TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE [Localité 15]
3ème chambre
2ème section
No RG 20/10481
No Portalis 352J-W-B7E-CTBZM
No MINUTE :
Assignation du :
21 Octobre 2020
JUGEMENT
rendu le 23 Décembre 2022
DEMANDEURS
S.A.R.L. ENTREPRISE SOCIETALE D'ENTREPRENARIAT
[Adresse 11]
[Localité 15]
Madame [P] [X]
[Adresse 12]
[Localité 15]
Monsieur [L] [BY]
[Adresse 2]
[Localité 15]
Monsieur [R] [N]
[Adresse 10]
[Localité 15]
Monsieur [Z] [T]
[Adresse 7]
[Localité 15]
Monsieur [V] [O]
[Adresse 9]
[Localité 13]
représenté par Maître Jean AITTOUARES de la SELARL OX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0966
DÉFENDEURS
S.A. BETC
[Adresse 3]
[Localité 14]
S.A.S. BETC DIGITAL - intervenante volontaire
[Adresse 1]
[Localité 14]
représentées par Maître Jean-marie GUILLOUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0818
S.A.S. [Localité 16] BOBOIS INTERNATIONAL
[Adresse 5]
[Localité 15]
représentée par Maître Garance MATHIAS, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #C2332
et par Maître Anne SENDRA, de la société ERNST et YOUNG, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant,
S.A.R.L. SCHMOOZE
[Adresse 8]
[Localité 15]
représentée par Maître Isabelle WEKSTEIN-STEG de l'AARPI WAN Avocats, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0058
S.A.S. GRAND MUSIQUE MANAGEMENT- intervenante volontaire
[Adresse 4]
[Localité 15]
Monsieur [F] [C] dit «Tepr» - intervenant volontaire
[Adresse 6]
[Localité 15]
représentés par Maître Michael MAJSTER de l'AARPI Majster et Nehmé Avocats, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0139
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur [L] [K], Juge
assisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier
DÉBATS
A l'audience du 20 Octobre 2022 tenue en audience publique devant Irène BENAC et [L] COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile.
Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 16 Décembre 2022 puis prorogé au 23 Décembre 2022.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
1. Le groupe musical Bagarre a composé et interprété une chanson intitulée « Claque-le ». Cette composition a été produite et éditée par la société Entreprise Sociétale d'Entreprenariat, et diffusée à partir du 10 juillet 2015.
2. A une date non précisée, la société [Localité 16] Bobois International, dont l'activité est la vente de meubles, a confié à la SA BETC et/ou à la SAS BETC Digital, dont l'activité principale est la publicité et la communication, la conception d'un film publicitaire.
3. La SAS BETC Digital indique avoir conçu un film intitulé « Goûtez au French Art de vivre » et avoir sous-traité :
- la production de la bande-son à la SARL Schmooze, spécialisée dans la production et l'édition d'oeuvres et d'enregistrements musicaux notamment dans le domaine publicitaire, et
- la production audiovisuelle à la société de production de films publicitaires Superette.
4. Par e-mail du 29 mai 2019, la société Superette a contacté le manager du groupe Bagarre pour faire savoir que le titre Claque-le était pressenti pour une synchronisation dans un film publicitaire en cours de production.
Le 3 juin 2019, la SARL Schmooze a demandé à la société Sony Music Entertainment France, en qualité de producteur du phonogramme Claque-le, de lui faire une estimation pour les droits sur la synchronisation de ce titre « pour 1 campagne [Localité 16] Bobois tous formats / tous Médias / Monde / 1 an (+renouvellement optionnel annuel @+10%) + clause archive pour la durée de la PI(Rétrospectives, Sites Marque et Agence + conservation en ligne des contenus là où ils ont été postés avant l'expiration du terme (no Push / No Post) ».
Le même jour, la société [Localité 16] Bobois International a indiqué qu'elle ne souhaitait pas que ce titre soit associé à sa campagne de publicité.
5. La SARL Schmooze a alors confié à la SAS Grand Musique Management, producteur et éditeur de musique, et à M. [F] [C], auteur compositeur de musique électronique, la composition et l'enregistrement d'une oeuvre musicale pour les besoins de l'illustration sonore de cette campagne de publicité pour le compte de l'annonceur [Localité 16] Bobois.
Cette oeuvre, nommée « [D] », lui a été remise le 31 juillet 2019.
6. La commande de cette musique et des droits « tous formats / tous Médias / Monde / 1 an » a été faite par la société [Localité 16] Bobois International à la société BETC Digital selon devis no30237 du 7 août 2019, accepté le 20 août, au prix hors taxes de 40.483 euros.
Le 7 août 2019, la société BETC Digital a répercuté cette commande à la société Schmooze, qui l'a facturée au même prix le 23 août suivant.
Les accords entre la SARL Schmooze, la SAS Grand Musique Management et M. [C] ont été formalisés par contrat de commande et de cession de droits signé le 1er octobre 2019.
7. Fin octobre 2019, le film publicitaire de [Localité 16] Bobois a été diffusé et sonorisé avec une bande son dont les membres du groupe Bagarre et la société Entreprise Sociétale d'Entreprenariat estiment qu'elle reprend toutes les caractéristiques originales de l'oeuvre Claque-le.
8. Après plusieurs mois de contacts infructueux entre les parties, les cinq membres du groupe Bagarre (Mme [P] [X], M. [L] [BY], M. [R] [N], M. [Z] [T] et M. [V] [O]) et la société Entreprise Sociétale d'Entreprenariat ont fait assigner devant le tribunal judiciaire de Paris la société [Localité 16] Bobois International, la société BETC et la société Schmooze en contrefaçon de leurs droits d'auteurs et droits voisins du droit d'auteur par actes du 21 octobre 2020.
9. Le juge de la mise en état a rejeté deux incidents soulevés par les sociétés BETC et Schmooze et une demande de communication de pièces des demandeurs par ordonnances du 13 août 2021.
10. La société BETC Digital est intervenue volontairement à l'instance par conclusions du 20 octobre 2021. La société Grand Musique Management et M. [F] [C] sont intervenus volontairement à l'instance par conclusions du 3 février 2022.
11. Dans leurs dernières conclusions signifiées le 24 avril 2022, les demandeurs demandent au tribunal de :
à titre principal :
- débouter les sociétés Schmooze, BETC et BETC Digital de leur demande de rejet de pièces,
- débouter les sociétés BETC et [Localité 16] Bobois International de leurs demandes de mise hors de cause,
- ordonner l'interdiction d'exploitation de l'oeuvre musicale synchronisée dans les films publicitaires intitulés « Goûtez au French art de vivre », sous astreinte de 500 euros par jour de retard, l'interdiction du dépôt de cette oeuvre auprès de quelque organisme de gestion collective que ce soit et sa suppression des registres de tout organisme de gestion collective auprès duquel elle aurait été déposée,
- ordonner la production, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, par les sociétés [Localité 16] Bobois International, BETC et BETC Digital des contrats signés pour la production de ces films publicitaires, de l'intégralité des factures correspondant à leur production dans toutes leurs versions et de l'historique complet de leurs diffusions,
- ordonner la production, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, par les sociétés Schmooze, BETC et BETC Digital du contrat de production de la musique sonorisant ces films publicitaires et de l'intégralité des factures correspondantes,
- ordonner la production, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, par la société [Localité 16] Bobois International de l'intégralité des factures d'achat d'espace liées à cette campagne publicitaire,
- ordonner la production, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, par la société Grand Musique Management et M. [F] [C] de toutes redditions de comptes qu'ils auraient reçues de tout organisme de gestion collective, portant sur l'exploitation de toutes versions de la musique sonorisant les films publicitaires de cette campagne,
- ordonner aux défendeurs, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, la communication de l'intégralité des correspondances intervenues entre eux, relatives à la production de la musique sonorisant ces films publicitaires,
- condamner in solidum les sociétés BETC, BETC Digital, [Localité 16] Bobois International, Schmooze, Grand Musique Management et M. [F] [C] à payer :
- à l'ensemble des demandeurs, une provision de 125.000 euros à valoir sur leur préjudice au titre de la perte subie et du manque à gagner et une somme de 30.000 euros en réparation de leur préjudice moral commun,
- aux auteurs, la somme de 75.000 euros en réparation du préjudice résultant de la violation de leur droit moral,
- condamner la société [Localité 16] Bobois International à leur verser une provision de 15.000 euros au titre des bénéfices injustement réalisés,
- condamner les sociétés BETC et BETC Digital in solidum à leur verser une provision de 15.000 euros au titre des bénéfices injustement réalisés,
- condamner la société Schmooze à leur verser une provision de 30.084 euros au titre des bénéfices injustement réalisés,
- condamner la société Grand Musique Management et M. [F] [C] in solidum à leur payer la somme de 60.000 euros dont une provision de 50.000 euros au titre des bénéfices injustement réalisés,
- ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir ;
à titre subsidiaire :
- désigner un expert judiciaire ayant pour mission de procéder à l'analyse comparative des oeuvres en vue de déterminer leurs similitudes et leurs différentes sur les plans mélodique, rythmique et harmonique, ainsi que sur le plan du son ;
en tout état cause :
- condamner in solidum les sociétés BETC, BETC Digital, [Localité 16] Bobois International, Schmooze, Grand Musique Management et M. [F] [C] aux dépens, dont distraction au profit de Me Jean Aittouares, conformément à l'article 699 du code de procédure civile et à payer à la société Entreprise Sociétale d'Entreprenariat la somme de 56.426,38 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à charge pour elle de se répartir cette somme avec les auteurs, conformément à leurs accords.
12. Dans ses dernières conclusions signifiées le 5 mai 2022, la société [Localité 16] Bobois International demande au tribunal de:
- la mettre hors de cause;
- débouter les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes en ce que les caractéristiques musicales du titre Claque-le appartiennent au fonds commun et ne sont donc pas protégeables par le droit d'auteur;
à titre subsidiaire,
- débouter les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes en ce qu'elle n'a pas commis d'acte de contrefaçon ;
à titre plus subsidiaire,
- débouter les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes en ce que les éventuelles sonorités communes entre les deux oeuvres procèdent d'une rencontre fortuite et d'une source d'inspiration commune;
à titre infiniment plus subsidiaire,
- réduire les demandes indemnitaires à l'euro symbolique,
- rejeter la demande d'expertise judiciaire comme inutile et tardive et, subsidiairement, modifier la mission et en mettre les frais à la charge des demandeurs,
- déclarer la demande d'interdiction sans objet;
en tout état de cause
- condamner les sociétés BETC et/ou BETC Digital à la garantir de toute condamnation à son encontre,
- condamner les demandeurs aux dépens et à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
13. Dans leurs dernières conclusions signifiées le 9 mai 2022, les sociétés BETC et BETC Digital demandent au tribunal de:
- mettre la société BETC hors de cause et déclarer recevable l'intervention volontaire de la société BETC Digital,
- rejeter les pièces no7.2, 7.3, et 46 versées aux débats par les demandeurs,
- débouter les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes en ce que les caractéristiques musicales de l'oeuvre Claque-le sont dépourvues d'originalité, relèvent de l'appartenance à un genre, et ne sont donc pas protégeables par le droit d'auteur,
- rejeter la demande d'expertise judiciaire comme inutile et tardive;
à titre subsidiaire,
- réduire les demandes indemnitaires à de plus justes proportions,
- déclarer la demande d'interdiction sans objet,
- rejeter les demandes de publication et de communication de pièces ;
en tout état de cause,
- condamner la société Schmooze à garantir la société BETC Digital de toute condamnation à son encontre,
- condamner les demandeurs aux dépens et à leur payer, à chacune, la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
14. Dans ses dernières conclusions signifiées le 6 mai 2022, la SARL Schmooze demande au tribunal de :
- rejeter les pièces no7.2, 7.3, 23 et 46 versées aux débats par les demandeurs,
- débouter les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes en ce que les caractéristiques musicales de l'oeuvre Claque-le appartiennent au fonds commun et ne sont donc pas protégeables par le droit d'auteur,
- rejeter la demande d'expertise judiciaire ;
à titre subsidiaire,
- réduire les demandes indemnitaires à 1.380 euros au titre de la perte subie, à 441,49 euros au titre des bénéfices injustement réalisés et rejeter les autres demandes,
- déclarer la demande d'interdiction sans objet,
- rejeter les demandes de publication et de communication de pièces,
- ordonner la communication sous astreinte du contrat conclu entre la société Entreprise Sociétale d'Entreprenariat et la société Universal Music Publishing pour 2019 ;
à titre plus subsidiaire,
- dire que l'expert judiciaire ne pourra prendre appui que sur l'oeuvre Claque-le telle qu'exploitée, et non sa version instrumentale ;
en tout état de cause,
- condamner les demandeurs aux dépens et à lui payer la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
15. Dans leurs dernières conclusions signifiées le 6 mai 2022, la société Grand Musique Management et M. [F] [C] demandent au tribunal de débouter les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes et de les condamner aux dépens et à leur payer à chacun la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
16. L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 mai 2022.
MOTIVATION
I. Sur la mise hors de cause de la société [Localité 16] Bobois International
17. La société [Localité 16] Bobois International fait valoir qu'elle n'est pas à l'initiative de la composition de la musique du film publicitaire qu'elle a confié à la société BETC Digital, et qu'elle n'a eu aucun échange avec les demandeurs dont elle a écarté le titre pour sa campagne publicitaire.
18. Les demandeurs soulignent que la société [Localité 16] Bobois International a exploité l'oeuvre arguée de contrefaçon et ne saurait être mise hors de cause.
Sur ce,
19. La société [Localité 16] Bobois International diffusant ou ayant diffusé la bande son litigieuse pour les besoins de sa communication, le grief de contrefaçon peut lui être fait et il n'y a pas lieu de la mettre hors de cause.
II. Sur la mise hors de cause de la SA BETC
20. La société BETC fait valoir qu'elle n'a jamais pris part à la réalisation de la campagne publicitaire, comme le démontre le bon de commande du 7 août 2019 et les documents relatifs à la création et que l'utilisation du nom BETC par la société BETC Digital et par la société [Localité 16] Bobois dans les échanges est un raccourci, utilisé par souci de rapidité ou de simplicité.
21. Les demandeurs soulignent que, jusqu'à la présente instance, les éléments portés à sa connaissance faisaient référence à la société BETC et que la confusion était entretenue entre les deux personnes morales. Ils ajoutent qu'il n'est aucunement démontré que la SA BETC n'a pas été chargée de la campagne publicitaire alors qu'elle apparaît comme son auteur aux yeux des tiers.
Sur ce,
22. Le juge de la mise en état a été saisi de la même demande en 2021 sur le fondement des articles 31 et 32 du code de procédure civile.
23. Dans son ordonnance du 13 août 2021, il a rejeté la fin de non recevoir, considérant que le moyen relevait de l'examen de l'affaire au fond dès lors que « dans le cas d'espèce s'il est vérifié que c'est bien la société BETC Digital qui a répondu aux réclamations formulées, établi le devis du 7 août 2019, pour «une production musique» et enfin adressé à la société Schmooze une commande qui lui a été facturée le 23 août suivant (pièces RB2 et BETC 2, OX 28 et 32), il ne peut s'en déduire que la société BETC SA serait pour autant complètement étrangère aux actes litigieux alors que dans un courrier daté du 14 novembre 2019 conjointement établi avec la société Schmooze, elle indique elle-même avoir « consacré des budgets non négligeables pour la production de l'enregistrement de l'oeuvre fin de page 9 de l'ordonnance ».
Ce dernier courrier était une lettre recommandée avec accusé de réception adressée à la société Sony Music par la société Schmooze et la société BETC, clairement identifiée par son numéro de RCS et signé de sa directrice juridique, peu susceptible de faire erreur sur la personne.
24. Or, malgré cette motivation et malgré les demandes de précision des demandeurs sur ce point, ni la SA BETC, ni la société BETC Digital, ni la société [Localité 16] Bobois International n'ont produit de pièce permettant de déterminer à qui la société [Localité 16] Bobois International a confié le contrat publicitaire, et laquelle des deux a réalisé le film publicitaire litigieux.
Au surplus, comme le soulignent les demandeurs, jusqu'au 21 octobre 2021, la société [Localité 16] Bobois International ne désignait son co-contractant dans la présente instance que comme la société BETC.
Dans ces conditions, les pièces du dossier démontrent la participation tant de la société BETC que de la société BETC Digital à la campagne publicitaire incluant la contrefaçon alléguée.
25. Il n'y a donc pas lieu de mettre la société BETC hors de cause.
III. Sur les interventions volontaires de la société BETC Digital, de M. [F] [C] et de la société Grand Musique Management
26. La société BETC Digital a commandé à la société Schmooze, le 7 août 2019, la musique arguée de contrefaçon pour le film publicitaire.
Son intérêt à défendre justifie que son intervention volontaire soit déclarée recevable.
27. M. [F] [C] et la société Grand Musique Management ont respectivement composé, interprété et produit la musique arguée de contrefaçon.
Leur intérêt à défendre justifie que leur intervention volontaire soient déclarées recevables.
IV . Sur le rejet de pièces
28. Les sociétés Schmooze, BETC et BETC Digital demandent le rejet des pièces suivantes versées aux débats par les demandeurs : la pièce no7.2 (partie instrumentale de l'oeuvre Claque-le), la pièce no7.3 (partie instrumentale du refrain de l'oeuvre Claque-le et partie principale de l'oeuvre seconde) et la pièce no46 (rapport d'expertise de Mme [M] [Y] du 9 décembre 2019) pour défaut de force probante en ce que la version instrumentale n'est pas l'oeuvre exploitée - et n'est donc pas comparable à [D] - et que le rapport de Mme [Y] du 9 décembre 2019, qui compare cette version instrumentale avec [D], est donc vicié.
29. La société Schmooze sollicite également le rejet de leur pièce no23 (procès-verbal de constat du 23 octobre 2019 et CD-[Localité 17] annexé) en ce que, d'une part, l'huissier n'a pas expliqué la provenance du lien URL qu'il a suivi en premier et, d'autre part, parce qu'il n'a pas vidé la mémoire cache de son ordinateur lorsqu'il a ouvert une deuxième page web.
30. Les demandeurs soutiennent que le défaut de force probante n'est pas un motif de rejet d'une pièce du dossier et que la seule circonstance que l'huissier n'ait pas vidé la mémoire cache de son ordinateur entre le constat du lien WeTransfer et le constat d'une exploitation du film litigieux sur YouTube, n'est pas de nature à vicier ses premières constatations, ni mêmes les secondes.
Sur ce,
31. Les parties sont libres dans l'administration de la preuve des faits à l'appui de leurs demandes dans les limites des principes de loyauté et licéité.
32. Les pièces 7.2 et 7.3 des demandeurs sont respectivement la version instrumentale de Claque-le et les enregistrements successifs de la partie instrumentale du premier refrain de ce titre et de [D], destinées à mettre en évidence les similitudes entre ces compositions.
Elles ne sont ni trompeuses, ni dénaturées, ni déloyales, de sorte qu'il n'y a pas lieu de les écarter des débats.
La pièce 46 est le rapport de Mme [Y] du 9 décembre 2019 qui ne confond pas le titre Claque-le avec son refrain ni, à plus forte raison, avec son refrain en version instrumentale.
Il n'y a donc pas lieu de l'écarter des débats.
33. Pour l'établissement de procès-verbaux de constat sur internet, les commissaires de justice doivent respecter un protocole prétorien qui vise à créer un environnement neutre et sûr aux constatations ; ils suivent majoritairement la norme AFNOR NF Z67-147 du 11 septembre 2010, recueil de bonnes pratiques, qui n'est cependant pas obligatoire, cette norme n'étant pas consultable gratuitement sur le site de l'AFNOR.
34. Pour l'établissement du constat du 23 octobre 2019, Me [J] [B] a décrit l'exécution du protocole précité et notamment la suppression des historiques de navigation et le vidage de la mémoire cache.
35. La société Schmooze ne précise pas en quoi sont critiquables les constatations faire à partir d'une adresse URL figurant sur un courriel versé aux débats (pièce no17 des demandeurs), ni en quoi la validité du procès-verbal serait affectée par la consultation de deux sites web successivement.
Il n'y a donc pas lieu d'écarter cette pièce des débats.
V. Sur l'originalité de Claque-le
36. Les demandeurs font valoir que :
- l'originalité de l'oeuvre Claque-le réside dans la combinaison des éléments suivants :
« - une instrumentation délibérément axée sur le rythme, consistant en trois synthétiseurs mêlés à des percussions aux sonorités sèches (caisses claires, shakers, claquements de doigts et battements de mains) ;
- des roulements de batterie très fréquents, introduisant le morceau et chacun des refrains ;
- une voix féminine répétant la même note de manière hachée, en synchronisation avec ces roulements ;
- un couplet faiblement mélodique et composé presque uniquement d'éléments rythmiques ;
- un refrain au rythme syncopé et haché d'inspiration latine, typique du Son cubain ;
- une progression d'accords parfaitement arbitraire au sein de ce refrain ;
- l'ajout, à la gamme de sol mineur, de la note de mi bécarre, légèrement dissonante et faisant passer cette gamme en mode dorien, qui est une couleur modale particulière» ;
- la partie instrumentale de Claque-le est originale ;
- le logiciel de composition est un outil pour le créateur, au même titre que les méthodes traditionnelles, il ne crée pas le morceau de musique ;
- l'expert missionné par la société Schmooze a jugé banales de nombreuses caractéristiques de l'oeuvre Claque-le mais n'a trouvé aucune oeuvre antérieure réunissant ces caractéristiques, ce qui constitue un indice de son originalité;
- les 7 enregistrements communiqués par société Grand Musique Management et M. [F] [C] ont au maximum deux caractéristiques communes avec Claque-le ;
- les antériorités alléguées par les sociétés Schmoozeet BETC ne sont pas versées au dossier.
37. La société [Localité 16] Bobois International soutient que :
- l'ensemble des caractéristiques prétendument originales (roulements de batterie, musique essentiellement rythmique, tonalité en sol mineur, mode dorien, etc.) appartiennent au fonds commun, comme le retiennent les deux rapports d'expertise;
- cet ensemble de caractéristiques occulte le caractère prédominant de la partie chantée sur l'ensemble du titre Claque-le.
38. Les sociétés BETC et BETC Digital font valoir que :
- la version instrumentale de Claque-le, et plus particulièrement de son refrain, fonde les prétentions des demandeurs;
- les éléments de Claque-le que les demandeurs invoquent comme ayant été repris par [D] (style electro, tempo, tonalité, instrumentation et motif rythmique) sont « des éléments du fonds commun qui ne sauraient faire l'objet d'aucun monopole», seules les paroles étant originales dans l'oeuvre première;
- les deux oeuvres sont constituées de programmations, de libre parcours, incompatible avec l'idée de création individuelle propre, d'expression de la personnalité et d'originalité.
La société Schmooze s'associe aux observations sur ces points des sociétés BETC et BETC Digital et soutient que la prédominance des voix et des paroles de la chanson est la caractéristique exclusive de Claque-le.
39. La société Grand Musique Management et M. [F] [C] ne contestent pas l'originalité.
Sur ce,
40. Les dispositions de l'article L.112-1 du code de la propriété intellectuelle protègent par les droits d'auteur toutes les oeuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination, pourvu qu'elles soient des créations originales. Sont ainsi considérées, aux termes de l'article L. 112-2, 5o de ce code, comme des oeuvres de l'esprit "les compositions musicales avec ou sans paroles".
L'originalité de l' oeuvre ressort notamment de partis pris esthétiques et de choix arbitraires qui lui donnent une forme propre de sorte qu'elle porte ainsi l'empreinte de la personnalité de son auteur.
41. Les caractéristiques de la chanson Claque-le, ci-dessus énumérées, revendiquées par les défendeurs au titre de l'originalité, créent une combinaison singulière, qui exprime des choix esthétiques arbitraires exprimant la personnalité et les efforts créatifs de leurs auteurs.
Il est indifférent que certaines de ces caractéristiques, prises isolément, soient banales ou appartiennent au fonds commun des musiques actuelles. Au demeurant, les défendeurs échouent à citer des oeuvres antérieures présentant plus de deux de ces caractéristiques combinées, ce qui témoigne de la recherche créative réalisée.
42. Les sociétés BETC et BETC Digital ne sauraient être suivies lorsqu'elles soutiennent que la composition par ordinateur est incompatible avec l'idée de création individuelle propre, d'expression de la personnalité et d'originalité, dès lors qu'il ne s'agit que d'un outil au service de la créativité des auteurs.
43. C'est, en revanche, à juste titre que les défendeurs font valoir que l'originalité du titre Claque-le résulte également des paroles et du chant (ou plutôt de l'articulation, s'agissant de paroles plus scandées que chantées) mais les seules caractéristiques invoquées par les demandeurs suffisent à caractériser l'originalité de cette chanson, qui est donc protégeable par le droit d'auteur.
VI. Sur la contrefaçon de Claque-le par [D]
44. Les demandeurs font valoir que :
- l'oeuvre [D] comporte les éléments harmoniques (tonalité sol mineur avec un mi bécarre), rythmiques (tempo de 104 battements par minute, mesure à 4 temps, rythme cubain nommé son, joués par caisse claire et grosse caisse secs et souvent en roulements rapides) et mélodiques (musique électronique plus rythmique que mélodique, instrumentation - par synthétiseurs, nappes de voix, toms, claquements de mains et de doigts et shakers - identique) de l'oeuvre Claque-le ainsi que le démontrent la simple écoute des deux morceaux et l'analyse des rapports d'expertise non contradictoires versés au dossier ;
- elle reprend la même introduction (un roulement rythmique saccadé à la caisse claire, renforcé par une partie vocale hachée, sur une mesure), le refrain (8 mesures de 4 temps d'une durée totale de 19 secondes) et se conclut par l'introduction de Claque-le ;
- ces ressemblances excluent une ressemblance fortuite, de même que les échanges entre les parties avant que la composition soit confiée à M. [C] ;
- les différences sont inopérantes pour caractériser la contrefaçon et celles invoquées en défense sont, en toute hypothèse, illusoires ;
- dès le 29 mai 2019, la synchronisation réalisée par la société Superette pour le film publicitaire en réalisation durait 26 secondes, et reprenait déjà l'introduction et le refrain de la chanson, comme [D] ;
- la société [Localité 16] Bobois International a diffusé les films incorporant la musique contrefaisante, qui ont précisément pour objet sa promotion ;
- la société BETC Digital a commandé l'oeuvre litigieuse à la société Schmooze et l'a facturée sa cliente ;
- la société BETC a participé à la production comme en témoignent son propore profil Facebook, les demandes formées à son encontre par la société [Localité 16] Bobois International jusqu'en octobre 2021 et deux sites spécialisés qui la présentent comme auteure de cette campagne publicitaire ;
- la société Schmooze était responsable de la production et de la composition de l'oeuvre d'après sa facture no19345 du 23 août 2019 ;
- la SAS Grand Musique Management et M. [F] [C] ont reproduit et représenté Claque-le ;
- si le Tribunal ne s'estimait pas suffisamment éclairé, il pourrait ordonner une mesure d'expertise.
45. La société Grand Musique Management et M. [F] [C] soutiennent que :
- la société Schmooze leur avait donné la référence des atmosphères et sonorités des artistes Flume et Ratatat et de la rythmique d'une oeuvre de Snoop Dog et Pharell Williams et aucunement de l'oeuvre Claque-le ;
- les deux oeuvres ont en commun la tonalité, le tempo et le style de musique, caractéristiques banales, et diffèrent dans leur durée, le fait que l'une est instrumentale et l'autre vocale, les mélodies et les structures;
- les boucles harmoniques et le motif rythmique sont différents, comme le démontre la comparaison des partitions midi (la partition de Claque-le ayant été reconstituée par M. [C]), de sorte que chaque oeuvre garde une identité propre sans risque de confusion ;
- les éléments communs aux deux oeuvres, comme la partie rythmique commune aux synthétiseurs et à la batterie (clave 3-2 très habituelle en musique cubaine, en musique électro et dans la musique brésilienne de style Baile funk) et comme le roulement de caisses claires en fin de séquence, sont des éléments banals qui appartiennent au fonds commun et ne sont pas protégeables par le droit d'auteur.
46. La société Schmooze soutient que :
- [D] est une oeuvre instrumentale de musique électronique, prenant en référence les codes de Ratatat ;
- les ressemblances alléguées par les demandeurs ne portent pas sur la mélodie, différente, ni sur les harmonies, différentes, mais sur la rythmique des deux morceaux, or cette rythmique est banale et antérieure de sorte que les différences mélodiques et harmoniques revêtent d'autant plus d'importance et montrent que les oeuvres sont sans rapport ;
- aucune des caractéristiques revendiquées comme originales (style électro, tempo, tonalité et instrumentation) ne le sont, elles sont au contraire très courantes dans les musiques actuelles ;
- Claque-le ne commence pas par un break d'introduction, comme [D], ce break intervient seulement à la 21ème seconde et sur une autre note, tandis que les voix superposées prononcent un son différent ;
- le refrain de 19 secondes, repris 4 fois de façon variée dans Claque-le, comporte des voix et des boucles harmoniques différentes même si les accords de début et fin de cycle sont identiques dans la boucle harmonique principale mais non dans la boucle harmonique alternative et les deux accords des 2ème et 3ème mesures sont bien différents même si une seule note diffère car c'est la note fondamentale ;
- la partie rythmique du synthétiseur et de la batterie identique des deux oeuvres (la clave 3-2 doublée) est très habituelle en musique latine ;
- il n'existe aucune ressemblance mélodique ;
- une mesure d'expertise judiciaire serait redondante et de nature a alourdir les frais et la durée de la procédure.
47. Les sociétés BETC et BETC Digital font valoir que :
- en cas de contrefaçon par imitation, la comparaison entre l'oeuvre première et l'oeuvre seconde doit avoir lieu au regard des versions des oeuvres telles qu'elles sont effectivement exploitées, de sorte que la démonstration des demandeurs qui se fonde sur la version instrumentale de Claque-le et plus particulièrement de son refrain est inopérante ;
- l'oeuvre seconde ne reprend pas les caractéristiques de l'oeuvre première en l'absence des voix et des paroles chantées et en présence de mélodies différentes et en ce que l'impression d'ensemble produite est différente ;
- l'utilisation d'outils de programmation et d'instruments virtuels pour la composition et l'interprétation mène à une uniformisation des sons, ce qui explique les sons similaires et la rythmique issue de la musique cubaine Son retrouvés dans les deux oeuvres;
- au contraire, il existe de multiples différences entre les deux oeuvres musicales: leur durée, l'élément mélodique du refrain, l'élément rythmique du couplet, les séquences de notes et les figures rythmiques, les parties vocales, la partie de basse, la qualité sonore des toms et la note répétée dans le break d'introduction, de sorte qu'aucune confusion n'est possible ;
- dans son courrier du 7 novembre 2019, la société Sony Music Entertainment France n'invoquait que des agissements parasitaires ;
- l'imitation est exclue au vu de la volonté expresse de l'annonceur [Localité 16] Bobois de ne pas utiliser Claque-le pour sa campagne ;
- la demande d'expertise judiciaire est tardive et inutile, deux des trois experts inscrits auprès de la cour d'appel de Paris ayant déjà donné leur avis aux parties.
48. La société [Localité 16] Bobois International s'associe à l'analyse des sociétés Schmooze et BETC en insistant sur le caractère biaisé du rapport de Mme [Y] qui est basé sur la version instrumentale du refrain, et non l'oeuvre complète Claque-le, faisant abstraction du texte chanté, pourtant omniprésent et lui conférant toute sa singularité, sur le fait que certaines similarités ne résultent pas d'une reprise des caractéristiques du titre Claque-le par l'oeuvre [D] mais simplement de l'usage d'un même procédé de composition et sur l'impression différente produite par les deux oeuvres en l'absence de paroles, de reprise des éléments mélodiques, des différences d'instrumentation et sur les différences entre les deux oeuvres.
Elle ajoute qu'elle est respectueuse des droits des auteurs et qu'elle n'avait pas souhaité collaborer avec le groupe Bagarre, de sorte que les éventuelles similitudes entre les oeuvres ne peuvent résulter que d'une rencontre fortuite résultant d'une source d'inspiration commune.
Sur ce,
49. Aux termes de l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre.
En application des dispositions des articles L122-1 et L122-4 du code de la propriété intellectuelle le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction, et toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite.
Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.
50. La contrefaçon d'une oeuvre protégée par le droit d'auteur, voire de certains de ses éléments, consiste dans la reprise de ses caractéristiques reconnues comme étant constitutives de son originalité.
La contrefaçon s'apprécie selon les ressemblances et non d'après les différences. Elle ne peut toutefois être retenue lorsque les ressemblances relèvent de la reprise d'un genre ou d'éléments banals qui appartiennent à un fonds commun de la création musicale, et non de la reproduction de caractéristiques spécifiques de l'oeuvre première.
51. Trois experts ont comparé les deux pièces à la demande des parties : M. [S] [H] le 24 octobre 2019 et M . [G] [W] le 6 octobre 2021 à l'initiative de la société Schmooze et Mme [M] [Y] le 9 décembre 2019 et le 19 novembre 2021 à l'initiative de la société Entreprise Sociétale d'Entreprenariat.
Le rapport de M. [H] n'apparaît guère probant en ce qu'il est particulièrement bref et donc peu étayé et que sa rigueur est sujette à caution au regard notamment de son avis sur la tonalité de [D], qui contredit celle des autres experts et des parties.
M . [G] [W] et Mme [M] [Y] sont inscrits sur la liste des experts de la cour d'appel de Paris dans la spécialité musique. Leurs analyses sont suffisamment précises pour qu'une expertise judiciaire ne soit pas ordonnée.
52. Claque-le est une chanson d'une durée de 3 minutes et 43 secondes, comportant une introduction, un refrain d'une durée de 19 secondes, répété quatre fois et comportant trois couplets tandis que [D] est une composition instrumentale d'une durée de 26 secondes.
Comme le soutiennent les demandeurs, l'examen de la contrefaçon ne saurait être basé sur une comparaison de la version instrumentale de Claque-le et seules les analyses des oeuvres telles qu'exploitées seront prises en compte par le tribunal.
53. M. [W] et Mme [Y] constatent tous deux l'identité de style (électro), de tonalité (sol mineur avec introduction du mi bécarre faisant passer celui-ci en mode dorien), de mesure (4 temps par mesure), de construction sur un cycle harmonique de 4 mesures qui se répète et de tempo (104 battement par minute) entre les deux oeuvres.
Ils relèvent également une instrumentation commune (synthétiseurs, batterie électronique, claviers électroniques, sons de percussions électroniques, samples et effets) mais Claque-le utilise une voix féminine, des choeurs mixtes et des claquements de mains et de doigts tandis que [D] utilise juste une voix de synthèse.
54. La contrefaçon alléguée porte plus particulièrement sur le refrain de Claque-le, qui comporte la combinaison précitée des caractéristiques originales de l'oeuvre que sont :
- l'instrumentation délibérément axée sur le rythme, consistant en trois synthétiseurs mêlés à des percussions aux sonorités sèches (caisses claires, shakers, claquements de doigts et battements de mains) ;
- les roulements de batterie à la caisse claire ;
- une voix féminine répétant la même note de manière hachée, en synchronisation avec ces roulements ;
- un rythme syncopé et haché d'inspiration latine, typique du Son cubain ;
- une progression d'accords parfaitement arbitraire au sein de ce refrain ;
- l'ajout, à la gamme de sol mineur, de la note de mi bécarre, légèrement dissonante et faisant passer cette gamme en mode dorien, qui est une couleur modale particulière,
et qui ne relève pas d'un genre ni du fonds commun de la création musicale.
55. Ce refrain, d'une durée de 19 secondes, est introduit par un roulement de caisse claire et comporte 2 cycles de 4 mesures sur un rythme syncopé enchaînant harmoniquement les accords suivants : G-, G-/F, C/E- et Eb (M. [W] identifie une boucle alternative mais ne la situe pas et indique qu'elle est rarement utilisée dans l'oeuvre).
56. [D] est une composition instrumentale d'une durée de 26 secondes, constituée d'une introduction de 3 secondes composée d'un roulement de caisse claire allant en s'accélérant, sur laquelle une voix de synthèse répète le son « è » la même note sur le même rythme suivi d'un silence, d'une partie principale de 19 secondes durant lesquelles sont jouées deux boucles de 4 mesures à 4 temps, séparées par un roulement de caisse claire, sur un rythme syncopé enchaînant harmoniquement les accords suivants : G-, D-, E- et Eb et d'une reprise avec diminution du volume pendant 4 secondes.
57. De l'analyse faite par les deux experts, il s'infère que [D] emprunte au refrain de Claque-le le roulement de caisse claire avec une voix à l'unisson rythmique en attaque, une instrumentation similaire (synthétiseurs, nappes, voix transformées et sons de batterie), le motif rythmique caractéristique de clave 3-2 doublée, la structure (deux boucles de 4 mesures), la tonalité ainsi que le premier et le dernier accord de la boucle harmonique qui en comporte 4, c'est-à-dire l'ensemble des caractéristiques qui ont l'originalité de l'oeuvre première.
Quand bien même elles seraient, chacune, usitées dans le genre électro ou de musique cubaine ou relevant du fonds commun de la création musicale - ce qui n'est d'ailleurs contesté par personne et admis par tous les experts - leur combinaison constitue l'originalité de l'oeuvre.
58. Il existe une différence harmonique sur deux accords par boucle harmonique. Celle-ci est discrète en ce qu'une tierce reste commune entre les accords différents d'une oeuvre à l'autre.
De plus, la ligne mélodique de la basse est différente mais son rythme est identique dans les deux pièces, dont il est souligné par les experts qu'elles sont majoritairement rythmiques et faiblement mélodiques.
Ces différences n'effacent pas l'impression de similarité qui se dégage de la comparaison.
59. Enfin, les pièces versées à titre d'antériorités par les défendeurs (pièces 11à18 de M. [C]) ne présentent pas, à l'écoute, la moindre ressemblance d'ensemble avec les deux oeuvres litigieuses, pas plus que les inspirations évoquées par M. [C] (atmosphères et sonorités de Flume et Ratatat et rythmique de Drop it like it's hot de Snoop Dog et Pharell Williams), de sorte que les ressemblances entre les deux oeuvres ne sont rattachables à aucune inspiration commune. Quant à l'éventualité d'une rencontre fortuite, elle est totalement écartée par le contexte de la création rappelé dans le rappel des faits qui montre que toutes parties avaient eu accès à Claque-le avant la commande de [D]..
60. Il y a donc lieu de retenir que [D] constitue une contrefaçon de Claque-le.
VII. Sur les mesures de réparation
1. Sur les dommages et intérêts et le droit d'information
61. Les demandeurs font valoir que :
- la réticence des défendeurs à fournir des pièces justifie leur condamnation, sous astreinte, à produire les éléments contractuels et comptables de la campagne publicitaire depuis 2020, ainsi que des correspondances nécessaires à l'identification du rôle de chacune des défenderesses, à la détermination de l'étendue de la contrefaçon et à l'évaluation des préjudices subis par les demandeurs ;
- les correspondances versées aux débats selon lesquelles la société [Localité 16] Bobois International, après s'être vue proposer une reprise dans le même style que Claque-le et avoir demandé une oeuvre « nettement différente » sont incompatibles avec l'acceptation d'une oeuvre très semblable ;
- les défenderesses évoquent le secret des affaires sans jamais expliquer en quoi la demande de production formée par les demandeurs y porterait concrètement atteinte :
- la synchronisation, c'est-à-dire l'inclusion des oeuvres musicales dans des oeuvres secondes, souvent audiovisuelles, compte aujourd'hui parmi les sources les plus importantes de revenus pour les acteurs du secteur ;
- en synchronisant une oeuvre ressemblant en tous points à Claque-le, qui est l'oeuvre la plus célèbre du groupe Bagarre et du catalogue de la société Entreprise Sociétale d'Entreprenariat, dans une campagne publicitaire d'envergure mondiale, pour un annonceur célèbre, les contrefacteurs les ont privés non seulement de la rémunération qu'ils auraient pu percevoir au titre de cette synchronisation mais aussi de la possibilité de voir leur oeuvre synchronisée pour une autre campagne publicitaire ;
- au contraire, les défenderesses ont fait des bénéfices en accaparant la rémunération des auteurs et en bénéficiant des retombées économiques du film publicitaire ;
- la contrefaçon puis le comportement des défenderesses dans les pourparlers puis la procédure sont à l'origine d'un préjudice moral considérable ;
- il a été porté atteinte à leur droit au respect de l'oeuvre, qui a été altérée pour dissimuler la contrefaçon, et à leur droit à la paternité par absence de mention.
62. La société Grand Musique Management et M. [F] [C] soutiennent que :
- les demandes à titre de dommages et intérêts sont exorbitantes ;
- [D] n'a pas été déposé à la SACEM « à leur connaissance », ils ne disposent donc d'aucune reddition de compte et n'ont perçu aucune redevance d'exploitation.
63. Les sociétés BETC et BETC Digital font valoir que :
- les demandes à titre de dommages et intérêts sont exorbitantes ;
- la notoriété de Claque-le est faible, de sorte que le coût de la synchronisation l'aurait été aussi ;
- le budget de 40.000 euros serait revenu pour moitié au producteur du phonogramme, la société Sony Music Entertainment France, pour 10 % au gestionnaire éditorial, la société Universal Music Publishing, et seulement le solde aux demandeurs et aucun renouvellement n'aurait eu lieu vu l'arrêt de l'exploitation ;
- la perte de chance et le préjudice moral ne sont pas démontrés ;
- les bénéfices injustement réalisés doivent tenir compte de ce que l'oeuvre seconde reprend 11,5 % de Claque-le ;
- les atteintes au droit moral sont injustifiées puisque les demandeurs étaient d'accord pour la synchronisation et qu'il n'est pas usuel de citer les auteurs dans les films publicitaires ;
- seul le préjudice subi sur le territoire français peut être demandé;
- les relations entre les sociétés BETC Digital et [Localité 16] Bobois n'ont pas été formalisées par un contrat spécifique, excepté le devis du 7 août 2019, de même que celles avec la société Schmooze et il n'existe pas d'autre facture que celles versées aux débats.
64. La société Schmooze formule les mêmes observations que les sociétés BETC et BETC Digital, précisant que ses bénéfices sont d'un montant total de 3.839 euros et qu'elle n'a reçu aucune redevance proportionnelle à l'exploitation. Elle demande la production du contrat conclu avec la société Universal Music Publishing pour connaître la commission de celle-ci.
65. La société [Localité 16] Bobois International développe les mêmes arguments que les sociétés BETC, BETC Digital et Schmooze sur les dommages et intérêts sollicités à titre provisionnel ou définitif.
Elle soutient qu'elle n'a pas formalisé de contrat avec l'agence BETC Digital, à l'exception du devis du août 2019 précité et que toutes les factures ont été communiquées.
Sur ce,
66. Selon l'article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, « Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1o Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3o Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée ».
67. Ces dispositions, issues de la transposition de la directive 2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (considérant 26 et article 13), visent à ce que la détermination du dommage tienne compte de ces différents aspects économiques, qui ne constituent pas des chefs de préjudices cumulables. En particulier, les bénéfices réalisés par les auteurs des atteintes n'ont pas vocation à être captés par la partie lésée mais sont destinés à évaluer objectivement son préjudice réel.
68. L'article L.331-1-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit : « Si la demande lui est faite, la juridiction saisie au fond ou en référé d'une procédure civile prévue aux livres Ier, II et III de la première partie peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des marchandises et services qui portent prétendument atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de telles marchandises ou fournissant de tels services ou a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces marchandises ou la fourniture de ces services.
La production de documents ou d'informations peut être ordonnée s'il n'existe pas d'empêchement légitime.».
69. S'agissant de leur manque à gagner, les demandeurs invoquent la rémunération qu'ils auraient pu percevoir à l'occasion de la synchronisation de leur oeuvre, de ses éventuels renouvellements, la rémunération proportionnelle pour la reproduction mécanique et les exécution publiques et la possibilité de voir leur oeuvre synchronisée pour une autre campagne.
70. Le calcul de la rémunération manquée peut être fait sur la base des pièces versées au dossier qui indiquent le budget musique de l'annonceur et la facturation conforme à ce budget de M. [C] et la société Grand Musique Management, la société Schmooze et la société BETC.
Ce budget s'élève à 40.000 euros hors taxes et aucune circonstance ne permet de supposer que ce budget aurait pu être négocié à la hausse. En effet, la notoriété de Claque-le et l'absence de tout autre contrat antérieur de synchronisation de leurs oeuvres pour le groupe Bagarre le dément.
Aucun renouvellement n'a eu lieu pour l'oeuvre [D] du fait de la présente instance et l'éventualité en est hypothétique, de sorte qu'il en sera tenu compte à hauteur de 4.000 euros.
71. Il n'est pas discuté que la moitié de ce montant devait revenir au producteur de phonogramme et 10 % au gestionnaire éditorial ; en revanche, l'abattement de 25% pour la reprise du seul refrain, auquel prétend les sociétés Schmooze, BETC et BETC Digital n'est aucunement justifié. Le manque à gagner s'élève donc à 17.600 euros (40 % de 44.000 euros) pour l'ensemble des demandeurs, producteur et auteurs.
72. La réparation du préjudice relatif au gain manqué pour la synchronisation de l'oeuvre dans le cadre de la campagne de la société [Localité 16] Bobois International et ses renouvellements ne saurait se cumuler avec la perte de chance de voir l'oeuvre synchronisée pour une autre campagne, à supposer que soit démontrée la réalité de cette perte de chance.
73. M. [C] et la société Grand Musique Management indiquent n'avoir effectué aucun dépôt et, le répertoire de la SACEM étant public, il ne saurait être exigé d'eux la preuve négative de l'absence de dépôt, de même qu'aucune injonction de communiquer ne saurait leur être faite.
74. Les circonstances de l'espèce rappelées supra montrent de la part des sociétés défenderesses une détermination à conserver le bénéfice de l'oeuvre Claque-le pour le film sans y associer les titulaires de droits.
Il en résulte l'existence d'un préjudice moral des parties lésées.
75. S'agissant des bénéfices injustement réalisés, il s'évince du budget et des factures versés aux débats que :
- la société Grand Musique Management et M. [C] ont perçu, ensemble, une rémunération de 10.000 euros,
- la société Schmooze a perçu une rémunération de 30.084 euros et fait un bénéfice de 3.839 euros sur la composition litigieuse, BETC et BETC Digital n'ont pas fait de bénéfice sur la sonorisation du film. Il est inutile d'avoir recours aux autres pièces contractuelles relatives à la campagne publicitaire pour la solution du présent litige.
La société [Localité 16] Bobois International recourt en permanence à de nombreuses publicités sur de nombreux supports, y compris audiovisuels. Si elle ne divulgue pas le budget total consacré aux deux films publicitaires en cause, le bénéfice réalisé ne saurait, en toute hypothèse, être évalué à partir de ce montant. De plus, la sonorisation est un élément secondaire de l'effet produit, l'expert [W] l'ayant en l'espèce qualifiée "de musique d'habillage".
Par conséquent, quand bien même il serait fait droit à la demande de production de "l'historique complet de leurs diffusions" et de "l'intégralité des factures d'achat d'espace liées à cette campagne publicitaire", le calcul du gain illicite issu de l'exploitations des deux films publicitaires dont la bande son est l'oeuvre contrefaisante n'est pas possible et apparaît, en toute hypothèse, dérisoire.
76. La prise en considération de l'ensemble de ces éléments permet de fixer les dommages et intérêts en réparation de la contrefaçon à la somme de 25.000 euros pour l'ensemble des demandeurs, ainsi qu'il est demandé.
Pour les motifs précités (point 67), l'ensemble des demandes dirigées contre les défendeurs en restitution des bénéfices injustement réalisés sont rejetées.
77. S'agissant de l'atteinte au droit moral des auteurs, il n'est pas discuté qu'il n'est pas d'usage de citer les noms des auteurs des films publicitaires eu égard à leur brièveté et l'absence de générique, de sorte que le droit à la paternité des demandeurs n'est pas affecté.
L'oeuvre contrefaisante présente avec le titre Claque-le des différences d'orchestration et d'harmonie, ci-dessus décrites, qui, sans effacer la similarité entre elle en ont altéré le caractère et la singularité, portant atteinte au droit à l'intégrité de l'oeuvre.
78. Ce poste de préjudice est fixé à la somme de 1.500 euros par auteur et ne saurait être attribué à la société Entreprise Sociétale d'Entreprenariat qui n'est pas titulaire de droit moraux sur l'oeuvre.
79. La société Grand Musique Management et M. [F] [C] sont à l'origine de la contrefaçon.
Il résulte des circonstances de l'espèce rapportées supra que les sociétés [Localité 16] Bobois International, BETC, BETC Digital et Schmooze connaissaient l'oeuvre Claque-le, pour l'avoir proposée à la synchronisation ou, pour la première, l'avoir expressément refusée ; dès lors, il ne pouvait leur échapper que l'oeuvre [D], commandée pour la circonstance, en constituait la contrefaçon.
Il y a donc lieu de les condamner in solidum à payer les dommages et intérêts réparant l'atteinte aux droits patrimoniaux et au droit moral des auteurs.
80. La demande de communication de l'ensemble des correspondances échangées par les parties et des autres pièces citées, outre qu'elle n'est pas assez précise pour faire l'objet d'une injonction sous astreinte, est inutile à la solution du litige dès lors que l'intention est indifférente en matière de contrefaçon. Elle est rejetée, de même que la demande de la société Schmooze de voir ordonner la communication du contrat conclu par la société Entreprise Sociétale d'Entreprenariat avec la société Universal Music Publishing.
2. Sur les mesures d'interdiction et de publication
81. Les demandeurs font valoir que :
- l'oeuvre musicale contrefaisante a continué à être exploitée après septembre 2020, contrairement aux affirmations de la société [Localité 16] Bobois International et de la société Schmooze, et l'a même été de manière massive, ce qui justifie des mesures d'interdiction sous astreinte ;
- la diffusion extrêmement large de la musique contrefaisante aggrave leurs préjudices en ce que de nombreux consommateurs ont cru que l'oeuvre litigieuse était une composition originale, de sorte que seule une mesure de publication permettra de les rétablir dans leurs droits.
82. Les sociétés BETC et BETC Digital font valoir que [D] n'est plus exploitée depuis le 31 août 2021, ou seulement par « quelques liens résiduels » et que rien ne justifie une mesure de publication.
83. La société [Localité 16] Bobois International s'oppose aux mesures d'interdiction, précisant que le film n'est plus diffusé avec la musique litigieuse depuis septembre 2020. Quant aux mesures de publication, elle les estime disproportionnées.
Sur ce,
84. L'article L. 331-1-4 du code de la propriété intellectuelle dispose notamment : « En cas de condamnation civile pour contrefaçon, atteinte à un droit voisin du droit d'auteur ou aux droits du producteur de bases de données, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les objets réalisés ou fabriqués portant atteinte à ces droits, les supports utilisés pour recueillir les données extraites illégalement de la base de données et les matériaux ou instruments ayant principalement servi à leur réalisation ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée.
La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise.
Les mesures mentionnées aux deux premiers alinéas sont ordonnées aux frais de l'auteur de l'atteinte aux droits. »
85. La contrefaçon étant caractérisée, les demandeurs sont bien fondés à demander l'interdiction de toute diffusion ou exploitation de l"oeuvre contrefaisante.
86. Il y a donc lieu de faire droit aux demandes d'interdiction d'exploitation de l'oeuvre musicale synchronisée dans les films publicitaires intitulés « Goûtez au French art de vivre », sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, et d'interdiction du dépôt de cette oeuvre auprès de quelque organisme de gestion collective que ce soit.
87. Les affirmations répétées des défendeurs selon lesquelles l'exploitation du film ainsi sonorisé a cessé à partir du 1er septembre 2020 sont contredites par les constats d'huissier du 12 avril 2021 qui démontrent qu'à cette date deux films publicitaires comportant la bande son litigieuse étaient diffusés :
- sur les sites spécialisés en publicité lareclame.fr et adforum.com, sous l'onglet BETC,
- sur la page facebook de BETC
- sur facebook .com vidéos,
- sur 31 pages Facebook de magasins [Localité 16] Bobois en France et dans plusieurs pays étrangers,
ce qui ne saurait être ramené à "des liens résiduels".
88. Il appartient aux défendeurs de prendre toutes les dispositions nécessaires à la cessation de la diffusion de l'oeuvre, quand bien même il s'agirait de « quelques liens résiduels ».
Il est donc justifié lieu d'assortir l'interdiction d'une astreinte telle que figurant au dispositif.
89. En revanche, aucune circonstance ne justifie d'ordonner une mesure de publication judiciaire.
VIII. Sur l'appel en garantie des sociétés BETC et BETC Digital contre la société Schmooze
90. Les sociétés BETC et BETC Digital font valoir que :
- le bon de commande du 7 août 2019 s'analyse comme un contrat de louage d'ouvrage avec cession des droits patrimoniaux sur l'oeuvre musicale de la société Schmooze à la société BETC Digital ;
- la société Schmooze lui doit donc la jouissance paisible des droits cédés et sa garantie.
91. La société Schmooze ne conclut pas sur cette demande.
Sur ce,
92. L'article 1626 du code civil prévoit : « Quoique lors de la vente il n'ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente. »
93. La société Schmooze a facturé à la société BETC Digital la production de la musique litigieuse et les droits d'exploitation. Les sociétés BETC et BETC Digital ayant été reconnues coupables de contrefaçon et la société Schmooze n'élevant aucune objection à l'appel en garantie, elles sont bien fondée à obtenir la garantie de leur vendeur pour les condamnations prononcées sur le fond.
IX. Sur l'appel en garantie de la société [Localité 16] Bobois International contre les sociétés BETC et/ou BETC Digital
94. La société [Localité 16] Bobois International soutient que :
- le devis de BETC Digital du 7 août 2019 indique qu'elle devait lui fournir les droits sur une musique originale composée pour l'occasion ;
- elle lui doit garantie conformément au devis précité et aux stipulations du contrat-type établi par l'arrêté du 19 septembre 1961 régissant les rapports entre annonceurs et agents de publicité et au titre de la garantie d'éviction prévue à l'article 1626 du code civil précité.
95. Les sociétés BETC et BETC Digital ne concluent pas sur cette demande.
Sur ce,
96. Les sociétés BETC et BETC Digital ont facturé à la société [Localité 16] Bobois International la production de la musique litigieuse et les droits d'exploitation. La société [Localité 16] Bobois International ayant été reconnue coupable de contrefaçon et les sociétés BETC et BETC Digital n'élevant aucune objection à l'appel en garantie, elle est bien fondée à obtenir la garantie de son vendeur pour les condamnations prononcées sur le fond.
X . Sur les autres demandes
97. M. [F] [C] et les sociétés Grand Musique Management, [Localité 16] Bobois International, BETC, BETC Digital et Schmooze qui succombent sont condamnés aux dépens de l'instance.
98. Les demandeurs démontrent avoir exposé la somme totale de 56.426,38 euros (en frais d'expert musical, de constats d'huissier et d'avocat) pour établir la preuve et faire valoir leurs droits après de vaines tentatives de résolution amiable. L'équité justifie de condamner l'ensemble des défendeurs, in solidum et indépendamment des appels en garantie, à leur payer cette somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de rejeter les demandes des autres parties au même titre.
L'exécution provisoire du présent jugement est de droit.
PAR CES MOTIFS
Rejette la demande de mise hors de cause de la SA BETC ;
Rejette la demande de mise hors de cause de la société [Localité 16] Bobois International ;
Dit n'y avoir lieu d'écarter des débats les pièces no 7.2, 7.3, 23 et 46 des demandeurs ;
Déclare recevables les interventions volontaires de la SAS BETC Digital, de la société Grand Musique Management et de M. [F] [C] ;
Ordonne l'interdiction d'exploitation de l'oeuvre musicale synchronisée dans les films publicitaires intitulés « Goûtez au French art de vivre », sous astreinte provisoire de 500 euros par infraction constatée pendant 6 six mois à compter d'un délai de 21 jours à compter de la signification du présent jugement ;
Ordonne l'interdiction du dépôt de l'oeuvre [D] auprès de quelque organisme de gestion collective que ce soit et sa suppression des registres de tout organisme de gestion collective auprès duquel elle aurait été déposée ;
Rejette les demandes formées au titre du droit d'information ;
Rejette les demandes de publication du jugement ;
Condamne in solidum M. [F] [C] et les sociétés Grand Musique Management, [Localité 16] Bobois International, BETC, BETC Digital et Schmooze à payer à la société Entreprise Sociétale d'Entreprenariat, Mme [P] [X], M. [L] [BY], M. [R] [N], M. [Z] [T] et M. [V] [O], ensemble, la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la contrefaçon de l'oeuvre Claque-le ;
Condamne in solidum M. [F] [C] et les sociétés Grand Musique Management, [Localité 16] Bobois International, BETC, BETC Digital et Schmooze à payer à Mme [P] [X] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts ;
Condamne in solidum M. [F] [C] et les sociétés Grand Musique Management, [Localité 16] Bobois International, BETC, BETC Digital et Schmooze à payer à M. [L] [BY] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts ;
Condamne in solidum M. [F] [C] et les sociétés Grand Musique Management, [Localité 16] Bobois International, BETC, BETC Digital et Schmooze à payer à M. [R] [N] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts ;
Condamne in solidum M. [F] [C] et les sociétés Grand Musique Management, [Localité 16] Bobois International, BETC, BETC Digital et Schmooze à payer à M. [Z] [T] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts ;
Condamne in solidum M. [F] [C] et les sociétés Grand Musique Management, [Localité 16] Bobois International, BETC, BETC Digital et Schmooze à payer à M. [V] [O] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts;
Condamne les sociétés BETC et BETC Digital à garantir la société [Localité 16] Bobois International des condamnations ci-dessus prononcées à son encontre ;
Condamne la société Schmooze à garantir les sociétés BETC et BETC Digital des condamnations ci-dessus prononcées à leur encontre ;
Condamne in solidum M. [F] [C] et les sociétés Grand Musique Management, [Localité 16] Bobois International, BETC, BETC Digital et Schmooze aux dépens de l'instance, qui pourront être recouvrés directement par Me Jean Aittouares, conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum les sociétés [Localité 16] Bobois International, BETC, BETC Digital et Schmooze à payer à Mme [P] [X], M. [L] [BY], M. [R] [N], M. [Z] [T] et M. [V] [O] la somme de 56.426,38 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Fait et jugé à [Localité 15] le 23 Décembre 2022
Le Greffier La Présidente
[I] [A] [E] [U]