TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
3ème chambre
1ère section
No RG 21/09930
No Portalis 352J-W-B7F-CUXLT
No MINUTE :
Assignation du :
08 juillet 2021
JUGEMENT
rendu le 13 avril 2023
DEMANDERESSE
S.A.S. AMCP
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Alexandra ATLAN-ELHAÏK de la SELARL ATLAN et BOKSENBAUM AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E1876
DÉFENDERESSE
S.A.S. NESTLE FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Yves BIZOLLON de l'AARPI BIRD et BIRD, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0255
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Malik CHAPUIS, Juge,
assistés de Caroline REBOUL, Greffière
en présence de [N] [X], magitrat en stage de pré affectation
et de Pauline HENG, Greffière stagiaire
DEBATS
A l'audience du 30 janvier 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 13 avril 2023.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
1. La société par actions simplifiée AMCP, créée en 2017 par Mme [P] [T] et M. [D] [W], commercialise du chocolat, notamment sous forme de tablette, par l'intermédiaire de son site internet et de son réseau de distributeurs.
2. La société AMCP indique commercialiser le chocolat qu'elle fabrique sous forme de tablettes de dégustation sous la marque « Encuentro ». Elle précise avoir développé l'emballage de ces produits avec une agence en 2017, dont le plus emblématique est celui de la tablette « Encuentro 70% Haïti » représentant une cabosse de couleur orange à reflets jaune apposée sur un fond uni couvrant la quasi-totalité de l'emballage.
3. Le 11 décembre 2017, la société AMCP a déposé auprès de l'INPI une enveloppe e-Soleau contenant l'emballage de la tablette « Encuentro 70% Haïti ».
4. La société AMCP indique avoir lancé en juin 2021 une nouvelle tablette dénommée « Encuentro 70% Mexique » qui est, selon elle, similaire à celui de la tablette « Encuentro 70% Haïti » à l'exception de la couleur violette de la cabosse.
5. La société par actions simplifiée Nestlé France se présente comme une filiale du groupe Nestlé commercialisant en France du chocolat et des confiseries par l'intermédiaire de son réseau de distributeurs, en ligne et en magasin.
6. La société AMPC indique avoir découvert au mois de mars 2021 que la société Nestlé France offrait à la vente sous ses marques « Nestlé » et « Les recettes de l'atelier » une tablette de chocolat noir dénommée « Incoa » avec un packaging reproduisant, selon elle, les caractéristiques essentielles du packaging de la tablette « Encuentro 70% Haïti ».
7. Par courrier du 9 mai 2021, la société AMCP a mis en demeure la société Nestlé France de cesser la commercialisation de sa tablette de chocolat « Incoa » qu'elle estime porter atteinte à ses droits d'auteur sur l'emballage de la tablette « Encuentro 70% Haïti » et demandé l'indemnisation de préjudice en résultant.
8. Par courrier du 31 mai 2021, la société Nestlé a refusé d'accéder aux demandes de la société AMCP, notamment car selon elle l'emballage de la table « Encuentro » serait dépourvue d'originalité.
9. Par acte d'huissier du 8 juillet 2021, la société AMCP a assigné la société Nestlé France devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de droits d'auteur et concurrence déloyale.
10. La société AMCP indique avoir découvert en novembre 2021 le lancement par la société Nestlé d'une tablette « Incoa 80% » commercialisée selon elle dans le même emballage et dans un coloris également utilisé par la société AMCP pour l'emballage de la tablette « Encuentro 70% Mexique ».
11. Par courrier du 6 décembre 2021, la société AMCP a mis en demeure la société Nestlé France de cesser l'ensemble des actes contrefaisants, déloyaux et parasitaires.
12. Par courrier du 14 décembre 2021, la société Nestlé France a invité la société AMCP à présenter ses griefs dans le cadre de la procédure déjà pendante devant le tribunal.
13. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 juin 2022, la société AMCP demande au tribunal de :
-condamner la société Nestlé France à payer à la société AMCP :
*la somme de 400 000 euros en réparation de la violation de ses droits patrimoniaux d'auteur ;
*la somme de 100 000 euros en réparation de la violation de ses droits moraux d'auteur ;
-subsidiairement, condamner la société Nestlé France à payer à la société AMCP, la somme de 500 000 euros en réparation du préjudice subi au titre des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;
-condamner la société Nestlé France à payer à la société AMCP, la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice subi au titre des actes de concurrence déloyale résultant des pratiques commerciales déloyales et trompeuses ;
-faire interdiction à la société Nestlé France, sous astreinte définitive de 1 000 euros par infraction constatée après l'expiration d'un délai de 24 h à compter du jugement à intervenir, de fabriquer, faire fabriquer, importer, commercialiser directement ou indirectement, détenir, ou continuer à exploiter le « packaging » contrefaisant celui de la société AMCP ;
-ordonner, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, le rappel et la destruction, dans les 48 h suivant la signification du jugement à intervenir, de tous stocks contrefaisants et de tous documents ou supports s'y rapportant détenus ou appartenant à la société Nestlé France et ce, en tous lieux où ils se trouveraient ;
-ordonner à titre de complément de dommages et intérêts, la publication du jugement à intervenir, par extrait ou dans son intégralité, dans trois journaux ou revues au choix de la société AMCP, et aux frais de la société Nestlé France, pour un montant maximum de 3 000 euros par insertion, et sur la page d'accueil des sites internet https://www.nestle.fr et https://www.croquonslavie.fr, pendant une période d'un mois et ce sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, à compter de la signification du jugement à intervenir.
-dire n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de la décision à intervenir
-condamner la société Nestlé France à la somme de 20 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, comprenant notamment les frais de constat de l'Étude d'Huissier de Justice Jourdain – Dubois – Racine.
14. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 mars 2022, la société Nestlé France demande au tribunal de :
-débouter la société AMCP de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
-subsidiairement, suspendre l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
Plus subsidiairement, ramener le montant des dommages et intérêts à de plus justes proportions,
-condamner la société AMCP à lui payer la somme de 60 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens dont distraction au profit de Me Bizollon, avocat.
14.1 L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du 18 octobre 2022 et renvoyée à l'audience du 30 janvier 2023 pour plaidoirie. La décision a été rendue le 13 avril 2023.
SUR CE
1. La contrefaçon de droits d'auteur
15. Selon la société AMCP, les emballages des tablettes de chocolat « Incoa 70% » et « Incoa 80% » commercialisées par la société Nestlé France reprennent l'ensemble des caractéristiques essentielles de l'emballage « Encuentro 70% Haïti, en particulier une cabosse de couleur orange lisse, avec un contour net, sans rainures ni bosses ou aspérités, pourtant spécifiques à la cabosse de cacao, qui recouvre la quasi-totalité de la surface avant. La société AMCP soutient que le seul fait que Nestlé France utilise une étiquette blanche sur les emballages de ses tablettes depuis 2014 ne suffit pas à écarter la qualification de contrefaçon.
Elle estime que l'ensemble des caractéristiques de son emballage témoignent de l'empreinte de la personnalité de son auteur en ce qu'elles expriment une authenticité, un savoir-faire artisanal renvoyant à l'histoire personnelle de ses fondateurs outre une balance entre une typographie traditionnelle et une aquarelle plus douce. Elle considère que la société Nestlé ne démontre pas l'absence d'exploitation non équivoque ou la revendication par un tiers de la qualité d'auteur. De la même façon, elle dit que Nestlé n'apporte pas la preuve d'une contrainte fonctionnelle justifiant une telle représentation qui doit être appréciée dans son ensemble.
16. La société Nestlé France soutient que les différentes caractéristiques développées au soutien de l'originalité de l'oeuvre sont banales et répondent à des contraintes fonctionnelles tenant à l'information sur la composition du produit et sa production artisanale et haut de gamme. Elle considère que la combinaison d'éléments banals, telle la reproduction d'une cabonne à l'état naturel, ne peut créer une oeuvre originale.
La société Nestlé expose que l'étiquette blanche et les anciens caractères d'imprimerie sont des éléments banals et que la société Nestlé France utilise sur l'emballage de la tablette « Incoa » la même étiquette que celle qu'elle utilise depuis 2014 pour la gamme « Nestlé - Les recettes de l'Atelier ». Selon la société Nestlé France, les emballages de la société AMCP matérialisent des reflets et contrastes qui n'apparaissent pas sur les emballages « Incoa ».
Appréciation du tribunal
1.1 Sur l'originalité
17. Aux termes de l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle « l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. / Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code (...) ».
18. Selon l'article L. 112-1 du même code « les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination ».
19. Pour qu'un objet puisse être regardé comme original, il est à la fois nécessaire et suffisant que celui-ci reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier. En revanche, lorsque la réalisation d'un objet a été déterminée par des considérations techniques, par des règles ou par d'autres contraintes, qui n'ont pas laissé de place à l'exercice d'une liberté créative, cet objet ne saurait être regardé comme présentant l'originalité nécessaire pour pouvoir constituer une oeuvre (CJUE, 12 septembre 2019, C.683/17, Cofemel - Sociedade de Vestuário SA contre G-Star Raw CV).
20. Lorsque l'originalité d'une oeuvre de l'esprit est contestée, il appartient à celui qui revendique la protection au titre du droit d'auteur, à même d'identifier les éléments traduisant sa personnalité, d'identifier ce qui caractérise cette originalité.
21. En l'espèce, les oeuvres revendiquées sont présentées par la société AMCP comme des emballages des tablettes de chocolat qu'elle commercialise. Elle décrit les caractéristiques suivantes :
- « une unique cabosse, qui couvre la quasi-totalité du recto du packaging,
-de couleur orange,
-à l'aspect lisse, contour net, dépourvu des rainures et bosses pourtant spécifiques au
fruit,
-avec des reflets jaune contrastants,
-apposé sur un fond uni,
-une étiquette blanche rectangulaire est apposée sur la cabosse,
-la police de caractères rappelle les anciens caractères d'imprimerie,
-la composition 70% est mise en avant en grands caractères gras,
-les deux uniques ingrédients sont directement renseignés sur cette étiquette ».
22. Certains de ces éléments sont dictés par la fonction technique de l'emballage, telle l'indication de la teneur en cacao et la mention des ingrédients. D'autres sont banals, comme la représentation d'une cabosse pour désigner du chocolat. Prises isolément, ces caractéristiques ne peuvent toutefois écarter l'originalité revendiquée qui doit porter sur une appréciation d'ensemble de l'oeuvre.
23. Ces éléments, pris dans leur ensemble, attestent d'une opposition entre une étiquette à la typographie d'imprimerie traditionnelle et une représentation stylisée, sous forme d'aquarelle, d'une cabosse de cacao accentuant ses couleurs naturelles orangée ou violette.
24. Contrairement au fruit d'aspect verruqueux et irrégulier, les emballages litigieux sont présentés de façon lisse, avec des couleurs vives et des effets de dégrédés et de reflets.
25. Cette présentation véhicule une atmosphère artisanale et sobre d'authenticité et de qualité, combinée de façon originale, avec une représentation graphique colorée pouvant évoquer un élément passionnel, revendiqué par la société AMCP, et la gourmandise associée au produit.
26. Les emballages revendiquées démontrent donc un effort créatif traduisant l'empreinte de la personnalité de son auteur. Ils sont originaux.
1.2 Sur la contrefaçon
27. Aux termes de l'article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ».
28. La contrefaçon s'apprécie par les ressemblances et non par les différences.
29. En l'espèce, l'emballage du produit Incoa de Nestlé comporte une étiquette blanche irrégulière en sa partie supérieure qui contient la marque « Nestlé », un fond uni et une cabosse lisse verticale en couleur orange ou violette comportant des reflets épars. La teneur en cacao et la composition de la tablette sont indiqués, mais hors de l'étiquette. La police de caractère utilisée ne présente pas de particularité et n'est pas de couleur unie. Le fond de l'emballage est de couleur sombre combinant des teintes dorées ou marron.
30. Ainsi qu'il précède, la représentation d'une cabosse, fruit du cacaotier, est un élément banal pour un emballage de chocolat. La mention de la composition du produit et de la teneur en chocolat sont dictés par la fonction de l'emballage.
31. Contrairement à l'emballage de la société AMCP, aucune typographie comportant des caractères d'impression traditionnels n'est relevée sur l'emballage Incoa.
32. Il ressort de ces circonstances que l'opposition entre une atmosphère artisanale et sobre d'authenticité et de qualité combinée, de façon originale, avec une représentation graphique colorée pouvant évoquer un élément passionnel ou la gourmandise du produit n'existe pas pour la tablette Incoa de la société Nestlé, dont la version de la cabosse de cacao est épurée, simple, droite et sans reflets.
33. Les ressemblances constatées ne portent donc pas sur les éléments de l'emballage reflétant les marques de l'empreinte de la personnalité de l'auteur.
34. Le produit argué de contrefaçon n'est donc pas une représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur. Ce moyen est écarté.
35. Les demandes fondées sur la contrefaçon sont rejetées.
2. La concurrence déloyale
Moyens des parties
36. La société AMCP soutient que la société Nestlé France a imité, en reprenant des caractéristiques qui lui sont propres, le packaging « 70% Haïti » puis le packaging de la table « Encuentro 70% Mexique » en connaissance de cause. Selon la société AMCP que le risque de confusion entre les packagings « Encuentro » et « Incoa » est effectif et aggravé par :
-le fait que les produits vendus présentent les mêmes caractéristiques principales et sont substituables aux yeux du consommateurs,
-le fait que les produits sont commercialisés dans des points de ventes communs,
-la proximité phonétique des deux syllabes d'attaques
-la déclinaison du packaging de manière identique, par changement de la couleur de la cabosse, créant un effet de gamme.
37. La société Nestlé soutient qu'elle n'a pas repris les spécificités de l'emballage « Encuentro », qu'il n'existe pas de risque de confusion entre les emballages qui présentent des différences déterminantes, telles que les dimensions de l'emballage, le matériau utilisé, le fond de l'emballage, la présence de la marque « Incoa » différente de celle « Encuentro », l'utilisation des marques notoires « Nestlé » et « Les Recettes de l'Atelier », la composition des produits indiquée sur l'emballage et la représentation des cabosses. La société Nestlé soutient que les produits sont différents par leur composition et leur recette, que les positionnements marketing sont totalement différents, les tablettes « Incoa » étant un chocolat industriel destinées à la moyenne et grande distribution contrairement à la tablette « haut de gamme » vendue par la société AMCP.
Appréciation du tribunal
38. Aux termes de l'article 1240 du Code civil « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
39. En l'espèce, les deux produits en litige, Encuentro et Incoa, sont des tablettes de chocolat proposées dans des commerces au détail à destination de consommateurs occasionnels ou d'habitude.
40. Le public pertinent, au cas d'espèce acheteur du chocolat Encuentro, est considéré comme recherchant un produit de qualité gustative et par sa composition. Il dépense un prix élevé pour acheter du chocolat, la tablette Encuentro étant vendue au prix de 7 à 8 euros. Il est donc considéré comme disposant d'un niveau d'attention élevée.
41. La tablette Incoa est un chocolat industriel ciblant un large public et commercialisée dans un réseau étendu de magasins de grande surface. A l'inverse, le chocolat Encuentro est un chocolat haut de gamme, ciblant un public d'amateurs ou de connaisseurs et distribué dans un réseau de commerce au détail et spécialisé.
42. La circonstance que deux des tablettes Incoa reproduisent des cabosses de couleur orange et mauve n'est pas de nature à caractériser l'effet de gamme allégué. Il est donc peu probable que le public pertinent soit en situation de confondre les deux produits. A supposer qu'un distributeur vende les deux chocolats, le consommateur d'attention élevée ne pourra pas confondre des produits qui se distinguent par leurs marques, leurs prix et leurs qualités.
43. Il ressort de ces éléments que le risque de confusion pour le public pertinent n'est pas démontré s'agissant de ces produits. La faute de la société Nestlé n'est pas établie.
44. Le moyen est écarté.
3. Le parasitisme
Moyens des parties
45. La société AMCP soutient que la société Nestlé s'est volontairement placée dans le sillage dans son sillage en imitant l'emballage « Encuentro » afin de tirer profit de l'image artisanale et haut de gamme attachée à la tablette « Encuentro » pour commercialiser son nouveau produit, de moindre qualité et issu d'une fabrication industrielle. Elle souligne en particulier la commercialisation chez des revendeurs où elle est également présente telles la Grance Epicerie à [Localité 5] et les Galeries Lafayette.
46. La société Nestlé France soutient ne pas avoir cherché à se placer dans le sillage de la société AMCP, elle estime que les tablettes « Incoa », vendues au prix de 1,99 euros, sont des produits de grande consommation pour lesquels la société Nestlé France a exposé des frais considérables.
Appréciation du tribunal
47. Aux termes de l'article 1240 du Code civil « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
48. A la différence de la concurrence déloyale, qui ne saurait résulter d'un faisceau de présomptions, le parasitisme, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'une entreprise en profitant indûment des investissements consentis ou de sa notoriété, résulte d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité.
49. Les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en oeuvre par un concurrent ne constitue pas un acte de parasitisme.
50. La seule constatation qu'il n'existe aucun risque de confusion pour un consommateur d'attention moyenne entre deux dessins ne suffit pas à écarter le grief de la concurrence déloyale formée par la première société à l'encontre de la seconde, dès lors qu'est invoqué, outre le risque de confusion, le comportement parasitaire de cette dernière, résultant à la fois de la notoriété, auprès de la clientèle, du conditionnement de la première société et de la volonté manifestée par l'autre de se placer dans son sillage.
51. Les solutions qui précèdent, retenues par le tribunal sont issues de la jurisprudence de la Cour de cassation, en particulier de son arrêt du 4 février 2014 (Com., 4 février 2014, pourvoi no 13-11.044, Civ. 1ère , 22 juin 2017, pourvoi no 14-20.310, Bull. 2017, I, no152, Com., 27 juin 1995, pourvoi no 93-18.601, Bulletin 1995 IV no193).
52. En l'espèce, l'élément de notoriété avancé par la société AMCP est son emballage étendu à l'ensemble de sa gamme « Encuentro ». L'emballage à reçu des prix et des attestations de témoins réputés représentatifs indiquent avoir connaissance de l'emballage et le reconnaître.
53. Les emballages figurent une cabosse de couleur vive et une étiquette traditionnelle véhiculant un concept de produit haut de gamme.
54. Or, ainsi qu'il précède, le concept mis en oeuvre ne peut constituer un acte de parasitisme.
55. En outre, il n'est pas démontré par la société AMCP que la présence de Nestlé dans deux grands magasins parisiens constitue une situation de concurrence entre ces deux sociétés qui visent des clientèles différentes et alors que la société Nestlé démontre que sa présence en vitrine de la Grande Epicerie est une « avant-première » promotionnelle sans rapport avec le produit « Encuentro ».
56. La preuve de ce que la société Nestlé se soit placée dans le dans le sillage de la société AMCP en profitant indûment des investissements consentis ou de sa notoriété n'est pas rapportée.
57. Le moyen est écarté. La demande indemnitaire fondée sur le parasitisme est rejetée.
4. Les pratiques commerciales déloyales et trompeuses
58. La société AMCP soutient que la société Nestlé aurait commis des pratiques commerciales déloyales et trompeuse au sens des articles L. 121-1 et L. 121-2 du code de la consommation lui causant un préjudice. Elle dit qu'en présentant la pulpe de cacao comme un produit habituellement jeté dans le processus du fabrication du cacao de façon à mettre en avant la valorisation de cet ingrédient par Nestlé alors que la pulpe de cacao est indispensable à la fermentation du chocolat. Selon la société AMCP, la société Nestlé France revendique un cacao 70% en indiquant sur le packaging "Incoa 70%" alors que la teneur en cacao est de 75,1% ce qui lui permet d'afficher une teneur en sucre inférieure.
59. La société Nestlé France soutient que ses affirmations quant aux pertes de la pulpe de cacao sont exactes, lors de la fermentation du cacao, la pulpe se transforme en un jus qui s'écoule des caisses et est alors inexploitée ou perdue. La société Nestlé soutient qu'elle valorise la pulpe de cacao en l'intégrant au produit afin de remplacer le sucre habituellement utilisé. La société Nestlé France expose qu'elle indique sur son packaging une teneur minimum en cacao de 70%.
60. Vu l'article 1240 du Code civil précité et les articles L. 121-1 et L. 121-2 du code de la consommation.
61. Il appartient au demandeur qui excipe d'une pratique commerciale déloyale un acte de concurrence déloyale constitutif d'une faute, de démontrer que ces agissements altère ou sont de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur.
62. La solution qui précède, retenue par le tribunal est issue de la jurisprudence de la Cour de cassation, en particulier de son arrêt du 1er mars 2017 (Com., 1er mars 2017, pourvoi no15-15.448).
63. En l'espèce, il résulte des éléments en débat que la fermentation du cacao dégrade la pulpe blanche entourant les fêves de cacao. Il est établi par les pièces de la société AMCP que la pulpe blanche a un rôle dans la fermentation du cacao.
64. La société Nestlé produit des articles spécialisés (pièce 37) indiquant que la pulpe peut être séparée des fèves de cacao selon la méthode de fermentation utilisée. Il n'est pas possible, en l'état des pièces produites, d'identifier une méthode majoritaire de production avec ou sans pulpe. Ces mêmes documents (pièce 37) indiquent que lorsque la pulpe de cacao est utilisée pour la fermentation, une partie d'icelle demeure sous forme liquide constituant alors des déchets.
65. La société AMCP ne démontre donc pas, en l'état de ces éléments, que la société Nestlé commet une pratique commerciale trompeuse en indiquant utiliser et réduire des « déchets » en utilisant cet ingrédient.
66. De la même façon, la quantité de chocolat fixée à 70 pourcent dans le produit Nestlé est la combinaison de la pâte de cacao et du beurre de cacao ne peut induire en erreur un consommateur cherchant à réduire sa consommation de sucre, comme le soutient la société AMCP, alors que la teneur en cacao précitée est démontrée comme étant une quantité minimale.
67. La société AMCP ne démontre donc pas de pratique commerciale trompeuse ou déloyale.
68. Le moyen est écarté. Sa demande présentée sur ce fondement est rejetée.
5. Les demandes accessoires
69. La demanderesse, partie perdante, est condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à la société Nestlé France la somme de 12 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; somme appréciée en équité en l'absence de justificatif ou d'accord des parties sur le montant des frais devant être payés par la partie perdante ou condamnée aux dépens.
70. Il n'y a pas lieu d'écarter l'exécution provisoire qui est de droit et ne porte que sur les demandes accessoires.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,
REJETTE les demandes,
CONDAMNE la société AMCP à payer à la société Nestlé France la somme de 12 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société AMCP aux dépens dont distraction au profit de Maître Bizollon, avocat,
Fait et jugé à Paris le 13 avril 2023.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE