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16/03/2023 | FRANCE | N°19/10720

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0196, 16 mars 2023, 19/10720


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 19/10720
No Portalis 352J-W-B7D-CQVVL

No MINUTE :

Assignation du :
09 septembre 2019

JUGEMENT
rendu le 16 mars 2023

DEMANDERESSES

Madame [K] [N]
[Adresse 1]
[Localité 3]

S.A.S. VTLC
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentées par Me Valérie GASTINEL de la SELARL VALÉRIE GASTINEL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0110

DÉFENDEURS

Monsieur [R] [U] [W]
[Adresse 4]
[Localité 2] (ALLEMAGNE)

Société [W

] PREZIOSEN GMBH
[Adresse 4]
[Localité 2] (ALLEMAGNE)

représentées par Me François-Xavier BOULIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0092

COMPOSITION DU TRIBUNA...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 19/10720
No Portalis 352J-W-B7D-CQVVL

No MINUTE :

Assignation du :
09 septembre 2019

JUGEMENT
rendu le 16 mars 2023

DEMANDERESSES

Madame [K] [N]
[Adresse 1]
[Localité 3]

S.A.S. VTLC
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentées par Me Valérie GASTINEL de la SELARL VALÉRIE GASTINEL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0110

DÉFENDEURS

Monsieur [R] [U] [W]
[Adresse 4]
[Localité 2] (ALLEMAGNE)

Société [W] PREZIOSEN GMBH
[Adresse 4]
[Localité 2] (ALLEMAGNE)

représentées par Me François-Xavier BOULIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0092

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Jean-Christophe GAYET, 1er vice-président adjoint
Elodie GUENNEC, vice-présidente

assistés de Caroline REBOUL, Greffière

DÉBATS

A l'audience du 09 janvier 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 16 mars 2023.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

1. Mme [K] [N] est une créatrice parisienne de bijoux de haute joaillerie. La société Vtlc, immatriculée le 4 janvier 2012 au RCS de Paris, dont Mme [N] est l'associée et la présidente, commercialise tous articles de luxe, susceptibles de parfaire, compléter ou faciliter l'activité sous la marque [K] [N].

2. M. [R] [U] [W] est le gérant de la société de droit allemand [W] Preziosen GmbH, créée le 6 janvier 2014, avec pour objet le commerce d'articles de joaillerie, de pierres précieuses.

3. Mme [N] et la société Vtlc exposent qu'en octobre 2015, la société Vtlc a conclu avec la société [W] Preziosen un contrat de dépôt-vente, confiant à cette dernière la conservation et la vente de plusieurs pièces de joaillerie, pour la période du 10 novembre 2015 au 10 décembre 2015.

4. Par une lettre du 1er février 2019, le conseil de Mme [N] et de la société Vtlc a reproché à M. [R] [U] [W] et à la société [W] Preziosen d'avoir tiré profit de leur collaboration en imitant les oeuvres de Mme [N], en particulier sa collection "Vitam Industria Abstract Multi Candy".

5. Aussi, par une requête du 30 avril 2019, la société [W] Preziosen a saisi le tribunal régional de Berlin (Landgericht Berlin) d'une action en contestation de l'existence d'une violation des droits d'auteur de Mme [N] par sa collection de bijoux "Rainbow".

6. C'est en cet état que, par actes d'huissier de justice du 7 août 2019, Mme [N] et la société Vtlc ont fait assigner M. [W] et la société [W] Preziosen devant le tribunal de grande instance de Paris (devenu tribunal judiciaire de Paris le 1er janvier 2020) en contrefaçon de droits d'auteur.

7. Par une ordonnance du 29 octobre 2020, le juge de la mise en état a rejeté les exceptions de procédure soulevées par M. [W] et la société [W] Preziosen et tirées de l'incompétence de ce tribunal, de la connexité, la litispendance, et de la nécessité de surseoir à statuer.

8. Le 1er février 2022, le tribunal régional de Berlin (Landgericht Berlin) a rejeté l'action en non-contrefaçon engagée à titre préventif par la société [W] Preziosen.

9. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 31 mars 2022, Mme [N] et la société Vtlc demandent au tribunal de :

- Les Déclarer recevables et bien fondées en toutes leurs demandes, fins et prétentions ;
- Ecarter des débats la pièce no 9 de la société [W] Preziosen et de M. [W] qui comprend un rapport de recherches d'antériorités sans indication de l'identité de son auteur, ni daté, ni signé et un fichier de 55 documents qui ne sont pas numérotés ni revêtus du cachet de l'avocat et ne figurent pas dans le bordereau de communication de pièces ;
- Débouter la société [W] Preziosen et M. [W] de l'intégralité de leurs demandes ;
A titre principal : sur la contrefaçon de droits d'auteur
- Constater que la société [W] Preziosen et M. [W] ont commis des actes de contrefaçon en créant, en fabricant, en diffusant au public et en commercialisant des bijoux dont une broche, une paire de boucles d'oreilles, un bracelet, un collier et un ensemble composé d'un bracelet et d'un collier, sur Internet et notamment sur le site de vente en ligne 1stdibs, les réseaux sociaux Facebook et Instagram et sur le site Internet de la société [W] Preziosen, qui reproduisent dans la même combinaison les caractéristiques originales communes de la bague et des boucles d'oreilles de la collection "Vitam Industria Abstract Multi Candy" créées par Mme [N] et commercialisées par la société Vtlc ;
- Interdire à la société [W] Preziosen et À M. [W] la création, l'importation, la détention, la fabrication, la diffusion au public, l'offre en vente et la commercialisation de tous bijoux reproduisant les caractéristiques des bijoux de la collection "Vitam Industria Abstract Multi Candy ", notamment la broche, la paire de boucles d'oreilles, le bracelet, le collier et l'ensemble composé d'un bracelet et d'un collier, reproduits et commercialisés sur Internet et notamment sur le site de vente en ligne 1stdibs, les réseaux sociaux Facebook et Instagram et sur le site Internet de la société [W] Prerziosen et ce, sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée à compter de la date de la signification du jugement à intervenir ;

- Ordonner à la société [W] Preziosen et à M. [W] la suppression avec effet immédiat de toutes photographies, reproductions et autres communications afférentes aux cinq bijoux illicites sur le site Internet de la société [W] Preziosen, sur les comptes Instagram et Facebook de la société [W] Preziosen et de M. [W], sur le site de vente en ligne 1stdibs et plus généralement sur tous réseaux de communication sur Internet, et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- Ordonner que les cinq bijoux illicites et également tous les matériaux et instruments ayant principalement servi à la création et à la fabrication desdits bijoux, en possession ou commercialisés par la société [W] Preziosen ou M. [W], soient rappelés des circuits commerciaux et détruits, la destruction sera constatée par un huissier de justice désigné par la société Vtlc, le tout aux frais de la société [W] Preziosen et de M. [W], sous astreinte de 2.000 euros par jour de retard à compter d'un délai de 30 jours à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- Ordonner la confiscation des recettes de la société [W] Preziosen procurées par la contrefaçon, en application de l'article L. 331-1-4 du code de la propriété intellectuelle;
- Condamner solidairement la société [W] Preziosen et M. [W] à verser à la société Vtlc la somme de 126.950 euros à titre de dommages et intérêts, à parfaire ultérieurement, en réparation du préjudice subi par celle-ci du fait de l'atteinte portée à ses droits patrimoniaux d'auteur ;
- Condamner solidairement la société [W] Preziosen et M. [W] à verser à Mme [N] la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par celle-ci du fait de l'atteinte portée à ses droits moraux d'auteur ;
- Réserver les droits de la société Vtlc sur l'évaluation définitive du préjudice subi ;
- Ordonner un sursis à statuer pour ce qui concerne l'évaluation définitive du préjudice subi jusqu'à ce que la société Vtlc saisisse le tribunal par voie de conclusions pour rétablir l'affaire et obtenir une décision définitive sur le montant des dommages et intérêts qui lui seront alloués sur la base des éléments d'information afférents aux produits litigieux qui seront communiqués par la société [W] Preziosen ;
- Ordonner à la société [W] Preziosen, sous astreinte de 3.000 euros, à s'exécuter, passé un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir, à lui fournir :
* les noms et adresses des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs etautres détenteurs des bijoux argués de contrefaçon, ainsi que des grossistes destinataires et des détaillants desdits bijoux;
* les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées ainsi que le prix obtenu pour les bijoux argués de contrefaçon,
l'ensemble de ces éléments devra être certifié par l'expert-comptable ou le commissaire aux comptes de la société [W] Preziosen ;
- Ordonner la publication, par extraits, du jugement à intervenir dans 10 journaux au choix de Mme [N] et de la société Vtlc et aux frais de la société [W] Preziosen, à concurrence de 5.000 euros HT par insertion ;
- Ordonner la publication, du dispositif du jugement à intervenir sur la page d'accueil du site internet de la société [W] Preziosen à l'adresse https://www.[05].de/ ou de tout autre site internet possédé par la société [W] Preziosen ou ses affiliées, en caractères gras et dans une taille de police de 12 millimètres minimum avec le titre suivant "[W] Preziosen et [R] [U] [W] condamnés en contrefaçon des droits d'auteur de Madame [K] [N] et de la société Vtlc sur les créations de la collection " Vitam Industria Abstract Multi Candy " ", pendant une durée de 6 mois à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- Dire que le tribunal se réservera la liquidation des astreintes prononcées ;
A titre subsidiaire : sur la concurrence déloyale
- Constater que la société [W] Preziosen a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Vtlc en commercialisant des bijoux dont une broche, une paire de boucles d'oreilles, un bracelet, un collier et un ensemble composé d'un bracelet et d'un collier imitant ceux de la collection "Vitam Industria Abstract Multi Candy" créée par Mme [N] et commercialisée par la société Vtlc ;
- Interdire à la société [W] Preziosen l'importation, la détention, la fabrication, la diffusion au public, l'offre en vente et la commercialisation de tous bijoux reproduisant les caractéristiques des bijoux de la collection "Vitam Industria Abstract Multi Candy ", notamment la broche, la paire de boucles d'oreilles, le bracelet, le collier et l'ensemble composé d'un bracelet et d'un collier reproduits et commercialisés sur Internet et notamment sur le site de vente en ligne 1stdibs, les réseaux sociaux Facebook et Instagram et sur le site Internet de la société [W] Preziosen et ce, sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée à compter de la date de la signification du jugement à intervenir, lesdites astreintes devant être liquidées par le Tribunal de céans ;
- Ordonner à la société [W] Preziosen la suppression avec effet immédiat de toutes photographies, reproductions et autres communications afférentes aux cinq bijoux illicites sur le site Internet de la société [W] Preziosen et sur ses comptes Instagram et Facebook, sur le site de vente en ligne 1stdibs et plus généralement sur tous réseaux de communication sur Internet, et ce sous astreinte de 1000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- Condamner la société [W] Preziosen à verser à la société Vtlc la somme de 156.950 euros, à parfaire ultérieurement, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par celle-ci du fait des actes de concurrence déloyale commis à son encontre ;
A titre complementaire : sur la concurrence parasitaire
- Constater que la Société [W] Preziosen a commis des actes de parasitisme en commercialisant des bijoux imitant ceux de la collection "Vitam Industria Abstract Multi Candy" dont une broche, une paire de boucles d'oreilles, un bracelet, un collier et un ensemble composé d'un bracelet et d'un collier, sur le site de vente en ligne 1stdibs, ses comptes Facebook et Instagram et sur son site Internet ;
- Interdire à la société [W] Preziosen l'importation, la détention, la fabrication, la diffusion au public, l'offre en vente et la commercialisation de tous bijoux reproduisant les caractéristiques des bijoux de la collection "Vitam Industria Abstract Multi Candy", notamment la broche, la paire de boucles d'oreilles, le bracelet, le collier et l'ensemble composé d'un bracelet et d'un collier reproduits et commercialisés sur Internet et notamment sur le site de vente en ligne 1stdibs, les réseaux sociaux Facebook et Instagram et sur le site Internet de la société [W] Prerziosen et ce, sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée à compter de la date de la signification du jugement à intervenir, lesdites astreintes devant être liquidées par le Tribunal de céans ;
- Ordonner à la société [W] Preziosen la suppression avec effet immédiat de toutes photographies, reproductions et autres communications afférentes aux cinq bijoux illicites sur le site Internet de la société [W] Preziosen et sur ses comptes Instagram et Facebook, sur le site de vente en ligne 1stdibs et plus généralement sur tous réseaux de communication sur Internet, et ce sous astreinte de 1000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- Condamner la société [W] Preziosen à verser à la société Vtlc la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par celle-ci du fait des actes de parasitisme commis à son encontre ;
En tout état de cause,
- Condamner solidairement la société [W] Preziosen et M. [W] à payer chacun, la somme de 15.000 euros à Mme [N] et la somme de 15.000 euros à la société Vtlc, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner solidairement la société [W] Preziosen et M. [W] aux entiers dépens qui pourront être directement recouvrés par Maître Valérie Gastinel, avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;
- Ordonner en raison de la nature de l'affaire l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

10. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 15 mars 2022, M. [W] et la société [W] Preziosen demandent au tribunal de :

A titre principal :
- Rejeter la pièce no51 versée aux débats par la société Vtlc et Mme [N] en ce qu'elle constitue une attestation pour soi-même irrecevable en application de l'article 1363 du code civil, et par voie de conséquence déclarer nuls et non avenus les développements consacrés à cette pièce par les demanderesses dans leurs conclusions du 6 décembre 2021 ;
- Constater que la société Vtlc n'établit ni sa qualité ni son intérêt à agir en contrefaçon de droits d'auteur ;
- Constater que la société Vtlc et Mme [N] n'établissent pas la matérialité des actes de contrefaçon de droits d'auteur reprochés à la société [W] Preziosen et À M. [W] ;
- Constater que la société Vtlc et Mme [N] n'établissent pas l'originalité des bijoux pour lesquels elles revendiquent des droits d'auteur ;
- Constater que la Société [W] Preziosen et M. [W] versent aux débats de nombreuses créations antérieures établissant l'absence d'originalité des bijoux de la collection "Vitam Industria Abstract Multi Candy" de Mme [N] ;
- En conséquence, déclarer la société Vtlc et Mme [N] irrecevables et mal fondées en leur action en contrefaçon de droits d'auteur ;
A titre subsidiaire :
- Constater l'absence d'originalité des bijoux opposés par Mme [N] à la société [W] Preziosen et à M. [W] ;
- Constater que les bijoux argués de contrefaçon ne présentent pas de ressemblances avec ceux opposés par Mme [N] à la société [W] Preziosen et à M.von [W];
- Constater que la société Vtlc et Mme [N] ne démontrent aucun acte de concurrence déloyale "à titre subsidiaire", ni aucun acte de parasitisme "à titre secondaire", commis à leur préjudice par la société [W] Preziosen et M. [W];
- Débouter en conséquence la société Vtlc et Mme [N] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions au titre de la contrefaçon de droits d'auteur, au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme ;
A titre infiniment subsidiaire, et si par impossible le tribunal devait retenir la responsabilité des défendeurs :
- Constater l'absence d'exploitation commerciale des bijoux litigieux sur le territoire français ;
- Débouter en conséquence la société Vtlc et Mme [N] de l'ensemble de leurs demandes indemnitaires et demandes d'informations complémentaires ;
En tout état de cause :
- Condamner la société Vtlc et Mme [N] à payer, chacune, la somme de 15.000 euros à la société [W] Preziosen et la somme de 15.000 euros à M. [W] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Vtlc et Mme [N] et aux entiers dépens.

11. L'instruction a été close par une ordonnance du 19 avril 2022 et l'affaire plaidée à l'audience du 9 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1o) Sur les demandes aux fins d'écarter certaines pièces des débats

Moyens des parties

12. Les demanderesses sollicitent que la pièce no9 bis des défendeurs soit écartée des débats, l'identité de l'auteur de ce document, non signé, n'étant pas précisée, non plus que sa date. Elles ajoutent que les 55 documents qui le composent ne sont pas numérotés, revêtus du cachet de l'avocat, ni mentionnés au bordereau de communication de pièces, en violation des articles 768, alinéa 1er du code de procédure civile et 2.2.2 du protocole sur la procédure civile du 11 juillet 2012.

13. M. [W] et la société [W] Preziosen demandent quant à eux au tribunal d'écarter l'attestation que s'est faite à elle-même Mme [N] (pièce no51).

Appréciation du tribunal

14. Selon l'article 1358 du code civil, hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen ; et selon l'article 1363 de ce même code, nul ne peut se constituer de titre à soi-même. Aux termes de l'article 202 du code de procédure civile, enfin, l'attestation contient la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu'il a personnellement constatés. Elle mentionne les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur ainsi que, s'il y a lieu, son lien de parenté ou d'alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d'intérêts avec elles. Elle indique en outre qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu'une fausse attestation de sa part l'expose à des sanctions pénales. L'attestation est écrite, datée et signée de la main de son auteur. Celui-ci doit lui annexer, en original ou en photocopie, tout document officiel justifiant de son identité et comportant sa signature.

15. En l'occurrence, la pièce no9 bis des défendeurs consiste en une recherche, terminée en mai 2021, d'antériorités supposées pertinentes aux fins de démontrer que les bijoux prétendument contrefaits appartiendraient à un fonds commun de la joaillerie. Ce rapport de recherche est constitué d'une première partie reproduisant et classant par époque et par style ces antériorités, avec en annexe la source de chaque antériorité. Ce document constitue un tout dont chaque élément n'a pas besoin d'être individuellement numéroté. Il ne relate aucun fait auquel son auteur aurait assisté ou qu'il aurait personnellement constaté, et n'a donc pas besoin de préciser le nom de la personne physique qui en est l'auteur.

16. Il est en outre constamment jugé que le principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même est inapplicable à la preuve des faits juridiques. (Cass. Civ. 3ème, 3 mars 2010, pourvois no 08-21.056 et 08-21.057, Bull. 2010, III, no 52 ; Cass. Civ. 2ème, 6 mars 2014, pourvoi no 13-14.295, Bull. 2014, II, no 65) Il appartiendra donc au tribunal d'examiner le contenu du témoignage de Mme [N] aux fins d'en apprécier la force probante.

17. Les moyens aux fins de rejeter des pièces des débats sont donc rejetés.

2o) Sur l'originalité de bijoux de la gamme "Vitam Industria Abstract Multi Candy"

Moyens des parties

18. Mme [N] décrit les bijoux (une bague et des boucles d'oreille de sa gamme intitulée "Vitam Industria Abstract Multi Candy") et leur combinaison de caractéristiques dont elle revendique la protection par le droit d'auteur. Elle explicite sa démarche créatrice et soutient qu'aucun des bijoux antérieurs à sa création, qui date de décembre 2013, ne reproduit cette combinaison de caractéristiques.

19. Les défendeurs considèrent pour leur part que la description de l'originalité ne peut être que celle qui se trouvait dans l'enveloppe Soleau de 2013, laquelle évoque une accumulation de pierres de forme et de volume différents, ainsi que de couleurs différentes, agencées de manière à rappeler un arc-en-ciel. Les défendeurs en déduisent que Mme [N] sollicite la protection d'une forme bien connue en bijouterie, dénommée un "cluster". Il en va de même selon eux des couleurs de l'arc-en-ciel, dont le choix n'a rien d'original dans le domaine de la joaillerie.

Appréciation du tribunal

20. Conformément à l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur l'oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. En application de l'article L. 112-1 du même code, ce droit appartient à l'auteur de toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.

21. Il en résulte que la protection d'une oeuvre de l'esprit et acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable. Dans ce cadre toutefois, il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur dont l'existence est contestée de définir et d'expliciter les contours de l'originalité qu'il allègue. En effet, seul l'auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d'identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole.

22. L'originalité d'une oeuvre de l'esprit doit être appréciée dans son ensemble au regard des différents éléments qui la composent ; elle peut résulter de la combinaison d'éléments connus lorsque celle-ci est inédite et traduit un effort créatif (Cass. Civ. 1ère, 20 mars 2001, pourvoi no 99-13.713 ; Cass. Com., 17 mars 2004, pourvoi no03-18.067 ; Cass. Civ.1ère, 22 janvier 2009, pourvoi no 07-20.334 ; Cass. Civ.1ère, 12 septembre 2018, pourvoi no 17-18.390 ; Cass. Civ. 1ère, 24 octobre 2018, pourvoi no 16-23.214).

23. Mme [N] décrit en l'occurrence comme suit l'originalité des bijoux "Vitam Industria Abstract Multi Candy" : elle précise d'abord qu'ils sont "composés de : (i) pierres de couleur, (ii) disposées sous la forme d'une accumulation aléatoire de pierres de formes et de volumes différents donnant l'effet d'une composition libre et foisonnante comme les buissons de cristaux que l'on trouve naturellement dans les roches, (iii) selon leurs différentes nuances de couleurs pour former un dégradé de couleurs rappelant celui de l'arc-en-ciel, et (iv) serties sur des griffes les plus serrées qui soient, révélant le moins de métal possible, afin d'obtenir l'effet visuel d'une structure minérale unique comme d'un seul tenant, aux couleurs de l'arc-en-ciel."

24. Mme [N] rappelle ensuite que la couleur et l'extravagance sont au coeur de sa création et qu'elle a fait ici le choix inédit de combiner l'effet visuel d'une structure minérale avec une harmonie chromatique, sous la forme d'un dégradé, rappelant les couleurs de l'arc-en-ciel.

25. Force est à cet égard de constater qu'aucune des créations antérieures versées aux débats ne reproduit cette combinaison spécifique et en particulier cette accumulation de pierres sans recherche particulière de symétrie et ce choix de combinaison de couleurs primaires sous la forme d'un dégradé au sein d'un même bijou. Les bijoux présentés dans la pièces 9 bis sont en effet soit d'apparence parfaitement symétrique, soit constitués d'accumulation de pierres de couleurs de la même gamme chromatique, soit arrangées sous la forme d'une alternance des couleurs et non d'un dégradé, soit serties de manière beaucoup plus apparente ou espacée.

26. De même, Mme [N] décrit suffisamment les contours de son oeuvre, les choix qu'elle a opérés et leur combinaison, lesquels procèdent de décisions arbitraires qu'aucune circonstance n'imposait spécialement. Ainsi qu'il a été vu, ces bijoux ne peuvent davantage être regardés comme constituant la banale reprise d'un fonds commun non appropriable. En définitive, l'ensemble témoigne de la créativité de l'auteur donnant aux bijoux l'empreinte de sa personnalité, leur conférant ainsi un caractère original et leur ouvrant droit à la protection au titre du droit d'auteur.

3o) Sur la titularité des droits des demanderesses

Moyens des parties

27. Les défendeurs soutiennent que la société Vtlc est irrecevable à agir n'étant pas titulaire des droits patrimoniaux d'auteur sur les bijoux objets du présent litige. Ils soutiennent qu'aucun contrat de cession n'est versé aux débats, non plus qu'aucune preuve d'exploitation de l'oeuvre par cette société, les seules pièces produites étant les factures de vente à la société [W] Preziosen, lesquelles sont ambivalente puisqu'elles mentionnent aussi bien la société Vtlc que Mme [N].

28. Ils ajoutent que Mme [N] ne démontre pas l'antériorité de ses droits.

29. La société Vtlc revendique la présomption de titularité des personnes morales qui commercialisent les oeuvres de façon paisible et non équivoque. Elle rappelle que les oeuvres sont des pièces uniques de joaillerie, ce qui explique qu'elle ne puisse produire que 3 factures de vente dont 2 concernant les défendeurs et la 3ème, datée du 12 novembre 2014, un client Dubaïote.

30. Mme [N] soutient encore que l'enveloppe Soleau établit de lanière certaine la date de sa création.

Appréciation du tribunal

31. Il résulte de l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, que la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée.

32. Il est cependant constant que cette présomption ne peut jouer qu'au bénéfice des personnes physiques (Cass. Civ. 1ère, 19 février 1991, pourvoi no89-14.402, Bull. 1991, I, no69), une personne morale ne pouvant être titulaire ab initio des droits d'auteur (Cass. Civ. 1ère, 15 janvier 2015, pourvoi no13-23.566, Bull 2015, I, no11), à moins que l'oeuvre soit qualifiée d'oeuvre collective (Cass. Civ. 1ère, 22 mars 2012, pourvoi no11-10.132, Bull. 2012, I, no70) ou que la personne morale justifie d'une exploitation paisible et non équivoque de l'oeuvre sous son nom, encore qu'elle ne pourrait bénéficier que d'une présomption de titularité des droits patrimoniaux à l'égard des tiers (Civ. 1ère, 10 décembre 2014, pourvoi no13-23.076).

33. Mme [N] établit par ses pièces no22 et 32 la divulgation sous son nom, en mars 2014, des bijoux de la gamme "Vitam Industria Abstract Multi Candy" objets du présent litige.

34. La société Vtlc, qui exerce sous l'enseigne et la marque "[K] [N]", démontre la vente, respectivement le 12 novembre 2014 et le 14 avril 2016, des boucles d'oreille et de la bague de la collection "Vitam Industria Abstract Multi Candy" . C'est en effet le nom de cette société, ses adresses postale et mail, sa forme juridique, le montant de son capital social, son numéro Siren, celui de son Rcs et la ville d'immatriculation, qui figurent au pied de la facture au titre des mentions obligatoires (pièces no29 et 30 des demanderesses).

35. Il en résulte que la société Vtlc est recevable à agir, en qualité d'exploitante des bijoux objets du présent litige, tandis que Mme [N] démontre la date certaine de ses créations au mois de mars 2014, antérieures à celles arguées de contrefaçon, qui datent elles d'avril 2018.

4o) Sur la contrefaçon de droits d'auteur
Moyens des parties

36. Mme [N] et la société Vtlc soutiennent que l'ensemble des caractéristiques originales de ses bijoux est reproduit dans les boucles d'oreille et la broche / pendentif commercialisés par M. [W] et sa société, et que ces bijoux ne se distinguent des siens que par des différences mineures. Mme [N] et la société Vtlc rappellent avoir confié à la vente leurs bijoux à M. [W] et la société [W] Preziosen, lesquels ont demandé aux premières de leur proposer d'autres bijoux de cette gamme, cette proposition n'ayant fait l'objet d'aucune suite, jusqu'à la découverte de l'offre en vente des bijoux litigieux dénommés "Arc-en-ciel". Les demanderesses ajoutent que M. [W] a admis sur son compte Facebook s'être inspiré des créations de Mme [N].

37. M. [W] et la société [W] Preziosen font quant à eux valoir que leurs créations "Arc-en-ciel" (une paire de boucles d'oreille, une broche, un bracelet, un collier et un ensemble bracelet/collier) ne présentent pas de ressemblances avec celles des demanderesses, lesquelles tentent de s'approprier selon eux un style, le cluster arc-en-ciel. Les défendeurs soulignent que :
- le dégradé de leur arc-en-ciel est "linéaire" tandis que celui de Mme [N] est circulaire,
- les pierres utilisées dans chaque boucle de la paire sont identiques, tandis qu'elles sont différentes dans les boucles des demanderesses,
- les pierres sont plus espacées sans imbrication de pierres plus petites comme dans les bijoux des demanderesses,
- leurs bijoux ont une forme de motif "paisley" ce qui n'est pas le cas des bijoux des demanderesses.

38. M. [W] et la société [W] Preziosen en déduisent que les bijoux de Mme [N] et les leurs ne se ressemblent pas, de sorte que toute contrefaçon est selon eux exclue.

Appréciation du tribunal

39. Selon l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est attaché à sa personne. De la même manière, selon l'article L. 122-1, le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction. L'article L. 122-4 prévoit quant à lui que toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. L'article L 122-3 précise que la reproduction consiste dans la fixation matérielle de l'oeuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d'une manière indirecte.

40. Aux termes de l'article L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle, enfin, constitue le délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une oeuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi.

41. Il est en outre constamment jugé que la contrefaçon s'apprécie au regard des ressemblances et non par les différences (Cass. Civ. 1ère, 4 février 1992, pourvoi no 90-21.630, Bull. 1992, I, no 42 ; Cass. Civ. 1ère, 30 septembre 2015, pourvoi no 14-19.105).

42. La demanderesse verse aux débats sous sa pièce no49 des visuels sous différents angles et de très haute qualité de ses créations. De la même manière, la pièce no8 des demanderesses propose des reproductions de haute qualité des bijoux argués de contrefaçon.

43. Le tribunal ne peut que constater ici la reprise, par les bijoux de la gamme "Regenbogen" / "Arc-en-ciel" des défendeurs, des caractéristiques originales des créations de Mme [N] et tenant à une accumulation non symétrique au sein d'un même bijou de pierres de couleur, de formes et de volumes différents, dont les différentes nuances forment un dégradé de couleurs primaires destiné à rappeler celui de l'arc-en-ciel, et dont le sertissage révèle le moins de métal possible.

44. Les bijoux de la gamme "Regenbogen" ne se distinguent des créations de Mme [N] que par des détails d'exécution insignifiants et tenant à la forme des bijoux (motif "paisley") et un assemblage légèrement moins serré.

45. Au demeurant, les défendeurs ont a minima admis s'être "inspirés" des créations originales de Mme [N] (cf. Pièces no 9 et 18 des demanderesses, rubrique "making off" des boucles d'oreille "Arc-en-ciel") figurant sur le compte Facebook des défendeurs : "Inspiré par les créations audacieuses de [K], je voulais faire une paire de boucles d'oreilles" (traduction de "Angelehnt an die widen Entwürfe von [K] wollte ich ein Paar ohrringe machen"). La contrefaçon est ainsi établie.

5o) Sur les mesures de réparation

Moyens des parties

46. Mme [N] et la société Vtlc sollicitent le retrait des circuits commerciaux ainsi que la destruction, à la fois des bijoux contrefaisants et des matériaux ayant servi à leur réalisation, sous astreinte et sous le contrôle d'un huissier de justice. Elles sollicitent le versement de la somme provisionnelle de 129.950 euros correspondant au taux de marge habituel appliqué aux gains réalisés par les défendeurs qu'elle évalue ici à 253.900 euros. Les demanderesses sollicitent encore la production de pièces dans le cadre de la mise en oeuvre de leur droit d'information, ainsi que la publication de la présente décision sur la page d'accueil du site internet des défendeurs. Elle sollicitent encore la confiscation des recettes réalisées par les défendeurs.

47. Les défendeurs rappellent que ce tribunal n'est compétent que pour la réparation du dommage causé sur le territoire national. Aucune diffusion ni commercialisation des bijoux en cause n'ayant été réalisée en France, ils concluent pas conséquent au rejet de toutes les demandes de réparation, comme de communication de pièces et d'interdiction.

Appréciation du tribunal

48. Aux termes de l'article L. 331-1-4 du code de la propriété intellectuelle, en cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les objets réalisés ou fabriqués portant atteinte à ces droits,et les matériaux ou instruments ayant principalement servi à leur réalisation ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée. La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise.Les mesures mentionnées aux deux premiers alinéas sont ordonnées aux frais de l'auteur de l'atteinte aux droits. La juridiction peut également ordonner la confiscation de tout ou partie des recettes procurées par la contrefaçon, l'atteinte à un droit voisin du droit d'auteur ou aux droits du producteur de bases de données, qui seront remises à la partie lésée ou à ses ayants droit.

49. L'article L. 331-1-3 du même code prévoit quant à lui que, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1o Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée;
2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3o Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

50. Il résulte enfin de l'article L. 331-1-2 que, si la demande lui est faite, la juridiction peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des marchandises et services qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de telles marchandises ou fournissant de tels services ou a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces marchandises ou la fourniture de ces services. La production de documents ou d'informations peut être ordonnée s'il n'existe pas d'empêchement légitime.

51. Toutes ces dispositions réalisent la transposition en droit interne de la Directive 2004/48/CE du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, dont l'article 3.2 "Obligation générale" prévoit que les réparations doivent être effectives, proportionnées (toutes les emphases sont le fait du tribunal) et dissuasives.

52. Il est en outre rappelé qu'aux termes de l'article 7 "Compétences spéciales" du règlement no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, "Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre: (...)
2) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire;"

53. Interprétant les dispositions identiques du réglement no44/2001, la Cour de justice de l'Union européenne a, par un arrêt du 22 janvier 2015 (CJUE, 22 janvier 2015, aff. C-441-13, Pez Hejduk contre EnergieAgentur), dit pour droit que : "L'article 5, point 3, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que, en cas d'atteinte alléguée aux droits d'auteur et aux droits voisins du droit d'auteur garantis par l'État membre de la juridiction saisie, celle-ci est compétente, au titre du lieu de la matérialisation du dommage, pour connaître d'une action en responsabilité pour l'atteinte à ces droits du fait de la mise en ligne de photographies protégées sur un site Internet accessible dans son ressort. Cette juridiction n'est compétente que pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l'État membre dont elle relève."

54. Il convient par conséquent de faire droit aux mesures d'interdiction pour ce qui concerne le territoire français.

55. Il convient également de faire droit à la demande de communication de pièces qui seule permettra d'appréhender la mesure exacte du dommage matériel subi en France (par la réalisation d'une ou plusieurs ventes en France), au-delà de l'indéniable banalisation des créations originales commercialisées par la société Vtlc et qui résulte d'ores et déjà ici de leur accessibilité sur internet en France.

56. Il apparaît également justifié de faire droit à la demande réparant:
- d'une part, l'atteinte au droit moral de Mme [N], nécessairement causée en France, où demeure l'intéressée et où le site internet du défendeur est accessible, et ce, à hauteur de 20.000 euros, cette somme tenant compte des circonstances dans lesquelles est intervenue la contrefaçon, à savoir les liens contractuels préexistants et des atteintes portées à l'oeuvre,
- d'autre part, le préjudice économique subi par la société Vtlc et résultant de la banalisation de ses créations, et ce, par le versement d'une provision d'un montant de 20.000 euros.

57. Il sera fait droit à la demande de publication de la présente décision selon les modalités prévues au dispositif de la présente décision, qui seules apparaissent proportionnées.

58. Toutes les autres demandes sont rejetées comme étant, soit sans objet en raison de la compétence limitée du tribunal, soit disproportionnées.

6o) Dispositions finales

59. Les demandes subsidiaires fondées sur la concurrence déloyale sont sans objet, tandis que la demande complémentaire fondée sur le parasitisme n'est fondée sur aucun fait distinct de ceux invoqués au titre de la contrefaçon et qui serait démontré. Ces demandes sont donc rejetées.

60. En revanche, parties perdantes au sens de l'article 699 du code de procédure civile,M. [W] et la société [W] Preziosen seront condamnés in solidum aux dépens, ainsi qu'à payer à chacune des demanderesses, sous la même solidarité imparfaite, la somme de 20.000 euros (soit 40.000 euros en tout) par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

61. Nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, l'exécution provisoire de la présente décision sera ordonnée, sauf en ce qui concerne la publication de la présente décision.

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

REJETTE les demandes aux fins d'écarter certaines pièces des débats ;

DIT qu'en reproduisant les caractéristiques originales des bijoux de la gamme "Vitam Industria Abstract Multi Candy" créée par Mme [K] [N] et commercialisée par la société Vtlc, dans sa propre gamme de bijoux intitulée "Regenbogen" (qui comprend une broche, une paire de boucles d'oreilles, un bracelet, un collier et un ensemble composé d'un bracelet et d'un collier), en particulier en les présentant à la vente sur des sites Internet accessibles aux internautes français, la société [W] Preziosen et M. [R] [U] [W] ont commis en France des actes de contrefaçon de droits d'auteur ;

FAIT DÉFENSE à la société [W] Preziosen et à M. [W] d'importer, détenir, offrir en vente, vendre, diffuser auprès du public, en France, tous bijoux reproduisant les caractéristiques originales des créations de la collection "Vitam Industria Abstract Multi Candy" de Mme [N], et ce, sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée courant à l'expiration d'un délai de 30 jours suivant la signification du présent jugement, et pendant 180 jours ;

ORDONNE à la société [W] Preziosen et à M. [W] de rendre inaccessible aux internautes français toute reproduction des bijoux contrefaisant les caractéristiques originales des créations de la collection "Vitam Industria Abstract Multi Candy" de Mme [N], et ce, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard courant à l'expiration d'un délai de 30 jours suivant la signification du présent jugement, et pendant 180 jours ;

CONDAMNE in solidum la société [W] Preziosen et M. [W] à payer à la société Vtlc la somme provisionnelle de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts, à parfaire ultérieurement, en réparation du préjudice subi par celle-ci du fait de l'atteinte portée à ses droits patrimoniaux d'auteur ;

CONDAMNE in solidum la société [W] Preziosen et M. [R] [U] [W] à payer à Mme [K] [N] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par celle-ci du fait de l'atteinte portée à ses droits moraux d'auteur;

ORDONNE à la société [W] Preziosen de communiquer, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard courant à l'expiration d'un délai de 30 jours suivant la signification du présent jugement, et pendant 180 jours :
* les noms et adresses des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs etautres détenteurs des bijoux contrefaisants, ainsi que des grossistes destinataires et des détaillants desdits bijoux;
* les quantités produites, commercialisées (en précisant le pays de destination), livrées, reçues ou commandées, ainsi que le prix obtenu pour les bijoux argués de contrefaçon,
l'ensemble de ces éléments devant être certifié par l'expert-comptable ou le commissaire aux comptes de la société [W] Preziosen ;

DIT qu'il est sursis à statuer sur l'évaluation définitive du préjudice subi par la société Vtlc jusqu'à la communication par la société [W] Preziosen de ces pièces et, qu'à cette fin, les débats sont rouverts et l'affaire est renvoyée à la mise en état du 12 septembre 2023 à 10 heures ;

ORDONNE, une fois la présente décision passée en force de chose jugée, la publication de l'extrait suivant du jugement : "La société de droit allemand [W] Preziosen et M. [R] [U] [W] ont été condamnés par le tribunal judiciaire de Paris par un jugement du 16 mars 2023, pour la contrefaçon des droits d'auteur de Mme [K] [N] et de la société Vtlc portant sur les créations de leur collection intitulée Vitam Industria Abstract Multi Candy, à leur payer la somme de 60.000 euros à titre de dommages-intérêts provisionnels", et ce, dans 3 journaux au choix de Mme [N] et de la société Vtlc, et aux frais de la société [W] Preziosen, à concurrence de 5.000 euros HT par insertion;

DIT que le tribunal se réserve la liquidation des astreintes prononcées ;

REJETTE les demandes subsidiaires et complémentaires de Mme [N] et de la société Vtlc fondées sur la concurrence déloyale et le parasitisme ;

CONDAMNE in solidum la société [W] Preziosen et M. [W] aux dépens, et autorise Maître Valérie Gastinel, avocat, à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile;

CONDAMNE in solidum la société [W] Preziosen et M. [W] à payer la somme de 20.000 euros chacune, à Mme [N] et à la société Vtlc (soit 40.000 euros en tout) par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision sauf en ce qui concerne sa publication par voie de presse.

Fait et jugé à Paris le 16 mars 2023.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 19/10720
Date de la décision : 16/03/2023

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2023-03-16;19.10720 ?
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