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16/12/2022 | FRANCE | N°20/09203

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0087, 16 décembre 2022, 20/09203


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 20/09203 -
No Portalis 352J-W-B7E-CS2OI

No MINUTE :

Assignation du :
16 septembre 2020

JUGEMENT
rendu le 16 décembre 2022
DEMANDERESSE

S.A.S. CLUB MONTMARTRE
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Maître Olivier D'ABO de la SELAS LEXINGTON AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #B0485 et par Maître Matthieu BARANDAS de la SELARL TGB, avcat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

DÉFENDERESSE

S.A.S. IN G

AME FACTORY
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représentée par Maître Quentin RENAUD, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #D130...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 20/09203 -
No Portalis 352J-W-B7E-CS2OI

No MINUTE :

Assignation du :
16 septembre 2020

JUGEMENT
rendu le 16 décembre 2022
DEMANDERESSE

S.A.S. CLUB MONTMARTRE
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Maître Olivier D'ABO de la SELAS LEXINGTON AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #B0485 et par Maître Matthieu BARANDAS de la SELARL TGB, avcat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

DÉFENDERESSE

S.A.S. IN GAME FACTORY
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représentée par Maître Quentin RENAUD, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #D1307

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Irène BENAC, vice-présidente,
Arthur COURILLON-HAVY, juge,
Elodie GUENNEC, vice-présidente,

assistés de Quentin Curabet, greffier lors des débats et de Lorine MILLE, greffière lors de la mise à disposition.

DEBATS

A l'audience du 13 octobre 2022, tenue en audience publique devant Irène BENAC, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l'audience, et, après avoir donné lecture du rapport et entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 16 décembre 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

1. La société Club Montmartre, ayant pour activité l'exploitation de clubs de jeux, de casinos et toutes activités de restauration, reproche à la société In Game Factory, qui a, elle, pour activité le développement et la distribution de logiciels destinés à être utilisés dans le cadre de la gestion de casinos et établissements de jeu et l'organisation d'événements, d'avoir déposé la marque « Wonder8 » en fraude de ses droits et en revendique en conséquence la propriété.

2. La société Club Montmartre a acquis la propriété, par substitution à la société Socofinance, du fonds de commerce de l'association [4] Billard Club (ci-après, « l'association [4] »), laquelle était un cercle de jeux dont l'activité était centrée sur le poker. Deux tournois de poker ont notamment été organisés par cette association sous le nom « Wonder8 ».

3. S'étant aperçu du dépôt, le 26 février 2019, de la marque française semi-figurative « Wonder8 », no 4528818 en classes 9, 28, 38 et 41 par la société In Game Factory, créée par deux anciens salariés de l'association [4] puis de la société Club Montmartre ([V] [Z] et [F] [B]), et qu'elle considère porter atteinte à ses droits, la société Club Montmartre a mis la société In Game Factory en demeure de renoncer à ce dépôt.

4. Face au refus de la société In Game Factory, la société Club Montmartre a fait assigner cette dernière le 16 septembre 2020 en revendication de la marque « Wonder8 ».

5. Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 30 mars 2022, la société Club Montmartre demande au tribunal, au visa de l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle, de :
- déclarer frauduleux le dépôt, le 26 février 2019 par la société In Game Factory, de la demande d'enregistrement de la marque « Wonder8 » no 4528818 en classes 9, 28, 38 et 41,
- ordonner le transfert rétroactif de la marque « Wonder8 » à son profit,
- interdire à la société In Game Factory l'usage de la marque « Wonder8 » sous astreinte,
- condamner la société In Game Factory à lui payer :
- 100.000 euros en réparation de son préjudice patrimonial tiré des investissements réalisés et du dépôt frauduleux de la marque « Wonder8 »,
- 736.731 euros en réparation de son préjudice matériel subi du fait des pertes d'exploitation liées au dépôt frauduleux de la marque « Wonder8 »,
- 100.000 euros en réparation de son préjudice moral,
- ordonner l'exécution provisoire,
- condamner la société In Game Factory à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

6. Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 29 avril 2022, la société In Game Factory demande au tribunal, au visa des articles L. 714-1, L. 712-6, L. 111-1 alinéa 3, L. 113-1, L. 113-2, L. 113-5, L. 113-9, L. 131-2, L. 131-3 et L. 131-4 du code de la propriété intellectuelle, et 1240 du code civil, de :
- débouter la société Club Montmartre de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société Club Montmartre à lui payer la somme de 50.000 euros en réparation de son préjudice pour procédure abusive,
- condamner la société Club Montmartre à lui payer la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

7. La procédure a été close par ordonnance du 12 mai 2022 et l'affaire plaidée le 13 octobre 2022.

MOTIVATION

I. Sur la demande en revendication de marque

Moyens des parties

8. La société Club Montmartre soutient que l'association [4] exploitait antérieurement le signe « Wonder8 » en ce qu'elle a réservé, le 30 mai 2017, le nom de domaine etlt;wonder8.cometgt;, qu'elle a créé le tournoi Wonder8 en finançant tout son développement et qu'elle a utilisé ce signe auprès du public. Elle ajoute que le contrat de cession de fonds de commerce du 10 décembre 2018 a entraîné la cession de tous les actifs corporels ou incorporels de l'association, dont notamment le savoir-faire de l'association ainsi que les logiciels, programmes, fichiers informatiques et programmes sources, la data room préparée par l'administratrice provisoire de l'association [4] mentionnant également les marques de tournoi. Or, elle considère que le tournoi Wonder8 est composé d'un savoir-faire créé et développé au sein de l'association [4], et que des logiciels d'application en lien avec ce tournoi ont été réalisés sous la directive de l'association, logiciels sur lesquels les anciens salariés de cette association, associés fondateurs de la société In Game Factory, ne peuvent revendiquer aucun droit. Elle expose que le succès de ce tournoi a constitué un élément déterminant dans l'achat du fonds de commerce, et fait valoir qu'aucune convention ne lui est opposable, la défenderesse invoquant une licence dont elle ne rapporte pas la preuve.

9. Selon elle, la société In Game Factory n'ignorait pas les droits dont elle disposait sur le signe « Wonder8 » depuis l'acquisition du fonds de commerce de l'association [4], dès lors que ses associés fondateurs étaient d'anciens salariés de l'association puis de la demanderesse et ont participé à la création et au développement du tournoi Wonder8 pour le compte de l'association en qualité de directeur de développement marketing pour l'un et directeur poker puis directeur général pour l'autre.

10. En conséquence, elle sollicite que soit déclaré frauduleux le dépôt de la marque « Wonder8 » no 4528818, que soit ordonné le transfert de celle-ci à son profit et qu'il soit fait interdiction à la société In Game Factory d'utiliser le signe « Wonder8 ».

11. La société In Game Factory réplique tout d'abord que la demanderesse n'est pas fondée à revendiquer la marque « Wonder8 ». Elle soutient en effet que ce signe n'était pas inclus dans les actifs repris, car il n'est pas mentionné expressément dans l'acte de cession et que la société Club Montmartre ne démontre pas le caractère déterminant de ce tournoi dans l'acquisition du fonds de commerce de l'association [4] ; que le tournoi Wonder8 ne peut être considéré comme un savoir-faire ; que la dénomination « Wonder8 », qui a été créée par MM. [Z] et [B], est une création originale qui revêt l'empreinte de leur personnalité et dont ils ont seuls les droits ; et qu'aucun logiciel n'a été conçu dans le cadre des fonctions de MM. [Z] et [B] en lien avec le tournoi en cause. La société défenderesse fait ensuite valoir que le dépôt de la marque en cause n'a pas été frauduleux car tout suggérait que la société Club Montmartre n'entendait pas reprendre à son compte le tournoi, mais également que le nom de domaine ne faisait pas obstacle au dépôt de la marque dès lors que la réservation n'était plus effective au jour du dépôt, et enfin que la société In Game Factory utilisait déjà le signe pour son propre compte avant le dépôt de la marque et qu'aucun litige n'opposait les parties à cette date.

Réponse du tribunal

12. En application de l'article L. 712-6 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle, « Si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d'un tiers, soit en violation d'une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice ».

13. Le dépôt d'une marque est susceptible d'être qualifié de frauduleux lorsqu'il a été effectué dans l'intention de priver autrui d'un signe nécessaire à son activité. Le caractère frauduleux du dépôt s'apprécie au jour du dépôt et ne se présume pas, la charge de la preuve incombant à celui qui l'allègue.

14. L'existence de la mauvaise foi du déposant doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, au moment du dépôt de la demande d'enregistrement. Sont notamment retenus comme facteurs pertinents le fait que le demandeur au dépôt savait ou aurait dû savoir que le tiers utilisait un signe identique ou similaire pour des produits identiques ou similaires à ceux couverts par la marque, l'intention du demandeur au dépôt d'empêcher le tiers de continuer un tel usage et le degré de protection dont jouissent le signe du tiers et le signe déposé (CJUE, 11 juin 2009, C-529/07, Chocoladefrabriken Lindt et Sprüngli).

1. Sur l'existence de l'utilisation antérieure légitime du signe « Wonder8 » par la société Club Montmartre

15. En l'espèce, il ressort des pièces versées que l'association [4] a établi en interne un plan d'élaboration d'un tournoi de poker « Wonder8 », indiquant que « dans le cadre de son développement [elle] souhaite lancer un nouveau tournoi d'envergure et préempter un nouveau format de table à 8 joueurs, en créant le " Wonder8" », que le nom « Wonder8 » fait référence à l'émerveillement, au miracle, à la merveille et au nombre de joueurs, et que les objectifs sont notamment de « créer un tournoi qui portera haut les couleurs [de l'association [4]], tant en notoriété qu'en savoir-faire poker et qui positionne [l'association] comme un créateur / initiateur / novateur dans l'univers du poker » (pièce demanderesse no 7). Par ailleurs, si le nom mentionné sur la confirmation d'achat du nom de domaine etlt;wonder8.cometgt; est celui de M. [Z], l'adresse de facturation est celle de l'association et la page de confirmation débute par « Hello, Cercle [4] » (pièce demanderesse no 4).

16. Sont également versées des factures de la société Chat Star Productions portant sur la « prestation de livestreaming Festival Wonder8 » du 10 juillet 2018, de la société Iconographic portant sur la campagne de lancement du tournoi Wonder8 du 9 juillet 2017, de la société Kjay portant sur des jetons et racks du 23 juin 2016, et de M. [Y] en tant que « Community Manager Wonder8 » du 26 juin 2017, qui sont toutes adressées à l'association [4] et réglées par elle (pièces demanderesse no 12 et 15).

17. Il ressort en outre des archives du site internet de l'association [4], « pokerccm.com », de nombreux articles portant sur le tournoi Wonder8 (pièces demanderesse no 24 et 26). Est aussi produit le programme du tournoi sur lequel figure de manière très visible le logo de l'association [4] aux côtés du signe « Wonder8 » (pièce demanderesse no 32).

18. Différents articles de presse parus sur les sites « pokerpro.fr » et « livepoker.fr » en 2017 associent de même le festival Wonder8 à l'association [4], mentionnant ainsi que « le festival événement du Cercle [4] bat son plein : le Wonder8 attire les foules [...] » ou encore que « après la nette réussite de sa première édition du Wonder8, le Cercle Clichy-Montmartre remet ça du 15 au 24 juin » (pièces demanderesse no 21, 30 et 31).

19. Si d'autres articles de presse mentionnent spécifiquement MM. [Z] et [B] comme à l'origine du développement du tournoi Wonder8, et que les factures sus-mentionnées sont pour certaines adressées à M. [B], cela ne saurait suffire à faire d'eux les seuls créateurs de ce tournoi, ni à démontrer qu'ils auraient créé ce tournoi en dehors de leurs fonctions. En effet, la création du tournoi s'est faite alors que MM. [Z] et [B] étaient salariés de l'association [4], M. [Z] étant employé comme directeur poker (pièce demanderesse no 18) et M. [B] comme directeur développement marketing (pièce demanderesse no 17). Ce dernier avait plus précisément pour fonction le développement de la stratégie marketing et communication de l'association [4], devant apporter « une collaboration efficace et permanente au fonctionnement et au développement » de l'association, et suivre un plan marketing défini, incluant notamment la définition d'un moyen de fidélisation de la clientèle actuelle sur le long terme, la définition d'une stratégie pour attirer de nouveaux clients, la promotion de l'image de l'association et l'accompagnement à la définition du nouveau modèle économique (pièce défenderesse no 19). Ainsi, le travail de MM. [Z] et [B] pour le développement du tournoi Wonder8 s'inscrivait strictement dans le cadre de leurs fonctions.

20. En outre, l'article 3 du contrat de cession de fonds de commerce du 10 décembre 2018 stipule que « le Cédant cède [...] au Cessionnaire [...] le fonds de commerce ci-après désigné : un fonds de commerce de cercle de jeux, de café et de bar connu sous l'enseigne [4] et sis [Adresse 3], ledit fonds ayant été créé en 1946 par le Cédant ». Ce même article stipule que « la présente cession comprend : les éléments incorporels suivants :
- la clientèle, ainsi que les fichiers clients actifs et inactifs, fichiers abonnés actifs et inactifs, fichiers fournisseurs et fichiers prospect abonnement ;
- la clientèle, les prospects, ainsi que le droit de se dire successeur, en ce inclus le droit de présentation à l'égard des clients ;
- le savoir-faire ;
- les logiciels et programmes, fichiers informatiques et programmes sources, que ces derniers aient été développés en interne ou en externe et toutes les licences informatiques nécessaires à l'exploitation des activités reprises, sous réserve de leur cessibilité ;
- l'enseigne et les marques [4] et CM [4] ;
- la licence IV ;
- l'application mobile ios / android Cercle [4] ;
- le nom de domaine pokerccm.com, sous réserve de l'accord et des obligations imposées par les opérateurs concernés (hébergeur notamment), les frais de transfert étant à la charge du Cessionnaire ;
- le site internet http://pokerccm.com ;
- le droit au transfert de la ligne téléphonique [...] ;
- les droits aux baux consentis à l'Association [4] » (pièce demanderesse no 3).

21. La défenderesse verse par ailleurs aux débats un document intitulé « dossier de reprise », dans lequel le tournoi Wonder8 n'est pas mentionné. Toutefois, ce document n'est pas daté et ne comporte aucune source, de sorte qu'il ne saurait démontrer en lui-même la limitation de la cession (pièce défenderesse no 2).

22. Si l'article 3 du contrat de cession de fonds de commerce précité ne mentionne pas spécifiquement le nom de domaine etlt;wonder8.cometgt;, il est fait usage du terme « comprend » qui n'est pas limitatif. En tout état de cause, la cession d'un fonds de commerce comprend nécessairement celle de la clientèle, ce qui est au demeurant précisé. Or, le tournoi Wonder8 avait notamment pour but d'attirer ou de conserver une clientèle de sorte que la cession du fonds de commerce de l'association [4] comprenait nécessairement la cession de la clientèle attachée au tournoi Wonder8.

23. Enfin, l'article 17 du même contrat stipule que « le Cessionnaire s'engage à faire ses meilleurs efforts [...] pour assurer la poursuite de l'activité de l'Association [4] », là encore sans précision, incluant l'ensemble de l'activité de l'association, en ce compris l'organisation du tournoi Wonder8.

24. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le tournoi Wonder8, y compris son nom, a été développé par l'association [4] et a été implicitement repris par la société Club Montmartre par contrat de cession du fonds de commerce du 10 décembre 2018. La société Club Montmartre peut donc se prévaloir, au jour du dépôt de la marque litigieuse le 26 février 2019, d'un usage antérieur du signe « Wonder8 ».

2. Sur la mauvaise foi du déposant

25. Il est établi que MM. [B] et [Z], associés fondateurs de la société In Game Factory qui est titulaire de la marque litigieuse, ont activement participé au développement du tournoi Wonder8 en tant que salariés de l'association [4] et plus précisément comme directeur du développement marketing pour le premier, et directeur poker pour le second (pièces demanderesse no 17 et 18). Leurs contrats de travail ont été repris par la société Club Montmartre au moment de la cession du fonds de commerce (pièce demanderesse no 3). La défenderesse soutient par ailleurs que M. [B] a été licencié en juin 2019 et que M. [Z] a été licencié en octobre 2019 (conclusions défenderesse page 4). Dès lors, au jour du dépôt de la marque litigieuse, le 26 février 2019, les associés fondateurs de la société In Game Factory avaient connaissance de l'usage antérieur par la société Club Montmartre du signe « Wonder8 ».

26. Par ailleurs, MM. [Z] et [B], respectivement président et directeur général de la société In Game Factory (pièce demanderesse no 16), étaient toujours salariés de la société Club Montmartre au jour du dépôt. La marque litigieuse a en outre été déposée en classes 9, 28, 38 et 41 pour désigner les produits et services suivants : « Logiciels de jeux. Jeux ; jeux de cartes ; jeux de table. Communications par terminaux d'ordinateurs. Divertissement ; activités sportives et culturelles ; mise à disposition d'installations de loisirs ; services de jeu proposés en ligne à partir d'un réseau informatique ; services de jeux d'argent », soit des produits et services identiques ou du moins fortement similaires à l'activité de l'association [4] que la société Club Montmartre s'est engagée par contrat à poursuivre. Et enfin, la société In Game Factory se présente comme ayant notamment pour activité l'organisation d'événements et notamment de tournois de poker au sein d'établissements tiers. Ainsi, le dépôt de la marque « Wonder8 » par cette dernière, représentée par des salariés de la société Club Montmartre agissant de façon déloyale à l'égard de celle-ci, doit être considéré comme ayant été fait dans l'intention de priver la société Club Montmartre d'un signe nécessaire à son activité.

27. En conséquence, le dépôt de la marque « Wonder8 » no 4528818 est frauduleux et la demande en revendication de la société Club Montmartre sera accueillie. Il sera également fait droit à la mesure d'interdiction, selon les modalités fixées au dispositif.

II. Sur les mesures réparatrices

Moyens des parties

28. La société Club Montmartre fait valoir que le dépôt de la marque « Wonder8 » par la société In Game Factory lui a causé un préjudice. Elle soutient tout d'abord qu'elle n'a pu bénéficier du savoir-faire développé par l'association [4] dont elle a acquis le fonds de commerce alors que cette acquisition était motivée par la possibilité de poursuivre les activités de cette dernière, de sorte que la société In Game Factory a frauduleusement profité des investissements réalisés par l'association [4]. La demanderesse demande à ce titre la somme de 100.000 euros. Elle ajoute que ce dépôt a entraîné des pertes d'exploitation liées au tournoi et évalue son préjudice total à la somme de 736.731 euros, correspondant aux gains manqués sur les revenus générés par l'inscription au tournoi, sur la partie restauration pendant le tournoi, sur les autres jeux proposés pendant le tournoi et sur l'attrait de nouveaux membres. Elle invoque également un préjudice moral et sollicite à ce titre la somme de 100.000 euros.

29. La société In Game Factory répond que la demanderesse ne rapporte pas la preuve d'investissements qu'elle aurait effectués en vue de développer des services sous le signe « Wonder8 », qu'elle ne justifie pas des gains manqués qu'elle invoque, et qu'elle ne rapporte pas la preuve de la réalité de la perte d'exploitation invoquée du fait du dépôt de la marque en cause. Elle conteste également le préjudice moral invoqué qui est, selon elle, également injustifié.

Réponse du tribunal

30. S'agissant du préjudice économique tout d'abord, la société Club Montmartre soutient n'avoir pu bénéficier des investissements réalisés par l'association [4] car c'est la société In Game Factory qui a exploité pendant plus d'un an le signe « Wonder8 » en organisant des tournois de poker. Toutefois, elle ne démontre pas avoir été empêchée d'organiser un tournoi Wonder8, ni tout autre tournoi de poker (pièce défenderesse no 29).

31. Par ailleurs, la société Club Montmartre ne saurait revendiquer un préjudice financier tiré des pertes d'exploitation liées au tournoi Wonder8 alors que l'organisation de tels tournois en mars, juin et octobre 2019 a été faite sans aucune contestation de sa part, qu'elle avait connaissance de l'existence de la société In Game Factory et de son activité (pièce défenderesse no 5) et qu'elle ne démontre pas avoir voulu organiser un tournoi Wonder8 et en avoir été empêchée du fait de l'exploitation de ce signe et de l'organisation d'un tel tournoi par la défenderesse. Elle ne saurait dès lors revendiquer les bénéfices perçus par la société In Game Factory pour l'organisation de ces trois tournois.

32. S'agissant ensuite du préjudice moral, la société Club Montmartre ne peut, là encore, pas faire état d'un préjudice d'image résultant du fait qu'elle n'a pu bénéficier de la publicité attachée à l'organisation des tournois Wonder8 par la société In Game Factory dès lors qu'elle ne démontre pas, d'une part, avoir eu l'intention et avoir été empêchée d'organiser de tels tournois, et d'autre part que l'organisation de ces tournois par la société In Game Factory – qui n'est au demeurant jamais mentionnée dans les programmes et les articles de presse (pièces défenderesse no 8 à 10) – a porté atteinte à son image.

33. En revanche, le dépôt frauduleux de la marque « Wonder8 » par la société In Game Factory dont les associés fondateurs étaient à cette date encore salariés de la société Club Montmartre, a causé à cette dernière un préjudice moral qui peut être évalué à la somme de 2.000 euros.

III. Sur la demande pour procédure abusive

Moyens des parties

34. La société In Game Factory soutient que la demanderesse a commencé à revendiquer des droits sur le signe « Wonder8 » plus d'un an après avoir acquis le fonds de commerce de l'association [4], moment qui coïncide avec le départ de MM. [Z] et [B] de la société Club Montmartre et le développement de la société In Game Factory dans le domaine du poker. Elle ajoute que depuis 2020, la demanderesse mène contre elle une entreprise de dénigrement et de déstabilisation, dans laquelle s'inscrit cette action. Elle expose que la mauvaise foi de la demanderesse ressort notamment de ce qu'elle vend le matériel de jeu fabriqué pour le tournoi Wonder8. Elle considère en conséquence que la présente procédure est abusive et sollicite la somme de 50.000 euros en réparation de son préjudice.

35. La société Club Montmartre ne répond pas sur ce point.

Réponse du tribunal

36. L'action en justice, même dénuée de fondement, ne dégénère en abus susceptible d'ouvrir droit à une créance de dommages et intérêts qu'en cas de faute du plaideur, de preuve d'un préjudice pour celui qui l'invoque et de l'existence d'un lien de causalité.

37. En l'espèce, les prétentions de la société Club Montmartre ayant été admises pour la plupart d'entre elles, la procédure ne peut être qualifiée d'abusive, de telle sorte que la réclamation des défendeurs à ce titre ne peut qu'être rejetée.

38. En tout état de cause, la société In Game Factory ne saurait soutenir que la présente instance a été introduite au moment où elle commençait à développer son activité dans le domaine du poker, alors que les tournois Wonder8 qu'elle dit avoir organisés l'ont été près d'un an avant l'introduction de l'instance. Elle ne démontre par ailleurs pas l'organisation par la société Club Montmartre d'une quelconque entreprise de dénigrement et de déstabilisation.

IV. Sur les autres demandes

39. La société In Game Factory, qui succombe, supportera les dépens et ses propres frais.

40. En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la partie tenue aux dépens ou à défaut, la partie perdante, est condamnée au paiement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en tenant compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

41. La société In Game Factory sera condamné à payer à la société Club Montmartre la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

42. L'exécution provisoire est de droit et rien ne justifie de l'écarter au cas présent.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Ordonne le transfert rétroactif de la marque française semi-figurative « Wonder8 » no 4528818 au profit de la société Club Montmartre,

Dit que la décision, une fois définitive, sera transmise à l'Institut national de la propriété industrielle par la partie la plus diligente aux fins d'inscription au Registre national des marques,

Fait interdiction à la société In Game Factory de faire usage dans la vie des affaires, sur le territoire français et sous quelque forme que ce soit, du signe « Wonder8 » en lien avec des activités d'exploitation et d'organisation de casinos ou de jeux d'argent, sous astreinte de 150 euros par jour de retard passé un délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement, l'astreinte courant sur trois mois,

Condamne la société In Game Factory à payer à la société Club Montmartre la somme de 2.000 euros en réparation de son préjudice moral résultant du dépôt frauduleux,

Déboute la société Club Montmartre de sa demande de dommages et intérêts en réparation de son préjudice économique résultant du dépôt frauduleux,

Déboute la société In Game Factory de sa demande reconventionnelle en procédure abusive,

Condamne la société In Game Factory aux dépens,

Condamne la société In Game Factory à payer à la société Club Montmartre la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 16 décembre 2022

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0087
Numéro d'arrêt : 20/09203
Date de la décision : 16/12/2022

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2022-12-16;20.09203 ?
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