TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
No RG 22/56366 - No Portalis 352J-W-B7G-CW72T
No : 1/FF
Assignation du :
15 Juin 2022
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 10 janvier 2023
par Irène BENAC, Vice-Président au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Fabienne FELIX, Faisant fonction de greffier.
DEMANDERESSE
Madame [G] [W]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Cyrille MORVAN, avocat au barreau de PARIS - #B1210
DÉFENDERESSE
S.A.S. BRING FRANCE HOME
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Maître Michael MAJSTER de l'AARPI Majster et Nehmé Avocats, avocats au barreau de PARIS - #R0139
DÉBATS
A l'audience du 22 Novembre 2022, tenue publiquement, présidée par Irène BENAC, Vice-Président, assistée de Fabienne FELIX, Faisant fonction de greffier,
Exposé des faits et de la procédure
1. Mme [G] [W], rédactrice en chef du magazine Marie-Claire Idées, a créé en septembre 2010 une illustration intitulée "la femme croissant", dont elle a cédé les droits d'exploitation sous forme de cartes postales à la société Alibabette Editions par contrat du 1er juin 2019.
2. La société Bring France Home a pour activité la sélection, l'achat, la distribution et la promotion de produits qui représentent le patrimoine gourmand et/ou le savoir-faire artisanal français. Après avoir racheté en 2017 des stocks de produits, parmi lesquels des cartes postales et carnets ornés de "la femme croissant", elle a fait créer deux illustrations par M. [S] , en mai 2019, dont une intitulée "la plus belle", et en acquis les droits de reproduction.
3. Le 17 septembre 2021, Mme [W] a fait constater par huissier de justice que la société Bring France Home vendait sur son site internet des plateaux ornés du motif "la plus belle" contrefaisant, selon elle, son illustration précitée.
Le même jour, elle a fait réaliser un constat d'achat dans la boutique de la société Bring France Home [Adresse 3] à [Localité 6], d'un set de table, d'un plateau, d'un carnet à spirale et d'un miroir de poche comportant la même illustration.
4. Par acte du 15 juin 2022, Mme [W] a fait assigner la société Bring France Home devant le président du tribunal judiciaire de Paris statuant en référé pour :
- lui faire interdire de reproduire sous quelque forme que ce soit "la femme croissant" sous astreinte,
- détruire les stocks de produits contrefaisants et en justifier sous astreinte,
- la condamner à communiquer la liste des produits contrefaisants, l'état des ventes depuis leur première commercialisation et l'état des stocks et à lui payer des provisions à valoir sur l'indemnisation de son préjudice résultant de l'atteinte à ses droits patrimoniaux et de l'atteinte à son droit moral d'auteur.
5. Dans ses dernières conclusions du 22 novembre 2022, elle demande le rejet de la fin de non-recevoir, maintient ses demandes et sollicite la condamnation de la société Bring France Home aux dépens et à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
6. Dans ses dernières conclusions signifiées le 23 septembre 2022, la société Bring France Home soulève une fin de non recevoir tirée de l'absence de mise en cause du co-auteur de l'oeuvre de collaboration que constitue le visuel de "la femme au croissant";
Sur le fond, elle demande le débouté au motif de contestations sérieuses et, subsidiairement, la réduction des demandes de provision sur préjudice et le débouté des demandes de production de documents et de destruction sous astreinte.
En tout état de cause, elle demande la condamnation de Mme [W] aux dépens et à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
7. L'affaire a été appelée à l'audience du 27 septembre 2022, renvoyée au 22 novembre 2022, date à laquelle elle a été plaidée et la décision a été mise en délibéré au 10 janvier 2023.
Motivation
Sur la fin de non recevoir
8. La société Bring France Home soutient que "la femme croissant" est une oeuvre de collaboration dont Mme [W] et M. [O] sont co-auteurs ainsi qu'il résulte des termes du contrat de cession des droits de reproduction à la société Alibabette Editions précité, des mentions du compte Instagram de Mme [W] et de son site internet camillesouleyrol.com, de sorte qu'elle est irrecevable à agir seule en contrefaçon.
9. Mme [W] fait valoir que le visuel dont elle revendique la protection est son oeuvre individuelle et que M. [O] en a assuré la prise de vue technique, sans aucune contribution personnelle à la création.
Sur ce,
10. L'article L. 113-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit que l'oeuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques est une oeuvre de collaboration.
11. Sur les différentes pièces invoquées par la défenderesses, M. [R] [O] est mentionné comme photographe des illustrations dont les droits de reproduction sont cédés et aucune ne présente l'illustration elle-même comme le fruit de leur collaboration.
12. Il y a donc lieu de rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir.
Sur le trouble manifestement illicite tiré de la violation de droits d'auteur
13. Mme [W] fait valoir que son dessin est original en ce qu'il combine :
- l'évocation de la Révolution française
- les couleurs bleu-blanc-rouge
- la perruque et la mouche évoquant les dames du XVIIIème siècle
- le choix du croissant (en photographie et non dessiné) comme perruque
- les boucles d'oreille pendantes bleues
- le petit nez pointu conférant au personnage un aspect mutin
- le portrait coupé au niveau de clavicule.
Elle ajoute que "la plus belle" reprend exactement la combinaison originale qu'elle revendique tandis que les légères différences sont inopérantes et dégradent le modèle ; la ressemblance n'est pas fortuite car la société Bring France Home avait auparavant commercialisé des carnets représentant "la femme croissant" en 2017.
14. Société Bring France Home soutient que :
- il existe des contestations sérieuses concernant l'originalité de "la femme croissant", l'association de dessins avec des photographies d'aliments, notamment des croissants, étant banale, de même que la reprise des codes évoquant les portraits du XVIIIème siècle ;
- si les deux dessins ont en commun l'association d'un croissant à un personnage féminin, ils ont des caractères différents (feutre et non crayons de couleurs, traits du visage et accessoires différents), de sorte qu'il s'agit seulement de la reprise d'une idée non appropriable.
Sur ce,
15. Selon l'article 835, alinéa 1, anciennement 809, du code de procédure civile, "Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite."
Aux termes de l'article L.335-3 du code de la propriété intellectuelle constitue "un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une oeuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi."
16. L'originalité de la combinaison des sept caractéristiques énumérées supra et revendiquées par Mme [W] est sérieusement contestée dans sa dimension créative par les divers exemples de combinaisons de dessins et de croissants photographiés versés aux débats par la défenderesse.
De plus, le dessin exploité par la société Bring France Home ne comporte que trois des sept caractéristiques revendiquées : un portrait coupé au niveau de la clavicule, tricolore bleu-blanc-rouge avec la photographie d'un croissant en guise de perruque, dès lors qu'il n'évoque ni la Révolution française, ni le XVIIIème siècle et que les traits du personnage sont différents de même que le graphisme.
17. Au regard de ces éléments, il existe une contestation sérieuse sur la contrefaçon de droit d'auteur et l'existence du trouble manifestement illicite n'est pas suffisamment établie.
18. Les demandes fondées sur le droit d'auteur seront en conséquence rejetées.
19. Mme [G] [W], qui succombe, supportera les dépens de l'instance et l'équité justifie de la condamner à payer à la société Bring France Home la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort ,
Rejetons les demandes de Mme [G] [W] fondées sur le droit d'auteur ;
Condamnons Mme [G] [W] aux dépens ;
Condamnons Mme [G] [W] à payer à la société Bring France Home la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Fait à Paris le 10 janvier 2023
Le Greffier, Le Président,
Fabienne FELIX Irène BENAC