TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
3ème chambre
1ère section
No RG 19/07532
No Portalis 352J-W-B7D-CQE6F
No MINUTE :
JUGEMENT
rendu le 02 mars 2023
DEMANDERESSE
S.A.R.L. ALPA SYSTEMS INTERNATIONAL
[Adresse 14]
[Localité 6]
représentée par Me Béatrice MOREAU-MARGOTIN de la SELARL JP KARSENTY ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0156
DÉFENDEURS
S.A.S. MM
[Adresse 1]
[Localité 17]
Société OPTIONS CONSEIL
[Adresse 20]
[Adresse 7])
représentées par Me Virginie LAPP, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #D1974 et Me Anne GUILBERT de la SCP LIENHARD et PETITOT, avocat au barreau de PARIS
Maître [O] [G], de la SCP BTSG, ès qualité de liquidateur judiciaire de la SAS MM
[Adresse 3]
[Localité 16]
Défaillant
Monsieur [C] [S]
[Adresse 13]
[Localité 17]
Monsieur [C] [Z]
[Adresse 20]
[Adresse 7])
représentés par Me Vanessa BOUCHARA de la SELARL CABINET BOUCHARA - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0594
Maître [W] [K] ès qualié de curateur de la société OPTIONS CONSEIL
[Adresse 19]
[Adresse 2])
Défaillant
S.A.R.L. SOCIETE MEDITERRANEENNE DES ZEOLITHES
[Adresse 12]
[Localité 9]
Monsieur [A] [T]
[Adresse 15]
[Localité 8]
Monsieur [W] [N]
[Adresse 18]
[Localité 22]
représentés par Me Benoît LLAVADOR de la SELARLU LLAVADOR AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1193
Monsieur [M] [X]
[Adresse 4]
[Localité 10]
représenté par Me Emilie VERNHET LAMOLY de la SCP SVA, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #C0055 et Me Estelle RODRIGUEZ, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant
S.A.R.L. RM DISTRIBUTION
[Adresse 5]
[Localité 11]
représentée par Me Pierre ORTOLLAND de la SEP ORTOLLAND, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0231
Monsieur [C] [B]
[Adresse 21]
[Localité 11]
Défaillant
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Malik CHAPUIS, Juge,
assistés de Caroline REBOUL, Greffière
DEBATS
A l'audience du 06 décembre 2022 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 02 mars 2023.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Réputé contradictoire
En premier ressort
EXPOSE DU LITIGE
La société Alpa Systems International, créée en 1995, est spécialisée dans le développement, la location et la vente de produits techniques améliorant l'hygiène et le stockage des produits frais dans les espaces réfrigérés.
Dans le cadre de son activité, elle a mis au point des filtres stabilisateurs qui se composent de sachets contenant une composition de minéraux divisés naturels possédant notamment des propriétés d'absorption, permettant de réguler l'humidité de l'air et d'absorber les odeurs et gaz nocifs, se plaçant dans les espaces réfrigérés afin de conserver plus longtemps les produits qui y sont stockés.
Elle a obtenu l'autorisation de mise sur le marché de son produit en juin 1999 et commercialise depuis cette date cette technologie sous la marque « Biocold Process » à destination de professionnels (restaurateurs, commerçants, cantines scolaires, supermarchés). Elle le distribue via un réseau de partenaires franchisés qu'elle forme aussi bien sur le procédé « Biocold Process », son installation et son entretien, que sur les techniques de vente.
Messieurs [C] [B], [C] [S] et [C] [Z] ont rejoint ce réseau de franchise. M. [B] l'a intégré en 2007, par l'intermédiaire de la société RM Distribution, après signature d'un engagement de confidentialité et de non-divulgation, devenant partenaire référent dès 2009.
M. [S] l'a rejoint en 2020, par l'intermédiaire de la société [S] Distribution devenue MM SAS, société spécialisée dans le commerce de produits spécifiques loués aux entreprises de transformation ou de distribution alimentaire et agroalimentaire. Sa société a été placée en liquidation judiciaire par un jugement rendu par le tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône le 18 février 2021 fixant la date de cessation des paiements au 13 février 2021 et Maître [O] [G] de la SCP BTSG a été désigné en qualité de liquidateur judiciaire.
Enfin, M. [Z] a intégré le réseau de franchise par le biais de la société de droit luxembourgeois Options Conseil en 2010, après signature d'un contrat de partenariat avec la société Alpa Systems International. La société Options Conseil est spécialisée dans les activités d'aide, de conseil et de formation au montage de projets, de conseil en stratégies et recherches de partenariats transnationaux. Le 17 février 2021, le tribunal d'arrondissement du Luxembourg a ouvert une procédure de faillite à son égard. Maître [W] [K] est désigné curateur de cette société.
Alertée courant 2014 par la résiliation brutale de contrats de plusieurs clients, puis par la découverte chez l'un d'eux, sur les supports destinés à accueillir les cassettes " Biocold Process ", d'un autre produit, la société Alpa Systems International a obtenu plusieurs ordonnances sur requête.
Arguant de ce que Messieurs [B], [Z] et [S] auraient créé et géré, un réseau parallèle et concurrent commercialisant un dispositif dit "Air Traitement" qui serait une reprise de son procédé en collaboration avec la société Méditerranéenne Des Zéolithes (Somez), spécialisée dans les produits minéraux " absorbants ", dont le représentant légal est M. [T] et le responsable de projet RetD de 2010 à 2017 M. [M] [X], la société Alpa Systems International a, le 23 janvier 2017, fait assigner la société MM SAS, la société Options Conseil, la société RM Distribution et la société Somez devant le tribunal de commerce de Paris afin de dénoncer la violation des contrats de partenariat.
Par un jugement du 6 septembre 2018 confirmé par un arrêt du 13 février 2019 de la Cour d'appel de Paris, le tribunal de commerce de Paris s'est déclaré incompétent concernant la société Somez au profit du tribunal de commerce de Montpellier. La cour d'appel de Paris a également infirmé le jugement du 6 septembre 2018 en ce qu'il a déclaré le tribunal de commerce de Paris compétent en ce qui concerne la société RM Distribution, le litige la concernant étant également renvoyé devant le tribunal de commerce de Montpellier.
Par un jugement du 4 février 2021, le tribunal de commerce de Paris a condamné les sociétés Options Conseil et SAS MM à l'indemniser pour la violation des dispositions contractuelles.
Puis, par acte d'huissier du 21 juin 2017, la société Alpa Systems International a fait assigner la société MM SAS, M. [C] [S], la société Options Conseil, M. [C] [Z], la société RM Distribution M. [C] [B], la société Somez et M. [P] [L] devant le tribunal de grande instance de Montpellier en concurrence déloyale et parasitaires, et leur reproche également des actes de déstabilisation du réseau " Biocold Process " et une atteinte à son image.
Entre temps, le 27 juillet 2015, la société Somez avait déposé une demande de brevet français no15 57165 intitulé " Dispositif de stabilisation d'un produit frais " délivré par l'INPI le 31 janvier 2020.
Elle a également déposé une demande de brevet européen, le 27 juillet 2016, sous le no EP 3 123 872 B1, revendiquant la priorité de la demande de brevet français no1557165 et délivré le 18 avril 2018.
Le 18 janvier 2019, la société Alpa Systems International a formé opposition auprès de l'OEB à l'encontre du brevet européen no1557165. Le 7 octobre 2019, la division d'opposition a rendu une décision intermédiaire. Le 11 février 2021, l'OEB a déclaré l'opposition recevable et le brevet européen a été révoqué. La décision est définitive depuis le 23 avril 2021, la société Somez n'ayant pas formé de recours.
Par actes d'huissier des 27 mai, 28 mai, 7 juin et 11 juin 2019, la société Alpa Systems International a fait assigner la société MM SAS, M. [C] [S], la SARL Somez, M. [M] [X], M. [A] [T], M. [W] [N], la SARL RM Distribution, M. [C] [B], la société Options Conseil et M. [C] [Z] devant le tribunal de grande instance de Paris, devenu tribunal judiciaire de Paris à compter du 1er janvier 2020, afin de contester la validité de la demande du brevet FR 15 571165 et du brevet EP 3 123 872 ainsi que leur propriété.
Par acte d'huissier du 24 juin 2021, la société Alpa Systems International a fait assigner le liquidateur judiciaire de la société MM SAS, Me [G], devant le tribunal judiciaire de Paris en intervention forcée. La procédure, enrôlée sous le no RG 21/9533, a été jointe à la présente procédure.
De même, par acte d'huissier du 25 juin 2021, la société Alpa Systems International a fait assigner le curateur de la société Options Conseil, Me [K], en intervention forcée devant le tribunal judiciaire de Paris. La procédure, enrôlée sous le no RG 21/9307 a été jointe à la présente procédure.
Par conclusions notifiées par la voie électronique le 10 février et le 15 juin 2020, la société Somez, M. [A] [T] et M. [W] [N] ainsi que les sociétés Options Conseil, MM SAS et Messieurs [Z] et [N] ont saisi le juge de la mise en état d'un incident.
Par une ordonnance du 12 novembre 2020, le juge de la mise en état a :
- Rejeté la demande de conciliation ou de médiation,
- Rejeté la demande de sursis à statuer,
- Débouté les sociétés Options Conseil, MM SAS, Messieurs [C] [Z] et [C] [S] de leur exception de nullité de l'assignation,
- Rejeté l'exception de litispendance soulevée,
- Débouté les sociétés Options Conseil, MM SAS, Messieurs [C] [Z] et [C] [S] de leur fin de non-recevoir,
- Rejeté des demandes de mise hors de cause.
Maître Ortolland, conseil de la société RM Distribution, a précisé dans un message du 16 juin 2020 que, sans nouvelles de sa cliente, il ne conclurait pas. Les sociétés Options Conseil, MM SAS et RM Distribution n'ont pas notifié de conclusions au fond.
Bien que régulièrement cité le 7 juin 2019 en la personne de Madame [I] [B], son épouse, Monsieur [C] [B] n'a pas constitué d'avocat.
Dans ses dernières conclusions du 16 février 2022, la société Alpa Systems International demande au tribunal judiciaire de Paris de :
A Titre Principal :
- Déclarer irrecevables les exceptions de litispendance et de connexité n'ayant pas été formées in limine litis par la société Somez, M. [A] [T] et M. [W] [N] ;
- D'annuler le brevet FR 15 57165 dans son intégralité, avec transmission du jugement à l'INPI aux frais de la société Somez, dans la mesure où il présente une insuffisance de description et que les revendications 1 à 8 du brevet FR 15 57165 sont dépourvues de nouveauté et d'activité inventive;
A Titre Subsidiaire :
- Débouter la société Somez, M. [A] [T] et M. [W] [N] de leurs exceptions de litispendance et de connexité en raison de la compétence exclusive du Tribunal judiciaire de Paris sur ses demandes ;
- Dire et juger recevable et bien fondée son action en revendication du brevet français FR 15 57165, dire qu'elle est la véritable titulaire et la subroger rétroactivement dans les droits de la société Somez avec transmission du jugement à l'INPI pour rectification du nom des inventeurs.
- Condamner la société Somez à effectuer, à ses frais, toute formalité, souscrire tout acte et donner tout pouvoir en vue du transfert au nom de la société Alpa Systems International du brevet FR 15 57165, sous astreinte et lui enjoindre de lui remettre tout contrat affectant ce titre également sous astreinte;
En tout état de cause :
- Débouter M. [M] [X], la société Somez, Monsieur [T] et Monsieur [N] de leur demande reconventionnelle en procédure abusive ;
- Débouter les défendeurs de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
- Constater que les sociétés RM Distribution, Options Conseil et MM SAS, et leurs dirigeants respectifs Messieurs [C] [B], [C] [Z] et [C] [S], en collaboration avec la société Somez et Messieurs [M] [X], [A] [T], et [W] [N] ont frauduleusement soustrait son savoir-faire pour son dispositif dénommé Biocold Process afin de procéder au dépôt des brevets FR 15 57165 et EP 3 123 872 et les condamner in solidum à lui régler la somme de 100.000 euros en réparation de son préjudice moral lié au détournement de son savoir-faire et à son dépôt frauduleux en tant que brevets ;
- Fixer le montant de la créance qui lui est due à ce titre par la société MM SAS, à la somme de 100.000 euros;
- Fixer le montant de la créance qui lui est due à ce titre par la société Options Conseil à la somme de 100.000 euros ;
- Condamner in solidum les sociétés RM Distribution et Somez, Messieurs [C] [B], [C] [Z], [C] [S], [M] [X], [A] [T], et [W] [N] à lui régler la somme de 100.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
- Fixer le montant de la créance qui lui est due par la société MM SAS au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la somme de 100.000 euros, à l'égard du passif de la procédure de liquidation judiciaire dont elle fait l'objet ;
- Fixer le montant de la créance qui lui est due par la société Options Conseil à la somme de 100.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à l'égard du passif de la procédure de faillite dont elle fait l'objet ;
- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;
- Se réserver la liquidation de l'astreinte.
Par des conclusions notifiées électroniquement le 13 décembre 2021, Monsieur [M] [X] demande au tribunal de :
A titre principal :
- Juger irrecevables les demandes formées par la société Alpa Systems International à son encontre, ce dernier n'ayant ni qualité, ni intérêt à se défendre ;
- Rejeter les demandes formées à son encontre ;
A titre subsidiaire :
- Juger non motivées et non fondées les demandes formées à son encontre et subsidiairement, condamner la société Somez, son ancien employeur, à le relever et garantir de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre, en incluant les frais irrépétibles et dépens auxquels il serait astreint et qu'il aura engagé ;
En tout état de cause :
- Tenant la légèreté blâmable de la demanderesse et l'absence de diligences préalables élémentaires, condamner la société Alpa Systems International à lui verser la somme de 5.000 (cinq mille) euros pour procédure abusive ;
- Condamner la société Alpa Systems International à lui verser la somme de 6.000 (six mille) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à parfaire outre les dépens.
Par des conclusions notifiées électroniquement le 10 janvier 2022, Messieurs [C] [Z] et [C] [S] demandent quant à eux au tribunal de :
A titre principal :
- Constater que les brevets français noFR15 57165 et européen EP 3 123 872 ont été déposés par la seule société Somez ;
- Constater qu'ils ne peuvent être tenus personnellement responsables de la prétendue exploitation réalisée par les sociétés MM SAS et Options Conseil qu'ils dirigeaient, n'ayant commis aucune faute intentionnelle d'une particulière gravité et détachable de leurs fonctions qui soit de nature à engager leur responsabilité ;
En conséquence,
- Débouter la société Alpa Systems International de l'ensemble des demandes formulées à leur encontre et ordonner leur mise hors de cause.
A titre subsidiaire :
- Constater l'absence de savoir-faire attribuable à la société Alpa Systems International et, en tout état de cause, l'absence de détournement frauduleux de ce prétendu savoir-faire par M. [Z] et M. [S] ;
En conséquence, la débouter de ses demandes à leur encontre.
A titre infiniment subsidiaire :
- Constater qu'ils ne sauraient être tenus responsables de faits auxquels ils sont tout à fait étrangers et en conséquence,
- Débouter la société Alpa Systems International de sa demande de condamnation solidaire, ou à tout le moins la cantonner à de plus justes proportions.
En tout état de cause :
- Débouter de toutes ses demandes la société Alpa Systems International, la condamner à leur verser à chacun 15.000 euros d'article 700 du code de procédure civile outre les dépens de l'instance avec distraction.
Par des conclusions notifiées électroniquement le 10 janvier 2022, Messieurs [A] [T] et [W] [N] ainsi que la société Somez demandent au tribunal de :
A titre liminaire :
- Constater la litispendance, ou subsidiairement la connexité, entre les demandes de la société Alpa Systems International dans le cadre de la présente instance visant à faire juger que les défendeurs se seraient rendus coupables d'avoir " frauduleusement soustrait le savoir-faire développé par la société Alpa Systems International " et l'action en concurrence déloyale précédemment initiée par cette dernière devant Tribunal Judiciaire Montpellier;
- Rejeter en conséquence cette demande comme irrégulière.
A titre principal :
- Dire et juger irrecevables les demandes formées par la société Alpa Systems International à l'encontre Messieurs [T] et [N], et en tout état de cause les déclarer infondées ;
- Rejeter en outre la demande principale de la société Alpa Systems International en vue d'obtenir la nullité des brevets français et européen déposés par la société Somez, ainsi que sa demande subsidiaire d'attribution desdits brevets ;
- Débouter enfin la société Alpa Systems International de sa demande d'indemnisation d'un préjudice moral ;
A titre reconventionnel :
- Condamner la société Alpa Systems International à verser à chacun des concluants la somme de 50.000 euros, à parfaire, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
En tout état de cause :
- Condamner enfin la société Alpa Systems International à payer à chacun des concluants la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
- La condamner aux entiers dépens de procédure.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 mars 2022 et l'affaire plaidée à l'audience du 6 décembre 2022.
MOTIFS
Sur les exceptions de litispendance et de connexité
Moyens des parties
La société Somez, Messieurs [T] et [N] soulèvent une exception de litispendance et à tout le moins de connexité avec le litige pendant devant le tribunal judiciaire de Montpellier. Ils soulignent que la société Alpa Systems International poursuit l'engagement de leur responsabilité pour avoir prétendument soustrait de manière frauduleuse son savoir-faire alors que cette demande est déjà formée à l'encontre des mêmes parties attraites devant le tribunal judiciaire de Montpellier par assignations du 19 mai 2017.
La société Alpa Systems International soulève l'irrecevabilité de cette exception de procédure, qu'elle estime dilatoire, dans la mesure où elle n'a pas été soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, ni de manière simultanée avec une autre exception de procédure soulevée. En tout état de cause, elle conclut au rejet de cette demande dans la mesure où il n'existe pas d'identité entre les litiges pendants devant le tribunal judiciaire de Montpellier et de Paris et que le tribunal judiciaire de Paris est exclusivement compétent pour connaître des demandes relatives aux brevets sur le fondement des articles L. 615-17, D. 631-2 du code de la propriété intellectuelle et de l'article D. 211-6 du code de l'organisation judiciaire. Elle conclut que le juge de la mise en état a déjà statué en ce sens par une ordonnance du 12 novembre 2020.
Appréciation du tribunal
L'article 74 du code de procédure civile dispose que " Les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public.
La demande de communication de pièces ne constitue pas une cause d'irrecevabilité des exceptions.
Les dispositions de l'alinéa premier ne font pas non plus obstacle à l'application des articles 103, 111,112 et 118. "
La litispendance est définie à l'article 100 du code de procédure civile : " Si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l'autre si l'une des parties le demande. A défaut, elle peut le faire d'office. "
L'article 101 du même code de procédure civile dispose que " S'il existe entre des affaires portées devant deux juridictions distinctes un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble, il peut être demandé à l'une de ces juridictions de se dessaisir et de renvoyer en l'état la connaissance de l'affaire à l'autre juridiction. "
L'article 103 du code de procédure civile dispose que " l'exception de connexité peut être proposée en tout état de cause, sauf à être écartée si elle a été soulevée tardivement dans une intention dilatoire. "
S'agissant de l'exception de litispendance, le juge de la mise en état a, par ordonnance du 12 novembre 2020, d'ores et déjà rejeté cette exception de procédure, soulignant qu'il n'y a pas identité entre les litiges pendants devant les tribunaux judiciaires de Montpellier et de Paris. La société Somez, Messieurs [T] et [N] ne sont donc pas recevables à soulever cette exception de procédure à nouveau devant le tribunal.
De même, l'exception de connexité, si elle peut être soulevée à tout moment de la procédure, l'est en l'occurrence tardivement.
En effet, le tribunal judiciaire de Montpellier a été saisi à la suite de la délivrance d'assignations en juin et juillet 2017, si bien que cette exception pouvait être soulevée, dans le cadre de la présente instance, devant le juge de la mise en état.
En tout état de cause, les demandes litigieuses ne sont pas unies par des liens si étroits qu'il y aurait intérêt à les juger ensemble, étant au demeurant rappelé que le tribunal judiciaire de Paris est exclusivement compétent pour connaître des demandes formées au titre du brevet français FR 15 57165, en application des dispositions de articles L. 615-17, D. 631-2 et D. 211-6 du code de la propriété intellectuelle.
La société Somez, Messieurs [T] et [N] sont donc irrecevables à soulever une exception de litispendance et l'exception de connexité doit être écartée.
Sur les fins de non-recevoir et les demandes de mise hors de cause
Moyens des parties
Messieurs [T] et [N] concluent à l'irrecevabilité des demandes formées à leur égard pour défaut de qualité à se défendre. Ils estiment que la société Somez, titulaire du brevet litigieux, a seule intérêt à se défendre dans le cadre de l'action en nullité ou en revendication du brevet. Pour le surplus, ils ajoutent avoir toujours agi au nom et pour le compte de cette société dont ils sont les représentants légaux et associés. Enfin, ils exposent être étrangers aux contrats concernant le procédé " Air Traitement " ainsi qu'au brevet contesté, si bien que leur mise en cause est infondée, une faute détachable de l'exercice normal de leurs fonctions et d'une particulière gravité n'étant pas démontrée.
M. [X] souligne en premier lieu une motivation lacunaire des conclusions de la demanderesse et rappelle ensuite qu'il n'est pas gérant de la société Somez mais seulement associé minoritaire et qu'il ne saurait être tenu pour responsable de ses agissements en sa qualité de salarié, alors qu'il n'a pas tiré profit de ce dépôt ou de l'exploitation du brevet. Il souligne que la société Somez est seule titulaire du brevet et qu'il ne s'est à aucun moment approprié le savoir-faire de la société Alpa Systems International en qualité d'inventeur.
Enfin, M. [Z] et M. [S], qui rappellent n'être ni inventeurs ni titulaires du brevet litigieux, demandent leur mise hors de cause dans la mesure où ils ont agi en qualité de représentants légaux des sociétés Options Conseil et MM SAS qui sont également attraites à la cause pour un prétendu détournement du savoir-faire de la société Alpa Systems International. Ils concluent qu'il n'est pas démontré à quel titre leur responsabilité en tant que personnes physiques pourrait être recherchée, en l'absence de faute détachable grave.
En réponse, la société Alpa Systems International estime que les demandes formées à l'égard des personnes physiques sont toutes recevables dans la mesure où elles ont activement participé, de manière personnelle et concertée, au détournement de son savoir-faire et à la mise sur le marché du produit " Air Traitement " qui reproduit son procédé "Biocold ".
Elle souligne, en tout état de cause, qu'une faute détachable de leurs fonctions est caractérisée s'agissant de Messieurs [X], [T] et [N], dès lors que les agissements ont été commis de manière délibérée et sont d'une particulière gravité, le contenu des échanges mettant en évidence une participation personnelle à l'appropriation frauduleuse reprochée.
Quant à M. Messieurs [Z] et [S], elle considère que la gravité de l'appropriation incriminée dépasse largement l'exercice normal des fonctions de dirigeant et justifie la qualification de faute détachable des fonctions.
Elle rappelle que ces derniers ont profité de leur statut de partenaire franchisé du réseau Biocold pour analyser le procédé et identifier les caractéristiques innovantes et qu'avec Messieurs [T], [N] et [X], ils ont envisagé de mettre en place une nouvelle société qui serait titulaire des brevets, avec l'intention d'en tirer un profit personnel, indépendamment de leur qualité d'associé, de représentant légal ou de salarié. Elle ajoute que M. [X] a coordonné le dépôt des brevets dont la société Somez est titulaire.
Appréciation du tribunal
L'article 31 du code de procédure civile dispose que " l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. "
Aux termes des dispositions de l'article 32 du code de procédure civile, " est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir ".
En d'autres termes, l'intérêt est exigé de toute personne qui agit dans l'instance, à un titre quelconque, comme demandeur, défendeur ou tiers intervenant.
Le représentant légal d'une société étant l'un de ses organes, la faute commise par ce dernier dans l'exercice de ses fonctions constitue une faute de la société elle-même dont la victime peut demander réparation à celle-ci. En effet, en tant que personne morale, la société répond sur le fondement des articles 1240 et 1241 du Code civil, des dommages causés fautivement par un de ses représentants agissant ès qualités (Cass. 2e civ., 17 juill. 1967, no 65-12.671 Cass. 2e civ., 27 avr. 1977, no 75-14.761).
En revanche, la responsabilité du dirigeant peut être engagée s'il a commis une faute séparable de ses fonctions, définie comme une faute intentionnelle d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales (Cass. Com., 20 mai 2003).
De même, la société répond des agissements de ses préposés et salariés dans l'exercice de leurs fonctions. N'engage pas sa responsabilité à l'égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant (cass., ass. plén. , 25 février 2000).
En revanche, la société n'est pas responsable des actes dommageables de l'un de ses préposés quand, agissant sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions, il s'est situé en dehors des fonctions auxquelles il était employé. Le commettant s'exonère ainsi de sa responsabilité si son préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation, et à des fins étrangères à ses attributions (Cass., Ass. Plén., 19 mai 1988).
En l'espèce, la société Alpa System International, en sus de sa demande en annulation et, subsidiairement, en revendication de brevet, qu'elle dirige à l'encontre de la société Somez qui en est titulaire, sollicite l'octroi de dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle de l'article 1240 du Code civil. Elle argue d'un détournement de son savoir-faire secret en vue de son dépôt à titre de brevet, ce qui est prohibé par les dispositions de l'article L. 611-8 du code de la propriété intellectuelle et constitutif, selon elle, d'une faute.
Le brevet litigieux ayant été déposé au nom de la société Somez qui en est la titulaire, elle est recevable à se défendre de la commission d'une éventuelle faute dans ce cadre, ce qui n'est pas contesté.
La demande est toutefois également dirigée à l'encontre de Messieurs [N] et [T], qui se sont déclarés inventeurs de l'invention dans le cadre du dépôt du brevet. Si Messieurs [T] et [N] sont respectivement représentant légal et associés de la société Somez, la société Alpa Systems International se prévaut à leur égard d'une faute grave, qu'elle qualifie de détachable de leurs fonctions.
Il en est de même de Messieurs [Z] et [S]. Si les sociétés dont ils sont les représentants légaux, Options Conseil et MM SAS, sont attraites à la cause, la société Alpa Systems International invoque, au soutien de ses demandes formées à leur égard, des faits qu'elle qualifie de graves et de détachables des fonctions de dirigeants.
Dès lors, s'il appartiendra au tribunal d'apprécier le bien fondé de la demande de la société Alpa Systems International en ce qu'elle est dirigée à leur égard, ces prétentions sont recevables, Messieurs [N], [T], [Z] et [S] ayant intérêt à se défendre.
Quant à M. [X], la société Alpa Systems International lui reproche également des faits commis à titre personnel. Certes, il était à l'époque associé et salarié de la société Somez en qualité de responsable de projets RetD. Cependant, la société demanderesse soutient qu'il a commis des actes dépassant le cadre de son contrat de travail, de manière délibérée et d'une particulière gravité.
Par conséquent, la demande doit être également déclarée recevable en ce qu'elle est dirigée à l'encontre de M. [X]. Il appartiendra au le tribunal se prononcer, au fond, sur le bien fondé de cette demande.
Les demandes de mise hors de cause ne peuvent donc prospérer.
Sur la demande de nullité du brevet FR 15 57165
Présentation du brevet FR 15 57165
L'invention est relative à un dispositif de stabilisation d'un produit frais, pouvant être des denrées alimentaires ou périssables, stocké dans un espace réfrigéré ouvert ou fermé tels que réfrigérateur, congélateur, chambre froide positive ou négative (page 1, lignes 1 à 9 de la partie description du brevet).
La description du brevet souligne qu'actuellement, l'humidité dans un tel espace contenant des produits frais est mal régulée ce qui a pour conséquence une conservation assez faible de ces produits, un aspect visuel de mauvaise qualité et la production de mauvaises odeurs (page 1, lignes 10 à 14 de la description). Il est ajouté, à la page 1 aux lignes 15 à 32 de la description, qu'il n'existe pas, au jour du dépôt de la demande de brevet, de dispositif de stabilisation de produit frais permettant de réguler cette humidité en tenant compte de la température et du degré d'hygrométrie régnant dans l'espace réfrigéré mais également de l'environnement de fonctionnement de cet espace, alors que cela permettrait d'améliorer la conservation des produits frais, de supprimer les mauvaises odeurs générées par les produits frais et éventuellement d'éviter les moisissures.
Pour pallier les inconvénients ainsi décrits, l'invention déposée propose un dispositif comprenant un produit de stabilisation naturel ou artificiel (qui peut être un zéolithe ou de l'alumine, un mélange de plusieurs zéolithes ou d'une ou plusieurs zéolithes et d'alumine) ayant subi un traitement chimique permettant de lui conférer une propriété chimique, enfermé dans une enveloppe ajoutée conçue en forme de boudin, dans un matériau adapté au contact alimentaire, doté de moyens de fixation permettant de l'accrocher à un endroit adéquat, de préférence dans un flux d'air.
A cette fin, le brevet FR no15 57165 est composé des revendications suivantes, modifiées à la suite de la notification du rapport de recherche préliminaire :
1. Dispositif de stabilisation (1) adapté à stabiliser un produit frais stocké dans un espace réfrigéré, comprenant :
- un produit de stabilisation (2) qui comporte de l'alumine ou une zéolithe,
- une enveloppe ajourée (3) qui laisse passer l'atmosphère régnant dans l'espace réfrigéré et qui enferme le produit de stabilisation (2),
- caractérisé en ce que l'enveloppe ajourée (3) a une forme de boudin.
2. Dispositif de stabilisation (1) selon la revendication 1, caractérisé en ce que le produit de stabilisation (2) est formé par un mélange de zéolithes.
3. Dispositif de stabilisation (1) selon l'une des revendications 1 et 2, caractérisé en ce que le produit de stabilisation (2) est formé par un mélange d'alumine et d'au moins une zéolithe.
4. Dispositif de stabilisation (1) selon l'une des revendications 1 à 3, caractérisé en ce qu'au moins un des produits de stabilisation (2) a préalablement subi un traitement chimique.
5. Dispositif de stabilisation (1) selon la revendication 4, caractérisé en ce que le traitement chimique est une imprégnation du produit de stabilisation (2) dans une solution oxydante.
6. Dispositif de stabilisation (1) selon l'une des revendications 1 à 5, caractérisé en ce que l'enveloppe ajourée (3) comprend des moyens de fixation adaptés à fixer le dispositif de stabilisation (1) dans l'espace réfrigéré.
7. Dispositif de stabilisation (1) selon l'une des revendications 1 à 6, caractérisé en ce que l'enveloppe ajourée (3) est faite en un matériau adapté pour le contact alimentaire.
8. Espace réfrigéré ayant une atmosphère circulante traversant un dispositif de stabilisation (1) selon l'une des revendications 1 à 7.
Sur l'insuffisance de description
Moyens des parties :
La société Alpa Systems International estime que le brevet est nul dans la mesure où il n'est pas rédigé de manière suffisamment claire, précise et complète pour que l'homme de métier du domaine technique concerné, qu'elle désigne comme étant un technicien spécialisé dans les dispositifs de stabilisation permettant la conservation des produits frais dans les espaces réfrigérés ayant une connaissance des dispositifs du marché, puisse réaliser l'invention.
Elle expose que la référence à la caractéristique technique essentielle de " boudin " figurant dans la revendication no1, sans la moindre précision relative à sa forme ou sa dimension pourtant indispensable en fonction de la taille de l'espace réfrigéré pour atteindre l'effet technique désiré, est ambiguë.
Elle en déduit que l'homme de métier, qui ne trouvera de définition du " boudin " ni dans la description du brevet, ni dans le domaine technique connu, ne pourra pas reproduire l'invention, faute de savoir quelle forme lui donner. Elle souligne que Messieurs [X], [S] et [Z] ne le contestent pas.
La société Somez, Messieurs [T] et [N] estiment que ce grief n'est pas pertinent dans la mesure où le brevet comprend des planches qui illustrent le boudin, qui se présente comme un filet allongé contenant les produits absorbants. Ils ajoutent que le terme [F] fait référence à sa forme et que la revendication no8 désigne clairement l'espace réfrigéré contenant le dispositif.
Appréciation du tribunal :
L'article L. 613-25 du code de la propriété intellectuelle dispose que " le brevet est déclaré nul par décision de justice : [?]
b) S'il n'expose pas l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter ; "
L'article L. 613-2 du code de la propriété intellectuelle dispose par ailleurs que " L'étendue de la protection conférée par le brevet est déterminée par les revendications. Toutefois, la description et les dessins servent à interpréter les revendications. [?] "
L'exigence de suffisance de description, qui a pour finalité de garantir la possibilité pour l'homme du métier d'exécuter l'invention sans effort excessif grâce aux informations fournies par l'ensemble du brevet et ses propres connaissances techniques, est satisfaite dès lors que la description indique les moyens qui donnent à l'homme du métier, doté des capacités et des connaissances que l'on est en droit d'attendre de lui, la possibilité d'exécuter ou de mettre en oeuvre l'invention en faisant un effort raisonnable de réflexion par exemple des essais de routine.
L'homme du métier est celui du domaine technique où se pose le problème que l'invention, objet du brevet, se propose de résoudre (Cass. Com., 20 novembre 2012, pourvoi no11-18.440). Il peut s'aider de la description et des dessins pour reproduire l'invention (Cass. Com., 20 mars 2007, pourvoi no05-12.626).
En l'espèce, l'homme de métier est un technicien spécialisé dans les dispositifs de conservation de produits frais dans les espaces réfrigérés.
S'agissant de la forme que doit revêtir l'enveloppe du produit, la revendication no 1 du brevet indique que " l'enveloppe ajourée (3) a une forme de boudin ". Dans la description du brevet, il est proposé un mode de réalisation donné à titre d'exemple non limitatif et illustré dans les figures en annexe. La description (page 5 lignes 23 et suivantes) précise que, dans cet exemple, " l'enveloppe ajourée est configurée sous la forme d'un boudin, dont les dimensions permettent de manipuler facilement le dispositif de stabilisation 1 et de traiter efficacement le produit frais contenu dans l'espace réfrigéré. L'enveloppe ajourée 3 pourrait être un filet ou une enveloppe, le filet ou l'enveloppe pouvant être fait d'un tissu poreux, d'un matériau rigide ou d'un matériau flexible, l'important étant la possibilité de laisser passer l'atmosphère régnant dans l'enceinte réfrigérée tout en emprisonnant le produit de stabilisation (2). ". La figure no1 comporte une illustration de ce boudin à titre d'exemple :
Cette illustration, donnée à titre d'exemple non limitatif, en sus des éléments descriptifs, permet à l'homme de métier de comprendre et de se figurer une des formes que peut revêtir le " boudin " cité dans la revendication et ainsi reproduire sans difficulté l'invention.
Certes, aucune dimension n'est précisée, que ce soit dans les revendications, la description ou les figures annexées. Cela peut notamment s'expliquer par le champ d'application très large de l'invention qui ne donne pas d'élément concernant la surface et la profondeur de l'espace réfrigéré concerné.
Cependant, cela ne sera pas de nature à empêcher l'homme de métier de réaliser l'invention. En effet, celui-ci trouvera dans l'art antérieur les éléments nécessaires pour ajuster la quantité de produit nécessaire et adapter la dimension de l'invention. Le brevet US 2 765 046 "Air purifying device" (dispositif de purification d'air) publié le 2 octobre 1956 et versé aux débats, donne à ce titre des exemples de mélanges de matériaux de filtration, en pages 6 et 7 de la description, qui peuvent être utilisés pour chaque 100 litres d'espace de chambre de réfrigération pour obtenir une purification de l'air, tels que 100-120 g de charbon actif, 80-100 g d'alumine activée et 90-100 g de chaux vive ou encore 100 gr de charbon actif, 80g d'alumine active et 90 g de zéolithe.
Par conséquent, il y a lieu de considérer que l'homme de métier pourra exécuter l'invention décrite dans le brevet sans difficulté excessive au regard des informations contenues dans le brevet et de ses connaissances professionnelles.
Les revendications no1 et suivantes n'encourent donc pas le grief d'insuffisance de description invoqué.
Sur l'absence de nouveauté
Moyens des parties
La société Alpa Systems International considère que le brevet n'est pas nouveau à deux titre.
Elle soutient en premier lieu que le brevet est couvert par l'état de la technique.
Elle expose que l'objet des revendications no1 à 8 du brevet litigieux est couvert par l'état de la technique au regard de l'enseignement du brevet US 2 765 046 publié le 2 octobre 1956.
Elle souligne en premier lieu que le contenant divulgué par le brevet US présente une forme de parallélépipède ajourée qui correspond tout à fait à la forme de " boudin " de la revendication no1, ainsi que cela ressort de la planche no2 du brevet litigieux. Elle souligne que l'analyse de l'OEB est ainsi transposable au brevet français.
La revendication no2, qui dépend de la revendication no1, et la revendication no3, sont, selon elle, également dépourvue de nouveauté au regard de l'exemple IV du document US'046 qui prescrit l'utilisation de zéolithes.
Il en est de même de la revendication no4, dans la mesure où le document US'046 divulguait déjà qu'au moins un des produits de stabilisation du dispositif qui a préalablement subi un traitement chimique, en ce qu'il peut être lavé dans un solvant ou enrobé dans de l'argent colloïdale ou de l'oxyde d'argent.
La société Alpa Systems International soutient également que la revendication no5, qui dépend de la revendication no4, est dépourvue de nouveauté au regard non seulement du brevet US'046 mais également des connaissances générales de l'homme de métier, qui, à la date du dépôt du brevet, sait déjà que l'argent colloïdal est une solution oxydante qui permet d'oxyder les molécules chimiques produites par les produits frais et notamment l'éthylène.
La revendication no6 est selon elle, dépourvue de nouveauté en ce qu'elle divulgue l'enveloppe ajoutée du dispositif avec des moyens de fixation pour l'accrocher dans l'espace réfrigéré, ce qui apparaissait clairement sur les figures 1 et 2 du brevet US'046.
De même, la revendication no7, qui prévoit que l'enveloppe ajourée doit être faite en un matériau adapté pour le contact alimentaire, se retrouve dans le dispositif décrit dans le brevet US'046.
Enfin, elle souligne que la revendication no8 n'est pas davantage nouvelle, le brevet US'046 préconisant également une atmosphère circulante traversant le dispositif.
La société Alpa Systems International rappelle que cette absence de nouveauté des revendications indépendances a conduit l'OEB à annuler le brevet européen.
La société Alpa Systems International soutient en second lieu que l'invention a fait l'objet d'une divulgation publique antérieurement à son dépôt.
Elle entend démontrer qu'en louant le dispositif " Air Traitement " à des tiers, les défendeurs ont procédé à une divulgation publique destructrice de nouveauté de l'ensemble des revendications du brevet français FR 15 57165. Elle expose que le dispositif a été mis en location auprès de sociétés dès le mois de janvier 2015, et à tout le moins à compter du 18 mars 2015, soit avant la date de demande de brevet française le 27 juillet 2015.
Elle estime que la revendication no1 est ainsi divulguée dans la documentation de présentation du produit " Air Traitement ". Elle se prévaut des conditions générales du contrat de location qui donnent une description précise du produit et de ses caractéristiques techniques, aucun des contrats ne contenant de clause de confidentialité à l'égard des locataires. Les revendications no2 et no3 sont, selon elle, tout autant divulguées, l'analyse faite des échantillons prélevés lors des constatations de l'huissier de justice le 18 mars 2015 révélant un produit de stabilisation comportant de l'alumine et une zéolithe. Les revendications no4 et no5 ne sont pas davantage nouvelles puisque les analyses ont révélé la composition chimique. Il en est de même de la revendication no6, plusieurs moyens de fixation étant visibles dans les dispositifs " Air Traitement " dans les espaces réfrigérés. Les dispositifs divulgués comportaient également une enveloppe ajourée visible, dans un matériau adapté aux produits alimentaires, si bien que la revendication no7 n'est pas nouvelle. Enfin, le dispositif ayant été effectivement utilisé dans des espaces réfrigérés ayant une atmosphère circulante, la revendication no8 n'étant ainsi pas nouvelle.
La société Alpa Systems International souligne que M. [X], [Z] et [S] ne le contestent pas.
La société Somez, Messieurs [T] et [N] estiment que la société Alpa Systems International échoue dans sa démonstration d'une divulgation destructrice de nouveauté, dans la mesure où les actes considérés n'ont pas été réalisés par la société Somez.
Appréciation du tribunal :
Selon l'article L.611-10 alinéa 1 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version applicable au litige, "1. Sont brevetables, dans tous les domaines technologiques, les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle."
Aux termes de l'article L.611-11 de ce même code, "Une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique. L'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen. Est également considéré comme compris dans l'état de la technique le contenu de demandes de brevet français et de demandes de brevet européen ou international désignant la France, telles qu'elles ont été déposées, qui ont une date de dépôt antérieure à celle mentionnée au second alinéa du présent article et qui n'ont été publiées qu'à cette date ou qu'à une date postérieure ".
L'article L. 613-25 du code de la propriété intellectuelle dispose que " le brevet est déclaré nul par décision de justice :
a) Si son objet n'est pas brevetable aux termes des articles L. 611-10, L. 611-11 et L. 611-13 à L. 611-19 ; [?]"
Enfin, aux termes des dispositions de l'article L. 611-13 du code de la propriété intellectuelle, " pour l'application de l'article L. 611-11, une divulgation de l'invention n'est pas prise en considération dans les deux cas suivants :
-si elle a lieu dans les six mois précédant la date du dépôt de la demande de brevet ;
-si elle résulte de la publication, après la date de ce dépôt, d'une demande de brevet antérieure et si, dans l'un ou l'autre cas, elle résulte directement ou indirectement :
a) D'un abus évident à l'égard de l'inventeur ou de son prédécesseur en droit ;
b) Du fait que l'invention ait été présentée par eux dans une exposition officielle ou officiellement reconnue au sens de la convention révisée concernant les expositions internationales signée à [Localité 24] le 22 novembre 1928.
Toutefois, dans ce dernier cas, l'exposition de l'invention doit avoir été déclarée lors du dépôt et une justification produite dans les délais et conditions fixés par voie réglementaire. "
L'élément de l'art antérieur n'est destructeur de nouveauté que s'il renferme tous les moyens techniques essentiels de l'invention dans la même forme, le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique : l'antériorité, qui est un fait juridique dont l'existence, la date et le contenu doivent être prouvés par tous moyens par celui qui l'invoque, doit être unique et être révélée dans un document unique dont la portée est appréciée globalement.
Le brevet US 2 765 046 publié le 2 octobre 1956, versé aux débats par la société Alpa Systems International, concerne un dispositif de purification d'air dans l'espace de stockage des réfrigérateurs.
Dans sa partie description, le brevet identifie l'inconvénient que constituent les odeurs des produits alimentaires qui se transmettent de l'un à l'autre dans les espaces de stockage de réfrigération à entraînement mécanique, ainsi que les odeurs volatiles de certaines substances alimentaires et les effets indésirables sur l'apparence de certaines substances alimentaires. Il souligne qu'à cette date, les dispositifs existants et consistant par exemple dans l'utilisation de récipients hermétiques pour recouvrir les aliments, sont peu pratiques, inadéquats ou peu économiques et qu'aucun moyen n'a été trouvé jusqu'alors pour éliminer les odeurs dans ces espaces.
L'invention est donc décrite comme permettant de purifier l'air et d'éliminer les odeurs des zones de stockage des réfrigérateurs de manière simple, économique et efficace, permettant de supprimer l'humidité. Le matériau de purification d'air consiste en des composés granulaires et absorbants de filtration d'air (page 2 lignes 25-26). Il peut être composé efficacement de substances d'absorption et d'adsorption tels que l'alumine et les zéolithes qui sont cités en exemple (page 5 lignes 25 à 30), les matériaux pouvant être régénérés par lavage aux solvants (page 6 ligne 6), l'utilisation d'un mélange ou de plusieurs couches de deux ou plusieurs composés de filtration en quantité appropriée est par ailleurs préconisée pour éliminer toutes les odeurs (page 5 lignes 33 à 35). La description expose que le matériau est contenu dans un récipient muni de parois perméables à l'air (page 2 ligne 27 et page 4 ligne 28), qui peut être facilement fixé de manière amovible à l'intérieur du réfrigérateur (page 2 ligne 28). Enfin, la description précise que si l'invention a été illustrée comme incorporée à un réfrigérateur domestique, elle n'est pas destinée à être limitée aux détails montrés.
Le dispositif est ainsi illustré :
La figure no4 du brevet représente la cassette qui correspond au boudin du brevet FR 15 57165.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, le brevet US 2 765 046, compris dans l'état de la technique lors du dépôt du brevet litigieux, doit être regardé comme privant de nouveauté les revendications 1 à 8 du brevet FR 15 57165, ce qui justifie le prononcé de son annulation.
En tout état de cause, et au surplus, pour que la condition de nouveauté soit remplie, l'invention ne doit pas avoir été divulguée plus de six mois avant la date du dépôt du brevet, soit, en l'espèce, avant le 27 janvier 2015.
Or, il ressort des pièces versées aux débats que le dispositif " Air Traitement ", qui fait l'objet du brevet litigieux, a été loué à des tiers avant cette date, sans que ces derniers ne soient par ailleurs particulièrement soumis à une obligation de confidentialité.
A ce titre, il importe de relever :
- un courriel de la société RM Distribution, signé de M. [B] en date du 17 novembre 2014, au terme duquel celui-ci fait une proposition commerciale pour proposer le dispositif " Air Traitement ", le désignant comme un " produit similaire " à " Biocold Process " mais " plus efficace ", indiquant avoir " conduit de nombreux essais dans vos magasins [?] depuis 8 mois, et tous sont unanimes pour reconnaître une plus grande efficacité que les cassettes Biocold Process ". Par un email du 3 décembre 2014, la société interlocutrice a annoncé avoir dénoncé le contrat pour les cassettes Biocold et confirmé la signature d'un nouveau contrat pour l'installation de filtres " Air Traitement " ;
- un courriel de la société RM distribution signé par M. [B] le 4 novembre 2014 indiquant que les cinq essais (en chambre froide et vitrine boucherie) lancés dans cinq magasins, sont concluants et faisant une proposition commerciale ;
- des fiches " essai Air Traitement " signées par la société RM Distribution avec plusieurs clients entre octobre 2013 et mai 2014 ;
- une grille de tarifs 2014 pour " Air Traitement " à entête de la société RM Distribution ;
- des factures de la société RM Distribution concernant des forfaits de location des filtres Air traitement sur un devis du 16 janvier 2015 ;
- un procès-verbal de constat dressé par Me [E], huissier de justice, le 28 mars 2015 (pièce no47 de la demanderesse) au terme duquel il constate, dans une chambre froide de la société Satoriz, " un dispositif composé de trois boudins de tissus blanc suspendus à l'aide de trois coulissières aimantées " et obtient communication d'un contrat de location " Air Traitement " conclu avec la société RM Distribution à effet du 1er janvier 2015.
Il ressort de ces pièces et en particulier du contrat de location du dispositif, la divulgation d'informations techniques : la présentation du dispositif précise qu'il a vocation à être installé dans des espaces réfrigérés. L'article 1er du modèle de contrat de location précité expose qu'il s'agit " d'un média filtrant à base de porosphères minérales et naturelles ", les fiches essais datées du 6 mai 2014 (pièce no33 du demandeur) précisent que la matière utilisée est des zéolithes, l'huissier de justice, dans le procès-verbal de constat du 18 mars 2015, décrit des " boudins de tissus blanc suspendu[s]à l'aide de trois coulissières aimantées ", en a par ailleurs saisi trois et les a placés sous scellés.
Dans le cadre d'un nouveau procès-verbal de constat dressé les 11, 12 et 21 décembre 2018 et 8 et 11 janvier 2019, Me [V], huissier de justice, a procédé à la description et à l'ouverture desdits boudins avant d'en prélever une petite quantité pour analyse. L'huissier de justice le décrit de la façon suivante : " La compatibilité du matériau avec les denrées alimentaires se déduit de sa présence dans des espaces réfrigérés qui ont pour destination le stockage de telles denrées. Des photographies sont jointes au procès-verbal ainsi que les rapports d'analyse transmis par les laboratoires FILAB et ICMCB, concluant à la présence majoritaire de clinoptilolite-heulandite, une zéolithe naturelle. La présence de manganèse suppose par ailleurs un traitement chimique.
Or, ce dispositif, installé en chambre froide, était accessible aux tiers sans qu'il ne soit démontré que ces tiers étaient tenus au secret, le contrat de location du dispositif ne prévoyant aucune disposition de cette nature.
Il importe peu que les pièces concernent principalement la société RM Distribution et non la société Somez. Il est en tout état de cause démontré que les sociétés RM Distribution, MM SAS et Options Conseils s'étaient mises d'accord pour collaborer avec la société Somez, en vertu d'un contrat de collaboration signé le 24 janvier 2014, " afin d'aboutir à la créatio un boudin d'une dimension de 65 cm de long et environ 11 cm de circonférence. Il comprend une enveloppe extérieure en tissu ajouré sur toute sa périphérie [?] à l'intérieur de trouve une matière noire composée de granulés de taille supérieure aux performations qui n'en permettent pas le passage d'un ou de produit(s) permettant l'amélioration de la conservation de denrées (viandes, fruits, légumes?) en chambre froide (positive ou négative) ou en vitrine réfrigéré ". Il ressort par ailleurs notamment d'un email du 22 juin 2015 (pièce no50 de la demanderesse) que la société Somez, dans le cadre de cette collaboration a été chargée de déposer le brevet de l'invention que l'équipe commerciale (composée des sociétés cocontractantes de l'accord) allaient exploiter. Ces éléments viennent également contredire toute allégation d'abus à l'égard de l'inventeur.
Il se déduit de l'ensemble de ces considérations et des éléments datés précités que les revendications du brevet litigieux étaient déjà divulguées plus de six mois avant la date de dépôt de la demande de brevet français.
Par conséquent, le brevet FR 15 57165 doit être annulé pour défaut de nouveauté, sans qu'il y ait lieu d'examiner la question de son activité inventive ou de statuer sur la demande subsidiaire en revendication de brevet.
Sur la demande de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice moral
Moyens des parties :
La société Alpa Systems International conclut que le dépôt des brevets lui occasionne un préjudice moral en ce qu'il constitue une appropriation frauduleuse et une divulgation préjudiciable du savoir-faire secret qu'elle avait élaboré. Elle poursuit donc l'engagement de la responsabilité civile délictuelle des défendeurs, arguant de l'existence d'une faute grave, détachable de leurs fonctions ou excédant les termes de leur contrat de travail, s'agissant des personnes physiques attraites à la cause. En substance, elle reproche aux défendeurs d'avoir reproduit, après analyse, le procédé Biocold Process et d'avoir organisé le dépôt d'un brevet pour donner une apparence de légalité. Elle dénonce le détournement de son savoir-faire jusqu'alors secret sur la composition de son procédé Biocold Process (en particulier concernant la composition du produit et la combinaison particulière des zéolithes, dont la clinoptilolite, qui faisait l'objet d'une clause de confidentialité au sein de son réseau de franchise) et le caractère frauduleux du dépôt de son brevet tant auprès de l'INPI que de l'OEB.
Ce détournement lui cause un préjudice moral car il porte sur de nombreuses années de recherches menées par son fondateur, ce savoir-faire représentant une valeur économique et commerciale. Elle ajoute que le dépôt du brevet a rendu public un certain nombre de caractéristiques essentielles secrètes du procédé Biocold Process, et que les défendeurs en ont tiré profit grâce à la commercialisation du produit " Air Traitement ", trompant ainsi la clientèle alors que le procédé Biocold Process est un succès depuis 20 ans.
La société Somez dénonce un acharnement procédural à leur endroit, alors que d'autres juridictions sont saisies de mêmes demandes d'indemnisation. Elle affirme avoir procédé à des recherches et tests qui lui ont permis de déposer le brevet alors que son c?ur de métier est la recherche sur les zéolithes et conteste tout détournement du savoir-faire allégué. Messieurs [T] et [N] concluent à l'absence de faute commise qui soit séparable de leurs fonctions et, en tout état de cause, à l'absence de démonstration d'une appropriation frauduleuse du savoir-faire.
M. [X] estime que sa responsabilité civile personnelle ne saurait être engagée alors qu'il a exécuté la mission qui lui était confiée par son ancien employeur, en qualité de responsable de projet RetD. Aucune initiative personnelle blâmable ou collusion ne peut lui être reprochée. Il expose l'absence de démonstration par la demanderesse d'un savoir-faire et soutient qu'il n'y a pas eu communication de ce savoir-faire. En tout état de cause, il affirme qu'il n'a pas eu les moyens de s'opposer à la mission confiée par son employeur. Il conclut à l'absence de faute et demande, subsidiairement à ce que son employeur le garantisse de toute condamnation.
Soulignant également la confusion entretenue par la demanderesse entre les différentes procédures intentées devant différentes juridictions Messieurs [Z] et [S], qui contestent toute faute détachable grave permettant de retenir leur responsabilité à titre personnel, exposent que la société Alpa Systems International ne démontre pas l'existence d'un savoir-faire identifié, secret et lui conférant un avantage préférentiel, et ne prouve pas qu'ils l'aient, a fortiori, détourné. Ils concluent enfin à l'absence de préjudice moral démontré.
Appréciation du tribunal :
L'article 1240 du code civil dispose que " tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ".
L'article L. 611-8 du code de la propriété intellectuelle dispose que " si un titre de propriété industrielle a été demandé soit pour une invention soustraite à l'inventeur ou à ses ayants cause, soit en violation d'une obligation légale ou conventionnelle, la personne lésée peut revendiquer la propriété de la demande ou du titre délivré.
L'action en revendication se prescrit par cinq ans à compter de la publication de la délivrance du titre de propriété industrielle.
Toutefois, en cas de mauvaise foi au moment de la délivrance ou de l'acquisition du titre, le délai de prescription est de cinq ans à compter de l'expiration du titre. "
Il importe, à titre préalable, de souligner que le tribunal judiciaire de Paris est saisi d'une demande d'indemnisation du préjudice résultant, selon la société Alpa Systems International, de la soustraction frauduleuse d'éléments secrets de son savoir-faire concernant la composition du procédé Biocold Process en vue de son dépôt à titre de brevet et non de faits de concurrence déloyale ou parasitaire dont elle a parallèlement saisi le tribunal judiciaire de Montpellier. Elle cite d'ailleurs, pour fonder sa demande, les deux articles 1240 du Code civil et L. 611-8 du code de la propriété intellectuelle.
Il est constant que le savoir-faire désigne, au sens commun, la méthode, la technique, la maîtrise, la manière de faire, propre à une entreprise, développée avec le temps par recherches, expérimentations, tâtonnements, qui détermine son habileté et son professionnalisme et qui est susceptible d'être transmise.
En l'espèce, la société Alpa Systems International reproche aux défendeurs la soustraction frauduleuse de son savoir-faire sur la composition du produit Biocold Process qui a, selon elle, donné lieu au dépôt du brevet dont l'annulation est prononcée au terme de la présente procédure. L'aspect technico-commercial de ce savoir-faire, qui n'est pas l'objet du brevet déposé, n'est donc pas visé.
La société fait principalement référence, à ce titre, au fait que l'utilisation de la clinoptilolite, c?ur de son savoir-faire maintenu secret, aurait été divulguée par le brevet litigieux. Cependant, ce seul élément de composition, alors qu'il s'agit d'une zéolithe et qu'il n'est pas présenté comme la composante à utiliser en priorité par le brevet qui la cite comme exemple, ne saurait, à lui seul, permettre de caractériser un savoir-faire secret substantiel.
Si la société Alpa Systems international démontre la similarité de la composition du produit " Air Traitement " avec le procédé " Biocold " au terme d'analyses précédemment citées, elle n'indique pas en quoi le brevet déposé divulguerait un savoir-faire jusqu'alors secret puisqu'il ne précise pas le mélange minéral complexe et les quantités de ces produits contenus dans le filtre commercialisé (ce qu'elle lui reprochait au titre de l'insuffisance de description).
En outre, la société Alpa Systems International ne peut, sans risquer la contradiction, solliciter réparation d'un préjudice moral que lui occasionne le dépôt à titre de brevet d'éléments prétendument secrets de son propre savoir-faire sur la composition du procédé " Biocold Process ", alors qu'elle a démontré avec succès dans le cadre de la présente instance, une absence de nouveauté de ce procédé qui était déjà connu de l'état de la technique et avait déjà fait l'objet d'un brevet, qualifié d'antériorité de toute pièce.
Enfin, s'agissant du préjudice allégué et du lien de causalité, la société Alpa Systems International ne démontre pas, au moyen d'éléments probants, que la faute, à la supposer caractérisée, ait eu une incidence sur la clientèle ou sur son image, lui occasionnant ainsi un préjudice moral dont le quantum pourrait être justement apprécié par le tribunal.
Sa demande de dommages-intérêts ne peut donc qu'être rejetée. Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'appel en garantie.
Sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive
Moyens des parties :
Arguant du caractère abusif de la procédure engagée à son encontre, M. [X] demande la condamnation de la société Alpa Systems International à lui payer la somme de 5.000 euros. De même, la société Somez, aux côtés de Messieurs [T] et [N], demandent la somme de 50.000 euros. La société Alpa Systems International conclut au rejet de cette demande.
Appréciation du tribunal :
L'exercice d'une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi ou s'il s'agit d'une erreur équipollente au dol.
En l'espèce, il n'est pas démontré d'abus du droit d'ester en justice par la société Alpa Systems International qui voit une partie de ses prétentions prospérer.
Les demandes de dommages-intérêts sur ce fondement seront donc rejetées.
Sur les demandes annexes
Succombant à titre principal, la société Somez sera condamnée aux dépens de l'instance.
Supportant les dépens, elle sera condamnée à payer à la société Alpa Systems International la somme de 60.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Les autres demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 seront rejetées.
L'exécution provisoire, compatible avec la nature de l'affaire sera ordonnée, sauf en ce qui concerne l'annulation du brevet FR 15 57165. La transmission du jugement, une fois passé en force de chose jugée, à la requête de la partie la plus diligente, à l'Institut [23] aux fins d'inscription au registre national des brevets et aux frais de la société Somez, sera ordonnée.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL,
DÉCLARE la société Somez, Messieurs [W] [N] et [A] [T] irrecevables à soulever une exception de litispendance ;
REJETTE l'exception de connexité soulevée par la société Somez, Messieurs [W] [N] et [A] [T] ;
DÉCLARE la société Alpa Systems International recevable en sa demande de dommages-intérêts en ce qu'elle est dirigée à l'encontre de Messieurs [W] [N], [A] [T], [M] [X], [C] [Z] et [C] [S] ;
DIT que les revendications 1 à 8 du brevet FR 15 57 165 sont dépourvues de nouveauté ;
En conséquence,
ANNULE le brevet FR 15 57165 appartenant à la société Somez en toutes ses revendications ;
ORDONNE la transmission du jugement, une fois passé en force de chose jugée,à la requête de la partie la plus diligente, à l'Institut [23] aux fins d'inscription au registre national des brevets, aux frais de la société Somez ;
DÉBOUTE la société Alpa Systems International de sa demande de dommages-intérêts ;
REJETTE les demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
CONDAMNE la société Somez aux dépens de l'instance.
CONDAMNE la société Somez à payer à la société Alpa Systems International la somme de 60.000 euros (soixante mille euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE les autres demandes sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision, sauf en ce qui concerne la transcription de l'annulation du brevet FR 15 57165.
Fait et jugé à Paris le 02 mars 2023.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE