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12/04/2023 | FRANCE | N°23/50949

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0760, 12 avril 2023, 23/50949


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

No RG 23/50949 - No Portalis 352J-W-B7G-CYMAI

No : 2/MM

Assignation du :
25 Novembre 2022

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 12 avril 2023

par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDEUR

Monsieur [Y] [M]
FTDA SPADA [Adresse 3] [Localité 4].
domicilié : chez SCP Lemonnier Delion Gaymard Rispal - société civile professionnelle d'avoc

ats
[Adresse 2]
[Localité 8]

représenté par Maître Marie DELION de la SCP SCP LDGR, avocats au barreau de PARIS - #P0516

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TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

No RG 23/50949 - No Portalis 352J-W-B7G-CYMAI

No : 2/MM

Assignation du :
25 Novembre 2022

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 12 avril 2023

par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDEUR

Monsieur [Y] [M]
FTDA SPADA [Adresse 3] [Localité 4].
domicilié : chez SCP Lemonnier Delion Gaymard Rispal - société civile professionnelle d'avocats
[Adresse 2]
[Localité 8]

représenté par Maître Marie DELION de la SCP SCP LDGR, avocats au barreau de PARIS - #P0516

DEFENDERESSES

S.A. ÉDITIONS ALBIN MICHEL
[Adresse 1]
[Localité 9]

représentée par Maître Christophe BIGOT de , avocats au barreau de PARIS - #W0010

Association NEW DISSIDENTS FOUNDATION
[Adresse 5]
[Localité 6]

représentée par Maître Jérémie DAZZA de la SELEURL JEREMIE DAZZA, avocats au barreau de PARIS - #C1912, Me Thibaut ROUFFIAC, avocat au barreau de PARIS - #D2438

S.A.S. LA NOUVELLE AGENCE
[Adresse 7]
[Localité 8]

représentée par Me Lorenzo VALENTIN, avocat au barreau de PARIS - #D1498

DÉBATS

A l'audience du 06 Mars 2023, tenue publiquement, présidée par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe, assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier,

Nous, Président,

Après avoir entendu les conseils des parties,

EXPOSÉ DU LITIGE :

1. M. [Y] [M] est un ancien militaire de l'armée russe ayant participé à l'invasion de l'Ukraine en février 2022 et qui, après avoir été blessé et rapatrié en Russie, y a fait paraître sur Internet un témoignage intitulé "ZOV" (l'appel), selon la mention peinte sur les chars russes ayant envahi l'Ukraine. Ayant appris que des poursuites étaient engagées contre lui, il a quitté la Russie pour la France, dont il a sollicité la protection dans le cadre d'une demande d'asile, craignant des persécutions dans son pays d'origine.

2. Lors de son arrivée en France, il a, par un acte sous seing privé du 6 septembre 2022, cédé à titre gratuit à l'association New Dissidents Foundation, représenteé par M. [L] [S], l'intégralité de ses droits d'auteur portant sur son témoignage autobiographique intitulé "ZOV" et ce, dans toutes les langues sauf le russe.

3. Par un contrat du 12 septembre 2022, l'association New Dissidents Foundation a conclu avec la société Albin Michel un contrat de cession de droits en contrepartie de la publication sous forme imprimée et électronique de l'oeuvre intitulée "ZOV" par [Y] [M].

4. L'ouvrage est paru en France en novembre 2022.

5. Invoquant la nullité du contrat de cession de droits passé avec l'association New Dissidents Foundation, M. [Y] [M] l'a faite assigner, par actes d'huissier du 25 novembre 2022, ainsi que la société Albin Michel et la société Nouvelle Agence, son agent, devant le délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris, afin d'obtenir le placement sous séquestre de l'ensemble des recettes générées par l'ouvrage "ZOV" entre les mains de l'éditeur, dans l'attente de la décision qui interviendra au fond sur la validité du contrat du 6 septembre 2022.

6. A l'audience du 6 mars 2023, M. [Y] [M] demande au juge des référés, au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile et 1961 du code civil, de :

- JUGER l'exception de nullité non fondée et rejeter comme non fondés l'ensemble des moyens soulevés en défense par l'association New Dissidents Foundation comme non fondés et l'a débouté de toutes ses demandes;
- JUGER la demande de M. [Y] [M] recevable et bien fondée ;
En conséquence, à titre conservatoire, en attente que soit tranché par le tribunal judiciaire le litige au fond :
- ORDONNER le séquestre conservatoire pour le compte de qui il appartiendra de toutes sommes à provenir de l'exécution du contrat signé le 26 septembre 2022 entre la société d'édition Albin Michel et l'association New Dissidents Fondation concernant la publication en langue française dans le monde entier du récit de [Y] [M] intitulé « ZOV » dont notamment à ce titre la somme de 90.000 euros prévue au titre du contrat comme avance non remboursable et l'ensemble les redevances d'auteur dues par l'éditeur Albin Michel tant à l'association New Dissidents Fondation qu'à son agent La Nouvelle Agence partie au contrat signé le 26 septembre 2022 ;
- ORDONNER le séquestre des sommes ci-dessus entre les mains de l'éditeur Albin Michel, s'il en accepte la charge ;
A défaut d'acceptation du séquestre de la part de la société d'édition Albin Michel :
- ORDONNER le dépôt à fins de séquestre judiciaire conservatoire pour le compte de qui il appartiendra par la société Albin Michel de toutes sommes dues en exécution du contrat signé par Albin Michel avec l'association New Dissident Fondation le 26 septembre 2022 -dont notamment à ce titre la somme de 90.000 euros prévue au titre du contrat comme avance non remboursable- entre les mains du Bâtonnier séquestre de l'ordre des avocats du barreau de Paris sur le compte CARPA séquestre ouvert à la CARPA ;
En tout état de cause,
- DIRE qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [Y] [M] les frais irrépétibles qu'il a été contraint d'exposer en justice aux fins de défendre ses intérêts ;
En conséquence,
- CONDAMNER l'association New Dissidents Fondation au paiement de la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNER l'association New Dissidents Fondation aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Marie Delion avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

7. Les sociétés Albin Michel et Nouvelle Agence déclarent s'associer à la demande de séquestre entre les mains de l'éditeur et concluent au rejet de toutes les demandes de l'association New Dissidents Foundation.

8. L'association New Dissidents Foundation demande quant à elle au juge des référés de :
- Prononcer la nullité de l'assignation délivrée par M. [Y] [M] ;
A défaut, rejeter l'ensemble des demandes de M. [Y] [M] ;
A titre subsidiaire, condamner la société Editions Albin Michel à cesser toute commercialisation de l'oeuvre « ZOV» et à rappeler tous les ouvrages en cours de commercialisation;

- Assortir la condamnation d'une astreinte de 1.000 euros par jour et par ouvrage, courant un mois à compter de la signification de l'ordonnance à venir ;
En tout état de cause,
- Condamner M. [Y] [M] à payer une somme d'un euro à l'association New Dissidents Foundation, à titre de provision, à valoir sur les dommages et intérêts dus pour réparer les injures et diffamations proférées à l'encontre de la partie concluante ;
- Condamner M. [Y] [M] à payer une somme de 3.000 euros à l'association New Dissidents Foundation, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner M. [Y] [M] aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

9. Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties visées ci-dessus pour l'exposé de leurs différents moyens.

1o) Sur la nullité de l'assignation

10. Aux termes de l'article 54 du code de procédure civile, "La demande initiale est formée par assignation ou par requête remise ou adressée au greffe de la juridiction. La requête peut être formée conjointement par les parties. A peine de nullité, la demande initiale mentionne : (...) 3o a) Pour les personnes physiques, les nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance de chacun des demandeurs ;"

11. Cette mention est, ainsi que le souligne à juste titre la défenderesse, destinée à garantir que la partie gagnante pourra régulièrement signifier la présente décision au demandeur, dès lors qu'il est constamment jugé que l'élection de domicile en procédure écrite cesse avec le prononcé de la décision, y compris lorsque le demandeur réside à l'étranger (Cass. Civ. 2ème, 13 novembre 1996, pourvoi no94-19.913, Bull. 1996, II, no249 ; Cass. Civ.2ème, 17 mars 1986, pourvoi no84-13.920, Bull. 1986, II, no39).

12. Certes, il résulte de l'article 682 du code de procédure civile que "La notification d'un jugement est valablement faite au domicile élu en France par la partie demeurant à l'étranger."

13. Toutefois, en l'absence d'allégation de ce qu'il existerait entre lui-même et son avocat une convention d'élection de domicile plus large que celle, légale, applicable à tous les litiges dans lesquels la constitution d'avocat est obligatoire, il existe un risque que la signification de l'ordonnance ne puisse être régulièrement faite au cabinet de l'avocat (Cass. Civ 2ème, 2 décembre 2010, pourvoi no 09-65.987, Bull. 2010, II, no 195 : L'élection de domicile imposée par l'article 855 du code de procédure civile n'emporte pas pouvoir pour la personne chez laquelle domicile a été élu de recevoir la signification du jugement destinée à la partie elle-même. Dès lors, la signification à une partie demeurant à l'étranger du jugement d'un tribunal de commerce n'est pas valablement faite au cabinet de son avocat en France.).

14. Aussi, il pourrait résulter du non respect de la formalité prévue à l'article 54 du code de procédure civile la caractérisation de l'existence d'un grief.

15. Ceci étant, il apparaît que la nullité encourue par l'assignation est couverte par l'indication dans ses dernières écritures de l'adresse déclarée par M. [Y] [M] dans le cadre de l'instruction de sa demande d'asile : FTDA SPADA [Adresse 3] [Localité 4].

16. Le moyen tiré de la nullité de l'assignation est donc écarté.

2o) Sur les mesures sollicitées

17. Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

18. Il existe bien un différend ici puisque M. [Y] [M] a fait assigner les mêmes défendeurs (Cass. Civ. 2ème , 8 septembre 2022, pourvoi no 20-18.953) devant le tribunal statuant au fond, à jour fixe à l'audience du 18 avril 2023, aux fins d'obtenir la nullité du contrat dont il sollicite ici la suspension au moyen du séquestre des redevances de droits d'auteur entre les mains de l'éditeur.

19. En outre, la condition d'urgence est réalisée toutes les fois où un retard dans la prescription de la mesure sollicitée serait préjudiciable aux intérêts du demandeur, ce qui nécessite une mise en balance des intérêts du demandeur et du défendeur.

20. En l'occurence, M. [M] invoque différents moyens de nullité de la convention signée le 6 septembre 2022, dont le fait qu'elle n'a pas été régularisée devant un notaire, alors même qu'elle est stipulée à titre gratuit et qu'il s'agit dans ce cas d'un don.

21. En effet, aux termes de l'article 931 du code civil, tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité. Deux dérogations à ce formalisme sont admises en jurisprudence, la première tenant aux dons manuels, qui imposent la tradition (c'est-à-dire la remise physique) de la chose donnée, la seconde tenant aux donations déguisées ou indirectes, dont les conditions de forme suivent celles de l'acte dont elles empruntent l'apparence. Le code de la propriété intellectuelle ne déroge pas à cette condition formelle des donations, et prévoit seulement, s'agissant des droits d'auteur, que leur cession doit être constatée par écrit (article L.132-7).

22. Or le contrat du 6 septembre 2022 emporte explicitement cession "gratuite" de droits d'auteur (article 1.2 du contrat). Il s'agit donc d'une donation, non dissimulée, et portant sur des droits incorporels, comme tels insusceptibles de remise physique.

23. Il est donc possible que cet acte conclu sous seing privé soit nul, de sorte que le retard dans la suspension du versement des redevances au cédant des droits d'auteur serait fortement préjudiciable aux intérêts de M. [M].

24. En tant qu'auteur de l'oeuvre "ZOV", ce qui n'est pas contesté, M. [M] a un intérêt évident à solliciter la prescription des mesures.

25. Il apparaît encore que c'est avec la France que ce contrat a les liens de rattachement les plus étroits s'agissant d'un contrat conclu en France, en langue russe et en langue française, par une association de droit français et une personne physique de nationalité russe ayant fui la Russie pour solliciter la protection de la France. La loi française apparaît donc applicable conformément aux dispositions du Règlement no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), pris en son article 4 "Loi applicable à défaut de choix" (ce qui est le cas ici), paragraphe 4 (aucun des paragraphes précédents n'étant applicable à la présente situtation).

26. Il est donc fait droit aux demandes selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision.

27. La demande reconventionnelle de l'association New Dissidents Foundation aux fins d'interdiction de distribution et de rappel des circuits commerciaux de l'ouvrage "ZOV" ne peut qu'être rejetée, dès lors qu'il est loisible à l'auteur, en cas d'annulation de la cession du 6 septembre 2022 dont la société Albin Michel tient ses droits, de confirmer la cession de ses droits à cette société. Il doit de la même manière être dit n'y avoir lieu à référé sur la demande reconventionnelle aux fins de condamnation de M. [M] en paiement d'une provision pour "diffamation", les termes de l'assignation n'étant ni excessifs ni injurieux vis à vis de l'association New Dissidents Foundation, se bornant à évoquer la situation de vulnérabilité de l'auteur lorsqu'il a consenti à la cession gratuite de ses droits, au surplus dans des conditions de forme contestables, ainsi qu'il vient d'être vu.

28. Il doit donc être dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes reconventionnelles.

29. Il n'apparaît pas inéquitable ici de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens et de dire n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Le juge des référés, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort ,

Ecarte l'exception de procédure tirée de la nullité de l'assignation délivrée à la requête de M. [M] le 25 novembre 2022 ;

ORDONNE le séquestre provisoire jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue au fond dans le litige opposant les mêmes parties (RG no23/2616), entre les mains de la société Albin Michel, et pour le compte de qui il appartiendra, de toutes sommes à provenir de l'exécution du contrat signé le 26 septembre 2022 entre la société d'édition Albin Michel et l'association New Dissidents Fondation, concernant la publication en langue française dans le monde entier du récit de [Y] [M] intitulé « ZOV », dont notamment la somme de 90.000 euros prévue au titre du contrat comme avance non remboursable et l'ensemble les redevances d'auteur dues par l'éditeur Albin Michel, tant à l'association New Dissidents Fondation qu'à son agent La Nouvelle Agence partie au contrat signé le 26 septembre 2022 ;

Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes reconventionnelles de l'association New Dissidents Foundation ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rappelle qu'en application de l'article 514-1 du code de procédure civile, l'exécution provisoire de la présente décision ne peut être écartée.

Fait à Paris le 12 avril 2023.

Le Greffier, Le Président,

Minas MAKRIS Nathalie SABOTIER


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0760
Numéro d'arrêt : 23/50949
Date de la décision : 12/04/2023

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2023-04-12;23.50949 ?
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