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21/04/2023 | FRANCE | N°22/06910

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0087, 21 avril 2023, 22/06910


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 22/06910
No Portalis 352J-W-B7G-CXAKD

No MINUTE :

Assignation du :
25 Mai 2022

JUGEMENT
rendu le 21 Avril 2023
DEMANDERESSES

S.A. ORANGE
[Adresse 1]
[Localité 5]

Société ORANGE BRAND SERVICES LIMITED
[Adresse 3]
[Localité 6] (ROYAUME-UNI)

représentée par Maître Marguerite BILALIAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0063

DÉFENDERESSE

S.A.S. FYBER X
[Adresse 2]
[Localité 4]

défaillant

COMPOSITION

DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assisté de Monsieur Quentin CURABET, Gref...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 22/06910
No Portalis 352J-W-B7G-CXAKD

No MINUTE :

Assignation du :
25 Mai 2022

JUGEMENT
rendu le 21 Avril 2023
DEMANDERESSES

S.A. ORANGE
[Adresse 1]
[Localité 5]

Société ORANGE BRAND SERVICES LIMITED
[Adresse 3]
[Localité 6] (ROYAUME-UNI)

représentée par Maître Marguerite BILALIAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0063

DÉFENDERESSE

S.A.S. FYBER X
[Adresse 2]
[Localité 4]

défaillant

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier,

en présence d'Anne BOUTRON, Magistrate en formation.

DEBATS

A l'audience du 05 Janvier 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile.

Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe, en dernier lieu, le 21 Avril 2023.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à dipsosition au greffe
Réputé contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

1. La société de droit anglais Orange brand services, et la société Orange, reprochent à la société Fyber X d'avoir vendu des produits appartenant à la seconde et revêtus de marques appartenant à la première et dont la seconde est licenciée, tout en se prétendant à tort numéro un du secteur, commettant ainsi selon elles une contrefaçon de ces marques, une faute civile de droit commun et une concurrence déloyale.

2. Elles invoquent ainsi les deux marques figuratives de l'Union européenne « Orange » suivantes, numéro 000127902 (déposée le 1er avril 1996 et enregistrée le 28 mars 2001) et numéro 012542262 (déposée le 28 janvier 2014 et enregistrée le 28 octobre 2014), désignant des produits notamment en classe 9. La première de ces marques est représentée ci-dessous à gauche. Elle est enregistrée en noir et blanc, sans indication de couleur, bien que les demanderesses la représentent en orange. Elle sera désignée ci-après comme la marque Orange noir et blanc. La seconde est représentée à droite. Le texte est blanc et le carré orange. Elle sera désignée ci-après comme la marque Orange en couleur.

3. Elles exposent que la société Orange met gratuitement à disposition des entreprises chargées de déployer la fibre optique le matériel nécessaire, en particulier des câbles à fibre optique et des boîtiers qu'elle commande auprès de différents fournisseurs tiers, en concluant avec elles un contrat de dépôt, de sorte que les équipements fournis restent sa propriété.

4. Les sociétés Orange et Orange brand se sont aperçues, courant 2021, de la commercialisation par la société Fyber X, sur son site internet, de câbles et boîtiers à fibre optique provenant frauduleusement de ces matériels laissés en dépôt, dont certains étaient revêtus, sur leur emballage, de la marque Orange. Après avoir fait procéder à des constats d'achat, elles ont été autorisées, le 24 mars 2022, à faire procéder à des opérations de saisie-contrefaçon qui ont eu lieu le 28 avril 2022 et aux termes desquelles elles disent avoir appris que la société Fyber X rachetait des produits auprès d'installateurs de fibre optique.

5. Elles l'ont ensuite fait assigner le 25 mai 2022 devant ce tribunal en contrefaçon de marque, responsabilité civile et concurrence déloyale. L'instruction a été close le 1er septembre 2022.

6. Dans leur assignation, les sociétés Orange et Orange brand demandent :
? de condamner la société Fyber X à payer à la société Orange brand 75 000 euros de dommages et intérêts pour contrefaçon de marques,
? de condamner la société Fyber X à payer à la société Orange 100 000 euros de dommages et intérêts pour contrefaçon de marque et commercialisation fautive de produits lui appartenant,
? des mesures d'interdiction et de publication sous astreinte,
? de condamner la société Fyber X à leur verser 6 000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

7. Elles font valoir que la société Fyber X a commis des actes de contrefaçon de marque en commercialisant, sans leur accord, des produits dont les emballages étaient revêtus de la marque Orange dont est titulaire la société Orange brand et dont est licenciée la société Orange, produits par ailleurs identiques à ceux visés aux enregistrements. Elles ajoutent que la défenderesse a reconnu, lors des opérations de saisie-contrefaçon, ne pas être autorisée à vendre ces produits.

8. Elles soutiennent que la société Fyber X engage par ailleurs sa responsabilité extra-contractuelle du fait de la commercialisation illicite de produits appartenant à la société Orange et seulement mis à disposition de ses partenaires installateurs, à savoir :
- des boîtiers PTO 4 FO, fabriqués par la société Nexans,
- des jarretières simplex monomode 1,6mm, fabriquées par la société Folan,
- d'autres produits fabriqués par les sociétés Nexans et Omelcom.

9. En effet, expliquent-elles, la société Fyber X ne produit aucune facture d'achat des produits litigieux et a dit avoir racheté divers matériels auprès d'installateurs au moyen d'un système d'avoirs frauduleux. Elles énoncent que le préjudice qui en découle est certain dès lors que se retrouvent sur le marché des produits fabriqués à la demande et aux frais de la société Orange pour le déploiement de la fibre et qui sont vendus par la défenderesse à son seul bénéfice, mais également car la société Orange est exposée à un risque de voir sa responsabilité engagée du fait du matériel en circulation.

10. Elles énoncent enfin que la défenderesse, en se présentant sur son site internet comme le « fournisseur numéro 1 du matériel optique » et comme le « leader de son domaine », se rend coupable de pratiques commerciales trompeuses, ces allégations étant fausses et ayant pour effet de tromper les clients sur le sérieux et l'expertise de la société Fyber X en la matière, ce qui constitue des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Orange.

11. A titre de réparation, outre des mesures d'interdiction et de publication sous astreinte, la société Orange brand sollicite la somme forfaitaire de 50 000 euros en réparation de son préjudice matériel et la somme de 25 000 euros en réparation de son préjudice moral du fait des actes de contrefaçon. Se fondant sur le 2e alinéa de l'article L. 716-4-10, elle fait valoir que la revente de produits revêtus de la marque à des tiers présente un risque de voir ces produits utilisés pour déployer des projets concurrents, ce qui banaliserait la marque, tromperait les clients qui penseraient que les projets sont menés sous la supervision ou avec l'assistance d'Orange, et lui causerait un préjudice d'image.

12. La société Orange, se fondant sur le 1er alinéa de l'article L. 716-4-10 et invoquant son préjudice propre, évalue quant à elle sa perte subie à la somme de 50 000 euros et les bénéfices réalisés par la société Fyber X à la somme de 50 000 euros, et additionne ces deux sommes pour déterminer son préjudice. Sur ses pertes, elle soutient que le nombre de pièces détournées par la défenderesse sont autant de produits qu'elle ne pourra pas utiliser sur ses autres projets, et qu'elle sera donc obligée de racheter ; sur les bénéfices du contrefacteur, elle estime que le rachat « à vil prix » de produits lui appartenant a généré des bénéfices importants pour la défenderesse, ce qui lui donnerait un avantage compétitif pour les autres produits et lui permettrait de s'attirer des clients.

13. Sur la publication du jugement, les demanderesses estiment nécessaire d'informer les clients de la société Fyber X et les professionnels du secteur, afin d'assurer l'entière réparation de leur préjudice.

14. La société Fyber X, régulièrement citée à sa personne, d'une part par remise de l'acte à l'adresse de son siège à une personne s'étant dit assistante et déclarée habilitée à le recevoir, d'autre part par l'envoi de la lettre prévue à l'article 658 du code de procédure civile, n'a pas constitué avocat. La présente décision est donc réputée contradictoire.

MOTIVATION

I . Demandes en contrefaçon, concurrence déloyale et responsabilité de droit commun

1 . Atteinte au droit du titulaire des marques

15. Le droit conféré par les marques de l'Union européenne est prévu par le règlement 2017/1001, à son article 9, rédigé en ces termes :

« 1. L'enregistrement d'une marque de l'Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif.

2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque :

a) ce signe est identique à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée;

b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque;
(...)

3. Il peut notamment être interdit, en vertu du paragraphe 2:

a) d'apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement;

b) d'offrir les produits, de les mettre sur le marché ou de les détenir à ces fins sous le signe, ou d'offrir ou de fournir des services sous le signe; »

16. L'atteinte au droit conféré par la marque de l'Union européenne est qualifiée de contrefaçon, engageant la responsabilité civile de son auteur, par l'article L. 717-1 (dans le cas des marques de l'Union européenne).

17. La Cour de justice de l'Union européenne a précisé que le droit exclusif du titulaire de la marque, qui n'est pas absolu, ne l'autorise à s'opposer à l'usage d'un signe par un tiers en vertu de l'article 9, dans les conditions énumérées au paragraphe 2, sous a) et b), que si cet usage porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, et notamment à sa fonction essentielle, qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service (CJCE, 12 novembre 2002, Arsenal football club, C-206/01, point 51 ; plus récemment, CJUE, 25 juillet 2018, Mitsubishi, C-129/17, point 34).

18. Dans le cas où l'article 9, paragraphe 2, sous a) est applicable (double identité de signes et de produits ou services), il peut s'agir d'une atteinte à l'une quelconque des fonctions de la marque : non seulement la fonction essentielle (garantie de provenance), mais aussi celle qui consiste « à garantir la qualité de ce produit ou de ce service, ou celles de communication, d'investissement ou de publicité » (CJCE, 18 juin 2009, L'Oréal, C-487/07, point 58).

19. Dans le cas prévu au paragraphe 2, sous b) (similitude de signe et de produits ou services), la condition spécifique de la protection est « le risque de confusion et donc une possibilité d'atteinte à la fonction essentielle de la marque » (L'Oréal précité, point 59). Autrement dit, en ce cas, le signe doit porter atteinte à la fonction d'indication d'origine « en raison d'un risque de confusion dans l'esprit du public » (CJCE, 12 juin 2008, O2 holdings, C-533/06, point 57 ; voir aussi CJUE, 3 mars 2016, Daimler, C-179/15, point 27).

20. Les demanderesses démontrent, par un constat d'achat des 5 et 31 aout 2021 (pièce no11), que le site internet Fyberx.com vend des kits de câbles et boitiers désignés « PTO 1 fo précâblé intérieur 30m », dont l'emballage est revêtu, entre autres signes, d'un signe identique à la marque Orange en couleur, et donc très similaire à la marque Orange noir et blanc.

21. Il ressort de la page de confirmation de la commande sur le site internet fyberx.com, de l'étiquette apposée sur le colis, et du bon de commande qui y était inséré (pièce no11) que la vente effectuée sur ce site internet est le fait de la société Fyber X, défenderesse à cette instance.

22. La marque Orange noir et blanc est enregistrée notamment pour désigner des appareils et instruments électriques et électroniques de communication et de télécommunication. La marque Orange en couleur est quant à elle enregistrée notamment pour désigner des câbles à fibre optiques et des systèmes et installations de télécommunications. Le câble de fibre optique et le boitier vendus par la défenderesse sont ainsi des produits identiques à ceux pour lesquels la marque Orange en couleur est enregistrée, et fortement similaires à ceux pour lesquels la marque Orange noir et blanc est enregistrée.

23. L'apposition du signe sur cet emballage est sans ambigüité une indication de provenance commerciale du produit, ne serait-ce que par l'indication d'un partenariat entre le fabricant et la société Orange, ou d'un aval donné par celle-ci à la qualité du produit. Le signe est donc utilisé « pour des produits ».

24. Certes, ce signe n'est pas apparent sur le site internet, et il ressort du constat d'achat (pièce no11) que l'acquéreur du produit n'avait aucun moyen de savoir avant de faire son choix que le signe figurait sur l'emballage. Cependant, le fait que cette information (la présence de la marque Orange) soit découverte seulement après l'achat est sans incidence dans la mesure où le produit peut être revendu ou présenté dans le même emballage à une personne qui le verra, situation où la marque exercera sa fonction essentielle d'indication de provenance commerciale (voir, en ce sens, CJCE, 12 novembre 2002, Arsenal football club, C-206/01, point 57).

25. Ainsi, à l'égard de la marque Orange noir et blanc, et en raison de la quasi identité du signe à la marque et de la grande similarité des produits, cet usage crée un risque de confusion dont il résulte une atteinte à la fonction essentielle de la marque.

26. Il en va a fortiori de même à l'égard de la marque Orange en couleur, dont le signe en cause est identique et utilisé pour des produits identiques. En outre, l'usage en cause porte également atteinte à la fonction de garantie de qualité de la marque, dès lors que l'utilisateur du produit attribuera la responsabilité de sa qualité à l'entreprise titulaire de la marque, même sans l'avoir initialement acheté en considération de cette marque ; ce qui, en présence d'une double identité (signes et produits ou services) permet de retenir une atteinte au droit exclusif conféré par la marque.

27. L'usage litigieux a enfin été fait dans la vie des affaires, sans l'autorisation du titulaire des marques. À cet égard, la présente espèce a ceci de particulier que l'apposition de la marque sur l'emballage des produits avait à l'origine été fait avec le consentement du titulaire de la marque, puisqu'il s'agit de produits authentiques, dans leur emballage d'origine. Toutefois, cette circonstance que les produits sont « authentiques » n'a pas d'incidence en elle-même, car il est essentiel que le titulaire de la marque puisse contrôler non pas seulement la fabrication du produit revêtu de la marque, mais surtout sa première mise dans le commerce dans l'Espace économique européen. C'est ce qui résulte du mécanisme de l'épuisement du droit prévu par l'article 15 du règlement 2017/1001 (en ce sens, CJUE, 25 juillet 2018, Mitsubichi, C-129/17, points 31 et 32, et jurisprudence citée). Or, la société Fyber X n'a pas comparu pour alléguer et démontrer cet épuisement du droit, dont la preuve incombe en principe à la partie qui s'en prévaut (CJUE, 17 novembre 2022, Harman, C-175/21, point 50, et jurisprudence citée).

28. Par conséquent, l'usage litigieux est une atteinte au droit conféré par les marques, c'est-à-dire une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur.

29. Aucun autre fait susceptible de porter atteinte au droit conféré par les marques n'est allégué dans la partie « discussion » de l'assignation.

2 . Faute résultant de la « revente illicite de produits appartenant à la société Orange acquis illicitement [par] un système opaque [...] d'avoirs »

30. En vertu de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

31. Pour démontrer que la société Fyber X savait, en acquerrant les matériels litigieux, que ceux-ci avaient une source illicite, la société Orange se prévaut en premier lieu du procès-verbal de saisie-contrefaçon qui énonce que le président de la société Fyber X « précise [à l'huissier] connaitre parfaitement l'interdiction de vendre des produits estampillés de marque Orange ». Outre que les déclarations faites par des personnes lors d'une saisie-contrefaçon, sans aucune garantie quant à leur droit de ne pas s'incriminer elles-mêmes, et en particulier de ne pas répondre aux questions qui leur sont posées et de se faire conseiller par un avocat quant à la portée juridique de leurs déclarations, qui plus est dans un contexte de pression et de surprise, sont intrinsèquement peu fiables et ne peuvent pas valoir aveu, il doit être observé en toute hypothèse au cas présent que cette déclaration ne porte sur rien de plus que l'interdiction légale de vendre des produits revêtus d'une marque sans l'accord de son titulaire. Cette vente illicite a fait l'objet de la partie précédente et il ne peut pas en être déduit d'autres comportements fautifs.

32. De la même manière, la déclaration du président de la société Fyber X selon laquelle il procède « à des avoirs à certaines sociétés en retour de matériel » ne prouve aucun fait précis, ni aucun système en général. Outre que, là encore, aucun aveu ne peut être tiré d'un procès-verbal de saisie-contrefaçon, il n'est en toute hypothèse pas illicite de rembourser ses clients par avoir lors d'un retour de matériel.

33. Enfin, la société Orange se prévaut de l'impossibilité pour la défenderesse de justifier l'origine des produits litigieux, soulignant que l'huissier a constaté que « toutes les factures d'achat des différents kits PTO conservées par la société Fyber X proviennent exclusivement de la société Omelcom » alors que les kits litigieux auraient été fabriqués par une autre société. Cette absence de traçabilité est certes suspecte, mais elle ne constitue pas à elle seule une preuve d'un achat sciemment frauduleux ou illicite.

34. Au demeurant, la demanderesse fonde le caractère illicite des acquisitions de produits sur le fait que ceux-ci seraient sa propriété, en vertu des contrats la liant aux entreprises installant les réseaux. Mais elle ne produit, pour le prouver, que son « contrat type », qui en tant que tel n'a pas plus de force probante qu'une simple allégation : il s'agit d'un document dont la déclinaison en pratique est absolument invérifiable et dont rien ne permet de supposer qu'il a donné lieu à de véritables contrats portant sur les produits en cause. Il n'est donc pas démontré que ces produits fussent toujours la propriété d'Orange lorsqu'ils ont été acquis par la société Fyber X.

35. Reposant ainsi seulement sur des suspicions non étayées et de simples allégations, la faute invoquée n'est pas caractérisée. Par conséquent, les demandes à ce titre doivent être rejetées.

3 . Concurrence déloyale du fait d'affirmations mensongères

36. Si la société Fyber X n'est, en effet, manifestement pas la « numéro 1 du secteur » ou « leader » de la vente de matériel pour la fibre optique, la société Orange n'expose pas en quoi elle serait, personnellement, affectée par cette pratique commerciale trompeuse.

37. En effet, la demanderesse explique mettre gratuitement à disposition de ses « intégrateurs » les matériels utiles, sans leur vendre ; elle n'allègue donc aucun avantage qu'elle perdrait lorsque ces matériels seraient vendus par un tiers. Il est au demeurant difficile d'imaginer dans quelle situation un de ces intégrateurs préfèrerait payer pour du matériel s'il peut l'obtenir de la part de la société Orange. Il n'y a donc aucune conséquence négative, pour celle-ci, résultant de l'affirmation litigieuse.

38. Ses demandes à ce titre doivent par conséquent être rejetées.

4 . Réparation et autres mesures

39. En vertu de l'article L. 716-4-10 du code de propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en compte distinctement les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée, le préjudice moral causé à cette dernière, et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

40. Le second alinéa de cet article prévoit, à titre alternatif et à la demande de la partie lésée, la possibilité d'allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire, supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte ; et qui n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

41. Ces dispositions doivent être interprétées, d'une part, à la lumière du principe de réparation intégrale, en vertu duquel la partie lésée doit se trouver dans la situation qui aurait été la sienne en l'absence des faits litigieux, sans perte ni profit pour elle ; d'autre part, à la lumière de la directive 2004/48 sur le respect des droits de propriété intellectuelle, qui prévoit à son article 13 que les dommages et intérêts doivent être adaptés au préjudice que le titulaire du droit « a réellement subi du fait de l'atteinte ».

42. Par ailleurs, l'article L. 716-4-11 du même code prévoit notamment le rappel des produits contrefaisants des circuits commerciaux, ou leur destruction, et toute mesure appropriée de publicité, aux frais du contrefacteur.

43. L'interdiction demandée est justifiée dans la mesure où elle porte sur des câbles et boitiers pour fibre optiques, ou leur emballage, revêtus de la marque Orange. Aucun autre produit contrefaisant n'étant allégué, aucune autre interdiction ne peut être prononcée.

44. S'agissant du préjudice, il faut observer en premier lieu que la société Orange, bien que fondant sa demande sur le droit des marques, allègue en fait les conséquences du détournement de produits issus de ses stocks, et non les conséquences de l'usage de la marque elle-même. Cette demande, qui repose ainsi sur un principe de responsabilité qui n'est pas fondé (cf ci-dessus partie 2), doivent être rejetées.

45. La société Orange brand, en tant que titulaire des marques, a subi un préjudice tiré de l'usage des marques sans son consentement. Cet usage est toutefois très limité : il n'a porté que sur une unique référence de produit, au prix très faible, et sans avoir aucune influence sur l'acte d'achat. Le préjudice ne consiste donc qu'en l'association erronée, faite après le premier achat, du produit avec la société Orange. Il est encore limité par le fait que, la marque n'étant apposée que sur l'emballage, une fois le produit déballé, aucun lien avec la société Orange ne demeure. L'exposition du public est donc particulièrement limitée, et aucun risque n'existe, en particulier, que quiconque se méprenne a posteriori sur l'opérateur à l'origine de l'installation du réseau, comme l'allègue la demanderesse. Sa demande d'indemnité forfaitaire peut donc être fixée à 1 000 euros, outre 2 000 euros de préjudice moral.

46. Ce préjudice est entièrement réparé par ces dommages et intérêts sans qu'il soit besoin d'une mesure de publication, dont la gravité serait au demeurant disproportionnée à la faible ampleur du préjudice.

II . Dispositions finales

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie.

La société Fyber X perd le procès en partie. Elle peut être tenue aux dépens. En revanche il ne serait pas équitable de la condamner à payer les autres frais exposés par la demanderesse à hauteur de plus de 1 000 euros.

L'exécution provisoire est de droit, et rien ne justifie de l'écarter ici.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal :

Condamne la société Fyber X à payer 3 000 euros à la société Orange brand services en réparation de la contrefaçon de ses marques de l'Union européenne 000127902 et 012542262 ;

Interdit à la société Fyber X de vendre des câbles et boitiers pour fibre optique revêtus de l'une de ces marques, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, qui débutera 5 jours après la signification du jugement puis courra pendant 90 jours ;

Rejette la demande en publication ;

Rejette les demandes en dommages et intérêts et interdiction fondées sur la faute tirée de la revente de produits appartenant à la société Orange, et sur la concurrence déloyale ;

Condamne la société Fyber X aux dépens ainsi qu'à payer 1 000 euros à la société Orange brand services au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 21 Avril 2023

Le Greffier La Présidente
Quentin CURABET Irène BENAC


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0087
Numéro d'arrêt : 22/06910
Date de la décision : 21/04/2023

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2023-04-21;22.06910 ?
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