard. Elle critique enfin le recours à un incident avant même de demander les pièces, ce qui rend la demande infondée voire abusive selon elle ; outre que le demandeur sait, précise-t-elle, que c'est la société Donoma qui est responsable.
12. La société Donoma, qui rappelle qu'elle admet que le tirage photographique offert par M. [T] à [F] [J] comportait son cachet au verso, et que c'est ce tirage qui a fait l'objet d'un agrandissement, estime la communication de ce tirage sans intérêt pour la solution du litige. Elle conteste également toute utilité à la facture d'agrandissement dès lors qu'elle ne revendique aucun droit sur la photographie et qu'ainsi, explique-t-elle, cette facture ne serait « pas de nature à établir la réalité d'un droit ».
13. À propos des données numériques réclamées, elle communique son bilan et son compte de résultats 2021 accompagnés d'une attestation de son expert-comptable selon laquelle l'exposition litigieuse est sa seule opération de l'année. Elle affirme par ailleurs qu'elle va interroger l'éditeur du catalogue et celui du fascicule, mais que, ne disposant pas de ces éléments, elle ne peut se voir soumise à une astreinte.
MOTIVATION
14. Le demandeur n'a pas estimé utile de qualifier juridiquement sa demande de pièces. La communication forcée des éléments de preuve détenus par les parties est toutefois prévue par l'article 142 du code de procédure civile qui renvoie aux articles 138 et 139, le premier visant de façon générale les actes ou les pièces détenues par un tiers, le second ajoutant simplement que le juge fait droit à la demande s'il l'estime fondée.
15. S'agissant du tirage photographique, il est constant que M. [T] est l'auteur de l'oeuvre qu'il invoque, et il bénéficie de la présomption de titularité résultant de la divulgation de l'oeuvre sous son nom dans le livre de 1993 qu'il communique lui-même aux débats (sa pièce no2). La recherche du cachet de l'artiste au dos du tirage est donc inutile. La communication de ce tirage ne serait pas davantage utile à la preuve de l'identité de son propriétaire actuel, outre qu'il résulte des écritures de M. [T] lui-même que ce tirage n'appartient pas à la société Donoma, qui ne peut donc se voir contrainte à le communiquer. Sa demande en ce sens est donc manifestement infondée et, par conséquent, rejetée.
16. S'agissant de la facture d'agrandissement, son objectif est expressément de rechercher la responsabilité d'un tiers à l'instance. L'utilité de cette demande de pièce, pour l'instance, n'est donc pas perceptible, sans que soit invoqué de fondement juridique pour une demande excédant les besoins de celle-ci. Sa demande est donc rejetée.
17. Par ailleurs, il peut être observé que si M. [T] n'a encore formé aucune prétention au fond contre la société Donoma, de sorte qu'en effet ils n'y a pas de « lien juridique » entre eux, ils n'en sont pas moins tous deux parties à la même instance (comme il le rappelle lui-même au demeurant), de sorte qu'en application de l'article 68 du code de procédure civile, de telles demandes devraient être formées par voie de conclusions, et non d'assignation, nonobstant l'affirmation contenue dans la décision qu'il cite (TJ Paris, 8 juillet 2022, 18/05382).
18. Pour le reste, les informations demandées pour établir le préjudice ont déjà été remises, à l'exception du tirage du catalogue. La société Donoma, qui expose être en mesure de l'obtenir, s'y verra enjointe en tant que de besoin. Sa bonne volonté rend en revanche inutile une astreinte. S'agissant de la fondation, qui a également prouvé sa bonne volonté en communiquant spontanément les informations demandées, rien ne rend plausible qu'elle dispose de cette information ou soit en mesure de l'obtenir, et la demande dirigée contre elle doit par conséquent être rejetée.
Dispositions finales
19. M. [T] voit l'essentiel de ses demandes rejetées ; celles qui sont fondées ont été acceptées sans qu'il soit besoin d'une décision judiciaire ; il a ainsi inutilement complexifié la procédure, exposant les défenderesses à des frais évitables qu'il doit indemniser, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
20. Il appartient maintenant à M. [T] de conclure sur la base des éléments obtenus (et ceux restant à obtenir prochainement).
PAR CES MOTIFS
Le juge de la mise en état :
Ordonne à la société Donoma de communiquer à M. [T] le tirage du catalogue de l'exposition, dans un délai de 30 jours à compte de la décision ;
Rejette les autres demandes de M. [T]
Condamne M. [T] à payer 2 000 euros à la fondation Dina Vierny - musée [7] et 1 500 euros à la société Donoma au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de l'incident ;
Fixe au 15 juin 2023 le prochain examen de la mise en état de l'affaire, avec :
- conclusions de M. [T] pour le 8 juin 2023 si la date de communication du tirage du catalogue le permet.
Faite et rendue à Paris le 28 Avril 2023
Le Greffier Le Juge de la mise en état
Quentin CURABET Arthur COURILLON-HAVY